La lettre juridique n°171 du 9 juin 2005 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Requalification sur requalification ne vaut... le retour !

Réf. : Cass. soc., 25 mai 2005, n° 03-43.146, M. Olivier Chavane de Dalmassy c/ M. Jean-Claude Delrieux, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3956DID)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

La requalification permet au salarié de faire sanctionner l'employeur qui a méconnu certaines prescriptions légales en matière de contrats de travail à durée déterminée (C. trav., art. L. 122-3-13 N° Lexbase : L5469ACK) ou de contrat de travail temporaire (C. trav., art. L. 124-7 N° Lexbase : L9648GQE). Lorsqu'elle est prononcée par le juge, elle ouvre droit au salarié au paiement d'une indemnité de requalification dont le montant ne peut être inférieur à un mois de salaire (C. trav., art. L. 122-3-13, alinéa 2). Le salarié peut-il cumuler plusieurs indemnités de requalification lorsque le juge procède à la requalification de plusieurs contrats ? Partant, peut-il prétendre au paiement d'indemnités de licenciement pour chaque contrat requalifié ? Non, répond la Cour de cassation. Cette dernière considère, en effet, qu'indépendamment du nombre de contrats requalifiés, le salarié ne peut prétendre qu'au versement d'une seule indemnité de requalification et à l'indemnisation d'une seule rupture, celle du contrat requalifié. Cette solution, malgré sa nouveauté en matière de CDD, n'est pas surprenante. Elle ne fait qu'unifier le régime applicable aux contrats de travail précaires.
Décision

Cass. soc., 25 mai 2005, n° 03-43.146, M. Olivier Chavane de Dalmassy c/ M. Jean-Claude Delrieux, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3956DID)

Cassation (CA Versailles, 5ème chambre B sociale, 7 février 2003)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-3-13 (N° Lexbase : L5469ACK) ; C. trav., art. L. 122-14-4  (N° Lexbase : L8990G74) ; C. trav., art. L. 122-14-5 (N° Lexbase : L5570ACB)

Mots-clefs : contrats à durée déterminée successifs ; requalification ; droit à une seule indemnité de requalification ; indemnisation de la rupture du contrat requalifié.

Lien bases :

Faits

Un salarié a été engagé en qualité de pilote professionnel d'hélicoptère selon deux contrats de travail à durée déterminée. La relation s'est poursuive par un contrat de travail à durée indéterminée qui avait pris fin le 9 janvier 1998 par un licenciement pour faute grave.

Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrats de travail à durée indéterminée, ainsi que la condamnation de la société au paiement d'une indemnité de requalification au titre de chaque contrat de travail à durée déterminée requalifié et de dommages intérêts pour rupture abusive de chaque contrat de travail à durée déterminée et d'une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour d'appel a accordé au salarié deux indemnités de requalification ainsi que des dommages-intérêts pour rupture abusive, des indemnités de rupture et des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre des deux contrats requalifiés.

Problème juridique

Le salarié peut-il cumuler les indemnités versées à la suite de la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée ?

Solution

1. Cassation partielle

2. "Attendu, cependant, que lorsque le juge requalifie plusieurs contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, il ne doit accorder qu'une indemnité de requalification, dont le montant ne peut être inférieur à un mois de salaire" (1er moyen).

3. "En statuant ainsi, alors que lorsque plusieurs contrats à durée déterminée sont requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée, la rupture de la relation de travail s'analyse en un licenciement et que le salarié ne peut prétendre qu'aux indemnités de rupture lui revenant à ce titre, la cour d'appel a violé les textes susvisés" (2ème moyen).

Commentaire

1. Affirmation du principe du non-cumul en matière de requalification du contrat de travail à durée déterminée

  • Indemnités consécutives à une requalification

Le juge qui fait droit à la demande de requalification du salarié doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire (C. trav., art. L. 122-3-13 N° Lexbase : L5469ACK). Cette indemnité de requalification se cumule avec les indemnités inhérentes à la rupture d'un contrat de travail à durée indéterminée (C. trav., art. L. 122-3-13 in fine).

Le salarié dont le contrat de travail à durée déterminée est requalifié en un contrat de travail à durée indéterminée se verra, ainsi, accorder l'indemnité minimale de requalification, une indemnité compensatrice de préavis et, le cas échéant, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou pour non-respect de la procédure et, éventuellement, une indemnité de licenciement (C. trav., art. L. 122-9 N° Lexbase : L5559ACU).

Que se passe-t-il lorsque le juge procède à la requalification de plusieurs CDD successifs ? Ces sommes doivent-elles être versées au salarié autant de fois que le juge prononce de requalification ? Faut-il, au contraire, limiter les droits du salarié à une seule indemnité ?

  • Cumul ou non-cumul des indemnités de requalification ?

Dans le silence du législateur, deux solutions s'offraient aux juges. Ces derniers pouvaient librement opter pour le cumul ou le non-cumul des indemnisations.

Une interprétation littérale de l'article L. 122-3-13 du Code du travail est de nature à autoriser le salarié à se prévaloir d'une indemnité de requalification pour chaque contrat requalifié. Ce texte prévoit, en effet, que lorsque le tribunal est saisi d'une demande de requalification et qu'il fait droit à la demande du salarié, il doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire. Ceci implique a fortiori que si le salarié forme plusieurs demandes de requalification, le juge doit lui accorder plusieurs indemnités.

Une interprétation téléologique de ce texte proscrit, quant à elle, tout cumul. La requalification inscrit le contrat dans une relation à durée indéterminée qui trouve son terme le jour de la cessation définitive de la relation professionnelle. Elle emporte donc, dans son sillage, tous les contrats postérieurs. Le salarié n'est ainsi plus fondé à obtenir le paiement que d'une seule indemnité. C'est cette seconde solution qu'est venue consacrer la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Pour sanctionner les juges du fond qui avaient attribué au salarié une indemnité de requalification et des indemnités de licenciement pour chacun des deux contrats à durée déterminée requalifiés, la Haute juridiction affirme que lorsque le juge requalifie plusieurs contrats de travail à durée déterminée, il ne peut accorder au salarié qu'une seule indemnité de requalification et ne peut prononcer l'indemnisation que d'un seul licenciement.

Cette solution n'a rien de surprenant. Elle était annoncée et répond en tous points à l'objet et à l'effet de la requalification.

2. Unification du régime : application aux contrats précaires requalifiés

  • Une solution retenue en matière de contrat de travail temporaire

La limitation de l'indemnisation du salarié à une indemnité de requalification n'est pas nouvelle. Elle ne fait qu'étendre au CDD le régime récemment dégagé en matière de contrat de travail temporaire. Pour ce type de contrat, la Haute juridiction est venue affirmer que lorsque le juge requalifie une succession de contrats de travail temporaire en CDI, il ne doit accorder qu'une indemnité de requalification dont le montant ne peut être inférieur à un mois de salaire (Cass. soc., 30 mars 2005, n° 02-45.410, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4303DHT ; Cass. soc., 13 avril 2005, n° 03-44.996, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7990DHE et notre commentaire, Requalification sur requalification ne vaut..., Lexbase hebdo n° 165 du 28 avril 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3565AIU).

Forte de ce principe, la Cour de cassation avait ensuite considéré que la requalification de plusieurs contrats de travail en un contrat à durée indéterminée n'entraîne le versement d'indemnités qu'au titre de la rupture du CDI (Cass. soc., 13 avril 2005, n° 03-44.996, précité). Ce sont ces deux principes que la Haute juridiction est venue appliquer à l'identique dans la décision commentée.

Cette unification du régime applicable aux contrats précaires requalifiés ne peut qu'être approuvée.

  • Effet de la requalification

La requalification agit comme la nullité. Elle a pour effet de transformer la nature du contrat de travail au regard de la clause de durée sans affecter autrement le reste de ses stipulations. Le contrat à durée déterminée originaire devient ainsi un contrat de travail à durée indéterminée dont la rupture doit être qualifiée de licenciement.

La requalification des contrats de travail à durée déterminée qui auraient été conclus au cours de cette période est donc sans objet. La requalification d'un premier contrat emporte, en effet, avec elle, tous les contrats postérieurs. Ces derniers se trouvent ainsi absorbés et primés par la relation à durée indéterminée qui ne prend fin qu'au jour de la cessation définitive de la relation de travail. Le salarié ne peut plus alors prétendre qu'à l'indemnisation d'une seule rupture, celle du contrat requalifié. CQFD.

Admettre le cumul des indemnités reviendrait, en outre, à faire échec à l'objet de la requalification qui est de redonner a posteriori à la relation la stabilité qu'elle aurait dû avoir dès l'origine.

Elle serait, en pratique, préjudiciable à l'intérêt de l'entreprise comme à l'intérêt des salariés.

  • Déséquilibre du cumul

Le salarié aurait intérêt à se voir allouer des indemnités au titre de chaque contrat requalifié. L'importance de l'indemnisation pourrait avoir de lourdes conséquences pour l'entreprise débitrice. Le cumul n'était donc pas, en pratique également, la bonne solution. Si l'on prend comme exemple celui d'un salarié qui a conclu 20 contrats à durée déterminée avant de demander la requalification, les difficultés se font jour. Si le juge procède à la requalification de chaque contrat, il devra allouer au salarié au minimum 20 mois de salaires au titre de l'indemnité de requalification et des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour chaque rupture non causée...

On peut aisément voir les conséquences néfastes d'une telle solution pour l'entreprise qui, en fonction de l'importance de la sanction prononcée, risque de devoir fermer ses portes.

Le seul avantage du cumul aurait été son caractère dissuasif. Les employeurs "maniaques du CDD" auraient, sans doute, limité le nombre de CDD successifs conclus avec un même salarié par peur de la sanction de la requalification. Mais, ici encore, le salarié aurait été le grand perdant puisque sa situation aurait été encore plus précarisée.

Le cumul ne trouve donc aucune justification pertinente et reste inégalitaire.

  • Un cumul inégalitaire

Il faut, en effet, garder à l'esprit qu'il s'agit de la requalification de CDD... Permettre au salarié sous contrat de travail à durée déterminée de cumuler les indemnités consécutives à la requalification reviendrait à l'inscrire dans un statut plus avantageux que celui dans lequel se trouve un salarié sous contrat de droit commun ce qui, en l'absence de disposition légale expresse, ne peut être le fait du juge.

Le but de la requalification est de permettre aux salariés illégalement embauchés sous contrats précaires de bénéficier des droits ouverts aux salariés embauchés sous contrat de travail à durée indéterminée. Elle n'a pas pour objet et ne peut donc pas avoir pour effet de leur offrir un statut privilégié. Si tel devait être le cas, seul le législateur pourrait en décider... Dans le silence de ce dernier, le non-cumul ne pouvait que s'imposer.

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