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le 07 Octobre 2010
I - Le respect de la vie privée lors de la création de l'oeuvre
Très généralement, l'auteur est libre lorsqu'il crée une oeuvre. Lors de la création de son oeuvre, il va, en principe, être titulaire du droit d'auteur pour l'oeuvre originale (C. propr. int., art. L. 111-1 et suiv. N° Lexbase : L3328ADM). Toutefois, s'il est titulaire de ce droit, c'est avec beaucoup de mal qu'il va pouvoir l'exercer, notamment par le phénomène des "copies caches".
Lorsqu'une personne, en créant un site Internet, porte atteinte à la vie privée d'autrui ou à son droit à l'image, elle peut être obligée de retirer le texte ou l'image à l'origine de l'infraction. Cependant, quand bien même elle exécuterait cette obligation, il n'est pas garanti que ce texte ou cette image ne se retrouve pas sur d'autres sites, par l'effet du "copies caches". Ainsi, quand une oeuvre porte atteinte à la vie privée, il est difficile de la faire disparaître du réseau, à cause des "copies caches".
Tel a été le cas, par exemple, de l'affaire dans laquelle la revue "Paris Match" avait été contrainte de retirer de son site des photos de "Loana". Pour autant, ces photos n'avaient pas disparu du réseau Internet ; par le biais de "copies caches", il restait, en effet, possible de retrouver lesdites photos sur d'autres sites (TGI Paris, ord. réf., 4 janvier 2002 : D. 2002, somm. p. 2296, note Ch. Caron).
Le respect de la vie privée est, également, mis en péril, lorsqu'un internaute crée une oeuvre avec une donnée personnelle. C'est pourquoi, dans ce cas, des formalités sont à respecter ; il s'agit de l'article 6, 5°, des articles 8, 9, 22, de l'article 25, I, et des articles 32, 39, 40 et 68 à 70 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Toutefois, l'article 67, 1°, de cette même loi permet d'éliminer ce corpus de règles, dès lors que l'utilisation de ces données à caractère personnel ne poursuit que des fins "d'expression littéraire et artistique" : dans ce cas, les règles protectrices précitées ne trouvent pas application.
Or, la mise en oeuvre de cette exception est délicate, en raison de la difficulté qui existe à définir le traitement de données mis en oeuvre exclusivement à des fins d'expression littéraire et artistique.
Il n'en reste pas moins que cet article 67, 1°, de la loi de 1978 pourrait constituer une règle redoutable pour ceux qui ne respectent pas les dispositions de cette loi.
Le difficile respect de la vie privée lors de la création de l'oeuvre se rencontre, également, lors de l'exploitation de cette oeuvre.
II - Le respect de la vie privée lors de l'exploitation de l'oeuvre
La communication de l'oeuvre dans la sphère privée est, rappelons-le, ignorée par le droit d'auteur. Le droit d'auteur, en effet, n'entre en jeu que lorsqu'une oeuvre est reproduite en vue d'être communiquée au public, et non pas en cas de communication à la sphère privée.
Si ces règles étaient, jusqu'à présent, bien établies, elles sont aujourd'hui remises en cause par l'essor d'Internet, l'équilibre qu'elles constituaient se trouvant rompu.
En témoigne la notion du "cercle de famille". Comment dessiner les contours de cette notion dans le cadre de l'utilisation d'Internet ? Comment envisager être physiquement présent, devant son ordinateur, mais en même temps à l'extérieur, par le biais de la connexion à Internet ? Le "cercle de famille" devient, ainsi, une "peau de chagrin de Balzac".
La meilleure façon de protéger le droit d'auteur serait, ainsi, de connaître le parcours de l'internaute (moments auxquels il se connecte, sites visités, adresses à partir desquelles il se connecte, etc.), ce qui, de nos jours, est devenu relativement facile. Mais connaître tous ces renseignements conduirait à porter une atteinte au respect de la vie privée. A vouloir trop protéger le droit d'auteur, le respect de la vie privée est menacé, et l'internaute pourrait se retrouver plongé, comme l'a souligné le professeur Caron, dans l'univers orwellien de "Big Brother".
Cela montre bien à quel point il est difficile de concilier protection des droits d'auteur et respect de la vie privée sur internet.
III - Le respect de la vie privée lors de la lutte contre la contrefaçon
De plus en plus, la contrefaçon connaît un développement où le contrefacteur n'est pas la personne morale, comme c'est traditionnellement le cas, mais la personne privée. Cette nouvelle forme de contrefaçon utilise la technologie du "peer to peer".
La difficulté vient de ce que la lutte contre la contrefaçon touche, alors, la vie privée, dans la mesure où la personne, auteur de ces agissements, est une personne privée, qui est "chez elle".
Dans cette lutte contre la contrefaçon, on risque, aujourd'hui, de porter atteinte à la vie privée de deux façons, qui, contradictoirement, sont prévues par la loi.
- La première façon réside dans l'article 6-II de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Cette disposition prévoit, en effet, que :
"Les personnes mentionnées aux 1 [les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public] et 2 [les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services] du I détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires.
Elles fournissent aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d'identification prévues au III.
L'autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I des données mentionnées au premier alinéa.
Les dispositions des articles 226-17 (N° Lexbase : L0820DHT), 226-21 (N° Lexbase : L4485GTB) et 226-22 (N° Lexbase : L4486GTC) du code pénal sont applicables au traitement de ces données.
Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, définit les données mentionnées au premier alinéa et détermine la durée et les modalités de leur conservation".
Cette disposition prévoit donc l'obligation, pour les fournisseurs techniques, de détenir et de conserver les données de nature à permettre l'identification de leurs clients.
L'application de ce texte a donné lieu à un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris, en date du 7 février 2005 (affaire "Tiscali"). Cette décision, qui a reconnu une faute de la part de Tiscali, a permis de préciser que le fournisseur d'accès doit conserver des données fiables.
- La seconde façon de porter atteinte à la vie privée se trouve à l'article 9, 4° de la loi de 1978, dans sa version en vigueur (N° Lexbase : L8794AGS). Comme l'a souligné le professeur Caron, ce texte est une "révolution" dans notre droit des données personnelles.
Aux termes de cet article, "les traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent être mis en oeuvre que par : [...]
Les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 (N° Lexbase : L3459ADH) et L. 331-1 (N° Lexbase : L3471ADW) du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d'atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d'assurer la défense de ces droits".
Ces personnes peuvent donc constituer des dossiers personnels sur des internautes qui sont des contrefacteurs présumés. Or, pour la première fois, le Conseil constitutionnel a estimé que l'atteinte portée à la vie privée suivait, dans ce cas précis, un objectif d'intérêt général et a, donc, refusé de censurer cette disposition.
Par conséquent, c'est dans la licéité que les personnes morales peuvent, désormais, constituer des dossiers sur des délinquants présumés, à la condition, toutefois, que ce soit pour la recherche d'une infraction.
Quelques garde-fous sont, cependant, prévus, venant limiter cette atteinte à la vie privée. Il existe, en effet, un encadrement légal prévoyant, notamment, que la CNIL doit autoriser la création du fichier. La conservation des données est, elle aussi, encadrée.
Compte-rendu rédigé par Florence Labasque
SGR - Droit commercial
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