La lettre juridique n°657 du 2 juin 2016 : Sociétés

[Jurisprudence] Les enjeux de la non-immatriculation d'une société civile immobilière

Réf. : Cass. civ. 3, 4 mai 2016, n° 14-28.243, FS-P+B (N° Lexbase : A3391RNW)

Lecture: 9 min

N2938BWQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Les enjeux de la non-immatriculation d'une société civile immobilière. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/31958373-jurisprudencelesenjeuxdelanonimmatriculationdunesocietecivileimmobiliere
Copier

par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse 1 Capitole), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 02 Juin 2016

Le cadre du litige tranché dans l'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 4mai 2016 est une société civile immobilière (SCI) créée en 1970 et dont le capital est détenu par un couple marié, respectivement à 50 et 150 parts, soit un quart et trois quarts. Ladite société étant propriétaire d'un immeuble, un jugement du 15 novembre 1999 a condamné l'époux associé à payer diverses sommes à un tiers. Les procédures de recouvrement forcé engagées étant demeurées infructueuses, le créancier a, sur le fondement des articles 1166 (N° Lexbase : L1268ABL) et 815-17 (N° Lexbase : L9945HNN) du Code civil, assigné les deux membres du couple en vue d'obtenir la décision selon laquelle, à défaut d'immatriculation au RCS, la SCI s'est muée en société en participation, que les biens sociaux sont la propriété indivise de ces derniers, de voir prononcer la dissolution de la société et ordonner l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision et la licitation de l'immeuble.
Faisant grief à la cour d'appel de Nouméa d'avoir accueilli la demande de leur créancier dans sa décision du 18 août 2014, les intéressés forment un recours en cassation.
Saisie du différend, la troisième chambre civile rejette le pourvoi dans l'arrêt rendu le 4 mai 2016 au motif, d'une part, que faute d'avoir été inscrite au registre du commerce et des sociétés dans le délai prévu par l'article 44 de la loi du 15 mai 2001 (loi "NRE" N° Lexbase : L8295ASZ) rendu applicable au territoire de la Nouvelle-Calédonie par l'article 12 de l'ordonnance du 19 août 2004 (n° 2004-823 N° Lexbase : L0885GTX), publiée le 21 août 2004, une SCI dépourvue de personnalité morale obéit aux règles applicables aux sociétés en participation (I) ; d'autre part, que n'ayant pas été organisée par un pacte conforme à celui d'une société en participation à durée déterminée, la société est nécessairement à durée indéterminée, si bien que la demande dudit créancier doit être accueillie (II). I - L'absence de dissolution de la SCI dégénérée en société en participation

Sous l'ancien régime, contrairement aux sociétés commerciales qui étaient tenues de s'immatriculer au RCS pour acquérir de la personnalité morale, les sociétés civiles pouvaient bénéficier de celle-ci sans être contraintes de remplir cette formalité. Pour des motifs d'opportunité, la loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 (N° Lexbase : L3612IEI) a rendu obligatoire l'immatriculation des sociétés civiles sans que celle-ci fasse présumer leur commercialité (1).

Néanmoins, certaines d'entre elles constituées avant le 1er juillet 1978, date d'entrée en vigueur de ce texte, demeuraient occultes, sauf à répondre à une mise en demeure du ministère public ou de tout intéressé de régulariser leur situation en s'immatriculant (2). En effet, la majeure partie de ces sociétés n'était que des "coquilles vides [pouvant] à tout moment participer à des montages suspects, notamment dans le domaine du blanchiment d'argent", sans compter que l'absence d'immatriculation rendait opaque la transmission des parts sociales (3). Aussi, l'article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques, leur a imposé de s'immatriculer à compter du premier jour du dix-huitième mois suivant la publication de la loi, soit le 31 octobre 2002.

Quant à savoir ce qu'il adviendrait des sociétés qui ne s'étaient pas conformées à cette obligation à la date fatidique du 1er novembre 2002, certains auteurs avaient préconisé qu'elles fussent dissoutes (4). En réalité, il ne pouvait en être ainsi dès lors que cette mesure n'était envisagée, ni par une décision des associés adoptée dans les conditions requises pour modifier les statuts (5), ni encore moins par une disposition législative (6). Le mutisme des textes a conduit à admettre qu'à l'échéance prévue par le législateur, le contrat de société a survécu à l'inaccomplissement de la procédure d'immatriculation, évitant ainsi de considérer les sociétés civiles concernées comme dissoutes (7).

Il y a donc lieu de considérer que la survenance de l'échéance du 1er novembre 2002 a entraîné la perte automatique de la personnalité morale pour les sociétés civiles concernées qui se sont trouvées placées sous le régime des sociétés en participation. Pour autant, rien n'a empêché les membres de celles-ci de récupérer la personnalité juridique perdue par manque de vigilance ou de célérité, en sollicitant une immatriculation bien après la date exigée, même plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard. Par rapport au schéma classique, la différence réside dans le fait que ces sociétés, dégénérées en attendant une nouvelle immatriculation, ne connaissent pas de phase de constitution, dite de "formation", caractérisée par une activité de "démarrage", mais une période d'absence de personnalité morale propre aux sociétés en participation marquée par une activité de "croisière". Cette approche a été consacrée par des juges du fond.

Dans une affaire, une SCI s'est heurtée en raison de la tardiveté de sa demande présentée après le 1er novembre 2002, au refus conjoint d'immatriculation de la part du greffier et du juge commis à la surveillance du RCS. Cette décision a été censurée par la cour d'appel de Dijon au motif qu'aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit le rejet d'une demande déposée postérieurement à la date exigée (8) ; dès lors, il convient d'ordonner au greffier de procéder à l'immatriculation de la société civile.

Cette position est conforme à une réponse ministérielle (9) et à une circulaire du ministère de la Justice du 26 décembre 2002 (10) qui ont préconisé que les sociétés retardataires puissent déposer un dossier auprès du greffe compétent en vue de leur immatriculation. En revanche, elle contraste notablement avec celle de la cour d'appel de Paris (11) qui, s'appuyant sur l'article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, publiée le 16 mai 2001, (12) a confirmé l'ordonnance déférée écartant la demande d'immatriculation présentée après l'expiration du délai imparti par la loi.

En dépit de cette décision de justice discordante, nul doute que la survenance de l'échéance n'a pas entraîné la dissolution des sociétés civiles constituées avant le 1er juillet 1978, date d'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1978, mais non immatriculées et ne les a pas privées de la possibilité de solliciter leur inscription au RCS. Le fait de n'avoir pas déféré à l'injonction leur a faire perdre la personnalité morale et les a soumis au régime des sociétés en participation.

Contrairement aux termes utilisés dans l'arrêt rapporté, cette mutation ne saurait être considérée comme une "transformation" au sens strict du terme impliquant le respect d'une procédure et une modification des statuts dans les conditions requises pour rectifier le pacte social, mais comme une dégénérescence en société en participation de la société civile non immatriculée. En effet, si en vertu de l'article 1844-3 du Code civil (N° Lexbase : L2023ABK), la transformation n'emporte pas création d'une personne morale nouvelle et assiste donc au maintien de la personne morale existante, la dégénérescence traduit au contraire la perte de la personnalité juridique.

En dépit de l'impropriété de l'expression relevée, c'est bien le sens de l'actuel arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 4 mai 2016 qui rejette le pourvoi formé contre la décision de la cour d'appel de Nouméa rendu le 18 août 2014. De SCI, société institution personne morale, le groupement est devenu société en participation, société contrat, la disposition de l'article 44 de la loi du 15 mai 2001 ayant été rendue applicable au territoire de la Nouvelle-Calédonie par l'article 12 de l'ordonnance du 19 août 2004 publiée le 21 août 2004.

II - La dissolution de la société en participation postérieurement à la dégénérescence de la SCI

Si les sociétés qui n'ont pas déféré à l'injonction de s'immatriculer à la date requise n'ont pas été dissoutes au point d'être traitées comme des sociétés en participation, échappent-elles pour autant à la dissolution ? A cette interrogation, la Cour régulatrice répond en l'espèce par la négative, eu égard au contexte du litige.

Etant issue d'une société civile, la société en participation dégénérée revêt un caractère civil par son objet ; à tous points de vue, elle obéit donc aux règles de la société civile (13).

S'agissant de la dissolution, outre les causes communes de dissolution et celles propres aux sociétés civiles, la société en participation répond à des circonstances spécifiques. Effectivement, tandis que les sociétés civiles ou commerciales immatriculées correspondent à une personne morale à laquelle est affecté le bien apporté et qui se trouve investie de la capacité juridique d'agir au nom et dans l'intérêt de la collectivité, la société en participation correspond à un contrat au sens de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ) par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun en vue de...

Conformément au droit commun des contrats, elle est conclue pour une durée déterminée librement fixée par les associés ou à durée indéterminée, tandis que la durée d'une société investie de la personnalité juridique doit être précise, avec un maximum de 99 ans. Soit que la société en participation est à durée déterminée, elle prend alors fin à l'arrivée du terme, sauf reconduction pour une durée déterminée ou indéterminée, ou rupture avant échéance unanimement consentie. Soit qu'elle est à durée indéterminée, sa dissolution résulte alors d'une simple notification adressée par l'un des associés à tous les autres, sous réserve d'être de bonne foi et "non faite à contretemps", selon l'article 1872-2, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L2073ABE) (14)

Qu'en est-il dans l'espèce rapportée ? Le couple demandeur au pourvoi prétend que la durée de la société civile, fixée initialement à 50 ans, n'a pas été modifiée par la mutation de celle-ci en société en participation. Par conséquent, la cour d'appel a porté atteinte à l'article 1872-2 du Code civil en conférant au créancier le droit de demander la dissolution de la SCI et en admettant que s'était substituée à cette société à durée déterminée une société en participation à durée indéterminée, faute d'un pacte social régissant postérieurement les relations entre les associés de la société sous cette forme.

Il n'en est rien en réalité. La Cour de cassation, rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Nouméa, considère que la société en participation née de la dégénérescence de la SCI n'est pas à durée déterminée. Dès lors que cette société n'a pas été organisée par un pacte conforme à celui d'une participation à durée déterminée, elle n'a pu qu'être à durée indéterminée ; d'où la reconnaissance à bon escient par les juges d'appel du droit du créancier de demander la dissolution de la société, l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision et la licitation de l'immeuble indivis.

Doit-on s'étonner que ce créancier puisse agir en dissolution dans la mesure où l'article 1872-2, alinéa 1er, ne confère une telle prérogative qu'à un associé ? Point du tout. Cette situation s'explique par la possibilité reconnue à tout créancier, en cas de défaillance de son débiteur, d'exercer sur le fondement de l'action oblique de l'article 1166 du Code civil, les droits et actions de ce dernier, excepté ceux exclusivement attachés à sa personne. Cela justifie qu'en l'espèce la juridiction du droit confirme la décision de la juridiction de seconde instance en ce qu'elle a admis la recevabilité de l'action oblique, ordonné la licitation du bien indivis, après avoir implicitement mais nécessairement considéré que le bien n'était pas facilement partageable en nature, et rejeté la demande d'attribution préférentielle présentée par l'épouse, du fait que celle-ci n'indiquait absolument pas les modalités de la soulte dont elle était redevable.


(1) C. com., art. L. 123-7 (N° Lexbase : L5565AIX).
(2) Loi n° 78-9 du 4 janvier 1978, art. 4, al. 4 (N° Lexbase : L1471AIC).
(3) Rapport AN n° 2327, p. 97.
(4) A. Viandier, Sociétés et loi NRE, éd. F. Lefebvre 2001, n° 510 ; G. Daublon et E. Frémeaux, Les nouvelles régulations économiques : dispositions intéressant le Notariat, Defrénois, 2001, p. 817, n° 21 ; B. Saintourens, Les réformes du droit des sociétés par la loi NRE, Defrénois, 2001, p. 1475, n° 18 (plus hésitant).
(5) G. Baranger, Immatriculation des sociétés civiles anciennes : l'échéance, Defrénois, 2002, p. 1226, n° 3.
(6) F. Deboissy et G. Wicker, Conséquences juridiques et fiscales du défaut d'immatriculation des sociétés civiles anciennes au 1er novembre 2002, JCP éd. G, 2002, n° 40, 1548, n° 6.
(7) QE n° 1074 de Mme Lévy Geneviève, JOANQ 29 juillet 2002 p. 2744, min. just., réponse publ. 21 octobre 2002 p. 3759, 12ème législature (N° Lexbase : L9728BAK) ; Bull. Joly Sociétés, 2002, p. 1258, § 265 ; JCP éd. N, 2002, n° 46, 1622. Cf. également, QE n° 14677 de Mme Bourragué Chantal, JOANQ 24 mars 2003 p. 2141, min. éco., réponse publ. 30 juin 2003 p. 5176, 12e législature (N° Lexbase : L8851HIN) et QE n° 16044 de M. Marleix Alain, JOANQ 7 avril 2003 p. 2616, min. éco., réponse publ. 30 juin 2003 p. 5176, 12e législature (N° Lexbase : L6778BHI).
(8) CA Dijon, 4 mars 2003, n° 02/01991 (N° Lexbase : A9442C89), JCP éd. E, 2003, n° 20, 740 ; Dr. sociétés, n° 126, obs. F.-X. Lucas, société coopérative et CA Dijon, 18 mars 2003, n° 03/00061 (N° Lexbase : A9441C88), JCP éd. E, 2003, n° 20, 739, SCI ; v. aussi, CA Aix-en- Provence, 28 octobre 2003, n° 03/02343 (N° Lexbase : A6270DDL), LPA, 3 août 2004, n° 154, p. 13, note G. Baldino.
(9) QE n° 9579 de M. Philip Christian, JOANQ 23 décembre 2002 p. 5117, min. just., réponse publ. 3 mars 2003 p. 1644, 12ème législature (N° Lexbase : L3875GU3) JCP éd. E, 2003, Pan. 475 ; JCP éd. N, 2003, n° 15-16, en bref, 97 ; D., 2003, p. 749.
(10) Circ. min., n° CIV 2002-12 D1, du 26 décembre 2002, relative à l'immatriculation des sociétés créées avant 1978 et des sociétés par actions simplifiées (N° Lexbase : L1591GUH), JCP éd. E, 2003, 632 ; JCP éd. N, 2003, n° 9, en bref, 55.
(11) CA Paris, 3ème ch., sect. C, 13 mai 2003, n° 2003/00964 (N° Lexbase : A5580DH7), Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 1067, note J.-P. Garçon.
(12) "Le quatrième alinéa de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du Code civil est abrogé le premier jour du dix-huitième mois suivant la publication de la présente loi. Les sociétés procèdent, avant cette date, à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés".
(13) C. civ., art. 1871-1 (N° Lexbase : L2070ABB).
(14) Cass. com., 15 février 1994, n° 92-13.325, publié (N° Lexbase : A6883ABK), Bull. civ. IV, n° 65 ; RJDA 5/1994, n° 542.

newsid:452938

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus