La lettre juridique n°657 du 2 juin 2016 : Rémunération

[Jurisprudence] Le transfert des avoirs placés au sein d'un plan d'épargne d'entreprise

Réf. : Cass. soc., 19 mai 2016, n° 14-29.786, FS-P+B (N° Lexbase : A0811RQ4)

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 02 Juin 2016

Par nature complexes et techniques, les questions juridiques relatives aux dispositifs d'épargne salariale deviennent encore plus épineuses lorsque se produit une modification dans la situation juridique de l'employeur. Il convient, en effet, de déterminer, dans ce cas, le sort des avoirs des salariés dont le contrat de travail est transféré en application de l'article L. 1224-1 du Code du travail. Ayant pris conscience des difficultés suscitées en la matière par la seule application des règles du droit commun relatives, notamment, à la mise en cause du statut conventionnel, le législateur a édicté des règles spéciales qui, malheureusement, ne brillent pas par leur clarté. Ce sont ces règles que la Cour de cassation a été conduite à appliquer dans un arrêt rendu le 19 mai 2016, dans lequel était en cause le transfert des avoirs placés au sein d'un plan d'épargne d'entreprise.
En cas de transfert d'un salarié au sens de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y), celui-ci, s'il conserve ses droits au sein du plan d'épargne d'entreprise mis en place par l'employeur sortant, dispose seulement de la faculté de transférer ses avoirs au sein du plan d'épargne d'entreprise, s'il existe, de son nouvel employeur.

I - Sort des dispositifs d'épargne salariale en cas de transfert d'entreprise

Un régime dérogatoire. Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, le sort du statut collectif applicable aux salariés qui lui sont contractuellement liés est réglé, d'une part, par la loi, s'agissant des conventions et accords collectifs de travail (1) et, d'autre part, par la jurisprudence pour ce qui est des engagements unilatéraux de l'employeur.

La mise en oeuvre de ces règles légales et jurisprudentielles posait, cependant, d'importantes difficultés, lorsque l'accord collectif ou l'engagement unilatéral a pour objet un dispositif d'épargne salariale (2). Aussi, le législateur a-t-il adopté des dispositions spécifiques et dérogatoires au droit commun en matière d'épargne salariale.

Ainsi, "en cas de modification survenue dans la situation juridique de l'entreprise, par fusion, cession ou scission et lorsque cette modification rend impossible l'application de l'accord d'intéressement, cet accord cesse de produire effet entre le nouvel employeur et les salariés de l'entreprise" (C. trav., art. L. 3313-4 N° Lexbase : L1093H9D). La même règle est énoncée par l'article L. 3323-7 du Code du travail (N° Lexbase : L3253IMG) à propos des accords de participation.

On comprend ainsi que, contrairement à ce qui résulte du droit commun, il ne saurait y avoir de survie provisoire de l'accord d'intéressement ou de participation, à tout le moins lorsque son application est devenue impossible par l'effet de la modification juridique dans la situation de l'employeur (3).

Le cas particulier des plans d'épargne d'entreprise. En application de l'alinéa 1er de l'article L. 3335-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1358H98), "en cas de modification survenue dans la situation juridique d'une entreprise ayant mis en place un plan d'épargne d'entreprise, notamment par fusion, cession, absorption ou scission rendant impossible la poursuite de l'ancien plan d'épargne, les sommes qui y étaient affectées peuvent être transférées dans le plan d'épargne de la nouvelle entreprise, après information des représentants du personnel dans des conditions prévues par décret".

On remarquera qu'à la différence de ceux qui ont été précédemment évoqués, ce texte ne vise pas l'impossible application de l'accord ayant mis en place le plan d'épargne, mais l'impossibilité de le poursuivre. Ce faisant, la loi ne prévoit pas explicitement la cessation des effets du plan d'épargne d'entreprise de l'ancien employeur. On peut, cependant, considérer qu'elle est implicitement admise par la référence à l'impossibilité de maintenir l'ancien plan d'épargne (4).

II - Le transfert des sommes affectés à un plan d'épargne d'entreprise

L'affaire. En l'espèce, Mme X avait été engagée par M. Y, pharmacien, en qualité de préparatrice en pharmacie, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 8 octobre 1994. Par acte du 25 septembre 2007, M. Y avait cédé son officine à la SELAS Pharmacie de Guyenne et le contrat de travail de Mme X avait été transféré au nouvel employeur. Licenciée pour inaptitude le 7 août 2012, la salariée avait saisi la juridiction prud'homale en formant notamment une demande de dommages-intérêts au titre des sommes qu'elle aurait dû percevoir dans le cadre du plan d'épargne d'entreprise qu'avait mis en place son ancien employeur.

Pour condamner la société Pharmacie de Guyenne à payer à la salariée des dommages-intérêts pour la perte du bénéfice de son plan d'épargne d'entreprise entre janvier 2008 et son départ de l'entreprise, l'arrêt attaqué avait retenu que, sauf impossibilité, l'entreprise cessionnaire est tenue de poursuivre le plan d'épargne d'entreprise mis en place par l'ancien employeur et ne peut se retrancher derrière son ignorance du contenu du plan d'épargne d'entreprise qu'il lui appartenait de poursuivre, et donc de rechercher.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 3335-1, L. 3335-2 (N° Lexbase : L0891ICY) et R. 3332-20 (N° Lexbase : L6039IXX) du Code du travail, ensemble l'article L. 1224-1 du même code. Après avoir rappelé les termes du premier de ces textes, et ceux de l'alinéa 3 du deuxième, la Chambre sociale affirme "qu'il en résulte qu'en cas de transfert d'un salarié au sens de l'article L. 1224-1 du Code du travail, celui-ci, s'il conserve ses droits au sein du plan d'épargne d'entreprise mis en place par l'employeur sortant, dispose seulement de la faculté de transférer ses avoirs au sein du plan d'épargne d'entreprise, s'il existe, de son nouvel employeur".

Une solution d'interprétation délicate. On s'accordera, avec la Cour de cassation, pour considérer que, tant l'article L. 3335-1, que l'article L. 3335-2, alinéa 3, du Code du travail, octroient au salarié, dont le contrat de travail est transféré en application de l'article L. 1224-1, une simple faculté de demander le transfert de ses avoirs au sein du plan d'épargne d'entreprise de son nouvel employeur. Toutefois, à s'en tenir au premier de ces textes, ce transfert semble subordonné à l'impossibilité de poursuivre l'application du plan d'épargne de l'ancien employeur. De manière regrettable, le législateur n'a pas envisagé l'hypothèse dans laquelle le nouvel employeur, dans l'impossibilité de maintenir le plan de l'ancien, n'en aurait pas constitué un lui-même. Faut-il en déduire que le salarié peut demander la libération de ses fonds, alors que l'on ne se trouve pas dans une hypothèse de déblocage anticipé ? Plus vraisemblablement, et l'arrêt commenté est en ce sens, il semble qu'il faille considérer que, dans ce cas, les avoirs du salarié sont appelés à demeurer dans le plan d'épargne d'entreprise de l'ancien employeur.

En l'absence de toute impossibilité de poursuite de l'ancien plan, les avoirs du salarié ont vocation à rester dans le plan initial, poursuivi par le nouvel employeur. Mais, en ce cas, le salarié devrait aussi être en mesure d'effectuer de nouveaux versements dans les conditions prévues par le plan poursuivi (5). Cette dernière assertion démontre l'intérêt qu'il y a à se prononcer sur l'impossibilité ou non de poursuivre l'application du plan d'épargne en vigueur chez l'ancien employeur. Car, le fait que le nouvel employeur ne poursuive pas le plan d'épargne, alors qu'il est en mesure de le faire, interdit au salarié d'effectuer de nouveaux versements et le prive, de ce fait et effectivement, du bénéfice de celui-ci.


(1) C. trav., art. L. 2261-14 (N° Lexbase : L2442H9C), relatif à la mise en cause des conventions et accords collectifs de travail.
(2) Sur ces difficultés, v. G. Jolivet et H. Ouaissi, Le sort des régimes d'épargne salariale lors de transferts d'entreprise, JCP éd. S, 2007, 1466.
(3) A proprement parler, ces textes ne règlent pas la situation dans laquelle le dispositif en cause a été mis en place unilatéralement. On peut, cependant, considérer, par analogie, que l'impossibilité à laquelle il est fait référence s'applique aux engagements unilatéraux et interdit leur transfert au nouvel employeur.
(4) V. en ce sens, G. Bordier, Plans d'épargne salariale, J.-Cl., Travail, Fasc. 27-22, § 53.
(5) V. en ce sens, G. Bordier, op. cit., § 53.

Décision

Cass. soc., 19 mai 2016, n° 14-29.786, FS-P+B (N° Lexbase : A0811RQ4).

Cassation (CA Bordeaux, 5 novembre 2014 n° 13/05908 N° Lexbase : A8346MZ7).

Textes visés : C. trav., art. L. 3335-1 (N° Lexbase : L1358H98), L. 3335-2 (N° Lexbase : L0891ICY) et R. 3332-20 (N° Lexbase : L6039IXX), ensemble l'article L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y) du même code.

Mots-clefs : transfert d'entreprise ; plan d'épargne d'entreprise ; transfert des avoirs au nouvel employeur.

Lien base : (N° Lexbase : E1042ETR).

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