La lettre juridique n°657 du 2 juin 2016 : Douanes

[Questions à...] L'actualité du droit des douanes - Questions à Maître Stéphane Chasseloup, Avocat associé chez Fidal

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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 02 Juin 2016

Le droit des douanes a connu une actualité dense ces dernières semaines. En effet, en premier lieu, le Code des douanes de l'Union est entré en vigueur le 1er mai 2016. Ce nouveau code a pour objectif d'adapter la législation douanière européenne aux évolutions du commerce international. En second lieu, les Hautes juridictions ont rendu récemment deux arrêts notables : un concernant le blanchiment douanier (Cass. crim., 4 mai 2016, n° 15-80.215, F-P+B N° Lexbase : A3345RN9), et l'autre relatif à une différence de traitement entre contribuables à propos de la taxe générale sur les activités polluantes (Cons. const., 22 avril 2016, n° 2016-537 QPC N° Lexbase : A9208RKA). Il conviendra, par la suite, de s'interroger sur les prochaines nécessités en matière douanière. Pour en savoir plus sur ces sujets, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Maître Stéphane Chasseloup, Avocat associé chez Fidal.

Lexbase : Le Code des douanes de l'Union (CDU) est entré en vigueur le 1er mai 2016. Quel est l'objet de ce nouveau Code et quel va être concrètement son apport vis-à-vis du droit français ?

Stéphane Chasseloup : Comme beaucoup de spécialistes l'ont dit ou écrit, le CDU constitue plus une évolution qu'une véritable révolution, même si il ne faut toutefois pas minimiser ses conséquences.

Le nouveau Code des douanes de l'Union (CDU), issu du Règlement n° 952/2013 du 9 octobre 2013 (N° Lexbase : L4115I3S), remplace le Code des douanes Communautaire, en vigueur depuis vingt ans et devenu inadapté face à l'accélération des échanges et le menace terroriste grandissante. Entré en vigueur le 1er mai dernier, ce CDU (entendu avec ses dispositions d'application) vient moderniser les échanges entre les opérateurs et les administrations douanières des vingt-huit Etats membres en consacrant des objectifs déjà fixés : dématérialisation, self assessment, sécurité... mais vient aussi renforcer la contrainte, notamment en matière de valeur en douane. L'objectif du sans papier y est réaffirmé et une nouvelle étape est ainsi franchie avec la volonté à terme de solutions douanières informatiques communes aux Etats membres pour 2020.

Qualifié par l'administration des douanes françaises de "passeport incontournable", l'opérateur économique agréé (OEA) voit son statut quasi-consacré par le CDU. Ce dernier le place au coeur des simplifications douanières (dédouanement centralisé, garantie globale, autoévaluation à terme) dont pourront bénéficier les opérateurs communautaires dans leurs opérations à l'international. En matière de valeur en douane, le CDU impose la dernière vente avant importation comme base déclarative des droits de douane à l'importation dans l'Union, condamnant ainsi toute possibilité d'utiliser une vente antérieure dans la chaîne des transactions. C'est bien la mort, hors les bénéficiaires de la "Sunset Clause", de la théorie de la première vente à l'export. On peut d'ailleurs, à ce titre, légitimement s'interroger sur la conformité de ces dispositions communautaires aux règles de la valeur en douane de l'OMC.

Le nouveau Code vient également renforcer l'intégration des redevances et droits de licence dans la valeur en douane à l'importation. L'opérateur devra se poser rapidement la question de l'impact de ses nouvelles règles en pratique. Enfin, deux évolutions majeures viennent directement bouleverser le paysage douanier français : la fin du monopole de représentation directe des commissionnaires en douane qui aura certainement pour conséquence un accroissement des pouvoirs du mandant et l'allongement du délai de prescription en matière douanière de trois à cinq ans (à l'intérieur du délai de dix ans...).

Les promesses du CDU sont grandes mais les opérateurs doivent rester attentifs, notamment durant la période transitoire. Ceux qui identifieront rapidement les opportunités du nouveau Code auront en tout état de cause une longueur d'avance sur leurs concurrents.

Lexbase : Dans un arrêt rendu le 4 mai 2016 par la Cour de cassation (Cass. crim., 4 mai 2016, n° 15-80.215, F-P+B), les requérants ont eu gain de cause face à l'administration car le délit de blanchiment en question n'était pas prévu par le Code des douanes. Cette décision vous semble-t-elle justifiée au regard des faits ?

Stéphane Chasseloup : Trop souvent oublié, et toujours à encadrer, l'un des multiples rôles de l'administration douanière est le contrôle des transferts de capitaux et du blanchiment. Cette dernière outrepasse parfois elle-même la limite de ses pouvoirs dans ce domaine.

La décision de cassation partielle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 4 mai 2016 en est une illustration. Elle refuse reconnaître les opérateurs coupables d'une infraction de blanchiment douanier en France, lorsque le point de départ et la substance du schéma de blanchiment se situent sur le territoire algérien. Selon la Cour, les fonds perçus par la société et ses mandataires ne provenaient pas d'une infraction au Code des douanes national mais d'une éventuelle infraction à la législation algérienne, hors du champ de compétence de la législation et des juridictions françaises, ne permettant pas de déduire, sur ce seul fondement, l'origine frauduleuse des fonds et ainsi de fonder le chef accessoire d'infraction de blanchiment douanier.

Nous ne pouvons qu'accueillir favorablement cette position de la Haute cour, s'agissant de l'infraction alléguée de blanchiment douanier.

Lexbase : Le Conseil constitutionnel a autorisé une différence de traitement entre contribuables concernant des échanges avec les départements d'outre-mer (Cons. const., 22 avril 2016, n° 2016-537 QPC). Cette solution est-elle logique ?

Stéphane Chasseloup : Si il est bien un territoire national à la fiscalité particulière, ce sont les départements (ou collectivités) d'outre-mer. Etant exclus du territoire fiscal de l'Union, ils constituent des territoires d'exportation pour les biens expédiés de la métropole à destination de ceux-ci.

Il est toujours délicat d'appréhender l'application de la fiscalité nationale dans les relations entre la métropole et les DOM. L'importation est-elle un fait générateur de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ? L'importateur domien livrant des biens sur son territoire ayant acheté par exemple des lessives auprès d'un opérateur métropolitain peut-il à nouveau être taxé, à quelque titre que ce soit, alors qu'une première livraison, certes exonérée, avait déjà été effectuée en métropole ?

Pour rappel, avant le 1er janvier 2016, l'article 268 ter du Code des douanes (N° Lexbase : L3930KWH) prévoyait les échanges entre la France métropolitaine et chacun des départements d'outre-mer sont assimilés à des opérations d'importation ou d'exportation. Le Conseil devait, au cas soumis, décider si une discrimination existait entre les opérateurs qui reçoivent des produits pour lessives en métropole depuis les DOM, qui sont exonérés de taxe générale sur les activités polluantes, et ceux qui en reçoivent dans un département d'outre-mer, qui sont soumises à cette taxe dès lors qu'elles les livrent ou les utilisent par la suite.

Face à cette question à notre sens mal posée, les Sages n'ont pas vu de rupture d'égalité et ont affirmé la conformité des dispositions de l'article 268 ter du Code des douanes. On notera que la loi de finances rectificative pour 2015 (loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, de finances rectificative pour 2015 N° Lexbase : L1131KWS) a supprimé au 1er janvier 2016 toute référence à l'article 266 sexies du Code des douanes (N° Lexbase : L3935KWN) dans l'article 268 ter du Code des douanes.

Les échanges métropole/DOM-COM ne sont plus des exportations ou des importations. Le législateur a donc de lui-même corrigé une rupture qui n'a pas été consacrée par le Conseil : la reconnaissance d'un seul fait générateur pour une seule taxation !

Lexbase : Selon vous, quelles seraient les mesures les plus urgentes à adopter en matière douanière ?

Stéphane Chasseloup : L'urgence réside en premier lieu dans la mise en oeuvre d'une meilleure protection des intérêts communautaires par la mise en oeuvre notamment de droits antidumping ou du renforcement des mesures anti-contrefaçon. Au contraire, les Etats-Unis, la Chine, le Brésil, l'Inde ne se sont pas imposés de limites sur ces sujets.

La deuxième urgence réside naturellement, et ce pour faciliter les opérations des acteurs économiques, dans l'obligation d'un rapprochement entre les prix de transfert et la valeur en douane. Le projet BEPS, les obligations de CBCR, ne peuvent être envisagés sans que soient prises en compte les contraintes de la valeur en douane. Les choses avancent toutefois : les récentes déclarations du Secrétaire général de l'Organisation mondiale des douanes et les différents écrits de l'OCDE laissent entrevoir à moyen terme des solutions de traitement commun du sujet.

Par ailleurs, la question du dédouanement centralisé communautaire issu du CDU va faire débat et naturellement poser la question du choix de l'Etat membre de centralisation pour les groupes internationaux important ou exportant dans plusieurs Etats membres. Face à ce constat, il semble urgent de motiver les opérateurs à dédouaner leurs marchandises en France. La première des mesures incitatives serait de faciliter le dédouanement et de réduire au maximum la charge financière inhérente à ces opérations. La récente loi sur l'économie bleue est venue consacrer la généralisation l'autoliquidation de la TVA à l'importation. Pour rappel, cette opportunité était auparavant réservée aux importateurs titulaires de procédure de domiciliation unique, soit environ 300 bénéficiaires. Les associations professionnelles avaient donc proposé une extension du bénéfice de la mesure aux titulaires du statut d'OEA, sans succès. C'est donc dans le contexte du projet de loi sur l'économie bleue qu'un amendement a été déposé (contre l'avis du Gouvernement) et adopté en termes égaux par l'Assemblée nationale et le Sénat. Depuis cette consécration, le Gouvernement et l'administration ont multiplié les déclarations pour affirmer qu'une telle mesure induirait une augmentation du risque de fraude à la TVA : des sociétés non établies dans l'UE pourraient importer plus facilement des marchandises dans l'UE puis les revendre en collectant la TVA, sans la reverser au Trésor. Il serait à ce titre intéressant de mesurer les niveaux de fraude à la TVA sur les Etats des membres voisins proches de la France qui ont depuis longtemps adopté ce dispositif. Gageons que cette autoliquidation généralisée sera in fine consacrée !

Un autre déficit d'attractivité du territoire national réside certainement également dans le niveau important et le caractère pénal des infractions douanières nationales. Il devient primordial d'harmoniser les sanctions douanières au sein de L'Union européenne. La Commission européenne a tenté une proposition de Directive du 13 décembre 2013 qui reste à l'heure actuelle très débattue, tant les disparités en termes de sanctions douanières sont importantes au sein de l'Union européenne.

En tout état de cause, au niveau national, le temps de la dépénalisation du droit douanier n'est-il pas venu ? Depuis longtemps sollicitée par les opérateurs, la substitution de sanctions administratives (à l'instar du droit fiscal, hors les cas de fraude) en matière douanière permettrait de ne plus effrayer les importateurs. Une telle dépénalisation aurait également pour intérêt de faire revenir la prescription de la dette douanière à trois ans en lieu et place des cinq ans prévu par le nouvel article 354 bis du Code des douanes (N° Lexbase : L3662KWK). En effet, le législateur français a été contraint d'adapter le droit national aux dispositions de l'article 103 du CDU qui prévoit une extension du délai à cinq ou dix ans si les faits reprochés sont passibles de poursuites judiciaires répressives, ce qui est toujours le cas en contentieux douanier national. Le chantier reste donc important.

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