La lettre juridique n°652 du 21 avril 2016 : Filiation

[Jurisprudence] L'association "Juristes pour l'enfance" jugée sans intérêt

Réf. : Cass. civ. 1, 16 mars 2016, 4 arrêts, n° 15-10.576 (N° Lexbase : A3539Q8L), n° 15-10.577 (N° Lexbase : A3441Q8X), n° 15-10.578 (N° Lexbase : A3365Q87), n° 15-10.579 (N° Lexbase : A3414Q8X) ; CA Rennes, 7 mars 2016, 2 arrêts, n° 15/03855 (N° Lexbase : A1914QYK), n° 15/03859 (N° Lexbase : A1869QYU)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Encyclopédies de droit de la famille

le 21 Avril 2016

Les actions relatives à l'état de l'enfant ont récemment donné lieu à plusieurs tentatives d'abordage de la part d'une association qui, sous couvert d'un objet social tendant à "défendre l'intérêt des enfants nés, à naître ou à venir"..., vise à médiatiser par tous les moyens son combat contre les effets de la filiation fondée sur l'engendrement par un tiers, lorsque la conception de l'enfant résulte soit d'une assistance médicale à la procréation, soit d'une gestation pour autrui. L'acharnement à lutter contre les effets des filiations fondées sur un engendrement par un tiers de l'association "Juristes pour l'enfance" s'articule logiquement avec sa position farouchement opposée au mariage pour tous dont la presse, y compris juridique, s'est fait directement ou indirectement l'écho en son temps...
Saisie par deux fois de la question de la recevabilité de l'intervention volontaire de l'association "Juristes pour l'enfance", dans le cadre d'une demande de transcription d'un acte de naissance étranger d'un enfant né d'une convention de gestation pour autrui, la cour d'appel de Rennes composée des mêmes magistrats a rendu, le même jour, le 7 mars 2016, deux décisions opposées (CA Rennes, 7 mars 2016, n° 15/03855 et n° 15/03859) qui traduisent les hésitations des juges du fond (I). Les quatre arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 mars 2016 (Cass. civ. 1, 16 mars 2016, quatre arrêts, n° 15-10.576, F-D ; n° 15-10.577, F-P+B ; n° 15-10.578, F-D ; et n° 15-10.579, F-D) dans le cadre de l'adoption d'un enfant conçu par insémination avec tiers donneur, par la femme de sa mère, devraient mettre fin à ces hésitations en ce qu'ils excluent clairement l'intervention de l'association (II). I - Les hésitations des juges du fond

Divergences. Le résultat des tentatives de l'association "Juristes pour l'enfance" pour intervenir dans les procédures n'ont pas toujours été vaines. En effet, si la cour d'appel de Versailles, dans les quatre décisions du 11 décembre 2014 ayant donné lieu aux quatre arrêts de la Cour de cassation du 16 mars 2016 (1), a fait preuve de cohérence en déclarant, dans toutes les procédures, l'intervention de l'association "Juristes pour l'enfance" irrecevable, la cour d'appel de Rennes, dans le cadre des procédures de transcription de l'acte de naissance étranger d'un enfant né d'une mère porteuse sur les actes d'état civil français, a, quant à elle, adopté une position moins homogène. Alors que la cour d'appel de Versailles affirme que l'association n'invoquait pas d'autre intérêt que celui né de la défense des intérêts collectifs dont elle se prévaut et "qu'un tel intérêt n'est pas légitime au regard de la nature de l'affaire relative à l'état d'un enfant, instruite et débattue en chambre du conseil, après avis du ministère public", la cour d'appel de Rennes rend deux arrêts totalement contraires. Elle admet, dans un cas, la recevabilité de l'intervention volontaire de l'association et la rejette dans l'autre. Toutefois, cette contradiction apparente s'explique, selon la cour d'appel de Rennes, par la différence de nature de l'intervention volontaire de l'association dans chacune des procédures, cette différence de nature étant elle-même liée au fond de l'affaire et aux sens des conclusions du ministère public.

Irrecevabilité de l'intervention principale. Dans l'arrêt n° 15/03859, l'affaire concernait la reconnaissance en France de la seule filiation paternelle de l'enfant né de la mise en oeuvre d'une convention de gestation pour autrui en Californie, l'acte de naissance indiquant le nom de la mère porteuse au titre de la filiation maternelle. Le ministère public qui, dans un premier temps, avait refusé la transcription, a modifié sa position devant la cour d'appel au regard des arrêts rendus par la Cour de cassation en juillet 2015 (2), "établissant que le recours à une gestation pour autrui est désormais inopérante" et qui concernait des faits tout à fait similaires à ceux auxquels la cour d'appel de Rennes était confrontée. Ainsi, alors qu'il s'était opposé à la transcription en première instance, le ministère public demandait, en appel, la confirmation du jugement qui ordonnait la transcription de l'acte de naissance mentionnant au titre de la filiation maternelle, la mère porteuse, et au titre de la filiation paternelle le père d'intention qui devait aussi être le père biologique, "rappelant qu'il a toujours convenu que l'acte de naissance de l'enfant quant à la filiation paternelle et maternelle mentionnées est conforme aux exigences de l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW)".

Ce changement de position du ministère public aboutissait à ce que l'association se retrouvait seule à soutenir qu'il était de l'intérêt de l'enfant que sa filiation paternelle ne soit pas reconnue, et à demander l'annulation du jugement qui ordonnait la transcription de l'acte de naissance. Dès lors, les conditions de l'intervention volontaire à titre accessoire (C. pr. civ., art. 330 N° Lexbase : L2007H44) n'étaient plus réunies puisque celle-ci doit venir s'appuyer sur les prétentions d'une partie. L'intervention ne pouvait donc qu'être une intervention principale (C. pr. civ., art. 329 N° Lexbase : L2005H4Z). Or, selon la cour d'appel de Rennes, une intervention principale est exclue dans une instance mettant en oeuvre une action attitrée, strictement personnelle au demandeur originaire, "en effet, JPE, tiers au jugement déféré qui ne lui a pas été notifié, n'a pas d'intérêt et qualité relativement à la prétention personnelle [du père de l'enfant] tendant à la transcription de l'acte de naissance étranger de l'enfant, ne disposant pas d'un droit propre né de l'acte de naissance de l'enfant". La cour d'appel ajoute que "la seule défense des intérêts collectifs dont se prévaut JPA est insuffisante à rendre légitime son intervention au regard d'un contentieux relatif à l'état des personnes, en présence du ministère public, qui concerne un jeune mineur et qui relève de l'intimité de la vie privée s'agissant de liens de filiation et du récit de la vie familiale, les débats fussent-ils en audience publique". Non contente de déclarer l'intervention de l'association irrecevable, la cour d'appel de Rennes la condamne à verser 500 euros de dommages et intérêts au père de l'enfant du fait de son ingérence dans l'intimité de sa vie familiale, accusant à raison l'association d'avoir eu pour objectif de "donner une résonance médiatique à cette procédure".

Transcription de l'acte de naissance. Au fond, la cour d'appel confirme le jugement de première instance en motivant longuement sa décision et en affirmant "que l'enfant fût-il issu d'une convention de gestation pour autrui, ne saurait se voir opposer les conditions de sa naissance, la loi n'édictant aucune distinction selon le mode de conception des enfants". Cette affirmation, qui s'inscrit dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation portant à la fois sur les enfants nés de PMA (3) et ceux de GPA (4), mérite d'être soulignée en ce qu'elle traduit l'évolution du droit de la filiation fondée sur l'engendrement par un tiers et l'importance de centrer le débat sur l'enfant lui-même, à l'exclusion de considération idéologiques et politiques. La cour d'appel de Rennes précise en outre que, dans l'affaire qui lui était soumise, la paternité biologique du demandeur n'était pas mise en doute et qu'aucun indice de contrariété à l'article 47 du Code civil n'était relevé. Ce faisant, les magistrats rennais mettent parfaitement, et heureusement, en oeuvre la solution posée par la Cour de cassation dans les arrêts du 3 juillet 2015 (5).

Filiation de l'enfant à l'égard du père et de la mère d'intention. Dans l'autre arrêt rendu le même jour (n° 15/03855), la cour d'appel de Rennes adopte une solution tout à faire différente sur la question de l'intervention volontaire de la même association, comme sur la question au fond de la transcription de l'acte de naissance étranger sur les registres d'état civil français.

Sur le premier point, elle déclare l'intervention de l'association recevable, sur le fondement de droit commun de l'article 31 du Code de procédure civile, en affirmant qu'elle a intérêt et qualité pour agir au regard de son objet social "centré autour de la défense de l'intérêt des enfants nés à naître ou à venir et pour la protection de l'enfance sous quelque forme que ce soit". Cette différence radicale avec la décision précédente s'explique par la situation jugée au fond qui retentissait sur la position des parties et particulièrement celle du ministère public. Dans cette affaire, l'acte de naissance ukrainien mentionnait en effet comme parents de l'enfant, le père et la mère d'intention. Le ministère public, qui s'était opposé à la transcription en première instance, sollicite en appel l'annulation du jugement qui l'a admise. Il fait valoir qu'après les arrêts du 3 juillet 2015, "la jurisprudence reste incertaine pour toute affaire dont les faits ne seraient pas strictement identiques". Or en l'espèce, il considère que "les actes de naissance litigieux ne sont pas conformes à la réalité au sens de l'article 47 du Code civil puisque la personne désignée comme mère de l'enfant n'a pas accouché".

Recevabilité de l'intervention accessoire. Dès lors que l'association "Juristes pour l'enfant" demandait également l'infirmation du jugement de première instance, son intervention est qualifiée d'accessoire par la cour d'appel de Rennes, en ce qu'elle vient appuyer les prétentions du ministère public. La cour d'appel considère ainsi que "la condition de lien suffisant de l'article 325 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1992H4K) n'exige qu'un lien avec les prétentions des parties et non avec les parties elles-mêmes".

La distinction opérée par la cour d'appel de Rennes entre intervention principale et accessoire n'emporte pas la conviction. L'action en demande de transcription de l'acte de naissance reste en effet une action attitrée et éminemment personnelle, et ce même si les débats sont publics. Or, dans le cadre d'une action attitrée, l'intervention d'un tiers est toujours problématique car elle procède clairement de l'immixtion dans la vie privée et familiale des parties à la procédure. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle en ce sens refusé l'intervention volontaire d'un créancier dans le cadre d'une procédure de divorce (6). Elle a cependant admis l'intervention volontaire d'un comité d'entreprise dans une action en révocation d'une donation pour ingratitude de parts sociales de l'entreprise (7), établissant ainsi que si l'intervention volontaire est en principe exclue dans les actions attitrées, elle n'est pas totalement inenvisageable (8). Dans les arrêts de la cour d'appel de Versailles du 11 décembre 2014, l'intervention de l'association est qualifiée de principale. On peut penser que le ministère public avait, comme dans la première affaire jugée par la cour d'appel de Rennes, modifié sa position après l'avis de la Cour de cassation du 22 septembre 2014 (9) admettant l'adoption par l'épouse de sa mère de l'enfant né d'une PMA à l'étranger, faisant ainsi de la prétention de l'association une intervention principale et non plus accessoire aux prétentions du ministère public.

Vie privée et familiale. Par ailleurs, pour admettre l'intervention de l'association dans son second arrêt du 7 mars 2016, la cour d'appel de Rennes affirme que "le Code de procédure civile ne soumet nullement l'accès à la justice, principe constitutionnellement garanti, au respect de la vie privée et familiale". Ce faisant, elle prend nettement le contre-pied du raisonnement qu'elle a tenu dans l'arrêt du même jour et qui l'a conduit à condamner l'association à verser des dommages et intérêts au père de l'enfant pour atteinte à sa vie privée, sachant que, dans les deux affaires, les débats étaient publics. Cet argument paraît fort contestable car l'atteinte à la vie privée et familiale de l'enfant et de ses parents est la même quel que soit le fond de l'affaire dès lors qu'il s'agit de l'état civil de l'enfant. En outre, le fait que les débats soient publics ne justifie pas qu'une association qui n'a rien à voir avec les personnes concernées puissent intervenir, même à titre accessoire, dans une affaire des plus privées. On frémit en pensant à ce qui pourrait survenir si on permettait aux associations de toute obédience d'intervenir dans les procédures touchant au lien familial et à l'état des personnes.

Refus de transcription de la filiation maternelle. La cour d'appel n'ordonne qu'une transcription partielle de l'acte de naissance ukrainien au seul bénéfice de la filiation paternelle. Elle refuse en effet la transcription de la filiation maternelle au motif que l'établissement de la filiation maternelle de la mère d'intention, qui n'est pas la mère biologique des enfants et qui ne les a pas mis au monde est impossible en l'état du droit français, en dehors du cadre de l'adoption, qui ne peut être applicable au cas d'espèce. La cour d'appel, pour atténuer l'effet sur les enfants de ce défaut de reconnaissance de la filiation maternelle, précise que "l'absence de transcription ne prive pas les enfants de leur filiation maternelle que le droit ukrainien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec leur père et leur mère', cette dénomination étant mentionnée dans le certificat de nationalité française délivré à chacun des enfants". En effet, depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 12 décembre 2014 (10) validant la circulaire "Taubira" (circulaire du 25 janvier 2013, JUSC1301528C N° Lexbase : L6121I34) imposant aux autorités judiciaires et administratives compétentes de délivrer un certificat de nationalité français aux enfants nés de GPA, dont la filiation à l'égard de parents d'intention français étaient établie à l'étranger, les enfants concernés bénéficient de ce certificat de nationalité française, comme ce fut le cas dans les deux affaires jugées par la cour d'appel de Rennes. Cette évolution limite en effet les inconvénients liés au défaut de reconnaissance sur les registres d'état civil français de la filiation de ces enfants. Il n'en reste pas moins que ce défaut de reconnaissance de la filiation maternelle reste problématique et qu'une solution doit rapidement être apportée soit par le législateur, soit par la Cour de cassation qui pourrait admettre le recours à l'adoption dans cette hypothèse.

II - La position tranchée de la Cour de cassation

Insuffisance de l'intérêt collectif. La Cour de cassation, dans la série des quatre arrêts du 16 mars 2016, déclare irrecevables les interventions volontaires de l'association "Juristes pour l'enfance". La Haute cour affirme en effet que "c'est dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation que la cour d'appel a estimé que cette association, qui n'évoquait aucun autre intérêt que la défense des intérêts collectifs dont elle se prévalait, ne justifiait pas d'un intérêt légitime à intervenir dans une procédure d'adoption". Cette solution tranchée, met clairement fin aux tentatives de cette association pour s'immiscer dans les affaires concernant l'état civil d'enfants conçus par le recours à une PMA ou GPA.

Exclusion de l'intervention d'une association. La Cour de cassation exclut toute intervention volontaire fondée sur la seule défense d'intérêts collectifs. L'intervenant doit invoquer un intérêt légitime, propre. Or, une association ne peut par hypothèse invoquer un tel intérêt, dans le cadre d'une procédure relative à l'état civil d'une personne physique avec lequel elle n'a pas de lien. En exigeant un intérêt autre qu'un intérêt collectif, la Cour de cassation exclut toute intervention volontaire de groupement dans les procédures relatives à l'adoption, ce dont il faut évidemment se féliciter. Dans ces différentes actions, en effet, le ministère public est présent, comme partie principale ou partie jointe, pour représenter l'intérêt général et pour, en fonction de la jurisprudence de la Cour de cassation, définir les contours de l'ordre public familial. On ne saurait permettre que des associations, surtout lorsqu'elles représentent une opinion heureusement minoritaire, interviennent dans des actions au caractère familial et privé. Dans le cas contraire en effet, comme l'a très justement relevé un auteur "ne risque-t-on pas de renverser les digues qui empêchaient toutes sortes d'associations à l'idéologie forcenée de faire irruption dans les affaires de divorce et de filiation ?" (11).

Possibilité d'une intervention d'un membre de la famille. Pour autant, la Cour de cassation n'exclut pas toute intervention volontaire dans le cadre des procédures relatives à la filiation adoptive. Pourrait donc intervenir volontairement à une procédure d'adoption, une personne physique qui aurait un intérêt propre à ce que l'adoption soit prononcée, ou à l'inverse à ce qu'elle ne le soit pas. Comme le précise la Cour de cassation, l'appréciation de l'intérêt propre de l'intervenant volontaire relèverait alors du pouvoir souverain des juges du fond. Il pourrait s'agir notamment d'un membre de la famille d'origine de l'enfant, tels que ses grands-parents ou encore ses frères et soeurs. En ce sens, lorsque la Cour de cassation, dans l'arrêt du 8 juillet 2009 (12), a déclaré irrecevable l'intervention volontaire des grands-parents biologiques dans la procédure d'adoption de leur petit-enfant né dans le secret, c'est l'absence d'un lien juridique entre l'enfant et les intervenants qui motive la décision et non l'impossibilité pour eux d'intervenir dans la procédure parce qu'il s'agissait d'une action attirée ; a contrario des grands-parents dont la qualité juridique est établie auraient pu intervenir volontairement dans la procédure d'adoption. Il en serait de même de frères et soeurs qui interviendraient volontairement pour s'opposer à l'adoption plénière d'un enfant pour éviter la rupture des liens entre lui et eux.

Généralisation à toutes les interventions. Dans les arrêts du 16 mars 2016, la Cour de cassation ne précise pas si l'intervention volontaire était principale ou accessoire, alors qu'il s'agissait, dans les différentes espèces, d'une intervention principale, selon la cour d'appel de Versailles. Cette absence de précision peut permettre de penser que la Cour de cassation n'a pas souhaité limiter la portée de la solution aux interventions principales et qu'elle est aussi destinée à s'appliquer aux interventions accessoires. Cette interprétation viendrait invalider la décision de la cour d'appel de Rennes admettant l'intervention volontaire de l'association lorsqu'elle est accessoire. Une telle solution serait particulièrement opportune car le caractère accessoire de l'intervention n'enlève rien à l'immixtion dans la vie privée et familiale qu'elle constitue. C'est le caractère attitré d'une action qui justifie la solution, laquelle est donc applicable sans distinction aux interventions principales comme accessoires. En effet, si la Cour de cassation vise spécialement la procédure d'adoption, la cour d'appel, dont elle confirme le raisonnement, avait quant à elle évoqué "la nature de l'affaire relative à l'état de l'enfant", et on pourrait considérer que la solution de la Cour de cassation est transposable à toutes les actions relatives à l'état des personnes, dont les procédures relatives aux actes d'état civil. Il serait cependant opportun que la Cour de cassation confirme cette analyse. L'occasion pourrait lui en être donnée si elle devait examiner l'éventuel pourvoi que l'association "Juristes pour l'enfance" pourrait former contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes qui a rejeté son intervention. Il faudrait cependant que l'association accepte le risque d'une nouvelle condamnation pécuniaire. En effet, la Cour de cassation, non contente d'affirmer l'irrecevabilité de l'intervention de l'association, a prononcé une condamnation de 3 000 euros fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), dans chacune des affaires, ce qui pourrait être de nature à, enfin, dissuader cette association de poursuivre son acharnement procédural.

Appropriation de l'intérêt de l'enfant. L'analyse selon laquelle toute intervention volontaire fondée sur un intérêt collectif est exclue dans les procédures attitrées, spécialement relatives à l'état des personnes, permettrait de mettre définitivement fin à un empiètement choquant de l'association "Juristes pour l'enfance" sur les compétences du ministère public et qui repose sur une appropriation éhontée de la défense de l'intérêt de l'enfant. Cette association qui s'est autoproclamée défenseur de l'intérêt des enfants nés ou à naître, prétend en effet définir, in abstracto, ce qu'est l'intérêt de l'enfant dans le contexte de ces procédures relatives à la filiation fondée sur l'engendrement par un tiers. En s'opposant, dans l'affaire ayant donné lieu au premier arrêt de la cour d'appel de Rennes, à la reconnaissance de la filiation paternelle de l'enfant -pourtant conforme à sa filiation biologique- elle défend l'idée que cette reconnaissance serait contraire à l'intérêt de l'enfant, au mépris des affirmations de la Cour européenne des droits de l'Homme en 2014 (13) et de la Cour de cassation en 2015 (14). Ce faisant, elle sacrifie le droit de l'enfant à son identité sur l'autel de revendications traditionalistes. De même, lorsque l'association "Juristes pour l'enfance" s'oppose à l'adoption, par l'épouse de sa mère, d'un enfant conçu par insémination avec donneur, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts de la Cour de cassation du 16 mars 2016, elle considère que l'intérêt de l'enfant n'est pas d'être adopté par la femme qui, avec sa mère, le prend en charge au quotidien, là encore en contradiction avec la jurisprudence postérieure à l'avis de la Cour de cassation de 2014.

Il faut donc se féliciter que la Cour de cassation ait mis fin aux agissements procéduraux de cette association pour permettre des débats sereins et équilibrés et protégés de tout dogmatisme rétrograde sur la question de savoir quel est vraiment, dans le cadre d'une filiation fondée sur l'engendrement par un tiers, l'intérêt de l'enfant.


(1) Les quatre pourvois étaient formés contre des décisions rendues par la cour d'appel de Versailles, le 11 décembre 2014 : CA Versailles, 16 avril 2015, n° 14/04245 (N° Lexbase : A7451NG3), n° 14/04253 (N° Lexbase : A7103NG8), n° 14/04243 (N° Lexbase : A7604NGQ) et n° 14/04244 (N° Lexbase : A7638NGY) ; AJFam., 2015, p. 220, obs. A. Machez.
(2) Ass. Plén., 3 juillet 2015, deux arrêts, n° 14-21.323 (N° Lexbase : A4482NMX) et n° 15-50.002 (N° Lexbase : A4483NMY), P+B+R+I ; Dr. Fam., 2015, n° 11 p. 8, obs. I. Corpart ; JCP éd. G, 2015 p. 1614, nos obs. ; RCDIP, 2015, p. 885, obs. E. Gallant.
(3) Cass. avis, 22 septembre 2014, n° 15010 (N° Lexbase : A9175MWQ) et n° 15011 (N° Lexbase : A9174MWP), D., 2015, p. 1777, obs. I. Gallmeister ; RLDC, 20144, n° 121 p. 41, obs. M.-C. Le Boursicot.
(4) Ass. plén., 3 juillet 2015, préc..
(5) Préc..
(6) Cass. Req., 3 août 1937, Gaz. Pal., 1937, 2, p. 742 ; TGI Boulogne-sur-mer, 25 juin 1965, JCP, 1965, IV, 4717, obs. J. A. ; RTDCiv., 1963, p. 626, obs. P. Raynaud.
(7) Cass. civ. 1, 8 mars 1988, n° 86-11.144 (N° Lexbase : A7672AAE), Bull. civ. I, n° 67 ; JCP éd. G, 1988, IV, p. 183.
(8) Juris-cl., Proc. civ., J-J. Taisne, Fasc. 127-1, V° Intervention.
(9) Cass. avis, 22 septembre 2014, préc..
(10) CE 2° et 7° s-s-r., 12 décembre 2014, n° 367324 (N° Lexbase : A3276M7H), JCP éd. G, 2015, p. 144, nos obs..
(11) J. Héron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, LGDJ, 6ème éd., 2015, n° 1174, texte et note 55.
(12) Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-20.153, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7497EII), D., 2009, AJ, 1973, obs. C. Le Douaron ; AJ fam., 2009. 350, obs. F. Chénedé ; RTDCiv., 2009, 708, obs. J. Hauser.
(13) CEDH, 26 juin 2014, 2 arrêts, Req. 65192/11 (N° Lexbase : A8551MR7) et Req. 65941/11 (N° Lexbase : A8552MR8), JCP éd. G, 2014 p. 1486 nos obs..
(14) Préc..

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