Réf. : Cass. crim., 22 mars 2016, deux arrêts, n° 15-83.206 (N° Lexbase : A6046Q8G) et n° 15-83.205 (N° Lexbase : A7139Q9B), FS-P+B
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par Hervé Haxaire, ancien Bâtonnier, Avocat à la cour, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions
le 22 Avril 2016
La Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre ces arrêts, validant ainsi ces écoutes.
Seule cassation partielle intervenue, celle de la conversation téléphonique entre Thierry H. et le Bâtonnier en exercice du barreau de Paris, Pierre-Olivier S., mais par des motifs qui laissent subsister des interrogations.
D'une façon qui n'est pas très surprenante, les commentaires concernant ces arrêts font généralement référence à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation en matière d'écoutes téléphoniques mettant en cause un avocat, pour souligner que les deux arrêts du 22 mars 2016 s'inscrivent dans la même logique juridique.
A cet égard, il nous paraît regrettable que cette logique juridique, qui ne peut pas être appréhendée d'un point de vue strictement technique, ne suscite davantage de commentaires sur la doctrine, effectivement constante, de la Cour de cassation sur un sujet qui concerne les libertés fondamentales, et en particulier la question des droits de la défense.
En revanche, il est plus étonnant de constater que la plupart des commentaires passent sous silence deux points pourtant importants tranchés par la Cour de cassation dans l'un des deux arrêts du 22 mars 2016 :
- le refus de censurer le choix opéré par deux juges d'instruction, selon leur bon vouloir, de saisir le procureur national financier de faits nouveaux révélés par une écoute téléphonique, quand leur saisine initiale émanait du procureur de la République de Paris ;
- l'annulation de la saisie et de la mise sous scellés, par deux autres juges d'instruction, de documents saisis lors d'une perquisition à la Cour de cassation, au motif qu'ils portaient atteinte au secret du délibéré.
Dans une information ouverte à Paris, deux juges d'instruction ont, par commissions rogatoires techniques successives et pour une durée de quatre mois chacune, toutes deux prolongées, fait placer sous surveillance deux lignes téléphoniques de M. Nicolas S..
M. Nicolas S. étant avocat, et en vertu des dispositions de l'article 100-7 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5915DYQ), le Bâtonnier du barreau de Paris avait été avisé de ces mesures d'écoutes téléphoniques. Chacun sait que notre Code de procédure pénale offre des garanties dérisoires en matière de libertés, puisque, si le Bâtonnier est avisé (il doit bien entendu garder le secret sur l'information qui lui est donnée), la décision de mise sous écoute téléphonique est prise par le juge d'instruction, dont personne ne peut raisonnablement penser que la décision offrirait des garanties suffisantes, et cette décision est insusceptible de recours.
Me Thierry H., également avocat, a fait l'objet d'écoutes incidentes dès lors qu'il était fréquemment en relation téléphonique avec son client Nicolas S..
Les policiers ont découvert l'existence d'une nouvelle ligne téléphonique, ouverte au nom de Paul B., utilisée par Nicolas S. pour des échanges avec un interlocuteur unique, en l'occurrence son avocat Thierry H..
Cette ligne a été mise également sous surveillance, le Bâtonnier de Paris en étant, cependant, avisé (bien que "Paul B." ne soit pas avocat), mais pour que les dispositions de l'article 100-7 du Code de procédure pénale soient respectées dès lors qu'il était établi que deux avocats se téléphonaient sur cette troisième ligne.
Les écoutes sur cette ligne "secrète" ont laissé supposer aux policiers que Nicolas S. et Thierry H. étaient au courant des écoutes téléphoniques et des perquisitions envisagées. Elles ont révélé en outre que Thierry H. recevait des informations, dont certaines confidentielles, d'un certain Gilbert A., premier avocat général près de la Cour de cassation, sur un pourvoi formé par Nicolas S. dans une affaire distincte.
Les deux juges d'instruction ont alors adressé une ordonnance de soit-communiqué aux fins d'obtenir un réquisitoire supplétif, non pas au procureur de la République de Paris dont ils tenaient leur saisine initiale, mais au procureur de la République financier, lequel a décidé de l'ouverture d'une information distincte, confiée à deux autres juges d'instruction, des chefs de trafic d'influence passif et actif, complicité et recel de ces infractions, violation du secret de l'instruction et recel.
Ces derniers ont ordonné le placement sous écoutes des lignes téléphoniques de Gilbert A. et ont délivré plusieurs commissions rogatoires, notamment aux fins de transcription des écoutes opérées dans la procédure qui en a été à l'origine.
Par des motifs que nous ne pouvons qu'inciter le lecteur à lire avec la plus grande attention, la Cour de cassation a jugé en substance que les juges d'instruction ne pouvaient pas se voir reprocher d'avoir choisi eux-mêmes le Parquet compétent en saisissant le procureur de la République financier, le procureur de la République territorialement compétent et le procureur de la République financier ayant en effet une compétence concurrente sous le contrôle du procureur général de la cour d'appel de Paris, et que, par ailleurs, le réquisitoire introductif du procureur de la République financier était régulier en la forme.
Les deux nouveaux juges d'instruction ont procédé à diverses perquisitions, notamment à la Cour de cassation, et auditions, en particulier, de magistrats de cette juridiction.
A l'occasion de cette perquisition, les deux juges d'instruction ont procédé à la saisie de l'avis personnel du conseiller de la Chambre criminelle ayant instruit le pourvoi formé par Nicolas S. dans une affaire distincte, ainsi que le projet d'arrêt qu'il avait préparé en vue de l'audience collégiale.
C'est cette saisie qui, au visa notamment de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), a été annulée par l'un des deux arrêts au motif notamment que : "si aucune disposition légale ne protège spécifiquement le secret du délibéré, principe indissociable des fonctions juridictionnelles en tant que garantie de l'indépendance des juges et d'un procès équitable il se déduit de la disposition conventionnelle susvisée et des principes généraux du droit que l'atteinte que constitue la saisie par un juge d'instruction, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de l'article 81 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6395ISN), de documents couverts par ce secret, ne saurait être justifiée qu'à la condition qu'elle constitue une mesure nécessaire à l'établissement de la preuve de l'infraction pénale [...]".
Au visa du même texte de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, la Cour de cassation aurait pu, par des motifs strictement identiques (à cette différence près que le secret professionnel de l'avocat est spécifiquement protégé par une disposition légale), juger que ce secret professionnel de l'avocat appelait a minima la même protection que le secret du délibéré.
Il serait difficile d'imaginer que la Cour de cassation pourrait être hostile à nos libertés fondamentales, et, en particulier, aux droits de la défense.
Mais il est permis de se demander si la Cour de cassation ne nourrit pas quelque défiance à l'égard des avocats, ou si elle ne privilégierait pas l'efficacité des enquêtes au mépris de certains principes généraux du droit.
Souvenons-nous en effet de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ).
Rappelons-nous également de cette récente évolution positive qui permet l'intervention de l'avocat en garde à vue.
L'article 66-5 de la loi n° 71-1130, dans sa version initiale issue de la loi du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L3046AIN), disposait : "Les consultations adressées par un avocat à son client et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel".
La règle, justement parce qu'elle était rédigée en termes généraux, semblait claire.
Elle ne l'était pas, semble-t-il, pour la Cour de cassation qui en faisait une interprétation restrictive, notamment en ce qui concerne l'activité de conseil de l'avocat, ce qui a conduit le législateur à préciser les termes de l'article 66-5 par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, portant réforme de la procédure pénale (N° Lexbase : L8015H3A) : "en toute matière les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel".
L'adjonction des mots "en toute matière" était de nature à clarifier le sens et la portée du texte initial de 1990. Celle des mots "ou destinées à celui-ci" apportait une précision utile en visant expressément les consultations de l'avocat non encore adressées à son client et donc susceptibles d'être saisies à son cabinet à l'occasion d'une perquisition.
La Cour de cassation, pourtant gardienne d'une application orthodoxe de la règle de droit, a persisté dans son appréciation restrictive des termes de l'article 66-5 de la loi de 1971, rendant nécessaire en 2011 une nouvelle rédaction de ces dispositions protectrices.
L'article 66-5, alinéa 1er de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L2792IRT), dispose : "en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle', les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel".
A bien y regarder, en 2011, le législateur ne se bornait pas à préciser à nouveau la règle posée par l'article 66-5 de la loi de 1971. Il affirmait avec force, et en termes on ne peut plus précis, la règle intangible selon laquelle les relations entre un avocat et son client doivent demeurer couvertes par le secret.
En cela, la loi du 28 mars 2011 a une valeur de principe car elle réaffirme un principe fondamental dans une société libre et démocratique.
Hélas, cette loi ne vise pas expressément, tel n'était pas son objet, les communications téléphoniques entre un avocat et son client.
Ainsi ressurgit dans la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation issue des arrêts du 22 mars 2016, l'analyse restrictive des textes par la Haute juridiction dès lors qu'il est question du caractère secret de toute communication entre l'avocat et son client, ceci à propos cette fois de l'application de l'article 100-5, alinéa 3, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3498IGN) dont il convient ici de rappeler les termes : "à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense".
C'est ainsi que la Cour de cassation énonce : "une distinction doit être faite entre le principe de confidentialité des échanges de toute nature de l'avocat, et le principe de garantie des droits de la défense, en procédure pénale, existant entre une personne mise en examen et son avocat désigné, dans une procédure déterminée, principes protégés par l'article 100-5, alinéa 3 du Code de procédure pénale ; que tel n'était pas le cas en l'espèce, la qualité d'avocat désigné ne se présumant pas, en procédure pénale, les dispositions des articles 63-3-1 (N° Lexbase : L9629IPC) et 116 (N° Lexbase : L3171I3T) du Code de procédure pénale faisant dans chaque cas, et pour une procédure précisément déterminée, référence à un avocat choisi ou désigné, à défaut commis d'office par le Bâtonnier [...]".
Il est vrai que le texte de l'article 100-5, alinéa 3, du Code de procédure pénale fait une référence expresse à "l'exercice des droits de la défense".
Il faudrait donc considérer qu'un avocat n'exercerait "les droits de la défense" en matière pénale, dans ses échanges avec son client, que de façon formelle lorsque ce dernier serait mis en examen ou placé sous le statut de témoin assisté. Comme un urologue n'exercerait la médecine que lorsqu'il a la main gantée ?
Voici revenue, à propos de l'article 100-5 du Code de procédure pénale, une motivation qui s'apparente à celle qui avait justifié trois rédactions successives de l'article 66-5 de la loi de 1971 par le législateur.
Faut-il souhaiter une intervention du législateur pour préciser le sens et la portée de l'article 100-5 du Code de procédure pénale, à l'instar de ses interventions concernant le sens et la portée de l'article 66-5 de la loi de 1971 dans les conditions qui ont été rappelées ?
A l'évidence oui, la Haute juridiction manifestant à l'égard du rôle et de la mission de l'avocat dans une société libre et démocratique une défiance qui, à certains égards, apparaît constante.
Souvenons-nous encore qu'en matière de garde à vue, longtemps menée sans la présence de l'avocat et sans que la Cour de cassation n'y voie sujet à critiques, l'avocat n'a été admis à assister son client en garde à vue qu'avec le vote de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 (N° Lexbase : L9584IPN), laquelle s'inscrivait dans la mise en application tardive de la jurisprudence de la CEDH.
Qu'il eût été réconfortant que la Cour de cassation soit l'instigatrice de la loi du 14 avril 2011, plutôt que la Cour européenne !
L'un des deux arrêts rendu le 22 mars 2016, infirme partiellement un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en censurant la transcription des écoutes téléphoniques entre Maître Thierry H. et le Bâtonnier en exercice de son Ordre, Pierre-Olivier S..
Au visa de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8532H4R), la Cour de cassation juge : "attendu qu'il se déduit de ces textes que, même si elle est surprise à l'occasion d'une mesure d'instruction régulière, la conversation téléphonique dans laquelle un avocat placé sous écoute réfère de sa mise en cause dans une procédure pénale à son Bâtonnier ne peut être transcrit et versé au dossier de la procédure, à moins qu'elle ne révèle un indice de participation personnelle de ce dernier à une infraction pénale ; [...] ; attendu que pour écarter le moyen d'annulation, pris de la violation du principe de la confidentialité des conversations entre un avocat et son Bâtonnier ainsi que des droits de la défense, l'arrêt énonce que 'cette conversation ne relevait pas de l'exercice des droits de la défense et que seuls ont été retranscrits les propos utiles à la manifestation de la vérité et à la caractérisation des infractions punissables [...]' ; mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que ne pouvait être transcrite la conversation téléphonique entre un avocat, placé sous interception, et son Bâtonnier, qui ne révélait aucun indice de participation personnelle de ce dernier à la commission d'une infraction pénale, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé [...]".
La Cour de cassation revient sur ce point à sa jurisprudence habituelle en matière d'interception des conversations téléphoniques d'un avocat.
Certains crient victoire. Une chronique récemment publiée est même intitulée "le Bâtonnier, protecteur et confident nécessaire de ses confrères, là est la victoire, et elle est belle !". (2)
Certes, il aurait été consternant que la Cour de cassation valide cette interception, et en cela cet arrêt du 26 mars 2016 "rassure".
Mais la motivation de l'arrêt n'est pas satisfaisante.
Le Bâtonnier de l'Ordre est certes avocat, mais il n'est pas l'avocat de ses confrères. En l'espèce, Pierre-Olivier S. n'était pas l'avocat de Thierry H., et ce dernier n'était pas son client.
Pourquoi la Cour de cassation n'a-t-elle pas tout simplement jugé, comme elle l'a fait pour la protection du secret du délibéré, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme : "si aucune disposition légale ne protège spécifiquement le secret des échanges entre un avocat et son Bâtonnier, principe indissociable des fonctions de défense en tant que garantie de l'indépendance des avocats et d'un procès équitable, il se déduit de la disposition conventionnelle susvisée et des principes généraux du droit que l'atteinte que constitue la décision par un juge d'instruction, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de l'article 100-5 du Code de procédure pénale, de faire placer sous écoute ces échanges couverts par ce secret, ne saurait être justifiée qu'à la condition qu'elle constitue une mesure nécessaire à l'établissement de la preuve de l'infraction pénale [...]".
La motivation de l'arrêt y aurait gagné en cohérence.
Et si le Bâtonnier, à l'instar d'un magistrat, n'est pas au dessus des lois et peut faire l'objet d'écoutes téléphoniques lorsqu'il est suspecté d'avoir commis une infraction (cela est tellement évident), il n'était ni indispensable, ni respectueux, d'invalider l'interception d'une écoute téléphonique d'un Bâtonnier en relevant qu'il n'existait pas d'indice de participation personnelle de ce dernier à une infraction pénale.
On n'écoute pas les échanges d'un Bâtonnier avec un avocat, tout simplement parce qu'il est le chef d'un Ordre d'avocats, et parce que le secret professionnel est consubstantiel à l'exercice des droits de la défense.
Le Bâtonnier est effectivement le protecteur et le confident nécessaire de ses confrères.
Mais tels ne sont pas -quelle défaite- les motifs qui ont été adoptés par la Cour de cassation.
(1) Nous renverrons le lecteur vers ces chroniques, et en particulier celles qui ont été publiées par Lexbase sous la signature de M. Aziber Seïd Algadi en mars 2015 sous le titre "Le secret professionnel de l'avocat dans le cadre des écoutes téléphoniques : vers une inspiration états-unienne, Lexbase, éd. Prof., n° 190, 2015 (N° Lexbase : N6415BU7) et, en avril 2015, sous le titre Secret professionnel des avocats dans le cadre des écoutes téléphoniques : quel impact des décisions de la CEDH en droit interne ?, Lexbase, éd. Prof., n° 192, 2015 (N° Lexbase : N6895BUW).
(2) D. Piau, Le Bâtonnier, protecteur et confident nécessaire de ses confrères, là est la victoire, et elle est belle ! , Dalloz, Act., 2016.
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