Réf. : Cass. civ. 1, 16 septembre 2015, n° 14-10.373, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0452NPG)
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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
le 15 Octobre 2015
I - La loi applicable au cautionnement
Il est connu que le cautionnement est un contrat accessoire à l'obligation garantie. Ces deux caractéristiques (caractère contractuel et caractère accessoire) doivent conduire le juge dans la détermination de la loi applicable au cautionnement.
Le cautionnement litigieux ayant été signé en 2006, il ne relevait pas du Règlement "Rome I" du 17 juin 2008 (Règlement n° 593/2008 N° Lexbase : L7493IAR), mais de la Convention de Rome du 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (N° Lexbase : L1180ASI).
Si le principe en matière contractuelle est la loi d'autonomie (Convention de Rome, art. 3.1), c'est-à-dire que le contrat est régi par la loi choisie par les contractants, la Convention prévoit des règles de conflit subsidiaires, applicables à défaut de choix des parties. Dans le silence du contrat, la loi applicable est celle du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits (Convention de Rome, art. 4.1), étant précisé qu'est présumé comme tel le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou son administration centrale (Convention de Rome, art. 4.2). Cette dernière présomption est toutefois écartée lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays (Convention de Rome, art. 4.5).
En matière de cautionnement, nul doute que la partie qui doit fournir la prestation caractéristique est la caution. La présomption de l'article 4.2 aboutirait donc à retenir la loi de son lieu de résidence. C'est d'ailleurs la solution qu'avait retenue la cour d'appel (1). Cependant, la Cour de cassation censure cette analyse, en s'appuyant sur la clause d'exception de l'article 4.5 de la Convention de Rome. Elle remarque, en effet, qu'un certain nombre d'éléments faisait que le cautionnement avait des liens plus étroits avec l'Italie. Il y avait d'abord des indices formels : le contrat avait été conclu en Italie et il était rédigé en italien. Il y avait ensuite des indices tenant à la localisation des protagonistes : le créancier avait son siège en Italie et l'emprunteur y avait sa résidence habituelle. Enfin, la Cour relève un indice particulièrement intéressant : le contrat de prêt dont l'acte de cautionnement constituait la garantie était régi par la loi italienne.
Au regard de tous ces indices, on ne saurait qu'approuver la Cour de cassation d'avoir retenu la loi italienne comme applicable au cautionnement litigieux. Si les indices formels et tenant à la résidence sont classiques, il est important d'insister sur le dernier indice relevé par la Cour: le contrat principal était lui-même régi par la loi italienne.
La doctrine professe majoritairement que le cautionnement, en tant que contrat, même accessoire, n'a pas à être obligatoirement soumis à la même loi que le contrat principal (2). L'un des arguments juridiques les plus pertinents est que le cautionnement et le contrat principal n'unissent pas les mêmes parties (3). Un argument d'opportunité peut également être relevé : la caution ne connaît pas nécessairement la loi applicable au contrat principal et peut penser être soumise à la loi de son lieu de résidence (qui sera fréquemment sa loi nationale).
La jurisprudence française, elle, a longtemps considéré que, dans le silence des parties, le cautionnement devait être soumis à la loi régissant le contrat principal (4). Elle est revenue sur cette position (5) après la Convention de Rome, puis le Règlement "Rome I", en décidant qu'à défaut de choix, c'est la loi de résidence de la caution (qui est la partie qui doit fournir la prestation caractéristique) qui doit s'appliquer (6).
L'arrêt commenté montre remarquablement à quel point ce critère de rattachement peut être fragile : la clause d'exception de l'article 4.5 peut permettre de soumettre le cautionnement à la loi du contrat principal. Il conviendra, toutefois, que le juge recense certains éléments confortant la loi du contrat principal : lieu de conclusion, langue utilisée, résidence du créancier et du débiteur principal comme en l'espèce, ou encore, par exemple, lieu stipulé pour le paiement ou monnaie employée dans l'acte (du moins en dehors de la zone euro...).
L'identité de loi pour régir le contrat garanti et le cautionnement, assez naturelle en raison du caractère accessoire du second, n'appartient donc pas totalement au passé (7). Il nous semble qu'il faille s'en féliciter. Certes, le cautionnement, bien qu'accessoire, est un contrat à part entière. Certes encore, le cautionnement et le contrat principal n'unissent pas les mêmes parties. Néanmoins, les deux contrats ont pour objet la même dette. En outre, en raison de son caractère accessoire, le cautionnement est sous la dépendance entière du contrat principal, qu'il s'agisse de sa validité, de son exécution, ou de son extinction. Enfin, l'avantage de soumettre le cautionnement à la même loi que le contrat principal est encore plus prégnant en cas de pluralité de cautions. Le critère de la prestation caractéristique aboutit à ce que chaque cofidéjusseur soit soumis à la loi de sa résidence. Voici par exemple un crédit garanti par trois cofidéjusseurs, établis dans trois Etats différents. Sur la base de la prestation caractéristique, les quatre contrats seront alors régis par quatre lois différentes. Une telle hypothèse ne brillera pas par sa simplicité, notamment lorsqu'il s'agira de mettre en oeuvre les recours des cautions...
Le second intérêt de l'arrêt du 16 septembre 2015 est qu'il rejette la qualification en loi de police du formalisme du cautionnement.
II - Formalisme du cautionnement et lois de police
La théorie des lois de police conduit à estimer que certaines règles doivent s'appliquer indépendamment des règles de conflit, et donc sans tenir compte des lois que ces dernières désignent (8). En d'autres termes, la loi de police paralyse le jeu normal du conflit de lois.
Dans les faits ayant donné lieu à l'arrêt commenté, qualifier les articles L. 341-2 et L. 341-3 de lois de police aurait permis à la caution d'écarter l'application du droit italien, d'exiger l'application de ces textes au cautionnement par elle conclu et, par conséquent, d'obtenir la nullité de la sûreté.
Soutenir que les articles L. 341-2 et 3 du Code de la consommation sont des lois de police n'est d'ailleurs pas inconcevable : certains auteurs se prononcent en ce sens (9). Pourtant, la Cour de cassation va retenir la solution inverse, affirmant que ni l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT), ni les articles L. 341-2 et L. 341-3 ne constituent des lois de police.
Pour apprécier cette solution, il convient de revenir à ce qu'est une loi de police. L'expression est mentionnée par le Code civil (C. civ., art. 3 N° Lexbase : L2228AB7), mais n'est pas définie en droit interne français. La définition la plus célèbre est celle de Francescakis, qui écrivait que les lois de police sont des lois dont "l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays" (10). Ainsi, une loi de police serait celle qui protège des valeurs, des intérêts primordiaux pour l'Etat du for.
La Cour de justice de l'Union européenne a fourni une définition très proche de celle de Francescakis. Pour elle, il convient d'entendre l'expression loi de police comme "visant des dispositions nationales dont l'observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale ou économique de l'Etat membre concerné, au point d'en imposer le respect a? toute personne se trouvant sur le territoire national de cet Etat membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci" (11). Cette définition a été confortée par le Règlement "Rome I" qui, au contraire de la Convention de 1980, fournit une définition des lois de police : "une loi de police est une disposition impérative dont le respect est juge' crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent Règlement" (art. 9.1).
La Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, se place résolument dans cette optique. En affirmant que les articles L. 341-2 et 3 ne sont pas "des lois dont l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable, et de constituer une loi de police", la Cour ne fait qu'examiner ces deux textes au regard de la définition européenne des lois de police.
De notre point de vue, la solution adoptée par la Cour est parfaitement fondée. Il est important de protéger la caution, en lui permettant de s'engager en connaissance de cause et de comprendre la portée de ses actes (12). Mais pour autant, les articles L. 341-2 et 3 ne sont pas des textes assurant la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique française. Ce ne sont donc pas des lois de police.
Affirmer le contraire revient à confondre les lois de police et les lois d'ordre public de droit interne. Or, s'il est exact que toute loi de police est une loi d'ordre public interne, la réciproque n'est pas vraie. La loi de police se situe à un niveau supérieur, car elle protège des intérêts supérieurs (13).
Pour conclure, qu'il nous soit simplement permis de relever que la Cour de cassation a adopté dans cet arrêt une méthode peu orthodoxe de raisonnement. En effet, en droit international privé, la réflexion sur la qualification, ou non, d'un texte en loi de police précède la détermination de la loi applicable. Ceci s'explique aisément : si un texte est une loi de police, il s'applique quelle que soit la loi normalement applicable au litige. Il est par conséquent inutile de s'interroger sur cette dernière. Dans l'arrêt commenté, la Cour procède de manière inverse : elle a commencé par déterminer la loi applicable (la loi italienne), puis a rejeté la qualification de loi de police des textes français invoqués. Le résultat est le même puisque la Cour n'a pas retenu la qualification de loi de police. Sinon, la première partie de son raisonnement, sur la détermination de la loi applicable, n'aurait eu aucun intérêt...
(1) CA Besançon, 10 avril 2013, n° 11/03093 (N° Lexbase : A8306KBA).
(2) A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, Traité LGDJ, 2010, n° 87 et s. ; Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit des sûretés, Précis Dalloz, 6ème éd., 2012, n° 51.
(3) A.-S. Barthez et D. Houtcieff, op. cit., n° 88.
(4) Cass. soc., 14 janvier 1976, n° 74-13.518 (N° Lexbase : A3812CHN), JDI, 1977, 495, note A. Lyon-Caen ; Cass. civ. 1, 1er juillet 1981, n° 80-11.934 (N° Lexbase : A3650AGB), Rev. crit. DIP, 1982, 336, note P. Lagarde, JDI, 1982, 148, note P. Bourel.
(5) Pour un exposé de l'évolution, v. G. Légier, Les conflits de lois en matière de cautionnement, Mélanges Ph. Simler, Dalloz-Litec, 2006, p. 375.
(6) CA Versailles, 6 février 1991, Rev. crit. DIP, 1991, 745, note P. Lagarde.
(7) G. Légier, dans son article précité, le démontrait très clairement.
(8) J.-P. Laborde et S. Sana-Chaillé de Néré, Droit international privé, Dalloz, 18ème éd., 2014, p. 106; Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, Précis Dalloz, 10ème éd..
(9) A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, op. cit., n° 92 ; Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit des sûretés, op. cit., n° 51.
(10) Ph. Francescakis, Travaux du comité français de droit international privé, 1966-1969, p. 165.
(11) CJCE, 23 novembre 1999, C-369/96 (N° Lexbase : A5884AYL), Rev. science crim., 2000, p. 268, obs. L. Idot ; Rev. crit. DIP, 2000, 710, note M. Fallon.
(12) Si tant est que les articles L. 341-2 et L. 341-3 parviennent à ce résultat, ce qui est loin d'être démontré...
(13) Cass. com., 28 novembre 2000, n° 98-11.335 (N° Lexbase : A9470AH9) ; Cass. civ. 1, 23 janvier 2007, n° 04-10.897, FS-P+B (N° Lexbase : A6733DTK), RTDCom. 2007, 631, obs. Ph. Delebecque.
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