Lexbase Avocats n°202 du 15 octobre 2015 : Avocats/Institutions représentatives

[Focus] Premier congrès des avocats : entre loi "Macron", AJ et mouvement de grève...

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

le 15 Octobre 2015

Le 9 octobre 2015 s'est tenu à la Maison de la Mutualité le premier Congrès des avocats, succédant aux assemblées générales extraordinaires, organisé par le Conseil national des barreaux (CNB). En l'absence de la Garde des Sceaux, retenue à Luxembourg pour un conseil des ministres européens, deux syndicats d'avocats, le SAF et la FNUJA, avaient appelé les avocats à manifester contre le projet de réforme de l'aide juridictionnelle au moment de l'arrivée du ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, venu défendre devant les avocats sa loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC). Et c'est sous les cris de "Un budget pour l'AJ" que s'est ouvert ce premier congrès dont le thème était "L'avocat, acteur de justice et de sécurité juridique". Acte 1 - La loi "Macron"

Soulignant la présence pour la première fois d'un ministre de l'Economie à cette "grand messe" des avocats, et le remerciant de son intérêt pour la profession "ce qui ne devait pas, a priori, constituer un élan primordiale de [sa] part", le Président du CNB, Pascal Eydoux, a interpellé le ministre sur les réformes introduites par sa loi : pourquoi, alors qu'il n'est pas permis aux avocats d'accomplir des actes comptables à titre accessoire, les experts-comptables peuvent accomplir des prestations juridiques à titre accessoire ? Pourquoi, alors qu'une place monopolistique est réservée aux actes authentiques, les avocats sont-ils interdits de rédiger des actes équivalents en termes de compétence et d'expertise ? Pour le ministre, rebondissant sur les propos du Président du CNB rappelant l'indépendance et la liberté des avocats, lorsqu'"on est libres et qu'on ne revendique pas de tutelle, eh bien, cela demande beaucoup de responsabilités". Les avocats doivent s'adapter et simplifier la procédure actuelle tout en conservant ce qui fait leur force : leur déontologie. Mais l'adaptation au numérique est indispensable et si les avocats ne veulent, "comme les trois petits singes, de ne rien en voir, rien en entendre et de ne rien dire", le réveil pourrait être douloureux... Emmanuel Macron relève des freins dans les règles de la profession à cette adaptation au numérique : l'obligation de rencontrer physiquement le client, l'interdiction d'afficher les activités dominantes, etc.. Il estime fondamental de déployer au plus vite une identité numérique qui rendrait possible une dématérialisation totale des procédures, la saisine numérique des avocats au contentieux, la signification électronique, la preuve numérique, la création de référentiel de jurisprudence à disposition des professionnels et des particuliers... Et ce constat est aussi ressorti dans les tables rondes de l'après-midi. Oussama Ammar, co-fondateur de The Family, l'a redit : les avocats passent à côté du numérique ; ils doivent se poser la question de savoir ce qu'ils peuvent apporter au marché aujourd'hui. Alain Bensoussan, avocat au barreau de Paris, l'a rappelé, le monde numérique est en mutation permanente et les avocats doivent le suivre.

Censé être consacré à l'avocat acteur de justice et de sécurité juridique, le programme de ce congrès a été quelque peu bouleversé par l'actualité et notamment la réforme envisagée de l'aide juridictionnelle.

Acte 2 - L'AJ

La réforme du financement de l'AJ est ce que l'on peut appeler un serpent de mer. Depuis de nombreuses années déjà le système est à bout de souffle et les avocats de moins en moins rétribués pour permettre l'accès à la justice pour les plus démunis. Et, dès sa prise de fonction, la Garde des Sceaux avait souhaité revoir entièrement le mécanisme du financement, se targuant, lors de la Convention nationale à Montpellier en octobre 2014, d'être le seul Garde des Sceaux qui aura voulu consolider l'AJ en concertation avec les avocats. De réunions en rapports, les deux parties campaient sur leurs positions, la Chancellerie voulant que les avocats participent financièrement au mécanisme, les avocats appelant à la solidarité de l'Etat.

Et au final, une "réformette" (puisqu'elle ne va pas au-delà de 2017) se retrouve dans le projet de loi de finances pour 2016. Aux termes de son article 15 sont prévus :

- la généralisation à toute l'aide juridique de l'unité de valeur qui est, au passage, revalorisée à 24,20 euros ;

- le relèvement du plafond de ressources d'accès à l'aide juridictionnelle totale pour le porter à 1 000 euros et le relèvement, à due proportion, du plafond de l'aide juridictionnelle partielle ;

- le développement du recours aux modes de règlements alternatifs des litiges en inscrivant dans la loi relative à l'aide juridique (loi n° 91-647 N° Lexbase : L8607BBE) la possibilité de rétribuer l'avocat et le médiateur assistant une partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle dans le cadre d'une médiation judiciaire ou d'une médiation conventionnelle donnant lieu à un accord homologué ;

- l'augmentation de la taxe sur les contrats d'assurance de protection juridique et de la taxe forfaitaire sur les actes d'huissier, afin de contribuer au financement de l'aide juridictionnelle ;

- l'affectation au Conseil national des barreaux d'une partie des amendes pénales à hauteur de 28 millions d'euros en 2016 et en réaffectant la taxe forfaitaire sur les actes des huissiers de justice au budget général de l'Etat ;

- et, surtout, le point majeur de la réforme, l'instauration d'une participation financière des avocats au système de rétribution complémentaire appliqué localement par voie de conventions entre les juridictions et les barreaux par affectation au CNB pour le financement de l'aide juridique d'une partie des produits financiers des fonds des justiciables déposés dans les CARPA.

Ce qui est, bien évidemment, inacceptable pour la profession qui l'a fait savoir très rapidement, le barreau de Paris quittant la table des négociations et le CNB appelant à une grève de la désignation au titre de l'AJ par les Bâtonniers.

C'est donc dans ce contexte pour le moins tendu que les avocats réunis à la Mutualité attendaient leur ministre de tutelle, en vain.... Faute de Garde des Sceaux au Congrès, c'est le ministre de l'Economie qui a été récipiendaire de la colère des avocats.

Le Président Eydoux a martelé qu'il était "hors de question que les avocats paient pour exercer leur métier. On ne demande pas aux médecins de payer pour le déficit de la Sécurité sociale !". Et de rappeler que l'accès au droit et à la justice est essentiel dans une société démocratique et qu'une économie sociale et solidaire ne peut laisser les plus fragiles de ses citoyens aux portes des juridictions. Il souligne que l'aide juridictionnelle peut être financée notamment par la taxation des actes juridiques alimentant un fonds d'aide juridique et une extension de l'assurance de protection juridique. Or, ces dispositifs de financement proposés par la profession n'ont toujours pas été étudiés par les pouvoirs publics. Citant une nouvelle fois la Garde des Sceaux, lors de la Convention nationale qui avait dit que si les avocats "ne veulent pas qu'on réforme, on ne réformera pas", le Président Eydoux énonce fermement que dans ces conditions "nous ne voulons pas de cette réforme. Nous allons vous rendre la gestion de l'aide juridictionnelle et l'Etat va devoir se débrouiller et y affecter les agents en nombre suffisant. A lui de prendre en charge les demandes des justiciables, toutes leurs demandes".

En fin de matinée, lors d'une table ronde consacrée au thème "Sécurité juridique et aide juridictionnelle", le Président Eydoux a lu la motion, votée la veille à l'unanimité par le CNB. Les Bâtonniers ont donc été invités à cesser toute désignation au titre de l'aide juridictionnelle et à cesser la mise à disposition des moyens humains et matériels nécessaires au fonctionnement du service de l'aide juridictionnelle.

Acte 3 - Les suites

Dès le 9 octobre après-midi, la Conférence des Bâtonniers et le barreau de Paris publiaient un communiqué conjoint, affichant une unité qui semblait avoir manqué jusque là. Ils invitaient les Bâtonniers à cesser les désignations en matière civile comme en matière pénale et à suspendre les plates-formes téléphoniques.

Et depuis le 12 octobre 2015, les barreaux se mettent en ordre de bataille. En Seine-Saint-Denis, sous la houlette du Bâtonnier Stéphane Campana, l'organisation de toutes les permanences et consultations gratuites est suspendue depuis le 13 octobre. Au civil, le Bâtonnier ne désigne plus d'avocat au titre de l'aide juridictionnelle, au pénal, il ne commet plus d'office. Toutes les permanences pénales sont suspendues, de même que les permanences victimes, mineurs, étrangers (JLD et TA), les permanences commission discipline et les permanences d'hospitalisation sous contrainte.

A Lyon, le Bâtonnier Pierre-Yves Joly suit le mouvement ajoutant que "désormais, c'est à la Justice de procéder à l'organisation de ces missions de service public, notamment la délégation des désignations".

A Paris, Pierre-Olivier Sur s'inscrit dans cette grève des désignations, exception faite du contentieux de la liberté.

Et de nombreux autres barreaux suivent : Angers, Douai, Rennes, Lille, Bordeaux, etc..

Mais cette grève fera-t-elle faire marche arrière à la Chancellerie ? Rien n'est moins sur.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux avocats, praticiens quotidiens des dossiers d'AJ, craignent que ce mouvement pénalise les justiciables et militent en faveur d'une opération d'engorgement : plaidoiries plus longues, appel relevé systématiquement, nullités soulevées, etc..

Sans compter que le 8 juillet 2015, la Cour de cassation a jugé qu'une grève des avocats constituait un cas de force majeure et justifiait la retenue de l'affaire en dépit de l'absence d'avocat (Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-86.400, FS-P+B N° Lexbase : A7740NMM et lire, Th. Vallat, Fragilisation des droits de la défense pendant une période de grève des avocats, Lexbase Hebdo n° 202 du 16 octobre 2015 - édition professions N° Lexbase : N9379BUW).

Enfin, il se murmure dans les couloirs que le dossier de l'AJ devrait quitter la Chancellerie pour échoir... à Bercy !

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