Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 370454, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0771NNU)
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par Marie-Odile Diemer, docteur en droit, Université de Bordeaux
le 01 Octobre 2015
En effet, l'ordonnance du 5 janvier 2012 (ordonnance n° 2012-11, portant clarification et simplification des procédures d'élaboration, de modification et de révision des documents d'urbanisme N° Lexbase : L6278IRX) et son décret d'application du 14 février 2012 (décret n° 2013-142 du 14 février 2013 N° Lexbase : L2067IWH), relatifs aux procédures d'évolution des documents d'urbanisme, ont profondément réformé l'articulation des dispositions du Code de l'urbanisme en la matière.
A la date du litige cependant, les anciennes dispositions étaient encore applicables. Le Conseil d'Etat a alors cherché à rester cohérent avec sa jurisprudence et respectueux des modifications du régime qui sont actuellement encore en cours.
Les collectivités territoriales sont souvent désemparées lorsqu'il s'agit de rédiger les documents d'urbanisme, notamment les plans locaux d'urbanisme ou les plans d'occupation des sols. Ces documents, forts parfois de plusieurs dizaines de pages exigent précisions et respect de nombreuses dispositions législatives et réglementaires, que ce soit naturellement en droit de l'urbanisme mais également en droit de l'environnement.
Les difficultés rédactionnelles cèdent rapidement le pas aux difficultés juridiques de compatibilité du projet avec les exigences environnementales.
En effet, lorsque des travaux de grande ampleur sont envisagés, ils exigent la mise en place d'une procédure d'enquête publique et un arrêté préfectoral de déclaration d'utilité publique du projet.
Cependant, le projet impose parfois la mise en compatibilité avec les documents d'urbanisme.
Si ces derniers peuvent tout à fait être modifiés ou réformés, il ne peut pas y être dérogé de manière arbitraire.
De plus, lorsque des adaptations sont nécessaires, elles ne doivent pas être le prétexte à la refonte totale du document d'urbanisme.
C'est ce qu'a entendu rappeler la Haute juridiction dans la décision rapportée.
En l'espèce, un projet routier dans le département du Gard prévoyait la mise en place de déviations de routes départementales. Le tracé envisagé empiétait cependant sur des parcelles classées en zone dite NC. Cette zone est une zone non constructible. L'absence de constructibilité d'un terrain dépend de l'environnement des parcelles. En l'espèce, elles ont été classées en zone naturelle à protéger en raison de la valeur économique des sols et donc réservée à l'exploitation agricole.
La question qui se posait était donc de savoir si le projet envisagé, pourtant déclaré d'utilité publique, pouvait contrevenir au plan d'occupation des sols de la commune et permettre l'emprise de la déviation sur des terrains réservés à l'exploitation agricole.
L'association de défense des propriétaires riverains du projet avait alors demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du sous-préfet en date du 9 juillet 2008 portant déclaration d'utilité publique du projet de déviation d'une route départementale.
Un jugement du premier juin 2011 avait rejeté la demande. L'association avait fait appel et obtenu l'annulation de l'arrêté dans un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 23 mai 2013 (2). Le pourvoi formé par le département du Gard a permis au juge administratif de répondre à la problématique posée précédemment.
Le Conseil d'Etat rappelle d'abord les dispositions de l'article L. 123-6 du Code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable au litige afin de préciser les modalités de mise en compatibilité des plans locaux d'urbanisme avec les déclaration d'utilité publique : "la déclaration d'utilité publique ou, si une déclaration d'utilité publique n'est pas requise, la déclaration de projet d'une opération qui n'est pas compatible avec les dispositions d'un plan local d'urbanisme ne peut intervenir que si :
a) l'enquête publique concernant cette opération a porté à la fois sur l'utilité publique ou l'intérêt général de l'opération et sur la mise en compatibilité du plan qui en est la conséquence ;
b) l'acte déclaratif d'utilité publique ou la déclaration de projet est pris après que les dispositions proposées pour assurer la mise en compatibilité du plan ont fait l'objet d'un examen conjoint du représentant de l'Etat dans le département, du président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent, du maire de la commune sur le territoire de laquelle est situé le projet, de l'établissement public mentionné à l'article L. 122-4, s'il en existe un, de la région, du département et des organismes mentionnés à l'article L. 121-4, et après avis de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent ou, dans le cas prévu par le deuxième alinéa de l'article L. 123-6, du conseil municipal.
La déclaration d'utilité publique emporte approbation des nouvelles dispositions du plan.
La déclaration de projet emporte approbation des nouvelles dispositions du plan local d'urbanisme lorsqu'elle est prise par la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent. Lorsqu'elle est prise par une autre personne publique, elle ne peut intervenir qu'après mise en compatibilité du plan par la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent, ou, en cas de désaccord, par arrêté préfectoral.
Dès l'ouverture de l'enquête publique et jusqu'à l'adoption de la déclaration d'utilité publique, le plan local d'urbanisme ne peut plus faire l'objet d'une modification ou d'une révision portant sur les dispositions faisant l'objet de la mise en compatibilité".
L'enquête publique est donc le coeur de la procédure de mise en compatibilité, d'ailleurs renforcée dans les nouvelles dispositions applicables.
Le Conseil d'Etat renforce les exigences de l'article dépassant les exigences purement procédurales en s'intéressant précisément au contenu de cette mise en compatibilité, et surtout dans les circonstances dans lesquelles elle peut intervenir. Il impose une interprétation dont il en fait découler deux conditions cumulatives :
- ne pas compromettre le parti d'aménagement retenu par la commune dans ce plan (cette première condition, plutôt souple, permet une compatibilité et non une stricte conformité et reste dans l'esprit général de modification des documents d'urbanisme) ;
- et ne pas méconnaître les dispositions du règlement de la zone du plan dans laquelle la réalisation est prévue.
En l'espèce, le règlement du plan était catégorique puisqu'il interdisait tous les aménagements et les constructions qui n'étaient pas prévus par ledit règlement. Une liste exhaustive des constructions était ainsi présentée dans le règlement, parmi lesquelles un projet de déviation ne pouvait être toléré.
Le Conseil d'Etat précise bien que le projet est "sans rapport avec les besoins de la desserte des constructions autorisées et ne s'inscrit pas dans l'un des cas d'utilisation du sol autorisés par cet article NC 1".
Le Conseil d'Etat a donc recherché si le projet de déviation pouvait faciliter ou répondre aux besoins d'éventuelles ou de potentielles constructions elles-mêmes autorisées.
Il réalise alors un contrôle complet sur la compatibilité du projet, permettant en théorie d'être souple mais aussi sévère lorsqu'aucune compatibilité n'a pu être décelée.
En l'espèce, les interdictions prévues par le règlement tombent comme un couperet que l'interprétation souple du Conseil d'Etat n'a pas pu retenir.
Dans ce domaine, le Conseil d'Etat a déjà rappelé la nature de son contrôle puisqu'il vérifie que l'intérêt général est établi de manière précise, circonstanciée au regard notamment des objectifs économiques, sociaux et urbanistiques poursuivis (3).
En l'espèce, il n'a même pas eu besoin de vérifier ces éléments puisque la mise en compatibilité était déjà impossible et verrouillée à la lecture du règlement de la zone du plan.
Le Conseil d'Etat clôt d'ailleurs son raisonnement de manière lapidaire, devançant toute critique et répondant sûrement à un moyen soulevé par le département.
Par sa formule bien connue du "alors même", la Haute juridiction précise que même si le projet n'empiétait sur une superficie de quatre hectares alors que la zone NC représente elle-même 2 000 hectares et qu'au surplus la zone concernée par le projet est un "versant de montagne boisé ne faisant l'objet d'aucune exploitation", il écarte ainsi toute dérogation possible qui amènerait à terme à une inutilité totale des règles d'urbanisme et des processus de mise en compatibilité. L'argument pouvait en effet être pertinent puisque la surface utilisée n'aurait en rien remis en cause la volonté de préserver la valeur agronomique des sols.
Malgré cette pertinence reconnue par le juge administratif, il ne peut, en vertu des règles du Code de l'urbanisme et de l'interprétation qu'il s'en est lui-même fixé, se permettre d'accorder la moindre dérogation.
Le Conseil d'Etat valide alors la qualification juridique des faits réalisée par la cour administrative d'appel de Marseille. Il ne remet pas en cause l'annulation de l'arrêté préfectoral ayant déclaré l'utilité publique du projet.
Il faut noter que la procédure aura duré sept ans depuis la prise de décision jusqu'au pourvoi devant le Conseil d'Etat.
En l'espèce, la dernière voie juridictionnelle permettait de confirmer l'annulation d'une déclaration d'utilité publique. Si la question était d'infirmer l'éventuelle autorisation de cette déclaration, les problèmes concrets auraient été tout autres.
En effet, les recours n'étant pas suspensifs, le projet aurait sûrement été mis en route et posé les éternelles problématiques concernant l'intangibilité des ouvrages publics.
Au delà ce ces problèmes de délais et de procédure contentieuse administrative, le Conseil d'Etat a surtout voulu imposer des règles rigoureuses et strictes concernant les articulations entre les différentes procédures en droit de l'urbanisme. Il permet de rappeler aux collectivités et aux autorités compétentes en la matière la nécessaire vigilance qu'ils doivent adopter sur l'aménagement d'une zone concernée par des travaux publics et notamment sur la compatibilité avec l'économie générale du plan.
Cette partie du Code de l'urbanisme a d'ailleurs fait l'objet d'une refonte totale concernant les modifications des documents d'urbanisme. La nouvelle rédaction de l'article L. 123-16 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8224KGP) a conduit ce dernier à concerner les modalités de consultation des autorités compétentes lorsque le projet d'élaboration, de modification ou de révision d'un plan local d'urbanisme a pour objet ou pour effet de modifier les règles d'urbanisme applicables à l'intérieur d'un périmètre de zone d'aménagement concerté créée par une personne publique.
Seulement, cet article fait partie des nombreuses dispositions ayant été abrogées par l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015, relative à la partie législative du livre 1er du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2163KIX), qui n'entrera en vigueur que le 1er janvier 2016.
Prévues dans l'optique du respect de la loi "ALUR" (loi n° 2014-366, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L8342IZY), cette ordonnance vise à clarifier les dispositions contenues dans le Code de l'urbanisme. Désormais intitulé "Réglementation de l'urbanisme", le livre Ier comprend huit titres, dont un titre préliminaire qui aborde les dispositions applicables à l'ensemble du territoire puis les dispositions particulières et enfin les documents d'urbanisme.
Cette nouvelle refonte du Code permettra à terme une lisibilité accrue des procédures applicables en la matière. De manière globale, elles vont cependant inévitablement poser des problèmes pour les litiges survenus avant cette date que le Conseil d'Etat devra toujours prendre en compte dans le cadre de l'excès de pouvoir.
En réinterprétant les articles dans leur rédaction anciennement applicable comme il l'a fait en l'espèce, le juge administratif permet de garder la cohérence qu'il s'est imposé dans ce contentieux toujours plus abondant et compliqué soumis aux recodifications et modifications constantes en droit de l'urbanisme.
En l'occurrence, la procédure de mise en compatibilité est désormais codifiée aux articles L. 123-22 (N° Lexbase : L8102KG8) et L. 123-23 (N° Lexbase : L8103KG9), ainsi qu'aux articles L. 153-54 (N° Lexbase : L2668KIN) à L. 153-59 du Code de l'urbanisme et conserve les mêmes exigences que dans les anciennes rédactions.
Cette recodification à droit constant permettra de poursuivre la constante interprétation et adaptation auxquelles doit se livrer la Haute juridiction.
Elle permet dans cette optique d'harmoniser législation, réglementation et jurisprudence.
(1) Elles sont désormais nouvellement codifiées depuis l'ordonnance du 5 janvier 2012, mais surtout depuis celle du 23 septembre 2015.
(2) CAA Marseille, 5ème ch., 23 mai 2013, n° 11MA02911 (N° Lexbase : A1140MRN).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 23 octobre 2013, n° 350077, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4530KN4).
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