Réf. : Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-10.120, F-D (N° Lexbase : A0996NGY)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 23 Avril 2015
Par ailleurs, la SCI demanderesse au pourvoi reprochait à l'arrêt d'appel, pour déclarer l'absorbante recevable à agir en qualité de prêteur à son encontre, d'avoir retenu que la décision des actionnaires de l'absorbante, approuvant l'opération par voie de fusion simplifiée et constatant sa réalisation, a fait l'objet d'une publication au registre du commerce et des sociétés ainsi que cela ressort d'un extrait K bis, et dans un journal d'annonces légales.
La Chambre commerciale, casse l'arrêt d'appel au visa des articles L. 123-9, alinéa 1er (N° Lexbase : L5567AIZ), L. 237-2 (N° Lexbase : L6376AIY) et R. 123-69 (N° Lexbase : L5070HZS) du Code de commerce, énonçant qu'il résulte de ces dispositions qu'en cas de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et des sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération. Dès lors, en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'inscription modificative au registre du commerce et des sociétés satisfaisait à l'ensemble de ces exigences, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
La Cour de cassation confirme donc, d'une part, qu'un justiciable ne peut pas invoquer directement à l'égard d'un particulier une disposition issue d'une des Directives "fusions" (I) et, d'autre part, que l'opposabilité de la dissolution de la société absorbée aux tiers suppose une inscription modificative régulière au registre du commerce et des sociétés (II)
I - L'impossibilité d'invoquer directement des dispositions relatives aux fusions issues des Directives communautaires
La débitrice de l'absorbée, demanderesse au pourvoi, soutenait, comme nous l'avons vu, que la rédaction d'un acte authentique était imposée par les textes communautaires, et qu'à défaut de respecter cette prescription, la fusion était en l'espèce irrégulière. La Cour de cassation balaye d'un revers de manche, sans surprise, ce moyen en rappelant qu'"une Directive ne peut pas, par elle-même, créer d'obligation dans le chef d'un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre", de sorte que la cour d'appel n'avait pas à vérifier si la fusion respectait ou non cette formalité.
En effet, la Cour de cassation reprend ici les termes employés par la CJUE qui, selon une jurisprudence constante depuis l'arrêt "Marshall" du 26 février 1986 (1), retient qu'une Directive ne peut pas par elle-même créer d'obligations dans le chef d'un particulier et ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à son encontre. Ainsi, il a pu être jugé qu'à défaut de mesures de transposition de la Directive 85/577, sur la protection des consommateurs dans le cadre des ventes à distance (N° Lexbase : L9639AUK), dans les délais prescrits, les consommateurs ne peuvent pas fonder sur la Directive elle-même un droit à renonciation à l'encontre des commerçants avec lesquels ils ont conclu un contrat et le faire valoir devant une juridiction nationale (2). La juridiction nationale est, toutefois tenue, lorsqu'elle applique des dispositions de droit national antérieures comme postérieures à la Directive, de les interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la Directive. En effet, l'obligation des Etats membres, découlant d'une Directive, d'atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation s'imposent à toutes les autorités des Etats membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles. Ainsi, il a pu être jugé qu'il incombe à la juridiction nationale, saisie d'un litige entre particuliers, d'assurer le respect du principe de non-discrimination en fonction de l'âge, tel que concrétisé par la Directive 2000/78 (N° Lexbase : L3822AU4), en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire de la réglementation nationale, indépendamment de l'exercice de la faculté dont elle dispose d'interroger la Cour à titre préjudiciel sur l'interprétation de ce principe (3).
Le rejet des prétentions de la demanderesse au pourvoi ne laissait ainsi place à aucun doute.
Au-delà du rappel opéré de la sorte par la Cour de cassation, on peut s'interroger sur le contenu même des dispositions alléguées, à savoir l'article 16, point 1, de la Directive 78/855/CEE du Conseil, repris par l'article 16, point 1, de la Directive 2011/35/UE du 5 avril 2011. Aux termes de ce texte, "si la législation d'un Etat membre ne prévoit pas pour les fusions un contrôle préventif judiciaire ou administratif de légalité, ou que ce contrôle ne porte pas sur tous les actes nécessaires à la fusion [nous soulignons], les procès-verbaux des assemblées générales qui décident la fusion et, le cas échéant, le contrat de fusion postérieur à ces assemblées générales sont établis par acte authentique. Dans les cas où la fusion ne doit pas être approuvée par les assemblées générales de toutes les sociétés qui fusionnent [nous soulignons], le projet de fusion doit être établi par acte authentique".
La Directive 78/855 a été transposée en droit français par la loi n° 88-17 du 8 janvier 1988. La première phrase du point 1 de l'article 16 fait plus précisément l'objet de l'article 374, alinéa 2, de la loi du 24 juillet 1966, sur les sociétés commerciales (N° Lexbase : L6202AGS), tel que créé par la loi précitée de 1988 et que l'on retrouve désormais à l'article L. 236-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L0904I7M). Ce texte impose aux sociétés participant à une fusion de déposer au greffe une déclaration dans laquelle elles relatent tous les actes effectués en vue d'y procéder et par laquelle elles affirment que l'opération a été réalisée en conformité des lois et règlements et confie au greffier, sous sa responsabilité, le soin d'assurer la conformité de cette déclaration. Or, la Directive invoquée n'impose l'établissement d'un acte authentique, tout d'abord, que lorsque aucun contrôle préventif de légalité n'est prévu par les législations nationales. Tel n'est donc pas le cas de la France qui a confié ce contrôle à une autorité : le greffier du tribunal de commerce.
D'ailleurs on rappellera que, dernièrement, cet article L. 236-6 a subi une légère retouche : seules sont désormais visées les sociétés anonymes et les sociétés européennes participant à une fusion ou une scission ainsi que les sociétés participant à une opération de fusion transfrontalière au sein de l'Union européenne (4).
Quant au second cas dans lequel le texte européen envisage la rédaction d'un acte authentique (cas où la fusion ne doit pas être approuvée par les assemblées générales de toutes les sociétés qui fusionnent), là encore, ce n'est pas l'option choisie par la législation nationale. Celle-ci prévoit, en effet, que la fusion est décidée par l'assemblée générale extraordinaire de chacune des sociétés qui participent à l'opération (C. com., art. L. 236-9 N° Lexbase : L3114IQE, pour les SA).
On le voit, si la Cour de cassation rejette l'argument de la demanderesse relatif à l'établissement d'un acte authentique, en fondant à raison sa décision sur les principes qui gouvernent l'invocabilité des Directives ; il n'avait pas plus de chance de prospérer sur le "fond" et le droit interne apparaît ici en parfaite harmonie avec le droit communautaire.
II - L'opposabilité aux tiers de la dissolution de la société absorbée
La cassation de l'arrêt des juges de Basse-Terre est faite au visa des articles L. 123-9, alinéa 1er, L. 237-2 et R. 123-69 du Code de commerce.
Avant de reprendre chacun de ces textes, il convient de rappeler que "la fusion [...] entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération" (C. com. L. 236-3 N° Lexbase : L6353AI7).
En outre, selon l'article L. 236-4 (N° Lexbase : L6354AI8), la fusion prend effet :
- en cas de création d'une ou plusieurs sociétés nouvelles, à la date d'immatriculation, au registre du commerce et des sociétés, de la nouvelle société ou de la dernière d'entre elles ;
- dans les autres cas, à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l'opération sauf si le contrat prévoit que l'opération prend effet à une autre date, laquelle ne doit être ni postérieure à la date de clôture de l'exercice en cours de la ou des sociétés bénéficiaires ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui transmettent leur patrimoine.
En l'espèce, nous étions dans le second cas, puisque la société créancière a été absorbée par une autre société, qui a fait délivrer à la demanderesse au pourvoi un commandement de payer valant saisie immobilière et l'a ensuite assignée devant le juge de l'exécution. Et, les juges d'appel de constater que la décision des actionnaires de l'absorbante approuvant l'opération par voie de fusion simplifiée et constatant sa réalisation, a fait l'objet d'une publication au RCS et dans un JAL permettant ainsi d'attester de sa date.
Mais c'était là confondre prise d'effet de la fusion et opposabilité de cette opération aux tiers ! Or, comme les juges du Quai de l'Horloge ont déjà pu le juger, et ce de façon constante, il convient de les distinguer (5). Ainsi, et dès lors que la fusion entraîne la dissolution de la société absorbée, il y a lieu, comme le fait la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté du 31 mars 2015, de se référer à l'article L. 237-2, selon lequel "la dissolution d'une société ne produit ses effets à l'égard des tiers qu'à compter de la date à laquelle elle est publiée au registre du commerce et des sociétés". L'article 123-9, alinéa 1er (deuxième texte visé), précise d'ailleurs que "la personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l'exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s'en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre". Or, le 3°de l'article R. 123-69 (troisième texte visé) prévoit que la personne morale qui demande une inscription modificative au RCS, doit, particulièrement en cas de fusion, indiquer la cause de dissolution, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération. Ainsi, la cour d'appel ne pouvait déduire de la simple publication au RCS et dans un journal d'annonces légales de la décision d'approbation de la fusion son opposabilité au débiteur de l'absorbée sans s'assurer que la dissolution de celle-ci avait bien fait l'objet d'une inscription modificative au RCS.
A défaut l'absorbante serait donc irrecevable à agir en qualité de prêteur de la SCI. La cour d'appel de renvoi devra effectuer cette vérification.
Cette solution, qui fait une application littérale des textes, ne souffre donc aucune critique.
La Cour de cassation ne fait ici que confirmer une position qu'elle avait déjà eu l'occasion de dégagée aussi clairement (6). Mais elle a une vertu : elle rappelle à certains juges du fond que prise d'effet ne rime pas toujours avec opposabilité ; elle rappelle aussi et surtout aux praticiens toute la vigilance dont ils doivent faire preuve quant au respect des conditions de forme, dans les opérations de fusion notamment, l'inopposabilité aux tiers étant une sanction aux conséquences particulièrement lourdes !
(1) CJCE, 26 février 1986, C-152/84, point 48 (N° Lexbase : A7241AHN)
(2) CJCE, 14 juillet 1994, aff. C-91/92 (N° Lexbase : A0083AWY).
(3) CJUE, 19-01-2010, aff. C-555/07 (N° Lexbase : A3442EQK).
(4) Loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives (N° Lexbase : L0720I7S) ; B. Brignon, Chronique de droit des sociétés - Janvier 2015, Lexbase Hebdo n° 408 du 15 janvier 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N5417BU8).
(5) Cass. com., 23 mars 2003, n° 01-15.037, F-D (N° Lexbase : A7551BSH).
(6) Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05-16.460, F-D (N° Lexbase : A6799DTY).
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