Réf. : Cass. mixte, 27 février 2015, n° 13-13.709, P+B+R+I (N° Lexbase : A3426NCU)
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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
le 26 Mars 2015
I - Le bénéfice de subrogation en présence de la décharge d'un cofidéjusseur
La caution reprochait au créancier la perte d'un droit préférentiel, rendant impossible sa subrogation. Ce faisant, elle cherchait à bénéficier des dispositions de l'article 2314 du Code civil. Ce texte, on le sait, permet à la caution d'obtenir une décharge de son engagement lorsque le créancier, par son fait, a perdu un droit préférentiel dans lequel elle aurait pu être subrogée après paiement. Cette décharge est toutefois plafonnée, à la hauteur de la valeur du droit perdu (1).
La Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, rejette l'argument soulevé par la caution, à juste titre. Elle relève en effet que la caution n'était pas fondée à invoquer le bénéfice de subrogation "à défaut de transmission d'un droit dont [elle] aurait été privée". L'analyse de la Cour est fondée. Il est même permis d'aller plus loin. Plusieurs arguments s'opposent en effet à l'application de l'article 2314 aux faits de l'espèce.
D'abord, la Cour remarque opportunément que la caution ne peut justifier de la privation d'un droit qui aurait pu lui être transmis par le jeu de la subrogation personnelle. Le droit perdu invoqué par elle est le recours après paiement contre son cofidéjusseur dont elle dispose en vertu de l'article 2310. Mais ce droit à recours n'est pas un droit dont serait titulaire le créancier et qui pourrait être transmis à la caution par subrogation. Il s'agit d'un droit qui appartient en propre à la caution. Cette simple constatation suffit à exclure le bénéfice de subrogation des débats.
Il aurait pu, de prime abord, en aller différemment si la caution avait invoqué un recours subrogatoire, sur le fondement de l'article 1251, 3°, du Code civil (N° Lexbase : L0268HPM). En pareille hypothèse, en effet, la caution n'exerce pas un droit qui lui est personnel, mais exerce un droit qui appartenait au créancier, et qu'elle a récupéré par le jeu de la subrogation. Néanmoins, un tel recours subrogatoire serait immanquablement voué à l'échec, car si la caution fonde son recours sur la subrogation, elle ne peut avoir plus de droits que le créancier. Or, celui-ci ne dispose plus de droits envers la caution déchargée pour disproportion, puisqu'il ne peut se prévaloir du cautionnement.
Ensuite, il serait quelque peu incohérent de considérer à la fois que le créancier n'aurait pas dû prendre le cautionnement (puisque disproportionné) et qu'il n'aurait pas dû le laisser perdre... L'avocat général remarquait pertinemment que, puisqu'il n'aurait jamais dû y avoir de cautionnement, la caution pouvait difficilement se prévaloir de sa perte: "si l'on considère que le cautionnement n'aurait pas dû être pris, alors personne ne peut s'en prévaloir. Peut-on, sans incohérence, faire successivement grief au même créancier d'avoir obtenu un cautionnement, puis de l'avoir laissé perdre ?" (2).
Enfin, le bénéfice de subrogation suppose un fait exclusif du créancier. La jurisprudence a une vision large de ce fait, considérant qu'il peut s'agir d'une commission (3) ou d'une omission (4), d'une faute lourde ou d'une simple négligence, etc.. Il est constant en jurisprudence que ce fait doit être exclusivement imputable au créancier (5). En d'autres termes, l'article 2314 ne peut recevoir application lorsque la perte du droit préférentiel est par exemple la conséquence d'une décision administrative (6), ou d'une faute de la caution (7).
Il est délicat, dans l'espèce sur laquelle a statué la Cour de cassation le 27 février dernier, de considérer que la perte du droit (si tant est qu'il y a eu perte d'un droit) est exclusivement imputable au créancier. Son fait fut celui de demander un cautionnement hors de proportion avec les biens et revenus de l'une de ses cautions. Mais la perte elle-même, à savoir la décharge de la caution sur le fondement de l'article L. 341-4 du Code de la consommation, ne lui est pas directement et exclusivement imputable.
Pour ces différentes raisons, le refus opposé à la caution d'invoquer les dispositions de l'article 2314 du Code civil est pleinement justifié. Il en est de même au sujet du recours entre cofidéjusseurs.
II - Le recours entre cofidéjusseurs en présence de la décharge de l'un d'eux
Dans cet arrêt, se posait également la question de déterminer la portée de la décharge de la caution. Lorsqu'une caution est libérée sur le fondement de l'article L. 341-4, son cofidéjusseur demeure-t-il seul tenu ? Si la réponse est évidente envers le créancier, sur le plan de l'obligation à la dette, ce point était discuté en doctrine en ce qui concerne la contribution à la dette entre cofidéjusseurs. La lettre de l'article L. 341-4 invite à limiter les effets de la décharge aux relations entre la caution et le créancier. En effet, le texte dispose qu'"un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement [...]". Cette formulation pourrait laisser penser que les effets de la décharge lui sont personnels. Si tel était le cas, seul le créancier ne pourrait se prévaloir du cautionnement, la caution solvens n'étant alors pas concernée. L'argument doit toutefois être nuancé, au regard des faibles qualités rédactionnelles des textes issus de la loi "Dutreil" du 1er août 2003 (loi n° 2003-721 N° Lexbase : L3557BLC ; C. consom., art. L. 341-2 N° Lexbase : L5668DLI à L. 341-6). Ainsi, certains auteurs défendaient la solution inverse, remarquant notamment que "la disproportion est une exception personnelle à la caution, opposable erga omnes" (8).
C'est dans cette voie que s'engage la Cour de cassation, dans cet arrêt rendu en Chambre mixte. En retenant que "la sanction prévue par l'article L. 341-4 du Code de la consommation prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs", la Cour affirme très clairement son opinion. Fort logiquement, la conséquence en est que "le cofidéjusseur [...] ne peut ultérieurement agir, sur le fondement de l'article 2310, contre la caution qui a été déchargée en raison de la disproportion manifeste de son engagement". Ainsi, la caution libérée pour disproportion manifeste de son engagement ne peut faire l'objet du recours personnel en remboursement de la part de son cofidéjusseur, sur le fondement de l'article 2310. Cette solution appelle diverses remarques.
D'une part, il serait possible de rapprocher cette solution de celle qui prévaut en cas de nullité de l'engagement du cofidéjusseur. Le parallèle avec la nullité est cependant trompeur : un cautionnement nul est censé n'avoir jamais existé. Il est dès lors impossible de réclamer quoi que ce soit au cofidéjusseur ayant bénéficié de la nullité. En revanche, le cautionnement disproportionné n'est pas nul (9). Il subsiste, mais le créancier ne peut s'en prévaloir. Les deux situations sont par conséquent différentes.
Il semble plus judicieux de rapprocher cette solution de celle retenue en cas d'insolvabilité d'un cofidéjusseur, puisque la part de l'insolvable se répartit entre ses cofidéjusseurs.
D'autre part, cette solution peut paraître sévère pour la caution solvens, qui s'était peut-être engagée en considération de l'existence d'un cofidéjusseur. Elle se retrouvera seule à contribuer à la dette. A ce sujet, il serait d'ailleurs permis de se demander si la caution solvens ne pourrait pas alors invoquer l'erreur pour se libérer de son engagement. La jurisprudence admet en effet que le consentement d'une caution puisse être vicié par l'erreur sur l'existence ou l'efficacité d'autres sûretés bénéficiant au créancier (10). Un obstacle se soulève, toutefois, devant cette possibilité : en tant que vice du consentement, l'erreur doit exister au moment de la conclusion du contrat. Or, la décharge pour disproportion manifeste survient nécessairement postérieurement à cette conclusion.
Enfin, il convient de remarquer que la solution retenue par la Cour de cassation pourrait aboutir à des résultats critiquables. Dans l'hypothèse de l'espèce, la caution libérée est celle qui a rendu service au dirigeant caution. Cela n'est guère choquant. Mais cela ne le deviendrait-il pas si le cofidéjusseur déchargé était le dirigeant ? La seule caution demeurant tenue serait le tiers à la société, qui rendait service, et dont l'engagement est bien plus désintéressé que celui du dirigeant caution.
Pour conclure, il est permis de penser qu'une réforme de la sanction du cautionnement disproportionné serait sans doute la bienvenue. C'est dans cette question de la sanction que se trouvait l'origine du problème soumis à la Cour de cassation dans son arrêt du 27 février 2015. Celle adoptée par les articles L. 313-10 (N° Lexbase : L2693IXZ) et L. 341-4 du Code de la consommation, à savoir que le créancier "ne peut se prévaloir" du cautionnement, n'est guère explicite. Le contrat subsiste, mais le créancier ne peut exiger de la caution l'exécution de ses obligations (sauf si le patrimoine de la caution, au moment où elle est appelée en paiement, ne lui permet d'y faire face). C'est cette subsistance du contrat qui posait en l'espèce la question de savoir si la caution solvens peut recourir contre son cofidéjusseur déchargé pour disproportion.
Pour y remédier, il serait possible de modifier la sanction textuelle, en retenant la nullité. L'inconvénient de la nullité est qu'elle paralyse la possibilité d'appeler ultérieurement la caution si sa situation financière s'améliore.
Une sanction bien plus opportune serait certainement la réduction du cautionnement disproportionné (11).
(1) Nos obs., Rép. civ., V° Cautionnement, Dalloz, 2009, n° 226 et s..
(2) Avis du premier Avocat général L. Le Mesle, p.4.
(3) Par exemple, la mainlevée d'une sûreté donnée sans paiement.
(4) Par exemple le non-renouvellement d'une inscription hypothécaire.
(5) Cass. civ. 1, 3 février 1998, n° 96-15.628 (N° Lexbase : A2273AC8) ; Cass. com., 2 avril 1996, n° 93-19.074 (N° Lexbase : A9424ABN) ; Cass. com., 13 mai 2003, n° 99-21.551, FS-P (N° Lexbase : A0334B7I) ; Cass. civ. 1, 7 décembre 2004, n° 03-10.631, F-P+B (N° Lexbase : A3566DES) ; Cass. com., 21 février 2012, n° 10-24.239, F-D (N° Lexbase : A3156IDA) ; Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-23.703, F-D (N° Lexbase : A7284IUC), Gaz. Pal., 13 décembre 2012, p.17, obs. M.-P. Dumont-Lefrand.
(6) Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 03-10.642, F-D (N° Lexbase : A8708DEA) : valeur des immeubles hypothéqués réduite du fait d'une modification du plan d'occupation des sols.
(7) Cass. com., 6 juillet 2010, n° 09-16.163, F-D (N° Lexbase : A2329E4Z).
(8) Ph. Simler, obs. sous CA Paris, Pôle, 5ème ch., 28 mai 2013, n° 2012/02940 (N° Lexbase : A0411KEX), JCP éd. G, 2013, 1256, n° 4.
(9) Cass. civ. 1, 22 octobre 1996, n° 94-15.615 (N° Lexbase : A8541ABX) ; Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 01-10.926, FS-P (N° Lexbase : A8238DBQ).
(10) V. notamment Cass. com., 30 novembre 2010, n° 09-16.709, F-D (N° Lexbase : A4553GML), RDBF, 2011, n° 1, p. 70, obs. D. Legeais (erreur sur la présence de cofidéjusseurs).
(11) Nos obs., La sanction du cautionnement disproportionné, Droit & Patrimoine, juin 2004, p. 44.
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