Réf. : Cass. crim., 18 février 2015, n° 13-87.291, F-D (N° Lexbase : A0144NCC)
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N6427BUL
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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1
le 26 Mars 2015
Le prévenu soulevait le caractère tardif de la notification de ses droits et concluait à la nullité de la garde à vue.
Ces prétentions furent cependant rejetées par les juges du fond. La cour d'appel relevait successivement :
- que le prévenu ne disposait pas de la lucidité nécessaire pour comprendre la mesure de garde à vue ;
- que la décision de différer la notification relevait de l'appréciation souveraine des policiers ;
- que la notification était intervenue après une nouvelle vérification du taux d'alcoolémie laissant apparaitre un taux de 0,37 mg d'alcool par litre d'air expiré.
Elle rejetait donc les exceptions de nullité dont arguait l'appelant. Un pourvoi fut formé contre cette décision. La Cour de cassation était ainsi une nouvelle fois saisie de la question de l'articulation de l'obligation faite aux forces de l'ordre de notifier immédiatement ses droits au gardé à vue, de la nécessité pour celui-ci d'être en état de comprendre la mesure et les droits qui lui sont notifiés et de l'état d'ébriété du prévenu. La solution est désormais classique : la notification des droits intervient dès le placement en garde à vue (I). Elle peut, cependant, être différée jusqu'au dégrisement lorsque le gardé à vue n'est pas en état de comprendre la mesure, ni les droits qui lui sont notifiés. La Cour de cassation vient, par l'arrêt rapporté, réaffirmer cette jurisprudence : l'ivresse du prévenu constitue une circonstance insurmontable justifiant le report de la notification des droits (II).
I - La notification immédiate
La garde à vue est une mesure qui porte atteinte aux droits et libertés individuels. Aussi, elle est strictement encadrée par le législateur. En l'espèce rapportée, le demandeur à la cassation alléguait du caractère tardif de la notification de ses droits pour conclure à la nullité de la mesure de garde à vue. Le moyen invoquait, dans cette perspective, une interprétation stricte du texte imposant une notification immédiate.
La matière repose sur l'article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3163I3K) qui dispose que "la personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend", de son placement en garde à vue et de la durée de la mesure, de la qualification des faits, de ses droits de faire prévenir un proche et son employeur, d'être examinée par un médecin, d'être assistée d'un avocat, d'être assistée d'un interprète, de consulter les documents visés à l'article 63-4-1 (N° Lexbase : L3162I3I), du droit de formuler des observations ou de se taire (1).
La loi encadre précisément les droits de la personne gardée à vue (2) ; le législateur en assure l'effectivité par le droit à l'information du prévenu dont participe l'obligation de notification immédiate qui en constitue la réalisation concrète. Aussi, la notification des droits constitue, en tant que telle, un droit procédural (3), dont la violation est susceptible d'être sanctionnée par la nullité de la procédure de garde à vue.
La rédaction impérative du texte de l'article 63-1 du Code de procédure pénale, assortie de l'adverbe "immédiatement" n'autorise aucun retard dans la notification des droits. A cet égard, le Professeur Pradel relevait (4) que les "délais en procédure pénale sont, en général, insusceptibles d'être transgressés car ils sont fondés soit sur l'intérêt général, soit sur les droits de la défense (que l'on peut aussi interpréter comme un cas particulier d'intérêt général)". En ce sens, la Chambre criminelle de la Cour de cassation veille à ce que la notification des droits aux intéressés intervienne dès leur placement en garde à vue. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a rappelé que la décision de placer en garde à vue une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction relève d'une faculté que l'officier de police judiciaire tient de la loi et qu'il exerce dans les conditions qu'elle définit (5).
La jurisprudence a ainsi jugé que tout retard dans la mise en oeuvre de cette obligation, non justifiée par une circonstance insurmontable porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée.
La mesure doit, cependant, s'articuler aux contraintes opérationnelles des services d'enquête et tenir compte des spécificités factuelles de l'espèce. La Cour de cassation a ainsi jugé que le délai de trente-cinq minutes entre le début de la mesure et la notification des droits ne suffit pas à caractériser le caractère tardif dès lors qu'il correspond au temps nécessaire à la patrouille de police, accompagnée de l'intéressé, pour se rendre au commissariat. L'argument du pourvoi n'avait donc que peu de chances de prospérer.
II - L'état d'ivresse du gardé à vue constitue une circonstance insurmontable justifiant le report de la notification
La jurisprudence ne semble pas reconnaitre à l'adverbe "immédiatement" un caractère absolu. Au contraire, elle considère classiquement que l'état d'ivresse de l'intéressé est une circonstance insurmontable empêchant le gardé à vue de comprendre les droits qui lui sont notifiés et de les exercer utilement (8). Dans un arrêt du 4 janvier 1996, elle avait déjà considéré qu'il convenait de différer la notification de ses droits au gardé à vue pendant le temps nécessaire au dégrisement. En revanche, la personne doit recevoir la notification aussitôt qu'elle est en état d'être utilement informée (9). A l'opposé, la notification immédiate des droits à un gardé à vue en état d'ébriété n'est pas, en soi, irrégulière, dès lors que l'officier de police judiciaire avait constaté que le prévenu était en état de répondre aux interpellations et qu'il avait confirmé qu'il se sentait capable de répondre aux questions (10).
En d'autres termes, la notification des droits ne peut intervenir qu'à partir du moment où la personne gardée à vue est en état d'en comprendre la portée (11) : la notification doit intervenir après, mais aussitôt, le temps nécessaire au dégrisement. En conséquence, les juges qui considèrent qu'une notification des droits est tardive doivent s'expliquer sur les mentions non contestées du procès-verbal de l'officier de police judiciaire ayant constaté que le prévenu se trouvait dans un état d'imprégnation alcoolique tel "qu'il n'avait pas assez de lucidité pour s'entendre notifier les droits prévus aux articles 63-1 à 63-4 du Code de procédure pénale ni les exercer utilement" (12).
La Chambre criminelle a également rappelé qu'était régulière la procédure au terme de laquelle la personne avait été immédiatement informée de ses droits, dès la décision de garde à vue, même si celle-ci était intervenue après que la personne ait été retenue dans les locaux de la police le temps nécessaire au dépistage de son imprégnation alcoolique, dès lors que le Code de la route permet aux agents et officiers de police judiciaire de retenir l'individu pour établir son alcoolémie, sans que celui-ci soit placé en garde à vue (13).
Pragmatique, la jurisprudence veille classiquement à l'efficacité de la notification afin que le prévenu puisse utilement exercer ses droits. C'est en ce sens que la cour d'appel avait en l'espèce caractérisé, de façon très didactique, les différents éléments du régime de la notification des droits :
- le défaut de lucidité du prévenu qui ne pouvait comprendre les droits notifiés ;
- l'appréciation souveraine des policiers pour établir l'incapacité du prévenu à comprendre la mesure et ses droits ;
- la preuve du délai du dégrisement par l'exercice d'un nouveau contrôle d'alcoolémie. Ce délai pose le point de départ de la notification immédiate.
La cour d'appel relevait, dans l'espèce rapportée, que ces différents éléments étaient opportunément caractérisés dans les procès-verbaux établis par les policiers. Forts de ces considérations, les juges du fond avaient procédé à un contrôle poussé de la régularité de la procédure. C'est ainsi qu'ils avaient considéré que les policiers avaient "à bon droit" reporté la notification des droits au gardé à vue. La Cour de cassation procède au même contrôle. Se retranchant derrière la motivation des juges du fond, elle relève que ceux-ci avaient caractérisé une circonstance insurmontable ayant retardé la notification des droits. La jurisprudence antérieure est donc confirmée.
(1) J. Buisson, Le droit à l'information, Procédures 2014, comm. 214.
(2) J.-L. Lennon, La garde à vue : quelques principes essentiels rappelés par la Cour de cassation, Dalloz 2005, p. 761.
(3) G. Taupiac-Nouvelle, A. Botton, La réforme du droit à l'information en procédure pénale, JCP G, 2014, doctr., 802.
(4) J. Pradel, Une nullité ne saurait résulter du retard apporté à la notification des droits de la personne gardée à vue en raison de son état d'ébriété, D.,1996, p. 261.
(5) Cass. crim., 4 janvier 2005, n° 04-84.876, F-P+F+I (N° Lexbase : A0950DGB).
(6) Cass. crim. 14 décembre 1999, n° 99-82.855 (N° Lexbase : A5684AWG), D., 2000, p. 44 ; Cass. crim., 6 décembre 2000, n° 00-86.221 (N° Lexbase : A4004CGE) et Cass. crim., 6 décembre 2000, n° 00-82.997 (N° Lexbase : A3370AUD) ; Cass. crim., 24 juin 2009, n° 08-87.241, FS-P+F (N° Lexbase : A1173EKN).
(7) Cass. crim., 6 janvier 2015, n° 13-87.652, F-P+B (N° Lexbase : A0705M9Y).
(8) V. déjà Cass. crim., 3 avril 1995, n° 94-81.792 (N° Lexbase : A8774ABL) ; J.-P. Dinthillac, Garde à vue. Notification des droits. Etat d'ébriété, RSC, 1995, p. 609.
(9) Cass. crim., 4 janvier 1996, n° 95-84.330 (N° Lexbase : A9239ABS) ; Bull. crim., n° 5 ; Dr. pénal 1996, comm. n° 90, obs. Maron.
(10) Cass. crim., 10 mai 2000, n° 00-80.865 (N° Lexbase : A9173CGT).
(11) Cass. crim., 28 juillet 1999, n° 99-83.193 (N° Lexbase : A6990C4N) ; Cass. crim., 18 octobre 2000, n° 00-83.656 (N° Lexbase : A6280CWI) ; Cass. crim., 3 mai 2001, n° 00-82.342 (N° Lexbase : A8296CLT) ; Cass. crim., 4 janvier 2005, n° 04-84.876, F-P+F+I (N° Lexbase : A0950DGB) ; Cass. crim., 19 mai 2009, n° 08-86.466 (N° Lexbase : A7996NDI) ; Cass. crim., 7 décembre 2011, n° 10-86.735, F- D (N° Lexbase : A1442IBZ) ; Cass. crim., 1er octobre 2013, n° 12-86.831, F-D (N° Lexbase : A3369KMQ).
(12) Cass. crim., 4 janvier 2005, n° 04-84.876, F-P+F+I (N° Lexbase : A0950DGB), D., 2005, p. 761 ; Cass. crim., 19 décembre 2007, n° 07-81.740, F-D (N° Lexbase : A5096E37).
(13) Cass. crim., 11 décembre 2007, n° 06-87.931 (N° Lexbase : A7995NDH).
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