Réf. : Cass. crim., 13 janvier 2015, n° 14-87.146, FS-PB (N° Lexbase : A4240NBN)
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par Julia Katlama, Avocat à la cour, Ancien secrétaire de la Conférence
le 17 Mars 2015
Aux termes dudit article, "en matière de détention provisoire, la chambre de l'instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours de l'appel, lorsqu'il s'agit d'une ordonnance de placement en détention provisoire et dans les quinze jours dans les autres cas, faute de quoi la personne concernée est mise d'office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l'affaire dans le délai prévu au présent article".
C'est dire si ces circonstances imprévisibles et insurmontables, mettant obstacle au jugement de l'affaire, constituent un garde fou bien utile, sur lequel s'appuie la chambre de l'instruction pour empêcher des sorties sèches, particulièrement dans les cas d'affaires criminelles sensibles ou l'absence de garantie de représentation (étrangers, sans domicile fixe) et/ou la dangerosité des détenus provisoires (atteinte grave à l'Ordre public, risque de réitération ou de pression sur les témoins et victimes) rendent incompréhensible aux yeux des citoyens, que tel ou tel puisse être remis en liberté en raison d'une erreur, parfois matérielle ou seulement humaine d'un greffier.
Ajouter à cela le déficit important du budget de la Justice, lequel laisse planer la possibilité de problèmes logistiques plus sérieux par leur récurrence, et qui ne seraient rien, s'ils ne permettaient pas à de dangereux criminels d'être libérés en raison d'une impossibilité matérielle de respecter de simples mais courts délais...
C'est ainsi que la Cour de cassation s'est attachée à préciser les contours de ces "circonstances insurmontables et imprévisibles" permettant d'exonérer l'Etat de sa responsabilité, et de laisser les présumés délinquants et criminels derrière les barreaux.
Dans une jurisprudence récente, qui avait résonné dans les médias par son absurdité, le dysfonctionnement du serveur automatisé de télécopie du tribunal avait empêché la réception des télécopies du greffe de la maison d'arrêt par le greffe de la juridiction appelée à en juger, entre le 26 juin et le 16 juillet 2013 (1).
Le greffe n'ayant pu être informé que le 17 juillet de l'existence de l'appel formé le 4 juillet, les délais avaient été largement dépassés imposant la libération d'office du demandeur.
La chambre de l'instruction s'était à nouveau réfugiée derrière cette notion de "circonstances insurmontables et imprévisibles" qui avait empêché le fonctionnement normal du service du greffe et donc le traitement de l'appel de l'ordonnance de rejet de mise en liberté.
Sauf qu'aux termes du pourvoi formé par le demandeur, n'était pas seulement pointé du doigt le dysfonctionnement matériel du serveur de télécopie, comme étant exclusif d'une circonstance insurmontable et imprévisible, mais davantage, le laisser-aller fautif du service du greffe, lequel ne s'était pas préoccupé ce, pendant plus d'une vingtaine de jours, de remettre le fax en état de marche.
Dans une jurisprudence surprenante mais finalement justifiée (1), la Cour de cassation avait jugé, faisant droit au pourvoi et cassant l'arrêt de la chambre de l'instruction, que le problème de nature technique ainsi soulevé n'ayant pas été suffisamment explicité, l'existence d'une circonstance insurmontable et imprévisible n'était pas caractérisée.
Autrement dit, la Cour de cassation sans pour autant affirmer que les problèmes techniques de télécopie potentiels des services de la Justice laissaient la porte ouverte aux mises en liberté d'office, était ainsi néanmoins venue renforcer de manière bienvenue, l'un des principes fondamentaux, la liberté d'aller et venir, lequel impose que la liberté demeure le principe et la détention l'exception, les délais de l'article 194 du Code de procédure pénale n'en étant que l'application procédurale.
Résumée et peu expliquée dans les médias, cette jurisprudence avait fait grand bruit et créé une impression, toute compréhensible, d'insécurité juridique.
On pouvait lire ainsi "un homme mis en examen pour le meurtre d'un disc jockey, battu à mort en 2011 en Seine-Saint-Denis, a été libéré mercredi à cause d'un manque d'encre dans un télécopieur" la presse s'embarrassant rarement des explications juridiques qui auraient permis d'atténuer l'effroi laissé par cette décision, pourtant parfaitement légitime d'un point de vue strictement juridique.
Entre temps, cet article 194 du Code de procédure pénale devait continuer de susciter des interrogations et donner lieu, s'agissant de son 4ème alinéa, à une question prioritaire de constitutionnalité (2). En effet, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition en tant qu'elle n'imposait pas à la chambre de l'instruction statuant après cassation de statuer dans un délai déterminé, et partant, déterminer si celle-ci était contraire au principe d'égalité, au droit au respect de la présomption d'innocence, à la liberté individuelle et à l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM).
Le présent arrêt du 13 janvier 2015 devait intervenir dans ce contexte là.
En l'espèce, dans une procédure suivie contre M. D., des chefs de tentative d'extorsion en bande organisée, enlèvement et séquestration en bande organisée, précédés ou accompagnés de tortures et d'actes de barbarie, et association de malfaiteurs, ce dernier avait régularisé, auprès du greffe de la maison d'arrêt, une demande de mise en liberté en date du 7 mai 2014, laquelle demande n'avait été retranscrite au greffe de la chambre de l'instruction que le 13 août suivant et jugée le 10 octobre 2014, soit près de 5 mois après l'enregistrement au greffe de la chambre de l'instruction...
Saisie d'une demande de mise en liberté d'office faute d'avoir respecté le délais de deux mois à compter du jour de l'enregistrement au greffe de la chambre de l'instruction de l'article 148-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5550DY9) (pendant de l'article 194 du Code de procédure pénale dans les cas de demande de mise en liberté en instance de jugement devant la cour d'appel), la chambre de l'instruction avait rejeté cette demande, relevant, dans son arrêt, que si la déclaration n'avait pas été transmise au greffe de la chambre de l'instruction, elle était néanmoins classée au dossier avec l'apparence d'un dossier régulièrement transmis, par la fraude d'un agent de l'administration pénitentiaire.
Ainsi, la chambre de l'instruction avait jugé que l'enquête interne avait permis de démontrer que cette difficulté de transmission de la demande du greffe de la maison d'arrêt au greffe de la chambre de l'instruction, ne pouvait être imputée à autre chose qu'à l'intervention volontaire d'un agent de l'établissement pénitentiaire, à raison "des relations inappropriées qu'elle entretenait dans l'exercice de ses fonctions avec le frère de M. D.".
L'agent en question avait fait immédiatement l'objet d'une suspension avant d'être révoqué définitivement.
M. D. arguait, quant à lui, au terme de son pourvoi, que l'exemplaire de la demande de mise en liberté permettant de constater que la demande avait bien été transmise par le greffier de la maison d'arrêt au président de la chambre de l'instruction le 9 mai 2014, et que seule comptait comme point de départ au délai de l'article 148-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5550DY9), la date de réception de la demande de mise en liberté et non point la date de transmission.
En outre, M. D. faisait valoir que la faute d'un agent de l'administration pénitentiaire n'était pas, par nature, extérieure au service de la Justice et ce indifféremment de la prétendue nature des relations que cet agent pouvait entretenir avec le frère de la personne ayant demandé à être remise en liberté.
Rejetant le pourvoi ainsi formé, la Cour de cassation, dans son arrêt du 13 janvier 2015, a jugé que l'intervention volontaire, en l'espèce l'abstention frauduleuse de l'agent de l'établissement, avait constitué une circonstance extérieure, imprévisible et insurmontable, suspendant, au bénéfice du détenu, le cours normal de la Justice. La Chambre criminelle reprenant le raisonnement de la chambre de l'instruction, et confirmant les limites tenant aux "circonstances imprévisibles et insurmontables " (1) a ainsi dit suffisamment justifiée la décision de repousser le point de départ du délai prévu par l'article 148-2 du Code de procédure pénale au jour de l'enregistrement de la demande de mise en liberté au greffe de la chambre de l'instruction.
Ce faisant, la Chambre criminelle, reprenant encore les termes de l'arrêt de la cour d'appel, fait émerger un nouveau critère tiré de l'"extériorité au service public de la Justice" (2).
I - La confirmation du critère de la circonstance imprévisible et insurmontable comme garde fou du non respect des délais imposés dans le contentieux de la détention provisoire
Ce qui frappe de prime abord est que la Cour de cassation, faisant sien le raisonnement de la chambre de l'instruction, reprend le critère de la circonstance imprévisible et insurmontable de l'article 194 du Code de procédure pénale (loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011, relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles N° Lexbase : L3703IRL), alors même que ce critère n'est pas prévu comme exception aux délais imposés de l'article 148-2 du Code de procédure pénale.
Force est de constater, à l'issue de cet arrêt du 13 janvier 2015, que ces critères s'imposent donc désormais comme les garde-fous des problèmes techniques intervenant dans la réponse judiciaire apportée au contentieux de la détention provisoire et viennent justifier les retards enregistrés de traitement des demandes de mise en liberté et empêcher les remises en liberté d'office, tant dans le cadre de la procédure d'instruction que lors d'une instance pendante de première instance ou en appel. En cela, il est permis de constater le désir non feint de la Cour de cassation de renforcer la sécurité juridique du traitement du contentieux de la détention provisoire, lequel ne saurait être mis à mal par des atteintes volontaires et intentionnelles au service de la Justice par des agents administratifs.
Ainsi, au delà d'un problème purement matériel et technique, la Cour de cassation prend soin aux termes de cet arrêt du 13 janvier 2015, d'englober les problèmes qui seraient de nature et d'origine simplement humaine.
Ce raisonnement se comprendrait dans la mesure où, et là rien n'est moins sûr, dans notre cas d'espèce, il aurait été prouvé et reconnu fut-ce au terme d'une audience distincte, la fraude de l'agent de service public de la Justice.
Néanmoins, la lecture de l'arrêt permet de douter de la réalité de cette fraude, caractérisée au demeurant par une abstention, qui reste relativement floue en l'espèce, tant seul le constat de la relation de cet agent avec le frère de M. D. semble avoir été avéré sans autre précision sur le modus operandi du fraudeur ayant permis de retarder les délais et ainsi favorisé la mise en liberté d'office de M. D..
La chambre de l'instruction, comme la Cour de cassation se bornent quant à elles à retenir comme élément constitutif de la fraude, l'existence d'une relation litigieuse entre l'agent pénitentiaire et le frère du demandeur, et la suspension puis la révocation dudit agent fraudeur comme la garantie de la réalité de cette fraude.
A en croire les sanctions prises à l'encontre de cet agent pénitentiaire ensuite de l'incident, on ose en effet espérer que l'ensemble des preuves avait été clairement réuni, afin de caractériser la fraude de l'agent ayant opéré sciemment la confusion au dossier de demande de mise en liberté afin de retarder la transcription de celle-ci par le greffe de la chambre de l'instruction.
La nouveauté de l'espèce tenant à la fonction au sein de l'administration pénitentiaire de l'agent ayant organisé la circonstance imprévisible et insurmontable, le critère de l'"extériorité au service de la justice" devait faire son apparition afin d'exonérer l'administration pénitentiaire de sa responsabilité.
II - Le critère de l'extériorité au service de la Justice, nouveau critère jurisprudentiel ?
Au terme de son arrêt, la chambre de l'instruction dépasse les critères habituels de la "circonstance imprévisible et insurmontable", pour y ajouter un nouveau critère tiré le d'extériorité de cette circonstance, lequel critère n'est pas sans rappeler celui de la faute détachable du service de la Justice reprise en matière administrative, autrement dit de la faute dite "personnelle" (3) de l'agent permettant de dégager l'Etat de toute responsabilité, et mise en lumière dans l'un des grands arrêts de la justice administrative dit "Pelletier".
Ainsi la chambre de l'instruction, suivie en ce sens par la Cour de cassation, entend dans cet arrêt préciser que la qualité d'agent de l'administration pénitentiaire ne lie pas pour autant la responsabilité de l'Etat, dans la mesure où cette faute demeurerait "personnelle" à l'agent pour être extérieure au service de la Justice.
La question se pose alors au regard de ce nouveau critère de son appréciation a contrario ? Quid en effet de la faute humaine de l'agent pénitentiaire commis dans le cadre de sa mission de service public ? La libération d'office du demandeur détenu serait-elle alors engagée ?
L'arrêt précité du 4 décembre 2013, semble aller dans ce sens, tant la Chambre criminelle a paru vouloir sanctionner l'absence de prise en charge fautive par le greffier en chef du tribunal du problème technique du dysfonctionnement du télécopieur pendant plusieurs semaines.
L'arrêt du 4 décembre 2013 serait-il un préambule annonciateur de l'arrêt ici commenté, intégrant désormais la possibilité d'une faute humaine propre aux agents du service de la Justice et partant, la nécessaire distinction devant être opérée entre la faute personnelle extérieure au service de la Justice et la faute de service de cet agent.
L'introduction de ce nouveau critère, devra être confirmée par la Cour de cassation qui décidera ou non de le retenir dans ses futurs arrêts.
Néanmoins, il nous semble que, par cet arrêt du 13 janvier 2015, la Chambre criminelle annonce en filigrane, qu'une faute de service de l'agent administratif (greffier pénitentiaire et chambre de l'instruction confondus) ne soit désormais en mesure de repousser les délais du contentieux de la détention, garants des libertés individuelles.
(1) Cass. crim., 4 décembre 2013, n° 13-86.431, F-D (N° Lexbase : A2003KTD).
(2) Cons. const., décision n° 2014-446 QPC, du 29 janvier 2015 (N° Lexbase : A4677NAH).
(3) T. confl., 30 juillet 1873, n° 00035 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1162918, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "T. confl., 30-07-1873, Pelletier, n\u00b0 00035", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A8538BDL"}}) : distinction entre faute personnelle de l'agent public et faute de service de l'administration.
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