Réf. : Loi n° 2014-1545, 20 décembre 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives, art. 48 (N° Lexbase : L0720I7S)
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR, Faculté de droit de Bordeaux
le 17 Mars 2015
La réintroduction de l'hypothèque rechargeable peut alors surprendre. Qu'est ce qui peut légitimer le retour d'une sûreté jugée dangereuse et inutile quelques temps auparavant ? On aurait pu penser que le législateur, afin de justifier cette volte-face, propose une sûreté renouvelée. Il n'en est rien puisqu'à la lecture du nouveau dispositif, il apparaît que le régime juridique de la sûreté reste identique. Le seul point qui change et qui semble, alors, expliquer cette réintroduction étonnante est un domaine d'application singulièrement réduit puisque, désormais, cette sûreté n'est envisageable que dans le cadre de relations professionnelles. La loi du 20 décembre 2014 consacre alors une sûreté dédiée aux professionnels (I) sans que cela induise une adaptation de son régime juridique (II).
I - Une sûreté dédiée aux professionnels
L'hypothèque rechargeable n'est plus une sûreté pouvant être utilisée par tout débiteur car selon la nouvelle rédaction de l'article 2422 du Code civil (N° Lexbase : L0926I7G) : "l'hypothèque constituée à des fins professionnelles par une personne physique ou morale peut être ultérieurement affectée à la garantie de créances professionnelles". Pour la première fois, le législateur s'attache à dédier aux seuls professionnels une sûreté introduite pourtant dans le droit commun des sûretés du Code civil. Uniquement envisageable pour les créances professionnelles, cette sûreté ne peut alors garantir que les crédits qui ont un lien direct avec l'activité principale du débiteur. Cette délimitation soulève alors la pertinence de la démarche consistant à chercher à catégoriser les sûretés en fonction de la qualité des débiteurs.
L'exclusion générale des consommateurs conforte l'idée que la technique du rechargement est perçue comme un procédé dangereux par le législateur. Cette analyse est discutable car le dispositif prévoit un garde-fou. Le rechargement n'est, en effet, envisageable que dans la limite de la fraction disponible de la somme prévue à l'acte constitutif. La prévision contractuelle des parties se trouve donc respectée. Du point de vue du débiteur, le risque pris n'est alors pas plus important que dans le cadre des autres sûretés réelles dont l'hypothèque classique qui est, quant à elle, largement utilisée par les non-professionnels. Par ailleurs, la protection du débiteur est assurée par le type de support écrit imposé, à savoir un acte authentique, qui suppose l'intervention et donc les conseils du professionnel qu'est le notaire. Par un souci de cohérence, le législateur devrait étendre sa logique à la fiducie-sûreté rechargeable qui transpose la technique du rechargement au patrimoine fiduciaire, tout aussi peu utilisée en pratique. Il devrait donc être considéré que la fiducie-sûreté rechargeable n'est ouverte que dans le cadre de créances professionnelles.
Notons que l'hypothèque rechargeable étant aujourd'hui exclue pour les consommateurs, son recours potentiel a été fortement restreint concernant la garantie de crédit à la consommation. Cette hypothèse de recours avait pourtant été utilisée comme argument pour justifier son introduction initiale. Le risque avait été alors dénoncé de voir le logement des ménages engagé de manière excessive pour garantir des crédits à la consommation puisque l'hypothèque rechargeable avait vocation à s'appliquer à tous les immeubles dont le logement familial (3). La protection des ménages avait cependant était prise en considération puisque certains crédits à la consommation, estimés les plus risqués comme le crédit revolving, ne pouvaient pas être garantis par ce type de sûreté réelle.
II - Une sûreté au régime inchangé
Si le domaine d'application de l'hypothèque rechargeable a été redéfini, son régime juridique est resté quant à lui, identique. Le fait que cette sûreté soit aujourd'hui uniquement ouverte pour garantir les créances professionnelles n'a induit aucune adaptation de son régime juridique tel qu'il avait été initialement fixé par l'ordonnance du 23 mars 2006 (4).
La seule petite modification que nous pouvons relever est le complément apporté au dernier alinéa sur la portée de l'ordre public du dispositif législatif "sans préjudice du second alinéa de l'article 1424 (N° Lexbase : L2300IBS), le présent article est d'ordre public et toute clause contraire à celui-ci est réputée non écrite". Cette précision conforte la faculté, qui était déjà acquise sous l'empire du droit antérieur, pour un créancier, de céder son rang d'inscription à un autre créancier prévue à l'article 1424 du Code civil. Le point de rédaction qui avait soulevé un problème d'interprétation lors de l'introduction initiale de l'article n'a pas été modifié. Il s'agissait de la possibilité de rechargement "encore que le premier créancier n'a pas été payé". La controverse portait sur la question de savoir si le rechargement n'était possible que si le premier créancier était totalement désintéressé. L'intérêt technique du procédé suppose une réponse négative : l'affectation peut s'opérer au fur et à mesure du remboursement.
Le nouveau cantonnement de cette sûreté aux professionnels aurait pu justifier de repenser le régime juridique de l'hypothèque rechargeable en termes de souplesse. On peut s'interroger sur la pertinence d'avoir maintenu la portée d'ordre public du régime juridique au détriment de la liberté contractuelle.
Le retour de l'hypothèque rechargeable laisse supposer que, pour le législateur, il s'agit au final d'une sûreté efficace conciliant, à la fois, les intérêts des créanciers et des débiteurs. Globalement, elle se trouve soumise au régime classique de l'hypothèque conventionnelle. Toutefois, le caractère attractif de cette sûreté repose sur les implications liées au rechargement au bénéfice du créancier initial ou d'autres créanciers et qui présente le double avantage de ne pas donner lieu à une taxation et de permettre aux créanciers ultérieurs de profiter de l'ordre d'inscription du créancier originel. Cette technique offre, dès lors, la possibilité d'éviter la lourdeur et les frais de l'inscription d'une nouvelle hypothèque pour garantir des dettes futures. L'avenir permettra de déterminer si, dans la pratique, les professionnels vont développer le recours à cette sûreté qui leur est désormais réservée.
(1) Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX). Cf. Numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 378 du 17 avril 2014 - édition affaires, en particulier G. Piette, Numéro spécial "Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation" : propos introductifs (N° Lexbase : N1807BUH), qui "regrette" la disparition de l'hypothèque rechargeable.
(2) C. civ., art. 2372-1 (N° Lexbase : L2551IE9) et s. et art. 2488-1 (N° Lexbase : L2497IE9) et s..
(3) Rapport de l'inspection générale des finances sur l'hypothèque et le crédit hypothécaire, novembre 2004. Ce danger était limité dans les faits au vu de l'obligation imposée aux établissements bancaires d'évaluer préalablement la solvabilité des emprunteurs : L'hypothèque rechargeable : rétablissement pour les professionnels par la loi du 20 décembre 2014, D., 2015, 69.
(4) M. Dagot, L'hypothèque rechargeable, Coll. Carré Droit, Litec, 2006 ; O. Salvat, De quelques singularités de l'hypothèque rechargeable JCP éd. N, 2012, 1299.
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