La lettre juridique n°600 du 5 février 2015 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Les donations-cessions : une procédure sécurisée par le juge

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2014, n° 370564, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9466M3Y)

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N5800BUD

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par Christian Louit, Professeur agrégé des Facultés de droit et Avocat

le 17 Mars 2015

Le Conseil d'état, par un arrêt du 19 novembre 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2014, n° 370564, mentionné aux tables du recueil Lebon), poursuit la sécurisation des donations-cessions. Cette procédure, qui consiste à faire donation de biens (par exemple de titres de sociétés), en général aux enfants, avant leur cession, permet de faire une économie d'impôts. La donation préalable, soumises aux droits d'enregistrement après abattements, suivie d'une cession pour une valeur identique a pour effet d'effacer une plus-value qui eut été imposable, en cas de vente directe, à la fois à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Ces dernières impositions restent encore, malgré une relative accalmie, à des niveaux trop importants pour ne pas gêner la circulation du capital. Lorsque la cession suit de près la donation, l'administration fiscale a été tentée d'y voir une procédure dont le seul but était d'éluder ou d'atténuer l'impôt, procédure relevant de l'abus de droit (LPF, art. L. 64 N° Lexbase : L4668ICU). Elle y a échoué, ainsi que nous le rappellerons. Elle a, de la même façon, échoué lorsque le Conseil constitutionnel a censuré l'article 19 de la loi de finances, rectificative pour 2012 (Cons. const., 29 décembre 2012, décision n° 2012-661 DC N° Lexbase : A6287IZU), qui prévoyait qu'au cas de cession de titres sociaux reçus en donation moins de 18 mois avant cette cession, la base imposable était déterminée non pas à partir de la valeur déclarée des titres à la donation, mais en retenant la valeur d'acquisition de ces titres par le donateur (valeur cependant majorée des frais afférents à la donation). Un tel mécanisme vidait évidemment, en l'espèce, la donation-cession de ses attraits fiscaux.

Dans sa décision n° 2012-661 DC, du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel censurait ce dispositif au motif notamment que "le critère de la durée séparant la donation de la cession à titre onéreux des valeurs mobilières est à lui seul insuffisant pour présumer de façon irréfragable que la succession de ces deux opérations est intervenue à seule fin d'éluder le paiement de l'imposition des plus-values".

Il restait dans ces conditions à essayer, pour les services fiscaux, de démontrer, lorsque cela n'était pas évident, qu'en réalité, la cession était intervenue avant la donation. C'est ce que règle l'arrêt n° 370564 rendu le 19 novembre 2014 par le Conseil d'Etat, arrêt qui complète heureusement la jurisprudence antérieure.

I - Une jurisprudence désormais classique en matière de donation-cession : la non applicabilité de principe de la théorie de l'abus de droit

L'administration fiscale a, à différentes reprises, remis en cause comme constitutive d'un abus de droit une donation-cession (la donation comme la cession étant des opérations bien entendu réelles).

En effet, ainsi que le rappelle le Conseil d'Etat dans son arrêt du 9 avril 2014 (CE 9° et 10° s-s-r., 9 avril 2014, n° 353822, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1044MKU) : "L'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par les auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales" (1).

Mais, ni dans l'arrêt du 9 avril 2014, ni dans celui du 30 décembre 2011 (CE 8° et 3° s-s-r., 30 décembre 2011, n° 330940, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8311H8C), le Conseil d'Etat n'a accepté l'application de l'abus de droit aux donations-cessions en cause. La donation-cession ne peut avoir un objet exclusivement fiscal car "elle se compose d'un maillon, la donation, qui produit l'essentiel de ses effets sur le terrain civil et non pas fiscal". Ces deux arrêts mettent "par principe toute stratégie de donation-cession à l'abri du grief d'abus de droit par fraude à la loi" (2).

Aux termes de l'article 894 du Code civil (N° Lexbase : L0035HPY) : "La donation, dès lors qu'elle est réelle, voit le donateur se dépouiller actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire, qui l'accepte". Elle ne peut donc être analysée comme n'ayant d'autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer l'impôt.

Différentes réserves ou atténuations apportées aux droits du donataire ne remettent a priori pas en cause, selon le juge, cette jurisprudence : par exemple l'interdiction d'aliéner et de nantir les titres (ou autres biens) pendant la vie des donateurs, l'usufruit conservé par ceux-ci, etc., et ceci contrairement à l'analyse faite par les services.

Restait dès lors aux services fiscaux à tenter de remettre en cause la date de la cession. C'est l'objet de l'arrêt du 19 novembre 2014.

II - Une jurisprudence prudente : l'inversion chronologique cession-donation

La donation est nécessairement préalable à la mutation à titre onéreux, cette dernière ne devant pas avoir été engagée lorsque la donation est consentie (avis du Comité de l'abus de droit fiscal, affaire n° 2013-45). Dans l'espèce tranchée le 19 novembre 2014 par le Conseil d'Etat, la donation est consentie par un couple au profit de leurs enfants, et enregistrée, le 17 octobre 2001. La cession réalisée avait, le lendemain, 18 octobre, été portée au registre des mouvements de titres de la société cédée.

Mais l'administration, au vu de certains éléments antérieurs aux opérations (cautionnement fourni par la société mère de l'acheteur, prêt obtenu correspondant au nombre et à la valeur des titres acquis), tentait de démontrer que la cession était intervenue avant la donation. Cela signifiait, en effet, pour elle, que les parties s'étaient engagées sur le nombre d'actions et sur leur prix avant le 17 octobre, date de la donation enregistrée.

La cession, qui n'avait d'ailleurs pas donné lieu à enregistrement, était parfaite dès lors qu'un accord sur la chose et le prix était intervenu (C. civ., art. 1583 N° Lexbase : L1669ABG) ; et la plus-value de cession était donc calculée en conséquence.

Sans remettre en cause le principe civiliste de l'article 1583, ce à quoi il faudra à l'avenir prendre garde, le Conseil d'Etat a cependant jugé qu'en l'espèce, cet accord sur la chose et le prix ne pouvait résulter d'un simple faisceau d'indices.

Deux remarques peuvent être faites pour conclure :

- dans le cas d'une promesse de vente comportant une condition suspensive, c'est à la date de réalisation de cette condition qu'il faut se placer pour déterminer le fait générateur d'imposition de la plus-value (CE 8° et 3° s-s-r., 28 mai 2014, n° 359911 N° Lexbase : A6339MPH) ;

- depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7), la jurisprudence du 19 novembre 2014 n'a plus d'intérêt pour les cessions d'actions non cotées. L'ordonnance étend, en effet, à ces dernières, la règle applicable aux actions cotées, selon laquelle le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur.

L'accord sur la chose et le prix, auquel il convient de prendre garde, ne conserve d'intérêt que pour l'éventuelle détermination de la date de transfert de parts sociales. La jurisprudence développée est pour le moment plutôt favorable au contribuable.


(1) Ce qui correspond approximativement à la rédaction de l'article L. 64 du LPF telle qu'elle résulte d'une loi du 30 décembre 2008, article 35, I et IX (loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008 N° Lexbase : L3784IC7).
(2) R. Mortier, La donation avant cession in extenso, Dr. Fiscal, n° 39, 25 septembre 2014, comm. 540.

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