La lettre juridique n°572 du 29 mai 2014 : Fiscalité internationale

[Chronique] Chronique spéciale "Asia Tax Forum" - mai 2014

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N2355BUR

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

le 29 Mai 2014

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, qui a assisté à la manifestation Asia Tax Forum organisée à Singapour les 7 et 8 mai 2014. L'Asie, qui devient l'acteur incontournable de l'économie internationale (v. pour un exemple en matière de recherche et développement dans le secteur médical : C. Hecketsweiler, Singapour, un rêve de laboratoire, Le Monde, 10 mai 2014) après cinq cent ans de domination européenne et américaine, est également confrontée à de grands bouleversements des législations nationales : extension de la TVA à l'ensemble du territoire chinois depuis août 2013, introduction d'un impôt sur la consommation en Malaisie, développement de l'e-administration, adaptation du droit interne à la suite du projet "BEPS" de l'OCDE, renégociation des traités bilatéraux... sont autant d'événements permettant de distinguer des tendances générales en Asie (I) avant d'évoquer les particularismes fiscaux locaux (II) depuis l'année 2013. I - Le droit fiscal en Asie : tendances générales

Les débats exposés lors de l'Asia Tax Forum ont eu trait notamment au projet "BEPS" (A), aux prix de transfert (B), aux litiges fiscaux et aux différents modes de résolution dans un cadre international (C) et au développement inégal de l'e-administration en Asie (D).

A - Base erosion and profit shifting ("BEPS")

L'émergence de l'économie numérique, la mobilité du capital et la crise financière de 2008 ont incité l'OCDE à élaborer quinze propositions permettant aux autorités publiques de limiter l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (Base erosion and profit shifting -BEPS). A ce jour, ce plan d'action approuvé par les ministres des Finances du G20 et les membres de l'OCDE -parmi lesquels le Japon, la Corée, l'Australie et la Nouvelle-Zélande- doit être mis en oeuvre en trois phases en septembre 2014, septembre 2015 et décembre 2015. D'autres pays asiatiques non membres de l'OCDE y participent, notamment l'Inde, la Chine et l'Indonésie (1).

L'accent est mis sur l'économie numérique, la prévention de l'utilisation abusive du statut d'établissement stable et les prix de transfert, qui doivent être en phase avec la création de valeur. En effet initialement, l'impôt suivait les flux physiques. Or l'essor du numérique remet ce schéma en cause. Si l'objectif du projet "BEPS" est de limiter les abus des entreprises, il reste souhaitable que les discussions portent sur le terrain technique alors que l'on remarque l'émergence d'un débat beaucoup plus politique dans la discipline aujourd'hui qu'il y a vingt ans. On notera également que l'harmonisation des lois domestiques reste impossible.

Dans le cadre du forum shopping, les travaux de l'OCDE prévoient de redéfinir le préambule du Modèle de convention fiscale de l'OCDE (N° Lexbase : L6769ITU), en limitant son usage en cas d'évasion fiscale.

B - Prix de transfert

Les intervenants de la manifestation ont insisté sur la qualité de la documentation devant être produite par les entreprises concernées par la législation relative aux prix de transfert, sachant que si certains pays vont suivre les recommandations de l'OCDE, d'autres s'en écarteront vraisemblablement.

Dans ce cadre, les directeurs fiscaux de ces entreprises internationales doivent s'interroger sur le futur contentieux qui ne manquera pas de surgir après la clôture de l'exercice. Certaines administrations fiscales sont réputées être très agressives sur ce point : l'Inde en est un exemple topique.

C - Litiges fiscaux : modes de résolution dans un cadre international

Dans la plupart des systèmes fiscaux, la charge de la preuve repose sur le contribuable, ce qui doit l'inciter à présenter à l'appui de sa défense des faits objectifs, crédibles et bien présentés.

Dans ce cadre, les contribuables doivent faire face à des difficultés liées à la prescription, au paiement préalable de l'impôt en litige, au taux d'intérêt appliqué aux rappels d'impôts (10 % à Singapour) beaucoup plus important que le taux d'intérêt servi lorsqu'il y a une restitution d'impôt (0,2 % à Singapour), à la longueur des procédures, à l'existence ou non de chambres spécialisées en matière fiscale au sein des tribunaux, comme par exemple en Thaïlande ou en Indonésie...

Les contribuables, en fonction des pays intéressés, doivent également tenter de cerner les concepts -parfois hautement subjectifs- d'optimisation fiscale, d'évasion fiscale et de fraude fiscale, tout en étant confrontés à des législations anti-évasion fiscale du type Specific anti-avoidance rule (SAAR) ou General anti-avoidance rule (GAAR), que l'on connait à Singapour (Income tax Act, Section 33), d'inspiration australienne et néo-zélandaise. Il y a donc une balance des intérêts à satisfaire entre l'intégrité d'un système fiscal et les demandes légitimes des contribuables qui doivent pouvoir disposer d'une liberté de gestion notamment en matière fiscale.

Dans ce cadre international, une attention doit être portée aux procédures de règlement amiable contenues dans la plupart des conventions fiscales bilatérales modèle OCDE (Modèle OCDE, art. 25 § 1). Si certaines conventions ne prévoient pas de délai de saisine, d'autres mentionnent un délai compris entre trois mois et trois ans, parfois oublié par les entreprises. Beaucoup de demandes de procédures de règlement amiable concernent l'Inde, les administrations japonaises (40 procédures) et coréennes (50 procédures) étant également régulièrement sollicitées.

Enfin, quelques conventions fiscales bilatérales ont prévu un arbitrage (Modèle OCDE, art. 25 § 5). C'est le cas par exemple des traités signés entre les Etats-Unis d'Amérique et la Belgique, le Canada, la France, l'Allemagne et le Japon ; le Japon et Hong-Kong ; le Japon et les Pays-Bas.

D - Développement inégal de l'e-administration selon les Etats

De bonnes politiques publiques doivent reposer sur une bonne administration : la Banque de développement asiatique a étudié le développement de l'e-administration notamment quant à la souscription électronique des formulaires fiscaux. Il est apparu que d'importantes disparités existaient entre les pays de la région.

C'est ainsi qu'en matière d'impôt sur le revenu, Singapour affiche un taux de souscription par voie électronique de 96 %, alors qu'il n'est que de 45 % en Thaïlande.

D'une manière générale, certains Etats sont très en pointe sur cette problématique (Australie, Inde, Corée du Sud, Singapour, Taipei), alors que d'autres sont en retard (Philippines, Indonésie).

II - Evénements majeurs en matière fiscale en Asie depuis 2013 : particularismes propres à quelques Etats

Certains événements majeurs en matière fiscale depuis 2013 font l'objet de développements par la conférence, qui s'appesanti sur la Chine (A), l'Inde (B), la Corée du Sud (C) et la Malaisie (D).

A - Chine

Les impôts indirects représentent 60 % des revenus du Trésor chinois, alors que l'impôt sur les sociétés représente 20 % et l'impôt sur le revenu moins de 6 %. Il est d'ailleurs prévu de réformer l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur le revenu et de renforcer les contrôles fiscaux dans un avenir proche.

L'événement majeur de l'année 2013 est certainement l'extension de la TVA à l'ensemble du territoire national. En effet, la Chine a rejoint le club des 140 pays ayant adopté une de nos fiertés nationales et abandonnant la business tax.

C'est ainsi que la TVA est d'abord entrée en vigueur à Shanghai à compter du 1er janvier 2012, puis à Pékin dès le 1er septembre 2012 et enfin à l'ensemble de la Chine à partir du 1er août 2013. Ce processus de mise en oeuvre par étapes successives s'explique par la difficulté à changer les habitudes d'une population estimée à 1,3 milliards d'individus mais également par le fait que la business tax était collectée en local alors que la TVA est collectée par le pouvoir central.

Cependant, trois secteurs d'activité sont toujours en transition : les télécommunications, l'immobilier et la construction, les services financiers et les assurances.

S'agissant des télécommunications, deux régimes sont en vigueur :
- le régime des données audio, entraînant une TVA au taux compris entre 3 et 11 % ;
- le régime des autres données pour lequel la TVA est de 6 %.

Des difficultés d'application sont à prévoir : quid des ventes mixtes ou de la vente de cartes téléphoniques ? S'agissant des fournisseurs étrangers de services immatériels, comment la taxe sera-t-elle collectée ?

Concernant l'immobilier et la construction, la TVA sera-t-elle applicable sur la marge ou sur le prix de vente ? Une exonération de TVA sera-t-elle applicable sur la revente d'une résidence ou sa location ?

S'agissant des services financiers et des assurances, une interrogation subsiste également concernant le taux applicable ou encore les exemptions pour les prêts interbancaires ou internationaux.

Concernant les traités internationaux, la Chine a signé en août 2013 la Convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, s'associant ainsi aux 56 autres Etats signataires. Elle s'est engagée dans une mise à jour de son réseau conventionnel, riche de 99 traités internationaux bilatéraux et de 10 échanges d'informations. La Chine suit également avec attention les discussions internationales se rapportant au projet "BEPS".

Concernant les prix de transfert, même si cela est assez nouveau depuis une dizaine d'années pour la Chine, qui n'est pas historiquement familière avec les recommandations de l'OCDE dans cette matière, les transactions entre entreprises liées sont scrutées avec de plus en plus d'attention au fur et à mesure que l'administration fiscale chinoise se structure. Les autorités chinoises ont en ligne de mire ces filiales de sociétés qui participent à la chaîne de valeur mais se voient allouer une toute petite part du bénéfice imposable en Chine.

B - Inde

L'administration fiscale indienne poursuit son offensive en matière de prix de transfert dont l'application surprend toujours les entreprises concernées, qui déplorent le temps et les ressources utilisées pour satisfaire une administration très pointilleuse quant à la qualité et la précision des informations demandées. S'agissant des accords préalables en matière de prix de transfert introduits en droit indien depuis le 1er juillet 2012, cinq APA ont été signés depuis lors.

L'Inde réfléchit à l'amélioration de l'efficacité de son système fiscal, notamment par l'instauration d'un impôt sur la consommation (Good and Service Tax), des incitations fiscales pour le secteur informatique ainsi que pour la recherche et le développement, des exonérations fiscales pour favoriser les exportations, la rationalisation du recouvrement de l'impôt, une meilleure utilisation de l'outil informatique...

S'agissant du réseau conventionnel indien, New Delhi a annoncé qu'elle considérait désormais Chypre comme étant un état non coopératif (notification du 1er novembre 2013), pour des raisons liées à l'échange d'informations.

C - Corée du Sud

Les déficits budgétaires et la surveillance des montages du type debt push down ont entraîné une recrudescence des contrôles fiscaux sous l'égide d'une administration fiscale plus agressive. Malgré l'absence de définitions claires et univoques, l'administration fiscale coréenne applique couramment la législation anti-abus en notifiant des droits pour des montants importants. De plus, des demandes d'informations détaillées -notamment quant à la qualité des investisseurs in fine ou encore la production de leurs états comptables- sont exigées de la part de l'administration lorsque les contribuables veulent se prévaloir des stipulations des traités fiscaux bilatéraux.

S'agissant du contentieux fiscal, deux phénomènes remarquables doivent être signalés :
- une fois la procédure administrative terminée, la durée relativement courte du traitement judiciaire d'un conflit fiscal en comparaison avec ce que nous connaissons en France. La juridiction saisie en premier lieu statuera en 6 à 18 mois, puis la Haute cour rendra une décision en moins d'un an, enfin la Cour suprême se prononcera dans un délai compris entre 6 mois et 3 ans selon la complexité du dossier ;
- il est possible de présenter la défense du contribuable au cours d'une audience en recourant à des logiciels de présentation comme Powerpoint, par exemple.

C - Malaisie

Le régime des impôts indirects évolue avec l'introduction, au 1er avril 2015, d'une Good and service tax (GST) au taux de 6 %. Ce prélèvement, que supportera le consommateur final, frappera la consommation locale ainsi que l'importation de biens et de services en Malaisie. Ce nouveau régime a prévu un taux "0", qui autorisera l'imputation d'un crédit d'impôt. Des régimes spéciaux seront introduits concernant notamment les entrepôts et les importations dans le but d'exporter.

L'impact sur les activités des entreprises ne doit pas être sous-estimé notamment quant :
- au cash-flow ;
- aux situations où les factures émises seraient irrécouvrables ;
- aux contrats à long terme ;
- aux coût de conformité sachant que la loi a évidemment prévu des pénalités en cas de violation des obligations des contribuables.


(1) Précisons que la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Inde, l'Indonésie et l'Australie sont membres du G20.

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