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le 07 Octobre 2010
Lexbase : Les actions de préférence sont-elles réellement la copie conforme des preferred shares ?
Maître François Leloup : Pas véritablement. Le droit anglo-saxon étant sensiblement différent du nôtre, il est évident que les nouvelles actions de préférence ne peuvent être strictement identiques et donc avoir le même impact que des preferred shares. Par exemple, s'il est possible de créer des preferred shares dotées de droits de vote multiples aux Etats-Unis, il ne nous semble pas que l'ordonnance du 24 juin 2004 ait ouvert une telle possibilité en droit français.
Maître Angélique Lauprêtre : La pratique française reste encore loin de celle des preferred shares anglo-saxonnes. En effet, aux Etats-Unis, on dénombre pas moins de seize catégories de preferred shares utilisées classiquement par les praticiens. En France, les actions de priorité (qui ont précédé les actions de préférence) sont souvent utilisées dans le cadre d'opérations de capital risque, mais restent circonscrites aux sociétés non cotées. Toutefois, il ne faut pas nier que les possibilités techniques ouvertes par ces titres sont particulièrement intéressantes puisqu'elles permettent de répondre avec précision aux objectifs de chaque catégorie d'actionnaires, en adaptant les caractéristiques, financières ou politiques, de leurs actions à leurs contraintes.
Lexbase : Quels sont les nouveaux avantages, pour la pratique, de ces actions dites de préférence créées par l'ordonnance du 24 juin 2004 ?
Maître François Leloup : Les nouvelles actions de préférence vont apporter une certaine souplesse aux montages juridiques. Il sera désormais possible de créer des actions de préférence sans droit de vote, ou dont le droit de vote sera supprimé pour certaines décisions, ou encore pour une durée déterminée. Jusqu'ici, la suppression du droit de vote n'était possible que dans le cadre des actions à dividende prioritaire sans droit de vote. Dans le même ordre d'idées, le recours aux actions de préférence sera particulièrement intéressant pour les montages de capital risque : il va être plus simple de scinder détention du capital et exercice du pouvoir au sein d'une même structure ou encore d'assurer la cohésion au sein d'un même groupe d'actionnaires. Enfin, sur le terrain de l'efficacité, la pratique a pris la mesure des limites posées à l'exécution forcée des pactes d'actionnaires et pourrait développer un véritable intérêt pour la création d'actions de préférence, qui implique la mise en oeuvre de dispositions statutaires.
Maître Angélique Lauprêtre : Il sera également possible de convertir des actions de préférence en actions ordinaires ou en actions de préférence d'une autre catégorie, ou encore, de convertir des actions ordinaires en actions de préférence ; étant observé que les actions de préférence sans droit de vote ne peuvent représenter plus de la moitié du capital (plus d'un quart dans les sociétés cotées) sous peine de nullité (C. com., art. 228-11 N° Lexbase : L8368GQY). Enfin, innovation et preuve d'un certain pragmatisme, il sera désormais possible de dissocier société émettrice et société au sein de laquelle les droits particuliers sont exercés. Concrètement, une société mère pourra émettre des actions octroyant à leurs détenteurs des droits particuliers exercés directement dans l'une de ses filiales. Cette technique peut, bien entendu, être utilisée réciproquement.
Lexbase : Même s'il est difficile, dès aujourd'hui, d'apporter un point de vue objectif sur ces nouvelles actions, voyez-vous déjà plusieurs points obscurs ?
Maître Angélique Lauprêtre : Il est certain que certaines difficultés d'interprétation des termes de l'ordonnance sont d'ores et déjà identifiables. Les praticiens mettant en oeuvre les nouvelles dispositions de l'ordonnance dans le cadre de montages créatifs resteront tenus par les grands principes du droit des sociétés. Par exemple, travaillant sur les privilèges attachés à une catégorie d'actions de préférence, la pratique ne pourra s'affranchir de la prohibition des clauses léonines (C. civ., art. 1844-1 [LXB=L2021ABH ]).
Maître François Leloup : Sans faire preuve de timidité ou de prudence excessive, il conviendra de respecter le cadre qui nous est donné. Par exemple, la faculté d'aménager le droit de vote pose la question du droit de vote plural. Après avoir affirmé le principe de liberté de l'aménagement du droit de vote, l'ordonnance fait référence au principe de proportionnalité du droit de vote à la quotité du capital détenu, nous laissant ainsi dans un certain embarras. Il sera intéressant, à ce titre, de voir la position et la liberté prise par les praticiens sur cette question.
Lexbase : Les difficultés d'interprétation de l'ordonnance ont-elles déjà commencées ?
Maître François Leloup : Oui, une réponse ministérielle (QE n° 43987 de Mme Grosskost Arlette, JOANQ 20 juillet 2004 p. 5453, min. just., réponse publ. 24 août 2004 p. 6685, 12e législature N° Lexbase : L4559GTZ) vient de traiter d'une difficulté d'interprétation concernant l'application de la procédure relative aux avantages particuliers lors de l'émission d'actions de préférence. La position retenue par le Garde des Sceaux, à savoir que cette procédure vise "les actionnaires déjà existants et les actionnaires qui le deviennent au moment de la souscription à condition toutefois que ces actionnaires soient nommément désignés", ne va pas dans le sens de la plus grande libéralité, et l'on peut d'ores et déjà le regretter. C'est la première difficulté, mais sûrement pas la dernière.
Propos recueillis par Damien Mancel
SGR - Droit boursier et financier
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