Réf. : Décret n° 2004-836 du 20 août 2004, portant modification de la procédure civile (N° Lexbase : L0896GTD)
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le 07 Octobre 2010
Cette particularité explique sans doute en grande partie l'exigence légale d'avoir recours à des avocats maîtrisant parfaitement la technique du pourvoi en cassation. Cette exigence est posée par l'article 973 du NCPC (N° Lexbase : L1800ADZ), aux termes duquel "les parties sont tenues, sauf disposition contraire, de se constituer un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation". Ainsi que l'exprime clairement ce texte, le ministère d'avocat est donc en principe obligatoire devant la Cour de cassation. Cependant, une disposition particulière peut toutefois écarter une telle exigence. Tel était précisément le cas en matière prud'homale, l'article R. 517-10 du Code du travail (N° Lexbase : L8829ACY) précisant qu'en cette matière, "le pourvoi en cassation est formé, instruit et jugé suivant la procédure sans ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation".
Cette exception au régime de droit commun se justifiait par le souci d'assurer un meilleur accès des salariés à la justice et, plus particulièrement, pour les plus démunis d'entre eux. Un salarié pouvait donc, sans aucune aide, déposer un mémoire devant la Chambre sociale de la Cour de cassation. Louable en son principe, cette dispense d'avocat n'en demeurait pas moins problématique dans ses conséquences, à au moins deux égards. Pour le salarié tout d'abord, elle conduisait souvent à l'échec du pourvoi en raison de la difficulté bien compréhensible de faire la distinction entre ce qui relève des faits et ce qui a trait au droit. Ensuite, cette dispense était de nature à engorger la Cour de cassation, l'avocat à la Cour de cassation opérant de fait un tri des affaires, en évaluant les chances du pourvoi et en mettant en forme les moyens. Cela explique en grande partie pourquoi un certain nombre de personnalités particulièrement autorisées, au premier rang desquelles figurent beaucoup de Présidents de la Chambre sociale de la Cour de cassation, avaient appelé de leur voeux la réforme opérée par le décret du 20 août 2004 (Cf. par ex., G. Gélineau-Larrivet, Quelques réflexions sur les conseils de prud'hommes et la procédure prud'homale : Mél. offerts à Pierre Drai, Dalloz 2000, p. 343. V. aussi, Cour de cassation, Rapport pour 2000, Doc. française 2001, p. 23 ; suggestion au législateur rappelée dans le Rapport pour 2001).
En rendant le ministère d'avocat à la Cour de cassation obligatoire en matière prud'homale, le décret commenté vient donc exaucer ces voeux. Il va de soi que cette réforme sera diversement appréciée. Les partisans de ce changement, aux côtés desquels on peut raisonnablement se ranger, ne manqueront pas d'avancer qu'avec l'aide d'un avocat spécialisé, le justiciable accroît grandement ses chances de voir son pourvoi aboutir devant la Cour de cassation. En outre, et ainsi que nous le relevions précédemment, cela conduira à un filtrage des pourvois et contribuera, par là-même, à désengorger la Cour de cassation. A rebours, les adversaires de la réforme pointeront certainement son caractère inégalitaire, en ce qu'elle conduit à interdire de fait le pourvoi en cassation aux justiciables les plus démunis financièrement. Cet argument doit cependant être relativisé. D'une part, en effet, une telle inégalité existait antérieurement dès lors qu'une seule des parties, en demande ou en défense, pouvait avoir recours au ministère d'avocat au Conseil. D'autre part, on peut espérer que cette réforme s'accompagnera d'une révision des barèmes de l'aide juridictionnelle et que, de leur côté, les avocats au Conseil pourront négocier avec les syndicats de salariés une politique de modération et prévoir pour les salariés des tarifs plus "doux" (v. en ce sens, Sem. soc. Lamy, n° 1181, p. 4).
Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV
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