Lexbase Fiscal n°554 du 16 janvier 2014 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] Comptabilisation des avantages en nature : pas de traitement différencié pour le dirigeant !

Réf. : CE 8° et 3° s-s-r., 26 décembre 2013, n° 359497, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9184KSX)

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 16 Janvier 2014

Ah, la comptabilité ! Ah, les obligations déclaratives ! Tous ces petits tracas de la vie quotidienne d'une entreprise, qui ne laissent pas la place à l'erreur humaine, intention mauvaise ou pas, sont, depuis toujours, très critiqués. Et pourtant, il n'est pas question de simplifier ces dispositifs, mais plutôt de les complexifier davantage, en augmentant la charge administrative des sociétés pour permettre à l'administration d'en savoir plus, toujours plus. Cette dernière dirait que ces obligations facilitent le contrôle fiscal, et permettent à chacun de gagner du temps. Les entreprises diront qu'elles sont forcées de recourir à l'expertise de comptables et de fiscalistes uniquement dans le but de produire une déclaration de résultat, et qu'il s'agit d'une perte de temps et d'argent. Parmi la foule de déclarations fiscales à produire, pèse sur l'entreprise l'obligation de déclarer, séparément, les avantages en nature consentis à son personnel. Qui dit personnel pense au personnel salarié. Que nenni, répond le Conseil d'Etat ! Le personnel a une définition qui dépasse le contrat de travail, et comprend le dirigeant, qu'il soit salarié ou non, qu'il soit associé ou non, qu'il soit majoritaire ou non. Si les hommes sont tous égaux devant la mort, ils le sont aussi devant les obligations déclaratives. C'est ce que nous rappelle le Conseil d'Etat dans une décision du 26 décembre 2013. En l'espèce, une SARL, qui a pour activité le conseil financier et de gestion aux entreprises, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a réintégré dans son bénéfice imposable des avantages occultes au profit de son gérant. Ce dernier a bénéficié d'un avantage en nature "logement", que la société a comptabilisé indistinctement dans ses frais généraux. Là se trouve l'erreur.

Dans un premier moyen, de peu d'intérêt, la société soutient que la question de l'avantage en nature "logement" consenti à son gérant majoritaire a été abordée avec celui-ci alors qu'il était en discussion avec un autre vérificateur dans le cadre du contrôle d'une autre société. Selon elle, ce sujet nécessitait un débat plus approfondi, ce qui a pour conséquence que la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet est irrégulière, faute de véritable débat oral et contradictoire. Ce moyen est écarté par le juge, qui constate que la question a été soulevée au moins une fois pendant le contrôle. Le débat oral et contradictoire a donc eu lieu.

I - Le dirigeant d'entreprise, un membre du personnel comme les autres

Le deuxième alinéa de l'article 54 bis du CGI (N° Lexbase : L0684IPZ) dispose que les entreprises inscrivent obligatoirement en comptabilité, sous une forme explicite, la nature et la valeur des avantages en nature accordés à leur personnel. En cas de violation de cette règle, qu'elle soit intentionnelle ou non (cas d'infraction matérielle), une amende fiscale égale à 5 % des sommes omises, calculée par personne (CGI, art. 1763 N° Lexbase : L9546IY9). Outre la déclaration de résultat, la liasse fiscale que doit déposer toute entreprise comprend de nombreuses annexes. Parmi celles-ci, le relevé de frais généraux était au centre des réflexions de la décision du 26 décembre 2013, ici commentée. En effet, l'article 54 quater du CGI (N° Lexbase : L3345IGY) prévoit que les entreprises apportent à leur déclaration fiscale annuelle le relevé détaillé des six catégories de dépenses visées au 5 de l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH) et dont le montant dépasse ceux prévus à l'article 4 J de l'annexe IV au CGI (N° Lexbase : L4411IQG). Il s'agit des dépenses suivantes :

- les rémunérations directes et indirectes, y compris les remboursements de frais versés aux personnes les mieux rémunérées, lorsqu'elles dépassent le montant de 300 000 euros ou 150 000 euros pour l'ensemble des rémunérations directes ou indirectes versées aux dix ou cinq personnes les mieux rémunérées, suivant que l'effectif du personnel dépasse ou non 200 salariés, ou 50 000 euros pour l'une d'entre elles prise individuellement ;
- les frais de voyage et de déplacements exposés par ces personnes, si leur montant dépasse 15 000 euros ;
- les dépenses et charges afférentes aux véhicules et autres biens dont elles peuvent disposer en dehors des locaux professionnels, si leur montant excède 30 000 euros au total ;
- les dépenses et charges de toute nature afférentes aux immeubles qui ne sont pas affectés à l'exploitation si leur montant est supérieur à 3 000 euros ;
- les cadeaux de toute nature, à l'exception des objets de faible valeur conçus spécialement pour la publicité pour les cadeaux de toute nature, à l'exception des objets spécialement conçus pour la publicité et dont la valeur unitaire ne dépasse pas 65 euros, toutes taxes comprises, par bénéficiaire ;
- les frais de réception, y compris les frais de restaurant et de spectacles, si leur montant dépasse 6 100 euros.

Il existe ainsi un imprimé spécial destiné à recueillir ces informations : le "relevé de frais généraux n° 2067" (CERFA n° 11093). Ce dernier est produit en un seul exemplaire, daté, signé et joint à la déclaration des résultats.

Ces dispositions ont l'air précises, et pourtant elles ont soulevé plusieurs questions, auxquelles le juge a répondu. Le Conseil d'Etat a, tout d'abord, estimé que l'absence de mention de l'avantage en nature dans ce relevé n'a aucune influence sur sa qualification (CE 9° et 8° s-s-r., 13 mai 1991, n° 67488, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0867AIX). Il a, ensuite, précisé quelles étaient les conséquences fiscales de cette omission, outre l'application de l'amende de l'article 1763 du CGI. En effet, en l'absence de comptabilisation distincte, les avantages en nature ne sont pas déductibles des résultats. Il est considéré qu'ils revêtent un caractère occulte, au sens de l'article 111, c du CGI (N° Lexbase : L2066HL4) (CE 9° et 8° s-s-r., 2 février 1996, n° 127833, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7542ANN).

Le 26 décembre 2013, la Haute juridiction administrative rappelle une solution déjà énoncée dans une décision du 24 mars 2006 (CE 9° et 10° s-s-r., 24 mars 2006, n° 260787, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7792DNW), mais l'élève au rang des arrêts mentionnés aux tables du recueil Lebon. Cette solution a trait à la définition du terme "personnel", contenu dans le deuxième alinéa de l'article 54 bis du CGI. Voici le considérant de principe : "une société qui comptabilise indistinctement, dans son compte de frais généraux, des avantages en nature accordés à des membres de son personnel et qui, revêtant de ce fait un caractère occulte, sont constitutifs pour ceux-ci de revenus distribués, ne peut elle-même les soustraire de son bénéfice imposable [...] le gérant d'une société à responsabilité limitée, qu'il soit associé majoritaire ou non, qu'il soit ou non lié à la société par un contrat de travail pour des fonctions indépendantes de la gérance, doit être regardé comme appartenant au personnel de la société pour l'application de ces dispositions". Deux éléments sont à souligner : d'une part, le Conseil d'Etat rappelle la solution dégagée par l'arrêt du 2 février 1996, précité, à savoir qu'en l'absence de comptabilisation correcte des avantages en nature, ces derniers sont considérés comme des avantages occultes ; d'autre part, il précise que le terme "personnel" employé par l'article 54 bis du CGI, relatif à l'obligation déclarative des avantages en nature, concerne aussi ceux accordés aux dirigeants d'entreprise. Pour rappel, ces derniers ne peuvent bénéficier de tels avantages qu'avec l'autorisation expresse et préalable du conseil d'administration. L'approbation ultérieure des comptes ne vaut pas autorisation (CAA Bordeaux, 3ème ch., 10 avril 2001, n° 98BX00407, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1508BEL).

Quel dirigeant fait partie du personnel ? Tous ! En l'espèce, il s'agissait d'un gérant de SARL, c'est pourquoi l'arrêt reprend ces termes, mais en réalité, cela s'applique à toutes les sociétés de capitaux (à l'exclusion donc des sociétés de personnes, dont l'impôt sur les résultats est dû par leurs associés au prorata de leur participation au capital social), les sociétés anonymes, les SARL n'ayant pas opté pour le régime des sociétés de personnes, les EURL, les SAS, les sociétés en commandite pour la part des commanditaires, etc.. Les gérants de toutes ces structures font partie du personnel de la société, peu importe qu'ils soient associés ou non, qu'ils soient salariés ou non.

Cette solution n'était pourtant pas évidente. La société requérante s'est fondée sur une analogie qu'elle a opérée avec un régime particulier, celui des investissements outre-mer (CGI, art. 199 undecies A N° Lexbase : L2544IYU). En effet, dans le cadre de ce régime, l'article 46 AG undecies de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L9858HM3) prévoit une définition spécifique de la notion de personnel, laquelle est la suivante "le personnel des organismes publics ou privés [...] s'entend des personnes employées par ces organismes et dont les rémunérations principales entrent dans la catégorie des traitements et salaires au sens de l'article 79 du CGI [lequel est relatif aux traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères]". Outre le caractère douteux de cet argument, les dispositions invoquées ne traitant en aucun cas de manière différente les salariés des dirigeants, il n'était pas pertinent. En imaginant même que l'argument de la société soit fondé, cette règle a un caractère particulier, qui déroge au général, sans l'influencer. Ce principe de droit général s'applique évidemment aussi à la matière fiscale, peu importe qu'elle se flatte de son indépendance par rapport aux autres sources du droit.

S'il est difficile d'inventer des arguments pour rejeter la solution dégagée par le Conseil d'Etat, solution qui, en outre, avait déjà été édictée en 2006, une voie est ouverte par l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM), relatif à la garantie contre les changements de doctrine. Cet article, usé par les contentieux dans lesquels il est invoqué pour sauver un contribuable, permet à ce dernier d'opposer à l'administration fiscale sa propre doctrine, celle qu'elle a édictée, et qui va à l'encontre des règles qu'elle a retenues pour fonder un redressement fiscal. En effet, dans sa documentation administrative (voir le BoFip - Impôts, BOI-SJ-RES-10-10-10-20130718 N° Lexbase : X5664ALD), le service édicte, au paragraphe 190, que les notices, imprimés et formulaires de déclaration lui sont opposables. Or, la notice accompagnant le relevé des frais généraux, dont nous avons parlé plus haut (n° 2067 ; CERFA n° 11093) comporte, dans sa notice, l'indication suivante, concernant les personnes dont les avantages en nature doivent apparaître : "les personnes n'ayant pas la qualité de salarié, telles que gérants majoritaires de sociétés à responsabilité limitée, gérants de sociétés en commandite [...] doivent être comprises éventuellement parmi les personnes les mieux rémunérées". Est-il fait mention des gérants de SARL non majoritaires ? Non. Des gérants de SA ? Non. Certes, l'argument est mince. Mais, après tout, aucune autre mention, dans toute la doctrine administrative, ne prévoit de règle contraire. En effet, dans le BoFip - Impôts, il existe une doctrine relative aux "Rémunérations des salariés autres que le conjoint de l'exploitant individuel ou de l'associé d'une société - Avantages en nature ou en argent" (voir BOI-BIC-CHG-40-40-30-20130408 N° Lexbase : X8600AL4), une relative aux "Rémunérations de l'exploitant individuel, des associés de sociétés et des membres de leurs familles et charges sociales correspondantes" (voir BOI-BIC-CHG-40-50-20120912 N° Lexbase : X7101ALL), une autre portant sur "RSA - Rémunérations allouées aux gérants et associés de certaines sociétés - Détermination du montant net imposable des rémunérations et obligations des contribuables" (voir BOI-RSA-GER-20-20120912, notamment les paragraphes 240 et suivants N° Lexbase : X3895ALT), une autre sur "RSA - Base d'imposition des traitements, salaires et revenus assimilés - Détermination du revenu brut - Evaluation des avantages en nature" (BOI-RSA-BASE-20-20-20130715, notamment le paragraphe 100 N° Lexbase : X7459ALT), une sur (voir BOI-BIC-DECLA-30-10-10-30-20130715, notamment le paragraphe 120 N° Lexbase : X7465AL3) et une dernière sur "BIC - Obligations déclaratives communes - Déclaration annuelle des traitements et salaires" (voir BOI-BIC-DECLA-30-70-10-20130715, notamment le paragraphe 290 N° Lexbase : X6635ALC), mais rien ne concerne l'inclusion, dans le relevé des frais généraux, des avantages en nature consentis aux gérants de sociétés de capitaux, quel que soit leur statut. Peut-on en déduire que la décision rendue par le Conseil le 26 décembre 2013 (ainsi que celle de 2006) est contraire à la doctrine administrative ? C'est une piste qui aurait pu être explorée.

II - L'avantage occulte au profit du dirigeant d'entreprise, une double peine fiscale

Le Conseil d'Etat l'indique expressément dans son considérant de principe, l'absence de mention des avantages en nature dans le relevé des frais généraux entraîne la qualification de ces derniers d'avantages occultes (CGI, at. 111 c). Cette qualification est grave. En effet, elle entraîne une double peine fiscale : d'une part, la société n'est plus autorisée à déduire de son résultat fiscal la valeur des avantages en nature. De son côté, le dirigeant, bénéficiaire de ces avantages, est imposé sur leur valeur dans le cadre de sa déclaration d'impôt sur le revenu. Il est à noter qu'en principe, face à des avantages occultes, l'administration doit demander à la société de lui indiquer le nom de leurs bénéficiaires (CGI, art. 117 N° Lexbase : L1784HNE). Si elle ne le fait pas, il est présumé que c'est le dirigeant qui les a appréhendés, et la société supporte une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées, ramenée à 75 % si les sommes ont été incluses dans le résultat imposable de la société (CGI, art. 1759 N° Lexbase : L1751HN8). Dans l'espèce de l'arrêt commenté, l'administration sait déjà que les avantages ont bénéficié au dirigeant, il n'y a donc pas lieu de faire application ni de l'article 117, ni de l'article 1759.

Le montant équivalent à la valeur réelle des avantages en nature consentis au dirigeant est donc imposé à l'impôt sur le revenu dû par le dirigeant d'entreprise. Ceci ne correspond pas vraiment à une "peine", puisque de toute façon, ces avantages entrent, lorsqu'ils sont correctement comptabilisés, dans l'assiette de l'IR du dirigeant. En effet, l'article 82 du CGI (N° Lexbase : L1172ITL) prévoit que la rémunération des dirigeants prend en compte tous les avantages en nature ou en argent. Les avantages en nature suivent le régime fiscal de la rémunération principale, ils sont donc imposables soit au titre des traitements et salaires, soit au titre de l'article 62 du CGI (N° Lexbase : L2354IBS) qui concerne, notamment, les gérants de SARL majoritaires, et qui prévoit que ces traitements entrent dans l'assiette de l'IR du gérant s'ils ont été déduits du résultat imposable de la société. Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de reprendre ces principes dans un arrêt ancien, datant du 11 mai 1984 (CE 7° et 9° s-s-r., n° 47658, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6989ALG), par lequel il décide que l'avantage en nature est qualifié de supplément de salaire et imposé au nom du dirigeant comme tel même s'il est réintégré dans les résultats imposables de la société en tant que rémunération occulte.

La double peine provient de ce que la société n'est pas autorisée à déduire de son résultat imposable les sommes correspondant à des avantages occultes. Ces sommes sont imposées dans son résultat fiscal. Il en résulte une double imposition économique (puisque l'impôt est payé deux fois sur la même somme, mais pas par la même personne).

Au final, l'omission de déclaration des avantages en nature perçus par les gérants sur le relevé des frais généraux entraîne deux conséquences dommageables :
- l'application automatique d'une amende égale à 5 % des sommes omises ;
- la qualification des sommes d'avantages occultes, dont le montant est réintégré au résultat imposable de la société.

Cette dernière étant responsable des déclarations fiscales qu'elle dépose, il est au moins normal que les conséquences fâcheuses d'une omission déclarative pèsent sur elle, et non sur le dirigeant.

Décision

CE 8° et 3° s-s-r., 26 décembre 2013, n° 359497, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9184KSX).

Rejet (CAA Paris, 10ème ch., 13 mars 2012, n° 10PA05496 N° Lexbase : A6715IIK).

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