Le Quotidien du 14 mars 2025 : Sociétés

[Commentaire] Premières observations sur l’ordonnance réformant les nullités en droit des sociétés

Réf. : Ordonnance n° 2025-229, du 12 mars 2025, portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés N° Lexbase : L8615M8L

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N1865B3H

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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre

le 13 Mars 2025

Mots-clés : sociétés • nullité des décisions sociales • causes de nullité • régime de la nullité • triple test

L’ordonnance commentée apporte de profondes modifications au régime de la nullité tant de la société elle-même que des décisions sociales. Si l’habilitation du Gouvernement devait conduire à renforcer la sécurité juridique, il n’est pas certain que l’on y parvienne dès lors que l’on choisit d’augmenter les causes de nullité et d’accroître considérablement le rôle du juge, sans profiter par ailleurs de l’occasion pour détailler davantage les mécanismes de régularisation.


 

1. Habilitation. La loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France avait habilité le Gouvernement N° Lexbase : L6590MSU à prendre par voie d'ordonnance  dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation du texte les mesures relevant du domaine de la loi permettant « De simplifier et de clarifier le régime des nullités en matière de droit des sociétés, afin de renforcer la sécurité juridique de la constitution des sociétés, de leurs actes et délibérations ainsi que des règles qui y sont exposées ». Cette habilitation expirait donc le 13 mars 2025, et c’est au Journal officiel de ce dernier jour de vie de l’habilitation que l’ordonnance attendue a été publiée.

2. Objectifs de la réforme. Il était ainsi question de « clarifier le régime des nullités », « afin de renforcer la sécurité juridique », ce que l’on était tenté de lire comme la promesse d’une réduction des risques d’annulation. C’est d’ailleurs ce que le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance indique : « Le premier objectif poursuivi est celui de la sécurisation des décisions sociales, et du cantonnement des nullités susceptibles de les affecter » [1]. On verra que l’objectif est sans doute loin d’être atteint…

3. Entrée en vigueur. Les nouvelles règles s’appliquent à compter du 1er octobre 2025. Il est en revanche prévu que la disposition visant la nullité pour défaut de désignation d’un auditeur de durabilité (art. 67) entre en vigueur à compter du 1er janvier 2027. Une question délicate sera de savoir si le nouveau régime s’appliquera à la nullité des actes accomplis antérieurement à son entrée en vigueur. Il nous semble que c’est le régime de nullité applicable lorsque l’acte a été accompli qui doit trouver à s’appliquer, dès lors que la validité d’un acte juridique (et donc le régime de sa nullité) s’apprécie au jour de la constitution de cet acte. Dit autrement, la nullité d’un acte accompli avant l’entrée en vigueur de la réforme devrait rester régi par le régime ancien des nullités. Mais la question se révélera peut-être plus complexe, en ce que certains aspects du régime des nullités – on pense au « triple test » notamment – se présentent sous un jour plus procédural et pourrait voir s’appliquer le régime en vigueur au jour où le juge statue…

I. Modifications du droit commun des nullités

4. Suppression des articles L. 235-1 N° Lexbase : L8612LQZ et suivants du Code de commerce. Le Code civil devient le seul siège des règles générales encadrant les nullités, puisque les articles L. 235-1 à L. 235-14 du Code de commerce sont abrogés. N’est ainsi pas repris l’article L. 235-14 qui prévoyait la nullité des délibérations des organes de direction et d’administration en cas d’absence de procès-verbal (C. com., art. L. 235-14 N° Lexbase : L3170DY3).

5. Nullité de la société. La nullité de la société elle-même est rendue plus difficile à obtenir, notamment par la suppression de la référence aux « causes de nullité des contrats en général » à l’article 1844-10 du Code civil N° Lexbase : L8683LQN.

6. Accroissement des sources de nullité. Une première révolution vient du fait que les actes et délibérations des sociétés civiles et commerciales pourront désormais être annulés beaucoup plus largement. Précédemment, le dispositif était complexe parce qu’il limitait formellement les nullités en visant plusieurs corps de textes précis et en requérant pour les sociétés commerciales que la nullité soit prévue par une « disposition expresse » lorsque l’acte concerné avait emporté modification des statuts. Existaient des disparités peu justifiées, comme le fait que l’acte modifiant les statuts d’une société commerciale ne pouvait être annulé que si une disposition prévoyait expressément la nullité, tandis que le même acte réalisé dans une société civile était annulable plus largement et sans que soit exigée une disposition expresse. Désormais, la disposition clé est le 3ème alinéa de l’article 1844-10 du Code civil qui disposera que « La nullité des décisions sociales ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative de droit des sociétés, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833, ou de l'une des causes de nullité des contrats en général ».

7. Imprécision et accroissement du risque de nullité. On a bien lu : la nullité suppose la violation d’une « disposition impérative de droit des sociétés », dont on ne sait pas avec certitude ce que c’est, et le verrou de la disposition expresse saute, ce qui fait que les décisions sociales modifiant les statuts des sociétés commerciales pourront être annulées beaucoup plus largement que précédemment…

8. Régularisation. La régularisation n’a pas vu son régime détaillé ou clarifié. Son champ d’application est cependant étendu au cas où la nullité est fondée sur l'illicéité de l'objet social. Le dispositif d’action interrogatoire prévu en cas de nullité pour vice du consentement ou incapacité d’un associé (C. civ., art. 1844-12N° Lexbase : L2032ABU), sans doute très peu utilisé, est quant à lui abrogé.

9. Triple test. Une mesure phare de la réforme est incontestablement le triple test introduit par le nouvel article 1844-12-1 du Code civil. Pour que la nullité des décisions sociales soit prononcée, le juge devra vérifier trois conditions :

  • 1) que « le demandeur justifie d'un grief résultant d'une atteinte à l'intérêt protégé par la règle dont la violation est invoquée », ce qui semble faire double emploi avec l’intérêt à agir ;
  • 2) que « l'irrégularité a eu une influence sur le sens de la décision », ce qui se rapproche du critère introduit par la jurisprudence récente de la Chambre commerciale de la Cour de cassation (qui visait l’irrégularité « de nature à influer sur le résultat du processus de décision » [2]) ;
  • 3) que « les conséquences de la nullité pour l'intérêt social ne sont pas excessives, au jour de la décision la prononçant, au regard de l'atteinte à l'intérêt dont la protection est invoquée ». On retrouve une règle proche de ce que la réforme issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L7445MSK a prévu pour l’exécution forcée du contrat [3].

Il est certain que ce mécanisme devrait contribuer à réduire les cas dans lesquels la nullité sera prononcée. Maintenant, on peut être critique à l’égard d’un système qui accroît le rôle du juge, là où la sécurité juridique devrait commander pour les sociétés de ne pas devoir se soumettre au parcours judiciaire et à ses délais, s’agissant d’identifier si une décision sociale est valable ou non. Il est certes possible que des décisions de la Chambre commerciale de la Cour de cassation viennent dans les prochaines années préciser et cadrer ce mécanisme, mais on pourra s’étonner de cette délégation au juge.

10. Prescription. Le délai de droit commun de la prescription passe de trois ans à deux ans, le point de départ demeurant le jour où la nullité est encourue. Rien n’est dit en revanche sur l’exception de nullité, ni sur une possible incidence sur les délais en cours lors de l’entrée en vigueur de la réforme. On comprend qu’ils ne devraient pas être raccourcis si les actes accomplis avant le 1er octobre 2025 demeurent soumis au régime ancien.

11. Liquidation. En cas de nullité de la société, il est procédé à sa liquidation en faisant une application systématique du régime de la liquidation des sociétés commerciales, y compris lorsque la société est une société civile, ce qui est étonnant (C. civ., art. 1844-15 modifié).

12. Composition irrégulière d’un organe. Une mesure très utile est inscrite au nouvel article 1844-15-1 du Code civil, qui généralise une règle que l’on rencontrait jusqu’à présent ici ou là dans le Code de commerce : « sauf disposition législative contraire, la nullité de la nomination ou le maintien irrégulier d'un organe ou d'un membre d'un organe de la société n'entraîne pas la nullité des décisions prises par celui-ci ».

13. Nullité pour l’avenir. Sur les effets de la nullité, une autre règle utile est inscrite au nouvel article 1844-15-2 : « Lorsque la rétroactivité de la nullité d'une décision sociale est de nature à produire des effets manifestement excessifs pour l'intérêt social, les effets de cette nullité peuvent être différés ». Il devient donc possible au juge de prononcer une nullité mais qui ne produira ses effets que pour l’avenir.

II. Modification du droit spécial des sociétés commerciales

14. Exclusion du triple test. De nombreuses dispositions du régime spécial des sociétés commerciales sont modifiées. Une modification récurrente consiste à écarter le triple test introduit à l’article 1844-12-1 du Code civil. Celui-ci ne peut donc être appliqué à toute une série de situations, qui vont de la transformation d’une SARL en SNC ou en commandite sans l’accord unanime des associés (C. com., art. L. 223-43) au non-respect de la politique de rémunération de la société cotée (C. com., art. L. 22-10-8), en passant par la nomination irrégulière d’un administrateur de SA (C. com., art. L. 225-18).

15. Augmentations de capital dans les sociétés par actions. Le droit des augmentations de capital dans les sociétés par actions connaît quelques évolutions. La prescription est notamment encadrée par un nouvel article L. 225-149-4 du Code de commerce, qui fait varier le point de départ du délai de trois mois, selon que l’opération a fait ou non l’objet d’une délégation de pouvoirs ou de compétence. Il est par ailleurs prévu, dans les sociétés dont les titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un SMN, que l'action en nullité portant sur une décision d'augmentation de capital autre que réservée n'est plus recevable à compter de la réalisation de l'opération.

16. Ouverture des nullités dans les SAS... et suppression de la jurisprudence Larzul 2 ! Un nouvel article L. 227-20-1 du Code de commerce dispose à propos de la SAS, première forme de société commerciale utilisée, que « Les statuts peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation des règles qu'ils ont établies. L'action en nullité est alors mise en œuvre dans les conditions prévues par les articles 1844-10-1 à 1844-17 du Code civil ». Cette mesure apparaît très inopportune en ce qu’elle pourrait conduire à une explosion du risque de nullité si la clause en question venait à être utilisée systématiquement par les rédacteurs des statuts des SAS, puisque toute violation des statuts d’une SAS pourrait donc être sanctionnée par une nullité… Le triple test trouvera ici toute son utilité ! Mais on comprend davantage l’intention du législateur lorsque l’on constate qu’il est procédé à la suppression du dernier alinéa de l’article L. 227-9 du Code de commerce N° Lexbase : L2484IBM, qui dispose que « Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé » et qui avait servi de fondement à l’arrêt Larzul 2 [4]. La Cour de cassation avait jugé, par cette importante décision, que « l'alinéa 4 de l'article L. 227-9 du Code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d'en poursuivre l'annulation ». La suppression du texte fondant la solution devrait entraîner la disparition de cette possibilité de fonder la nullité d’une décision collective des associés de SAS sur une violation des statuts… sauf à retrouver cette nullité en insérant dans les statuts la clause désormais autorisée par le nouvel article L. 227-20-1 du Code de commerce. Voici une belle réflexion à mener pour les plus de 1,7 million de SAS existant aujourd’hui en France.

17. Défaut de désignation régulière d’un auditeur de durabilité. L’article L. 821-5 du Code de commerce est par ailleurs réécrit, pour sanctionner par la nullité le défaut de désignation ou la désignation irrégulière non seulement du CAC, comme précédemment, mais également de l’« auditeur des informations en matière de durabilité » « lorsque leur mission leur est confiée par la loi ou le règlement ». Cette évolution n’est cependant applicable qu’à compter du 1er janvier 2027, ce qui ne s’explique pas de manière évidente, au-delà de l’écho avec le possible report partiel de l’application de l’ordonnance [5]transposant la Directive CSRD [6]. Il aurait été souhaitable que le législateur clarifie la question de la sanction du défaut de désignation du CAC chargé de la certification des informations sur la durabilité, qui nous semble exclue, ainsi que l’ont affirmé récemment tant la CNCC [7] que l’ANSA [8].

18. Autres mesures. Différents textes sont par ailleurs retouchés pour faire d’une nullité formellement obligatoire une nullité facultative. On notera aussi qu’un renvoi est opéré aux articles 1844-10 à 1844-17 du Code civil pour sanctionner la convocation irrégulière d’une assemblée d’obligataires, ce qui est utile car ce n’est pas des décisions d’une société dont il est question. Les valeurs mobilières composées voient encore leur régime retouché.

 

[1] Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés N° Lexbase : Z160226D.

[2] V. ainsi Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324, FS-B N° Lexbase : A80079HZ, B. Saintourens, Lexbase Affaires, avril 2023, n° 752 N° Lexbase : N4926BZH ; Bull. Joly Sociétés, mai 2023, p. 13, note H. Le Nabasque ; Dalloz Actualité, 28 mars 2023, obs. J. Delvallée ; JCP G, 2023, 658, note A. Reygrobellet ; Rev. sociétés, 2023, p. 377, note L. Godon ; RDC, 2023, n° 3, p. 48, obs. M. Caffin-Moi ; Dr. sociétés, 2023, comm. n° 72, note J.-F. Hamelin ; JCP E, 2023, 1093, note B. Dondero..

[3] C. civ., art. 1221 N° Lexbase : L1985LKQ « Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».

[4] Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324, FS-B, préc.

[5] Ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise des sociétés commerciales N° Lexbase : L7659MSH.

[6] Directive (UE) n° 2022/2464 du 14 décembre 2022, modifiant le règlement (UE) n° 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises N° Lexbase : L1830MGU V. en dernier lieu le projet de loi « DDADUE 5 », tel que voté par le Sénat lundi 10 mars 2025 [en ligne].

[7] CNCC EJ 2024-17, décembre 2024, BRDA 5/25, inf. n° 5.

[8] ANSA, Comité juridique avis n° 25-007 du 5 février 2025.

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