Réf. : Cass. civ. 1, 23 octobre 2013, n° 12-20.560, F-D (N° Lexbase : A4657KNS)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 28 Novembre 2013
L'ex-concubine de la mère de l'enfant sollicite un droit de visite à l'égard de l'enfant en arguant du fait qu'elle fait partie de l'histoire personnelle de l'enfant. Si sa demande fondée sur l'article 371-4 du Code civil (N° Lexbase : L8011IWM) est incontestablement recevable (I), elle est considérée comme mal fondée car contraire à l'intérêt de l'enfant (II).
I - La recevabilité de la demande de droit de visite de l'ex-concubine de la mère
Fondement. L'arrêt mentionne que l'ex-concubine avait curieusement assigné la mère de l'enfant devant le tribunal de grande instance afin de voir fixer la résidence de ce dernier en alternance au domicile de chacune d'elles et, à titre subsidiaire, afin d'obtenir un droit de visite et d'hébergement. Une telle demande ne paraît pas recevable dans la mesure où seuls les titulaires de l'autorité parentale peuvent se voir attribuer la résidence de l'enfant y compris en alternance (1). L'ancienne concubine n'ayant aucun lien de filiation avec l'enfant ne saurait exercer l'autorité parentale, sauf éventuellement dans le cadre d'une délégation-partage de l'autorité parentale qui n'est pas mentionnée en l'espèce. Elle ne peut revendiquer des droits à l'égard de l'enfant qu'en qualité de tiers. Même si l'arrêt de la Cour de cassation ne le vise pas expressément, c'est bien l'article 371-4 du Code civil qui fonde la demande de droit de visite et d'hébergement de l'ancienne concubine de la mère, plus précisément, l'alinéa 2 du texte. Cette disposition prévoyait au moment où la décision de la cour d'appel a été rendue, que "si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non".
Application à l'ex-beau parent. Dès l'origine, et malgré l'avis contraire d'une partie de la doctrine et de la jurisprudence, le législateur a pris soin de préciser que l'article 371-4, alinéa 2, pouvait bénéficier à des personnes parents ou non, le critère essentiel résidant dans l'intérêt de l'enfant et l'intensité des liens qui l'unissent au demandeur. Ainsi, un droit de visite est-il accordé à des membres de la famille, non pas en raison de la parenté elle-même, mais des liens affectifs existant entre les intéressés (2). D'autres personnes qui ne sont pas membres de la famille, au sens strict, peuvent bénéficier de l'article 371-4, alinéa 2 : parrains et marraines (3), et surtout parents affectifs dans des familles dites reconstituées ou secondes familles (4). En effet, bien qu'il n'existe aucun lien d'autorité parentale, ni de lien juridique en général, entre l'enfant, ses beaux-parents et la famille de ses beaux-parents (le terme de beaux-parents recouvrant toute personne, mariée ou non, qui a formé un couple avec un parent de l'enfant), la vie commune a créé entre eux des relations d'affection et de responsabilité. Il est logique qu'après la séparation, ces relations soient prolongées par un droit de visite et d'hébergement. Lorsque le parent de l'enfant refuse de laisser l'enfant voir son ancien compagnon ou conjoint, ce dernier peut trouver dans l'article 371-4 un recours qui ne paraît pas contestable. Dans l'arrêt du 23 octobre 2013, comme dans d'autres décisions précédentes -le droit d'entretenir des relations personnelles avec l'enfant de leur compagne a ainsi été reconnu au concubin de l'adoptante après leur séparation (5) et à la concubine de la mère (6)-, ni les juges du fond, ni la Cour de cassation ne remettent pas en cause la possibilité pour l'ex-compagne de la mère de se fonder sur ce texte pour demander le maintien de ses relations personnelles avec un enfant qu'elle a élevé pendant trois ans.
Réforme. La loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, a prévu une hypothèse particulière de maintien des liens de l'enfant avec un tiers, lorsque celui-ci a vécu avec lui et l'un de ses parents de manière stable, qu'il a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et qu'il a noué avec lui des liens affectifs et stables. Le beau-parent de l'enfant s'il ne bénéficie pas comme les grands-parents d'un droit spécifique de maintenir des relations avec l'enfant se voit tout de même reconnaître une place particulière. La formule ajoutée par la loi de 2013 devrait en effet inciter le juge à examiner de manière favorable la demande de droit de visite de l'ancien beau-parent de l'enfant. On peut se demander si la réforme en cours pourrait aller plus loin, sauf peut-être à reformuler -une nouvelle fois- l'article 371-4, alinéa 2, en énonçant un droit de l'enfant à entretenir des relations personnelles avec son ex-beau-parent, reposant sur la présomption selon laquelle le maintien de ces liens est conforme à son intérêt. Mais c'est justement la conformité du droit de visite de l'ancienne compagne de la mère à l'intérêt de l'enfant qui est au centre de la décision du 23 octobre 2013.
II - Le rejet du droit de visite de l'ancienne concubine de la mère fondé sur l'intérêt de l'enfant
Démonstration de la conformité du droit de visite à l'intérêt de l'enfant. Si la demande de droit de visite de l'ancienne concubine de la mère qui a vécu plusieurs années avec l'enfant parait en soit légitime, elle ne peut être admise que si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant, ce que prévoit expressément l'article 371-4, alinéa 2, du Code civil. Cette démonstration est en effet nécessaire dans la mesure où il n'existe pas de présomption selon laquelle un tel droit de visite est conforme à l'intérêt de l'enfant, comme c'est le cas pour les grands-parents (C. civ., art. 371-4, alinéa 1er).
Présomption de conformité à l'intérêt de l'enfant en cas de vie commune. Il semble cependant que le fait que la requérante a vécu plusieurs années avec l'enfant pourrait entraîner l'existence d'une présomption selon laquelle le maintien des relations personnelles de cette personne avec l'enfant est conforme à l'intérêt de ce dernier. C'est d'ailleurs sans doute ce qui fonde la modification en 2013 de l'article 371-4 du Code civil au bénéfice du tiers qui a vécu avec l'enfant et l'un de ses parents de manière stable. La manière dont la Cour de cassation présente la motivation du refus de la demande de droit de visite dans l'arrêt du 23 octobre 2013 peut également s'interpréter ainsi. On a l'impression, à la lecture de l'arrêt, qu'il ne s'agit pas d'une question ouverte consistant à savoir si oui ou non le droit de visite est conforme à l'intérêt de l'enfant. La cour d'appel explique en réalité en quoi le droit de visite demandé n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant et doit donc être écarté.
Refus fondé sur la rupture des relations avec l'enfant. Le motif essentiel du refus du droit de visite réside dans la rupture des relations de l'enfant avec l'ancienne compagne de sa mère depuis trois ans et la conséquence qui en est résulté pour lui, à savoir l'oubli et le détachement. La rupture des liens a ainsi abouti au fait que la requérante est "devenue une étrangère pour l'enfant". Le détachement de celui-ci va même jusqu'au rejet puisque la cour d'appel a constaté que la mise en place d'un droit de visite après la décision de première instance a perturbé l'enfant. La Cour de cassation reprend les motivations des juges d'appel selon lesquelles l'enfant "avait manifesté une franche hostilité au fait de devoir la suivre à l'occasion du droit de visite et d'hébergement octroyé par les premiers juges, avec des manifestations somatiques et des régressions, enfin, que les deux avis de spécialistes produits, psychologue et psychiatre, motivés et concordants dans leurs conclusions, mettaient en évidence la stupéfaction' de l'enfant au sujet de la revendication de Mme Y, son refus de la voir, son désarroi, et l'absence d'investissement de cette dernière comme beau-parent". Il était logique au regard de la réaction de l'enfant d'en conclure que la restauration de relations avec l'ancienne compagne de sa mère n'était pas conforme à son intérêt, dont la Cour de cassation précise qu'il fait l'objet d'une appréciation souveraine des juges du fond. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 22 mai 2013 (7), avait également refusé d'accorder à l'ancienne concubine de la mère, un droit de visite sur l'enfant qui était pourtant né d'un projet commun, au motif que plusieurs années s'étaient écoulées sans que l'enfant ne voie cette femme et compte tenu du désaccord de la mère.
Volonté de la mère On ne peut qu'approuver la solution de l'arrêt du 23 novembre 2013 en ce qu'il est fondé sur l'intérêt de l'enfant qui doit impérativement rester le critère central des décisions relatives aux relations personnelles de l'enfant avec des tiers, parents ou non. On ne peut toutefois s'empêcher d'être gêné par le fait qu'en réalité, c'est la mère de l'enfant qui, mettant le juge devant le fait accompli, impose la décision. En rompant de manière unilatérale et autoritaire les liens de l'enfant avec la femme qui l'a élevé pendant plusieurs années, elle exclut la possibilité que ces liens puissent ensuite être rétablis par le juge aux affaires familiales. Or, comme la Cour européenne l'affirme dans une jurisprudence constante, les relations personnelles de l'enfant ne doivent pas être déterminées par le seul écoulement du temps.
Le maintien des liens de l'enfant avec l'ex-concubine de la mère est ainsi subordonné à la volonté de celle-ci. Sans doute faut-il dans ce type de situation conseiller aux tiers concernés de saisir le juge aux affaires familiales d'une demande -en la forme des référés- de droit de visite, tout de suite après la séparation ou, au moins, dès que la mère fait obstacle à ses relations avec l'enfant.
Lien de filiation. La solution de l'arrêt du 23 octobre 2013 n'aurait sans doute pas été la même si un lien de filiation adoptive avait été établi entre l'ancienne concubine de la mère et l'enfant, au moment où les deux femmes vivaient ensemble, ce qui suppose qu'elles se marient. Il aurait été d'abord beaucoup plus difficile à la mère par le sang de rompre les liens entre l'enfant et son ancienne compagne. Ensuite, il est probable que même en cas de suppression des relations entre l'enfant et l'ex-concubine, le juge n'aurait pas refusé d'instaurer un droit de visite dès lors que celle-ci était la mère adoptive de l'enfant.
(1) En ce sens, TGI Briey, 21 octobre 2010, D., 2010, 2649, obs. Gallmesiter ; AJ Fam., 2010, 540, obs. Miloudi.
(2) Cass. civ. 1, 1er décembre 1982, n° 81-14.627 (N° Lexbase : A6973CEY), Bull. civ. I, n° 346, D., 1983, IR, 143, pour une tante maternelle, marraine d'un des enfants dont elle avait eu la charge pendant une courte période ; v. égal. Cass. civ. 1, 4 novembre 1987, n° 85-18.190 (N° Lexbase : A1437AHP), Bull. civ. I, n° 284, pour des relations entre deux soeurs utérines ; cf. l’Ouvrage "Autorité parentale" (N° Lexbase : E5810EYT).
(3) Cass. civ. 1, 1er décembre 1982, préc..
(4) M. Rebourg, La prise en charge de l'enfant par son beau-parent, coll. de thèses, Defrénois, 2003, n° 704 et s..
(5) CA Grenoble, 15 décembre 1997, Dr. fam., 1998, comm. nº 38, note P. Murat.
(6) Sur l'octroi d'un droit de visite à un transsexuel, ex-concubine de la mère : CA Aix-en-Provence, 12 mars 2002, D., 2003., Somm. 2121, obs. F. Granet-Lambrechts, confirmé par Cass. civ. 1, 18 mai 2005, n° 02-16.336, F-P+B (N° Lexbase : A3574DI9), D., 2005. 2125, note J.-J. Lemouland. Sur l'octroi d'un droit de visite et d'hébergement à l'ex-compagne de la mère biologique d'un enfant : TGI Briey, 21 octobre 2010, préc..
(7) CA Paris, Pôle 3, 2ème ch., 22 mai 2013, n° 12/10231 (N° Lexbase : A6969KDH).
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