La lettre juridique n°549 du 28 novembre 2013 : Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Novembre 2013

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par Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat

le 03 Décembre 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat. L'auteur présente, toute d'abord, les arrêts de la Cour de cassation du 24 septembre 2013 mettant en exergue la mise en oeuvre des règles en matière de compétence spécialisée des juridictions commerciales (Cass. com., 24 septembre 2013, deux arrêts, n° 12-23.486, FS-P+B et n° 12-24.538, F-P+B). Ensuite, est commenté l'arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2013 sur le sursis à exécution d'une décision de l'Autorité de la concurrence infligeant d'importantes sanctions pécuniaires à la filiale d'un groupe de sociétés (Cass. com., 22 octobre 2013, n° 12-23.486, FS-P+B). Enfin, Maître Le More revient sur la procédure en cours diligentée par l'Autorité de la concurrence à l'encontre du GIE PMU dans le secteur des paris hippiques en ligne (Aut. conc., Avis de test de marché, 30 octobre 2013).
  • Compétence des juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence (Cass. com., 24 septembre 2013, deux arrêts, n° 12-21.089, F-P+B N° Lexbase : A9414KLA et n° 12-24.538, F-P+B N° Lexbase : A9587KLN)

L'instauration de juridictions spécialisées, et en particulier la désignation de la cour d'appel de Paris pour connaître de l'appel des décisions rendues par celles-ci, a conduit au développement d'un contentieux fourni sur les questions d'irrecevabilité de l'appel.

L'article 2 du décret n° 2009-1384, relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestation (N° Lexbase : L9125IEP), entre autres, de pratiques restrictives de concurrence, devenu l'article D. 442-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L9159IEX), désigne comme juridictions spécialisées pour connaître notamment des contentieux relevant de la rupture des relations commerciales (C. com., art. L. 442-6 N° Lexbase : L8640IMX) un certain nombre de juridictions commerciales énumérées dans un tableau de l'Annexe 4-2-1. Il dispose également que "la cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris".

En l'espèce (Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-21.089, F-P+B), la société Delachaux a interjeté appel contre une décision du tribunal de commerce de Lyon, qui s'était déclarée compétente en vertu de l'article D. 442-3 du Code de commerce et qui l'avait condamnée à payer à la société Licat des factures ainsi que des dommages-intérêts pour résistance abusive et pour rupture brutale d'une relation commerciale établie. Se fondant sur l'acte de signification du jugement qui lui a été délivré, la société Delachaux saisit la cour d'appel désignée, à savoir celle de Lyon. Or celle-ci déclare l'appel irrecevable par arrêt du 6 avril 2012, confirmant l'ordonnance du conseiller de la mise en état (CA Lyon, 6 avril 2012, n° 11/08861 N° Lexbase : A0853IIG).

La Cour de cassation confirme l'arrêt en rappelant qu'"il résulte de la combinaison des articles L. 442-6, III, alinéa 5, et D. 442-3 du Code de commerce que la cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du même code et que l'inobservation de ces textes est sanctionnée par une fin de non-recevoir", peu importe que l'objet du litige ne porte pas exclusivement sur des demandes ayant trait à la réparation du dommage pour rupture brutale des relations commerciales, mais également sur le paiement de factures. Dès lors que certaines demandes relèvent de l'article L. 442-6 du Code de commerce, il y a lieu de mettre en oeuvre la règle de spécialisation des juridictions énoncée par l'article D. 442-3 du Code de commerce.

Une autre clarification était apportée le même jour par la Cour de cassation en matière cette fois de droit transitoire (Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-24.538, F-P+B). En effet, l'article 8 du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 réserve compétence à la juridiction "primitivement saisie pour statuer sur les procédures introduites antérieurement à la date de son entrée en vigueur", soit le 1er décembre 2009. Tandis que la cour d'appel de Paris semble considérer que sa compétence exclusive en vertu dudit décret est acquise dès lors que l'appel interjeté est postérieur au 1er décembre 2009 (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 13 décembre 2012, n° 12/08727 N° Lexbase : A8782IYW), de nombreuses autres juridictions d'appel estimaient que la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris ne s'impose que dans l'hypothèse où la procédure de première instance a été introduite postérieurement au 1er décembre 2009 (cf. par ex., CA Rennes, 2ème ch., 28 juin 2011, n° 10/01515 N° Lexbase : A5376HWZ).

La Cour de cassation tranche en faveur de cette dernière interprétation de la notion de "procédures introduites antérieurement". Dès lors que l'acte introductif de première instance est antérieur au 1er décembre 2009, les cours d'appel situées dans le ressort des tribunaux saisis demeurent compétentes pour connaître du recours interjeté contre les jugements rendus, quand bien même lesdits jugements auraient été rendus postérieurement à son entrée en vigueur. En l'espèce, la Cour de cassation est d'avis que "la procédure ayant été introduite par une assignation délivrée antérieurement au 1er décembre 2009, date de l'entrée en vigueur du décret du 11 novembre 2009, les dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce qui en sont issues ne sont pas applicables et par suite ne peuvent soumettre cette procédure au pouvoir juridictionnel exclusif dévolu à la cour d'appel de Paris".

Les clarifications de la Cour de cassation sont les bienvenues, tant la mise en oeuvre du décret n° 2009-1384 avait introduit une insécurité juridique pour les justiciables.

  • Sursis à exécution des sanctions pécuniaires imposées par l'Autorité de la concurrence et appartenance de l'entreprise condamnée à un groupe (Cass. com., 22 octobre 2013, n° 12-23.486, FS-P+B N° Lexbase : A4670KNB)

En vertu de la décision n° 12-D-09 du 13 mars 2012, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des farines alimentaires (Aut. conc., décision n° 12-D-012, 13 mars 2012 N° Lexbase : X2478AKY), la société Axiane Meunerie SAS s'était vue infligée par l'Autorité de la concurrence les plus importantes amendes, à savoir 19 927 000 euros du fait d'une entente anticoncurrentielle visant à limiter les importations de farine en sachets entre l'Allemagne et la France, d'une part, et 44 032 000 euros du fait d'une entente anticoncurrentielle visant à fixer le prix de la farine en sachets vendue à la grande et moyenne distribution ainsi qu'aux enseignes du hard discount, à répartir les clients et à limiter la production de ce produit, d'autre part. Ces pratiques sont prohibées à la fois par l'article 101 du TFUE (N° Lexbase : L2398IPI) et son équivalent français, l'article L. 420-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6583AIN).

Concomitamment à l'appel interjeté par la société Axiane Meunerie SAS contre cette décision, celle-ci sollicitait du Premier président de la cour d'appel de Paris un sursis à l'exécution des sanctions pécuniaires sur le fondement de l'article L. 464-8, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L4973IUQ). Par ordonnance du 3 juillet 2012, le délégué du premier président ordonnait le sursis à l'exécution des sanctions pécuniaires à hauteur des cinq sixièmes jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours formé par la société Axiane meunerie. Pour justifier cette décision, l'ordonnance s'appuyait sur le fait que "le chiffre d'affaires du groupe n'est mentionné par l'article L. 464-2 du Code de commerce que pour déterminer le maximum légal de la sanction, de sorte que les conséquences manifestement excessives de l'exécution immédiate de la décision doivent être appréciées au regard de la seule situation financière de la société sanctionnée".

La Cour de cassation casse l'ordonnance pour violation de l'article L. 464-8, alinéa 2, du Code de commerce. Il résulte, selon nous, de l'interprétation de l'article L. 464-8, alinéa 2, proposée par la Cour de cassation que le juge ne peut s'abriter derrière l'entité juridique sanctionnée par la décision de condamnation de l'Autorité de la concurrence pour ne pas prendre en compte la situation du groupe de sociétés auquel la société sanctionnée appartient. L'appréciation des conséquences manifestement excessives d'une exécution immédiate de la décision de l'Autorité de concurrence n'exclut pas la prise en considération des résultats de groupe de société auquel l'entreprise appartient. En d'autres termes, un pouvoir discrétionnaire est conféré au juge pour octroyer ou non un sursis à exécution au vu de la situation de la société condamnée et, le cas échéant, au vu de celle de son groupe. Une lecture trop restrictive de l'article L. 464-8, alinéa 2, du Code de commerce aurait eu pour conséquence de restreindre la marge de manoeuvre du juge saisi, sous prétexte que seule la filiale et non la société mère est condamnée par l'Autorité de la concurrence. Le sursis à exécution, souvent sollicité pour éviter l'injonction de publication des décisions de l'Autorité de la concurrence (cf. par exemple, Cass. com., 20 mars 2012, n° 11-16.128, F-P+B (N° Lexbase : A4192IGD), demeurera, à la lumière de cet arrêt, difficile à obtenir.

Au demeurant, l'interprétation restrictive des "conséquences manifestement excessives" de l'exécution immédiate d'une décision de l'Autorité de la concurrence est comparable à celle effectuée à propos de l'article 524, dernier alinéa, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6668H74). Selon cet article également, le premier président peut arrêter l'exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I) et lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives

  • Test de marché en matière de paris hippiques en ligne : les correctifs proposés par le PMU sous l'impulsion de l'Autorité de la concurrence dans le cadre de la libéralisation du secteur des jeux et paris en ligne (Autorité de la concurrence, avis de test de marché, 30 octobre 2013)

Curieusement, l'Autorité de la concurrence n'a pas été consultée en amont lors de l'élaboration de la loi n° 2010-476, relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (N° Lexbase : L0282IKN), entrée en vigueur le 13 mai 2010. Or, la nouvelle législation ouvre à la concurrence un des rares secteurs économiques soumis jusqu'alors à droits exclusifs : celui du PMU en ce qui concerne les paris hippiques et celui de la Française des jeux en ce qui concerne les jeux de hasard. Contrairement, par exemple, à la régulation du secteur des livres numériques (Aut. conc., avis n° 09-A-56, 18 décembre 2009 N° Lexbase : X9387AH7), demandée à la requête du ministre de la Culture et de la Communication avant l'adoption de la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011, relative au prix du livre numérique (N° Lexbase : L3836IQ7), c'est l'Autorité de la concurrence de son propre chef qui s'est auto-saisie pour évaluer la compatibilité de la loi sur les jeux et paris en ligne avec les règles de concurrence. Dans son avis 11-A-02 du 20 janvier 2011, l'Autorité de la concurrence émettait des réserves, en particulier sur les conditions dans lesquelles le domaine des paris hippiques en ligne était régulé. Elle s'interrogeait, notamment, sur les conséquences sur la concurrence de la subsistance d'activité en monopole ou encore sur les difficultés que pose l'existence d'opérateurs verticalement intégrés.

Les conclusions de cet avis devaient être vérifiées par l'évolution économique du secteur, au sein duquel les deux opérateurs historiques demeurent prépondérants. Ainsi en matière de paris hippiques, non seulement le PMU conservait une part dominante (86,4 %) du marché des paris hippiques en ligne en 2012, mais il captait la croissance de ce marché grâce à son site "pmu.fr". De nombreuses plaintes ont, semble-t-il, été introduites devant l'Autorité de la concurrence, dont celle, en janvier 2012, de Betclic Everest Group.

C'est la voie des engagements, prévus aux articles L. 464-2, I (N° Lexbase : L4967IUI) et R. 462-2 (N° Lexbase : L8652IB3) du Code de commerce, qui était privilégiée par l'Autorité de la concurrence. Conformément à ce type de procédure négociée, un avis a été émis par l'Autorité de la concurrence le 30 octobre 2013 pour soumettre les propositions d'engagements du PMU aux commentaires de tiers intéressés, c'est-à-dire principalement les concurrents du PMU et leurs associations professionnelles.

Dans un délai de deux ans, le PMU propose ainsi de s'engager à séparer pour chacun des paris proposés sur "pmu.fr", ses masses d'enjeux enregistrées en ligne de celles enregistrés "en dur" (c'est-à-dire sur son réseau de points de vente physiques). La mutualisation des mises est une question majeure compte tenu du fait que seul le pari hippique en la forme mutuelle est autorisé par la loi du 12 mai 2010. Par conséquent, les masses d'enjeux des paris hippiques proposés par "pmu.fr" ne pourront désormais plus être constituées par les mises enregistrées à la fois par les joueurs en ligne et les joueurs faisant appel aux points de vente physiques, mais par les seules mises en ligne enregistrées sur ce site. De surcroît, le PMU s'engage également à (i) adapter sa rubrique "parcours client" pour la conserver spécifiquement aux parieurs hippiques "en dur" sur "pmu.fr" ; (ii) à maintenir la séparation fonctionnelle de ses équipes marketing et commerciales, de ses bases de données et l'utilisation y afférente ; et enfin (iii) à ne pas mutualiser ses activités publicitaires en promouvant ses activités en ligne sur le réseau dur tout en pérennisant la comptabilité séparée de ses activités online. Aucun contrôle par un tiers de ces engagements n'est proposé, le PMU proposant d'émettre un rapport trimestriel de suivi à l'Autorité de la concurrence.

Si tout tiers intéressé peut faire des observations avant le 2 décembre 2013, c'est l'Autorité de la concurrence qui aura le dernier mot sur la teneur des engagements à rendre obligatoires à l'issue des consultations. On peut se demander si la décision à venir sera à même de rétablir la concurrence sur le mérite et accroître les chances pour les opérateurs concurrents de percer le marché des paris hippiques en ligne dans un contexte de "baisse d'activité générale du secteur des paris hippiques en France" (ARJEL, analyse trimestrielle du marché des jeux en ligne en France, troisième trimestre 2013). A défaut d'établir l'abus de position dominante du PMU sur le marché des paris hippiques en ligne, la future décision est susceptible de fournir des informations utiles sur le secteur au juge civil, éventuellement saisi sur les dommages subis par les opérateurs de paris en ligne et résultant du comportement du PMU depuis le 13 mai 2010.

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