Le Quotidien du 20 novembre 2024 : Sociétés

[Jurisprudence] La minorité ne peut l’emporter sur la majorité

Réf. : Cass. ass. plén., 15 novembre 2024, n° 23-16.670, B+R N° Lexbase : A71676GK

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N0990B33

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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre

le 20 Novembre 2024

Mots-clés : SAS • décision collective • liberté contractuelle •majorité des voix exprimées • minorité

Une décision collective d'associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix. La liberté contractuelle qui régit la SAS ne peut s'exercer que dans le respect de cette règle. Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires. Il s'en déduit que la décision collective d'associés d'une SAS, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.


 

La minorité ne peut l’emporter sur la majorité, même si les statuts le prévoient. C’est ce que l’on retiendra de l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 novembre 2024 [1]. La décision va donner lieu à de nombreux commentaires, mais on peut déjà la présenter ainsi que son contexte (I), avant d’en donner une première analyse (II).

I. La décision et son contexte

L’arrêt concerne la société par actions simplifiée (SAS), qui fête cette année son trentième anniversaire et qui est devenue depuis l’été dernier la forme de société commerciale la plus utilisée en France, devant la SARL [2]. Était en cause dans l’affaire soumise à la Cour de cassation une clause qui n’est à notre connaissance que peu utilisée, aux termes de laquelle les décisions collectives prises par les associés devaient être « adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». On a bien lu : si la décision soumise recueillait un tiers des voix, elle était adoptée, alors qu’elle pouvait susciter dans le même temps autant, voire davantage, de voix contraires.

La clause avait pour elle la lettre de la loi. Lorsque l’article L. 227-9 du Code de commerce N° Lexbase : L2484IBM traite des décisions collectives prises par les associés de la SAS, il demande qu’elles soient « prises collectivement par les associés dans les formes et conditions [que les statuts] prévoient », mais il ne requiert pas expressément qu’une majorité particulière soit réunie. La liberté contractuelle pourrait donc, à la lettre du texte, s’accommoder de la clause litigieuse. C’est en ce sens que la cour d’appel de Paris avait statué une première fois [3], puis une seconde fois, sur renvoi après cassation [4].

Mais la décision est-elle collective si les voix majoritaires sont finalement étouffées par l’opinion minoritaire ? Dit autrement, à quoi cela sert-il de réunir une majorité de suffrages si un nombre plus petit de voix peut priver d’effet cette majorité ? Par un arrêt en date du 19 janvier 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait interdit que l’on adopte une résolution « par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ». La justification était qu’il fallait « instituer une règle d'adoption des résolutions soumises à l'examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires » [5].

C’est cette seconde opinion, à laquelle résistait la cour d’appel de renvoi, que consacre l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, au visa à la fois de dispositions propres à la SAS (C. com., art. L. 227-9, al. 1er et 2) et de dispositions plus générales (C. civ., art. 1844, al. 1er N° Lexbase : L2412LRR et 1844-10, al. 2 et 3 N° Lexbase : L8683LQN). Précisément, la Cour juge qu’« une décision collective d'associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix » et que « toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires ». La décision ajoute que « la liberté contractuelle qui régit la SAS ne peut s'exercer que dans le respect de la [règle précitée] » et elle en déduit que la décision collective d'associés d'une SAS, « prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite ».

L’Assemblée plénière achève son travail en statuant au fond : parce qu’elle constate que la décision litigieuse, qui portait sur une augmentation du capital de la société en cause, a été adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité des votes exprimés, elle en déduit que cette délibération doit être annulée

II. Analyse et interrogations

Lorsque la Cour n’admet de décision collective valablement adoptée que « si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix », on comprend qu’elle entend que les voix des majoritaires soient prises en compte, même si elle justifie cela par l’argument – plus faible – du risque de voir la société « adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires ». Nous entendons par là que le droit fondamental de participer aux décisions collectives issu de l’article 1844, alinéa 1er du Code civil, d’ailleurs visé par l’arrêt, a plus de force que l’invocation d’un risque de contrariété de décisions. Cela nous semble d’autant plus vrai dans le cadre de la SAS, où la grande liberté laissée aux statuts porte en elle un certain degré de risque, lié aux éventuelles insuffisances de l’organisation statutaire.

On a relevé précédemment le fait que la solution formulée vaut tant pour les décisions collectives prévues par les statuts que pour celles imposées par la loi. Ce point est important, car l’arrêt rendu par la Chambre commerciale en 2022 [6] pouvait être lu comme ne concernant que les décisions collectives imposées par l’article L. 227-9, alinéa 2, du Code de commerce, alinéa alors seul visé là où la décision du 15 novembre 2024 vise tant le premier alinéa du texte (qui envisage que les statuts requièrent que des décisions soient prises collectivement par les associés) que le deuxième alinéa (qui impose que certaines décisions – on parle notamment de l’approbation des comptes, de la distribution de bénéfices, de l’augmentation de capital – soient prises collectivement par les associés).

La clause litigieuse permettant que la décision soit adoptée alors qu’elle ne réunit pas une majorité des suffrages est donc à bannir, mais nous ne croyons pas qu’elle soit très répandue. D’autres clauses devraient cependant être désormais exclues si la décision collective « ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées ». La prise d’une décision à la majorité relative devrait ainsi être écartée, ce qui empêche aussi de proposer plus de deux choix aux associés, sauf à mettre en place des décisions à plusieurs tours, qui devraient, nous semble-t-il, être encore admises… du moment que la décision finale peut se prévaloir d’une majorité des voix exprimées. Sur la question de la majorité relative, notons tout de même qu’un passage de l’arrêt semblerait prêt à l’admettre (« Une décision collective d'associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix ») avant qu’un paragraphe postérieur referme la porte (« la décision collective d'associés d'une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées »).

Si la « clause statutaire contraire » à l’exigence de réunir « au moins la majorité des voix exprimées » est réputée non écrite ainsi que le juge l’Assemblée plénière, se pose la question de la situation des SAS qui avaient choisi de recourir à ce type de clause. Si la clause tout entière est réputée non écrite, cela signifie que les décisions collectives concernées ne sont plus encadrées par une stipulation spécifique, ce qui devrait conduire à appliquer la règle de l’unanimité, que ce soit pour les décisions modifiant les statuts, par application de l’article 1836, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L2007ABX, ou pour les autres décisions, parce que recueillir l’accord de tous les associés s’impose à défaut d’une organisation différente.

Notons tout de même qu’il doit demeurer possible de donner aux associés minoritaires le pouvoir de prévaloir sur la majorité, en instituant, statutairement, un dispositif de droits de vote multiples. En clair, un petit nombre d’actions dotées d’une telle prérogative doit toujours l’emporter sur un contingent plus important.

On se demandera enfin, pour conclure cette analyse, si la solution formulée par l’Assemblée plénière est limitée aux SAS. Il ne nous semble pas que ce soit le cas, puisque la stipulation qui répugne ici à la Cour de cassation sans qu’elle s’appuie sur une norme explicite, au-delà du recours aux règles de principe relatives aux décisions collectives, ne devrait pas lui sembler davantage admissible dans d’autres contextes. Il nous semble même que des groupements non sociétaires pourraient aussi être concernés.

 

[1] Lexbase Affaires, note à paraître B. Saintourens ; JCP E, 2024, note à paraître B. Dondero.

[2] V. not. le colloque organisé par la cour d’appel de Paris, La société par actions simplifiée, un succès sans limite ?, Lexbase Affaires, novembre 2024, n° 812 N° Lexbase : N0817B3N.

[3] CA Paris, 20 décembre 2018, n° 16/25967.

[4] CA Paris, 5-8, 4 avril 2023, n° 22/05320 N° Lexbase : A46659N4.

[5] Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696, FS-D N° Lexbase : A18567KX, JCP E, 2022, 1091, note B. Dondero.

[6] Ibid.

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