La lettre juridique n°989 du 27 juin 2024 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Cession de contrat : de l’accord du cédé

Réf. : Cass. com., 24 avril 2024, n° 22-15.958, F-B N° Lexbase : A782528C

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par Louis Thibierge, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à Aix-Marseille Université, Avocat au Barreau de Paris

le 26 Juin 2024

Mots-clés : cession de contrat • accord du cédé • forme • absence • condition de validité

Si la qualité de partie au contrat peut être cédée, c’est à la condition que le cédé donne son accord (C. civ., art. 1216), lequel n’est pas subordonné à l’exigence d’une forme particulière mais doit cependant être non équivoque. À défaut, la cession lui est inopposable.


La cession de contrat, créée par la réforme du 10 février 2016, demeure nimbée de mystère. L’institution est originale : plutôt que d’y voir une cession des créances assortie d’une cession des dettes résultant du contrat, il convient d’y voir une cession de position contractuelle. L’expression, passablement théorique, signifie que ce que l’on cède excède la somme des droits et des obligations découlant du contrat. Ce qui est cédé, c’est la qualité de partie au contrat, celle qui fait que l’on n’est plus tiers, que l’on peut se revendiquer, non seulement du contenu obligationnel du contrat mais encore et plus largement de tout le contrat. Il en va ainsi, notamment, de la clause attributive de juridiction, des prérogatives contractuelles ou encore de la clause compromissoire, qui n’ont en réalité ni créancier ni débiteur.

Ainsi, la cession de contrat constitue un mécanisme original, par certains aspects proche de la subrogation, qui permet de substituer à une partie (le cédant) un nouvelle partie (le cessionnaire). Cette opération suppose l’accord du cédé (la loi ne dit pas « consentement » mais « accord »), accord qui peut être donné par anticipation ou concomitamment.

La notion étant cernée, reste à en comprendre le régime.

Le Code civil est peu disert en la matière, se bornant à deux dispositions.

L’article 1216 du Code civil N° Lexbase : L0929KZG dispose : « un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l'accord de son cocontractant, le cédé. 

Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la cession produit effet à l'égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu'il en prend acte. 

La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité ».

L’article 1216-1 du même code N° Lexbase : L0610KZM, quant à lui, distingue la « vraie » cession de contrat, dans laquelle le cédant est libéré au profit du cessionnaire, de la « fausse » cession de contrat, qui ne réalise au vrai qu’une adjonction de débiteur.

En matière de cession de contrat, la jurisprudence demeure balbutiante.

En témoignent les errements de la cour d’appel de Paris (4 mars 2022), errements que vient sanctionner la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 24 avril dernier.

Au cas d’espèce et au prix d’une légère simplification des faits, une société Hipay, conclut un contrat de prestation de services informatiques avec une société Neosurf.

Quelques années plus tard, une société Mobiyo bénéficie de la part de la société Hipay d'un apport partiel d'actifs, comprenant le contrat conclu avec Neosurf.

Ainsi, Mobiyo devient le cessionnaire du contrat, tandis que Hipay est le cédant et Neosurf le cocontractant cédé.

Par lettre recommandée avec accusé de réception, le cédant (Hipay) notifie au cédé (Neosurf) la cession du contrat en faveur de Mobiyo (cessionnaire).

Se prévalant de factures impayées, Mobiyo assigne Neosurf en paiement. Cette dernière conteste la cession de contrat.

Lecture singulière de l’article 1216 du Code civil. Au prix d’une interprétation passablement baroque de l’article 1216 du Code civil, Neosurf affirmait, pour prétendre échapper à son obligation de paiement, que la cession était nulle, motif pris de ce qu’elle n’avait pas été acceptée par écrit.

Disons-le tout net. Ce raisonnement relève de l’hétérodoxie. Il procède d’une mauvaise lecture de l’article 1216 du Code civil. Le texte, que nous avons rappelé plus haut, est formé de trois alinéas distincts. Le premier admet qu’un contrat puisse être cédé avec l’accord du cocontractant. Le deuxième aborde la temporalité de l’accord du cédé, selon qu’il est anticipé ou concomitant. Le dernier ajoute que la cession droit être constatée par écrit à peine de nullité.

Au cas d’espèce, il n’était pas contesté que la cession avait été constatée par écrit, dans le cadre de l’apport partiel d’actifs. En revanche, l’accord du cédé, lui, semblait n’avoir pas été constaté par écrit.

Errements de la cour d’appel de Paris. Le raisonnement baroque décrit supra emporte néanmoins la conviction des juges du fond.

Aussi, la cour d’appel de Paris retient-elle, le 4 mars 2022, que « les échanges relatifs à la notification à la société Neosurf, par la société Mobiyo, de la cession du contrat du 23 juin 2005, et à l'acceptation par cette dernière de cette cession, ne satisfaisaient pas à la règle de l'article 1216, alinéa 3, du Code civil selon laquelle la cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité ».

Les magistrats parisiens en déduisent que la cession est, non pas simplement inopposable, mais nulle, faute pour le cédé d’avoir donné son accord par écrit.

C’est une double erreur que commettent les juges de la cour de Paris.

La première erreur est formelle. Elle tend à confondre les alinéas 2 et 3 de l’article 1216 du Code civil. Le premier est relatif à l’accord du cédé. Le dernier à l’exigence d’un écrit pour constater la cession inter partes, c’est-à-dire entre le cédant et le cessionnaire. Les deux alinéas doivent être distingués. L’exigence d’un écrit ne concerne que le cédant et le cessionnaire, pas le cédé.

La seconde erreur est substantielle, quoiqu’elle procède de la première. Pour la cour d’appel de Paris, puisque l’accord du cédé n’avait pas été constaté par écrit, cet accord n’existait pas. Il ne s’agit vraisemblablement pas ici d’une application de l’adage idem est non probari et non esse, puisque l’écrit n’est pas requis ad probationem mais ad validitatem par l’article 1216, alinéa 3. Faute d’écrit, le cédé n’a pas donné son accord à la cession.

Reste que la conséquence qu’en déduit la cour d’appel est discutable. Empruntant à l’alinéa précité, la cour de Paris en infère que, faute d’accord du cédé (ou plus précisément faute d’accord constaté par écrit), la cession de contrat est nulle.

Ces deux erreurs valent aux juges parisiens une double censure

Censure de la Cour de cassation. En un attendu ciselé, la Haute juridiction met à bas le raisonnement de la cour d’appel de Paris : « En statuant ainsi, alors, d'une part, que l'accord du cédé à la cession du contrat peut être donné sans forme, pourvu qu'il soit non équivoque, et peut être prouvé par tout moyen, d'autre part, que le défaut d'accord du cédé n'emporte pas la nullité de la cession du contrat, mais son inopposabilité au cédé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

Sur le plan formel, la Chambre commerciale juge ainsi que l’accord du cédé n’est soumis aucune condition particulière. Il peut être « donné sans forme » et « être prouvé par tout moyen ». Ce sont là deux choses différentes. La première renvoie au formalisme requis ad validatem, la seconde au formalisme exigé ad probationem. Ce que signifie la Cour, ici, c’est que l’accord du cédé n’est subordonné à aucune condition de forme, que ce soit pour sa validité ou sa preuve, ce qui corrobore la lecture que nous avons de l’article 1216 du Code civil, selon laquelle l’alinéa 3 ne joue qu’inter partes, et non à l’égard du cédé.

Sur le plan substantiel, la Chambre commerciale retient que le défaut d’accord du cédé n’emporte pas nullité mais l’inopposabilité de la cession. Derrière la terminologie employée (nullité, v. inopposabilité), ce qui se joue est plus important encore. C’est la conception même de la cession.

Quelle conception de la cession ? Dire que l’absence d’accord du cédé emporte la nullité de la cession, c’est considérer que cet accord fait partie intégrante de la cession. Cette position est parfois défendue.

Nous ne partageons pas cette idée [1]. La terminologie juridique n’est pas neutre. Lorsque l’article 1216 du Code civil évoque « l’accord » du cédé, est-il justifié de glisser vers le « consentement » du cédé [2] ? Nous n’en sommes pas convaincus. À notre sens, le cédé n’est pas partie au contrat. Il n’a pas à y consentir, mais simplement à donner son autorisation, son agrément à la cession.

La différence est plus que sémantique. À la différence d’un refus de consentement, un refus d’agrément peut être abusif.

Et plus encore : à défaut d’agrément, la cession demeure valable inter partes. Elle est simplement inopposable au débiteur cédé. À rebours, s’il fallait considérer que le cédé « consent » à la cession, alors la cession, opération tripartite, est nulle faute de ce consentement.

En somme, il fallait choisir entre deux voies. Celle de l’agrément, qui consiste à voir dans la cession une opération tripartite mais un contrat bipartite. Celle du consentement, qui fait de la cession un contrat tripartite qui ne peut exister sans le consentement du cédé [3].

Il est à notre sens heureux que la Cour de cassation opte pour la première voie. Faute d’accord du cédé, la cession n’est pas nulle mais simplement inopposable. Concrètement, cela signifie que la cession demeure efficace entre le cédant et le cessionnaire, mais que le cédé pourra légitimement l’ignorer et continuer à traiter avec le cédant.


[1] En ce sens, L. Thibierge, Cession de contrat : de l’intérêt de la signification au cédé, Lexbase Droit privé, février 2022, n° 895 N° Lexbase : N0462BZ7.

[2] Sur la question, F. Chénedé, Droit des obligations et des contrats 2023/2024, D., n° 127.12.

[3] Voir cependant, pour une voie médiane, E. Jeuland et N. Balat, Rép. Civ. D., V° « Cession de contrat », n° 44 et s. : « On peut parler dans ce cas d'autorisation ou d'agrément, mais c'est une condition de validité de la cession libératoire et non une simple condition d'opposabilité ».

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