Lecture: 17 min
N9109BZE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Damien Duchet, Avocat, Aguera Avocats
le 25 Avril 2024
Mots clés : jeux olympiques • jeux paralympiques • anticipation et gestion des difficultés • contrôle de l’inspection du travail • contrôle URSSAF
Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) 2024 auront une incidence sur les entreprises en France soit parce qu’elles prennent part directement ou indirectement à l’organisation et la tenue des jeux, générant un surcroît d’activité significatif, soit parce que, au contraire, elles connaîtront un ralentissement, voire un arrêt de leur activité pendant cette période, compte tenu notamment des périmètres de sécurité prévus. Et entre ces deux situations, il y a les autres entreprises, celles qui devront continuer à fonctionner normalement, en dépit des contraintes occasionnées par les Jeux. Quel que soit le cas de figure, divers dispositifs, en droit du travail, existent pour y faire face.
329 épreuves, 10 500 athlètes, 15 millions de visiteurs, 185 kilomètres de voies olympiques… les chiffres JOP sont à la hauteur des contraintes que cet événement international va occasionner pour les entreprises et leurs salariés implantés à Paris et en Île-de-France, mais aussi ailleurs en France (Nantes, Châteauroux, Lyon, Saint-Étienne, Bordeaux, Marseille, Nice) :
► Des contraintes de déplacement :
► Des contraintes d’accès à certaines zones géographiques :
Dans ce contexte, il est essentiel d’anticiper ces difficultés pour mettre en œuvre les dispositifs appropriés afin de préserver le bon fonctionnement de l’entreprise ou de faire face à une baisse conjoncturelle d’activité [1].
1. Comment assurer la continuité de son activité ?
► Le recours au télétravail
L’employeur peut mettre en place le télétravail [2] soit par un accord collectif, soit par une charte, soit par un accord individuel avec le salarié [3] :
Par exception, à défaut de recourir à ces trois modalités, le Code du travail prévoit qu’en cas de circonstances exceptionnelles, notamment en cas de menace d’épidémie ou de force majeure, le télétravail est considéré comme un simple aménagement du poste de travail, qui ne requiert pas l’accord individuel du salarié [4].
En fonction des entreprises (localisation, absence de transports, etc.), la notion de « circonstances exceptionnelles », qui ne se limite pas à la force majeure ou à la menace d’épidémie, le Code du travail contenant l’adverbe « notamment », pourrait être mobilisée pour imposer le télétravail aux salariés concernés.
► Les modes alternatifs de transport
Compte tenu des difficultés anticipées de déplacement à Paris et en région parisienne (transport en commun saturé, voies routières fermées), l’employeur peut inciter ses salariés à utiliser des modes alternatifs de transport.
Le forfait mobilité durable offre aux employeurs la possibilité d’attribuer une indemnité de 700 € [5], exonérée d’impôt et de cotisations sociales, aux salariés privilégiant les modes de transports dits à « mobilité douce » pour se rendre sur le lieu de travail :
Il est mis en place par accord collectif ou, à défaut d’accord, par décision unilatérale de l’employeur après consultation du CSE [6].
L’employeur peut également recourir au programme « objectif employeur pro-vélo » ou prévoir de se doter d’une flotte de vélos entreprise.
► L’aménagement des horaires/jours de travail
Sous réserve de ne pas être contractualisés et des stipulations conventionnelles applicables, l’employeur peut adapter les horaires et les jours de travail du salarié en :
► Le recours au travail de nuit
En fonction des activités des entreprises concernées et de contraintes spécifiques (nécessité de délivrer un projet, commande urgente, etc.), le recours au travail de nuit peut être envisagé.
Il est mis en place :
Attention, le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit constitue une modification du contrat de travail nécessitant l’accord écrit du salarié.
► Prévenir les risques psychosociaux et veiller à maintenir de bonnes conditions de travail
Pour les salariés qui continueront à travailler pendant la période des JOP, l’employeur doit également œuvrer en matière de prévention des risques psychosociaux, liés en particulier :
Il est donc opportun d’anticiper ces risques, de les évaluer et de les prévenir en informant les salariés en amont, les sensibilisant et prévoyant le cas échéant certaines mesures spécifiques. À cette fin, une mise à jour du DUERP peut s’avérer utile [10].
2. Comment gérer la suractivité ?
Certaines entreprises seront confrontées à une forte hausse de leur activité compte tenu de leur domaine professionnel : événementiel, hôtellerie, restauration collective, sécurité, tourisme, en particulier.
Divers dispositifs existent pour y faire face :
► Le recrutement en CDD/intérim
Le législateur n’a pas prévu de motifs spécifiques liés à l’organisation des JOP. Deux solutions s’offrent aux entreprises :
► Le recours aux salariés étrangers/détachement de salariés
Compte tenu de la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, les entreprises peuvent être tentées de recourir à des ressortissants d’un pays tiers (hors États membres de l’UE, l’EEE et la Suisse) et/ou faire appel à des salariés détachés.
Concernant les salariés étrangers, par principe, le ressortissant étranger est tenu de détenir une autorisation de travail, ou un titre de séjour valant autorisation de travail, pour exercer une activité professionnelle sur le territoire français.
Par exception, pour les courts séjours (jusqu’à 90 jours) :
À noter que le fait d’embaucher et de faire travailler intentionnellement un salarié étranger non muni d’une autorisation de travail constitue un délit passible de sanctions pénales, administratives et civiles lourdes pour emploi irrégulier d’un étranger, telles que 5 ans d’emprisonnement et 15 000 € d’amende par étranger concerné.
Concernant le détachement, qui correspond à la situation où une entreprise régulièrement établie à l’étranger envoie ses salariés en France de manière temporaire, il sera soumis à autorisation de travail, sauf dans les cas suivants :
Les règles relatives au détachement devront être respectées (déclaration SISPIS, formulaire A1, etc.).
► Les dérogations aux durées maximales de travail et au temps de repos
À défaut de recruter d’autres salariés, l’employeur peut choisir de déroger aux durées maximales de travail et au temps de repos.
Pour rappel, les dispositions légales prévoient que :
Il est possible de déroger :
Ce tableau résume les délais et les interlocuteurs à solliciter en cas de demande d’autorisation :
Dérogation à la durée maximale hebdomadaire absolue | Dérogation à la durée maximale moyenne hebdomadaire | Dérogation à la durée maximale quotidienne | Dérogation à la durée minimale de repos quotidien |
DREETS : délai de 30 jours d’instruction (le silence vaut acceptation) | DREETS : délai de 30 jours d’instruction (le silence vaut acceptation) | Inspecteur du travail : 15 jours | Inspecteur du travail : 15 jours |
► Le rachat des jours de repos/la modulation du temps de travail
L’employeur et le salarié peuvent convenir que le salarié renonce à tout ou partie des journées ou demi-journées de repos acquises au titre des périodes postérieures au 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2025.
Le salarié a droit à une majoration des journées ou demi-journées de repos travaillées au moins égale au taux de majoration de la première heure supplémentaire applicable dans l’entreprise.
Un accord collectif peut prévoir un aménagement du temps de travail sur plusieurs semaines ou sur l’année. Les heures effectuées au-delà de 35 heures par semaine ne sont donc pas des heures supplémentaires.
En l’absence d’accord collectif ou de branche prévoyant un dispositif d’aménagement du temps de travail supérieur à la semaine, l’employeur peut mettre en place une répartition sur plusieurs semaines de la durée du travail, dans la limite de 9 semaines pour les entreprises de moins de 50 salariés et 4 semaines pour les autres. Le dispositif est soumis à l’avis du CSE.
► La dérogation au travail dominical
La loi n° 2023-380 du 19 mai 2023, relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 N° Lexbase : L6792MHZ a prévu une dérogation temporaire et exceptionnelle au repos dominical avec l’attribution du repos hebdomadaire par roulement sur la base du volontariat et après autorisation préfectorale :
Le décret n° 2023-1078 du 23 novembre 2023 N° Lexbase : L3654MKK a également prévu une suspension temporaire du repos hebdomadaire du 18 juillet au 14 août 2024 dans les établissements connaissant un surcroît extraordinaire de travail pour les besoins de captation, de transmission, de diffusion et de retransmission des compétitions organisées dans le cadre des JOP de 2024 ainsi que pour assurer les activités relatives à l’organisation des épreuves et au fonctionnement des sites liés à l’organisation et au déroulement des Jeux.
En dehors de ces cas spécifiques prévus pour les JOP, les hypothèses habituelles de dérogation au travail dominical s’appliquent, à savoir :
► Différer la prise de congés payés
Si les salariés prennent une grande partie de leurs congés pendant la période estivale, l’employeur, confronté à une hausse d’activité pendant cette période due aux JOP, pourra décider de différer la prise des congés payés de ses salariés.
Pour ce faire, à défaut d’accord collectif, il appartient à l’employeur de fixer la période de prise des congés payés au moins 2 mois avant l’ouverture de la période des congés payés, après avis du CSE, et le salarié doit être informé au moins 1 mois avant son départ.
3. Comment faire face à une baisse d’activité ?
► L’activité partielle
Pour les entreprises dont l’activité va être ralentie, voire à l'arrêt, le recours à l’activité partielle est envisageable dans 5 cas limitativement énumérés :
Aucun de ces cas ne semble pouvoir être directement mobilisé dans le cadre des JOP et le législateur n’a pas eu la volonté d’ouvrir davantage le recours à l’activité partielle durant les JOP.
► Imposer la prise de congés payés
Comme dans l’hypothèse d’une suractivité, l’employeur peut, à l’inverse, imposer la prise des congés payés pendant la période des JOP en cas d’activité ralentie ou arrêtée.
► La formation des salariés/Le prêt de main-d’œuvre
Il peut enfin être judicieux de profiter d’une période de baisse/d’arrêt d’activité pour permettre à ses salariés de bénéficier d’actions de formations (plan de développement des compétences, CPF, projet de transition professionnelle, etc.) ou pour les mettre à disposition, à titre gratuit, auprès d’une entreprise dont l’activité n’est pas négativement impactée pendant cette période.
4. Comment anticiper les contrôles de l’administration ?
De nombreux contrôles de l’inspection du travail et de l’URSSAF sont attendus pendant les JOP, qui auront pour but de s’assurer que les décisions organisationnelles des entreprises respectent le cadre légal, notamment en matière de :
Il importe donc d’anticiper d’ores et déjà ces contrôles en prenant les mesures appropriées, notamment par le biais de délégations de pouvoir.
[1] Cet article a vocation à évoquer les outils disponibles, sans les présenter de manière exhaustive.
[2] C. trav., art. L. 1222-9 N° Lexbase : L2453MIP.
[3] Le ministère du Travail précise que l’employeur a le choix entre les trois cas de mis en place prévus, sans considérer qu’il existe une hiérarchie entre eux : Min. Trav, Télétravail, mode d'emploi, 26 mars 2018 (actualisé en dernier le 10 février 2021).
[4] C. trav., art. L. 1222-11 N° Lexbase : L8103LG9.
[5] BOSS, n° 1130.
[6] C. trav., art. L. 3261-4 N° Lexbase : L3215LUM.
[7] C. trav., art. L. 3122-15 N° Lexbase : L8125LGZ.
[8] C. trav., art. L. 3122-21 N° Lexbase : L6838K97.
[9] C. trav., art. R. 3122-9 N° Lexbase : L0711LI8.
[10] Le site « Anticiper les Jeux » permet aux entreprises de préparer un plan d’action personnalisé et adapté [en ligne].
[11] C. trav., art. L. 5221-2-1 N° Lexbase : L6016LRA et D. 5221-2-1 N° Lexbase : L8938LAB.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:489109