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par Matthieu Quinquis, Avocat et président de l’Observatoire international des prisons – Section française
le 25 Avril 2024
On annonce un été de tous les records. Tandis que Paris s’apprête à accueillir des centaines de milliers d’athlètes et spectateurs durant les Jeux Olympiques et Paralympiques, les prisons françaises connaîtront-elles également, et à leur manière, un afflux exceptionnel ?
À quelques semaines du début des épreuves, nul ne peut encore ignorer l’étendue et l’intensité du déploiement sécuritaire. Après que le Parlement a entériné en mai 2023 les aspirations du Gouvernement en matière d’élargissement de la surveillance technologique (drones et vidéosurveillance algorithmique), les forces de l’ordre investissent progressivement l’espace public, jusqu’à atteindre prochainement les quelques 30 000 policiers et gendarmes quotidiennement mobilisés. Sans attendre, les préfectures ont d’ores et déjà engagé des plans « zéro délinquance » ciblant principalement les vols, les trafics divers et la vente à la sauvette. En somme, la délinquance de rue.
Semblant plus que jamais agir « au service de la police » - et ainsi donner raison à Michel Foucault, la Justice se voit dans le même temps sommée de s’organiser pour faire face à l’augmentation des contrôles et arrestations. Et, dans la droite ligne de son homologue de l’Intérieur, le Garde des Sceaux a exigé par circulaire du 15 janvier 2024 la mise en œuvre d’« une politique pénale déterminée prévoyant des réponses rapides, fortes et systématiques à l’ensemble des infractions pénales ayant pour objet ou pour effet de troubler le bon déroulement » des Jeux Olympiques et Paralympiques. Entendez ainsi poursuites, défèrements et comparutions immédiates.
La mise en branle de cette machine sécuritaire et judiciaire conduira inévitablement à un sursaut des incarcérations. En comparution immédiate, la peine d’emprisonnement ferme est prononcée dans 70 % des cas, soit huit fois plus souvent que dans toute autre audience pénale, toute chose égale par ailleurs.
Ces perspectives arrivent sans doute au pire moment (si tant est qu’il en existe un bon). Jamais la France n’a compté autant de prisonniers et prisonnières, dépassant au 1er avril 2024 la barre des 77 000. Ce chiffre vertigineux est encore plus étourdissant quand on se rappelle qu’au terme du confinement du printemps 2020 – et à l’arrivée d’Éric Dupont-Moretti place Vendôme – nous étions descendu à 58 000. En seulement quatre années, par le seul effet d’absurdes politiques répressives et sans corrélation avec une éventuelle augmentation de la délinquance, la population carcérale a explosé de près de 33 % !
Parallèlement, la surpopulation ne cesse de s’aggraver, les conditions de vie en détention de se dégrader. Dans les maisons d’arrêt, les personnes détenues s’entassent dans des cellules exigües, souvent vétustes, sinon insalubres, et subissent des atteintes au droit à la vie, des traitements inhumains et dégradants ou encore des violations graves du droit au respect de la vie privée et familiale.
En matière d’incarcération, il n’y a pourtant pas de fatalité. En écho aux recommandations européennes invitant en mars dernier « les autorités à instamment reconsidérer leur stratégie de lutte contre la surpopulation », des propositions émergent depuis longtemps pour engager un mouvement de déflation carcérale. Qu’il s’agisse de la dépénalisation d’un ensemble de comportements, d’un moindre recours à la comparution immédiate, à la détention provisoire et à l’emprisonnement ou du développement des peines de substitution, ces outils doivent permettre, sur le long terme, de renverser la tendance et favoriser le respect de nos textes qui disposent que l’emprisonnement doit être l’exception.
Dans l’attente, et pour faire face à l’urgence de la situation, l’instauration d’un mécanisme contraignant de régulation carcérale s’impose avec évidence. Son principe est simple : adapter le nombre de personnes incarcérées à la capacité opérationnelle des établissements et ainsi mettre fin à la surpopulation et lutter contre les conditions indignes de détention.
Ce dispositif est discuté de longue date au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat ; il apparaît dans des rapports de Dominique Raimbourg en 2010 et 2013, a été de nouveau formulé au cours de l’actuelle législature par les députées Caroline Abadie et Elsa Faucillon, ainsi que dans des propositions de loi des groupes CRCE au Sénat et LFI à l’Assemblée nationale. Le mécanisme est par ailleurs encouragé par le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL), la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) et le Conseil économique, social et environnemental (CESE). En début d’année, de nombreuses associations et organisations, dont l’Observatoire international des prisons (OIP), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Emmaüs France, le Conseil National des Barreaux (CNB) ou encore le Syndicat de la magistrature, ont soutenu l’adoption d’un tel outil.
Seul contre tous, le ministre de la Justice refuse encore d’en envisager la mise en œuvre. À l’inverse de ces appels, il alimente la surenchère sécuritaire en pressant l’adoption, avant les épreuves olympiques et paralympiques, d’une proposition de loi réprimant la répétition de comportements dans les transports. En cause ? La mendicité, le fait d’empêcher la fermeture des portes ou de jouer de la musique... Ici, à l’inverse de toutes les recommandations, l’incarcération est une nouvelle fois érigée en la solution idéale.
L’urgence est pourtant ailleurs. En matière de surpopulation, il n’y a pas de fatalité. Et s’ils le souhaitent, le Gouvernement et le Parlement peuvent encore prévenir un retour de flamme carcéral. Les jeux ne sont pas faits.
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