Réf. : Cass. civ. 3, 21 mars 2024, n° 22-18.694 FS-B+R N° Lexbase : A24682WC
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N8919BZD
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 27 Mars 2024
► Revirement de jurisprudence : si les éléments d’équipement installés en remplacement ou pas adjonction sur un ouvrage existant ne sont pas eux-mêmes un ouvrage, ils relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun.
À force de persévérance, chacun peut soulever une montagne, proverbe chinois.
Multipliant les occasions de saisir la Haute juridiction de cette question, les détracteurs de la jurisprudence constante depuis 2017 sur ce que certains ont appelé les quasi-ouvrages, ont fini par être entendus. INRI ?
1. Rappel de la jurisprudence antérieure sur les éléments d’équipement sur existant
Depuis l’arrêt cité dans la décision rapportée rendue le 15 juin 2017 (Cass. civ. 3, 15 juin 2017, n° 16-19.640, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6831WHH), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a opéré, ce que beaucoup qualifient, de revirement de jurisprudence. Ce n’est pourtant pas complètement le cas. Auparavant, pour que la responsabilité décennale s’applique, il fallait que les travaux sur existant fussent, eux-mêmes, qualifiés d’ouvrage. La jurisprudence se fondait sur plusieurs critères, tels que l’ampleur des travaux (pour exemple, le cas d’une rénovation lourde, Cass. civ. 3, 29 janvier 2003, n° 01-13.034, FS-P+B N° Lexbase : A8328A49), l’immobilisation dans un ouvrage existant (pour exemple, le cas d’un silo intégré au bâtiment par soudure, Cass. civ. 3, 8 juin 1994, n° 92-12.655, inédit au bulletin N° Lexbase : A7265CPR) ou encore le critère de reprise d’une partie d’ouvrage assurant une fonction de clos et de couvert (pour exemple, le cas d’une reprise de toiture, Cass. civ. 3, 8 octobre 2014, n° 13-21.807, FS-D N° Lexbase : A2128MYH). Mais, dans certaines situations, les juges appliquaient la responsabilité décennale à des désordres aux éléments d’équipement, même dissociables (CA Montpellier, 9 mars 1999, n° 95/0007479 N° Lexbase : A6955XCL) lorsqu’ils rendaient l’ouvrage lui-même impropre à sa destination (par exemple pour des canalisations, Cass. civ. 3, 3 décembre 2002, Constr. Urb. 2002, p.125, ou du chauffage Cass. civ. 3, 10 mars 1981, n° 80-10.069 N° Lexbase : A8898CGN, JCP 1981, IV, 190, ou encore une climatisation Cass. civ. 3, 20 novembre 1984, JCP 1985, IV, 42). L’élément déterminant était, l’affectation de la solidité ou, le plus souvent, l’impropriété à la destination de l’ouvrage lui-même, le caractère dissociable ou non de l’élément d’équipement étant indifférent (Cass. civ. 3, 23 janvier 1991, n° 88-20.221 N° Lexbase : A2626ABU).
Les arrêts rendus par la Haute juridiction depuis juin 2017 ne faisaient que stigmatiser ces solutions, par le truchement d’un attendu de principe selon lequel les désordres affectant les éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Cass. civ. 3, 15 juin 2017, n° 16-19.640, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6831WHH ; Cass. civ. 3, 14 septembre 2017, n° 16-17.323, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6554WR8 ; Cass. civ. 3, 26 octobre 2017, n° 16-18.120, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8797WWQ ; Cass. civ. 3, 14 décembre 2017, n° 16-10.820, FS-D N° Lexbase : A1265W8D et Civ.3ème 25 janvier 2018, n° 16-10.050, F-D N° Lexbase : A8526XBE). La Cour de cassation a tenu à en faire état dans le Bulletin d’information du 1er décembre 2017 : « désormais, tous les dommages, de la gravité requise par l’article 1792 du code civil, relèvent de la responsabilité décennale, qu’ils affectent des éléments d’équipement dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, dès lors qu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ». La souplesse du critère de l’impropriété à destination autorise, une nouvelle fois, l’extension du champ d’application de la responsabilité décennale.
Dans le prolongement, l’assurance RCD devait être souscrite (Cass. civ. 3, 26 octobre 2017, préc.).
Ce principe ne s’applique que pour les éléments d’équipement qui fonctionnent. Ce régime extensif ne s’applique, toutefois, que si l’élément d’équipement à vocation à fonctionner. Les désordres, quelle que soit leur gravité, affectant un élément d’équipement non destiné à fonctionner, relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur (Cass. civ. 3, 13 février 2020, n° 19-10.249, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A75253EG).
2. Revirement de jurisprudence
La Haute juridiction se justifie de ce qu’elle appelle un revirement.
Ces jurisprudences avaient, en premier lieu, un objectif de simplification en ne distinguant plus selon l’élément d’équipement d’origine ou seulement adjoint à l’existant, lorsque les dommages l’affectant rendaient l’ouvrage en lui-même impropre à sa destination.
Elles visaient aussi, en second lieu, à assurer une meilleure protection des maîtres d’ouvrage, qui réalisent de plus en plus de travaux de rénovation ou de réhabilitation.
Mais ces objectifs n’ont pas été atteints.
Elle décide donc d’y renoncer. Désormais, si les éléments d’équipements installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement et ce quel que soit le critère de gravité des désordres. Seule la responsabilité contractuelle de droit commun à vocation à s’appliquer.
Le principe est applicable aux instances en cours.
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