Réf. : Cass. crim., 12 mars 2024, n° 22-83.689, FS-B N° Lexbase : A05102UG
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par Florian Engel, Docteur en droit privé et sciences criminelles
le 17 Avril 2024
► La Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence, considère que l’expression « biens quelconques » utilisée par l’article 314-1 du Code pénal, peut concerner un bien immeuble remis à titre précaire. Le détournement de l’immeuble par la volonté de l’auteur de se comporter comme le propriétaire constitue donc l’élément matériel de l’abus de confiance.
Rappel des faits et de la procédure. C’est à l’occasion d’une tentaculaire affaire de prise illégale d’intérêt, abus de confiance, trafics d’influence, de blanchiment, favoritisme, abus de bien sociaux, faux et usage de faux, que la Cour de cassation fut saisie de multiples pourvois tendant à contester l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait condamné les différents prévenus, ainsi que deux arrêts de la chambre de l’instruction de la même cour d’appel. En l’espèce, le procureur avait requis l’ouverture d’une information judiciaire confiée à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille, en raison de différents faits liés à la gestion et le traitement des déchets dans les Bouches-du-Rhône. Cette instruction préparatoire avait permis de mettre en relief différentes infractions et à la mise en examen de plusieurs individus, dont le président du Conseil général et son frère. L’avocat de ce dernier avait présenté devant la chambre de l’instruction diverses requêtes en nullité.
Moyens soulevés. Parmi les moyens soulevés, un en particulier a attiré l’attention de la Cour de cassation. Il s’agissait d’un moyen soulevé par plusieurs prévenus, dont le frère du président du Conseil général, qui critiquaient l’arrêt de la cour d’appel qui les avait déclarés coupables d’abus de confiance et de complicité de cette infraction en raison du détournement d’un bien immobilier. Ils faisaient valoir qu’en application de la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière, l’abus de confiance ne peut porter sur un bien immobilier. Ils considéraient ainsi qu’un revirement de jurisprudence in defavorem ne pouvait rétroagir à des faits commis antérieurement, de telle sorte qu’on ne pourrait de toute façon lui reprocher cette infraction pour des faits commis entre 2007 et 2010. Ils avançaient également qu’il n’existait en l’espèce aucun détournement et que l’infraction reprochée n’avait pas été réalisée au préjudice d’autrui.
Décision. Rappelant sa jurisprudence classique en la matière, la Cour reconnaît toutefois qu’un nouvel examen de la question s’impose, du fait de l’existence de controverses doctrinales sur la question. Dans une solution très pédagogique, la Cour explique que sa jurisprudence, qui a déjà évolué en matière d’escroquerie, mérite d’évoluer également en matière d’abus de confiance. Elle affirme que l’acte de détournement peut résulter de l’utilisation d’un bien à des fins étrangères à celles convenues, dès lors qu’il est constaté que son possesseur avait la volonté de se comporter comme véritable propriétaire du bien. Elle constate qu’en l’espèce tel était le cas, les prévenus s’étant comportés comme les propriétaires de certaines parcelles et infrastructures alors que la société qu’ils représentaient n’était qu’un prestataire qui bénéficiait du droit d’exploiter les terrains. Tout en censurant la cour d’appel qui avait affirmé que le préjudice n’était pas un élément constitutif du délit d’abus de confiance, la Cour considère qu’il existe bien un tel préjudice en l’espèce, qui se déduit du détournement et qui ne peut être qu’éventuel.
Enfin, s’agissant du revirement de jurisprudence, la Cour affirme que le principe de prévisibilité n’est pas méconnu, dès lors que les prévenus étaient en mesure de « s’entourer de conseils appropriés » et que la Cour avait déjà initié un élargissement de la conception d’objets détournés dans des arrêts antérieurs.
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