Réf. : Loi n° 2024-233, du 18 mars 2024, visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales N° Lexbase : L8646MLS
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP
le 27 Mars 2024
Mots-clés : autorité parentale • limitation des droits parentaux • violences intra-familiales • violences conjugales • agressions sexuelles • protection des enfants • retrait de l’autorité parentale • suspension de l’exercice de l’autorité parentale • droits de visite et d’hébergement (DVH) • délégation forcée de l’exercice de l’autorité parentale
Publiée au Journal officiel du 19 mars 2024, la loi n° 2024-233 du 18 mars 2024, dite « Santiago », a pour objet d’améliorer la protection des enfants victimes de violences commises par l’un de leur parent sur l’autre ou sur eux-mêmes, durant la procédure pénale. Construit petit à petit par des textes successifs, le dispositif de limitation des droits d’un parent violent faisait quelque peu figure de mille feuilles et avait sans aucun doute besoin d’une remise à plat. Le nouveau texte utilise trois moyens pour aboutir au renforcement de la protection des enfants : l’extension du domaine de la limitation des droits parentaux, l’accentuation de cette limitation et l’amélioration de la lisibilité du dispositif.
Le dispositif de limitations des droits du parent auteur de violences conjugales relève à la fois de dispositions civiles relatives à l’autorité parentale et de dispositions civiles ou pénales relatives à la répression des violences conjugales. Ces différentes dispositions sont les manifestations de la prise en compte contemporaine de l’impact sur les enfants, des violences commises sur l’un de leur parent par l’autre. Cette approche qui s’appuie sur des études psychologiques et médicales, a été intégrée dans les textes juridiques depuis 2010 et n’a cessé de croître depuis cette date, au point d’être considérée aujourd’hui comme une évidence et une nécessité. Il est en effet incontestable que l’exercice des droits parentaux par l’auteur des violences constitue une mise en danger de l’enfant comme du parent victime et qu’il convient de les limiter le plus tôt possible lorsque les violences sont révélées. L’exercice de l’autorité parentale est en effet l’occasion pour le parent violent de menacer l’enfant et de l’utiliser contre le parent victime. Le maintien des contacts entre l’enfant et le parent violent ou présumé tel, que ce soit par des contacts physiques ou par la simple mise en présence de l’enfant avec son parent violent, est un risque qu’il faut écarter très rapidement.
Construit petit à petit par des textes successifs [1], le dispositif de limitation des droits d’un parent violent faisait quelque peu figure de mille feuilles et avait sans aucun doute besoin d’une remise à plat. Il pouvait en outre paraître trop limité à la fois quant aux hypothèses dans lesquelles il devait s’appliquer et quant aux mesures qu’il contenait. On a pu en effet regretter que les textes n’aillent pas suffisamment loin et ne mettent pas en place une incompatibilité de principe entre la coparentalité et les violences commises par un parent [2].
La loi dite « Santiago » du nom de la députée qui a porté et défendu de manière remarquable le texte durant tout son parcours législatif, répond partiellement à ces critiques. Elle porte toutefois exclusivement sur les dispositions relatives à la limitation des droits parentaux comme conséquence d’une procédure pénale, sans traiter des dispositions composant ce qu’on peut appeler le droit de l’autorité parentale. On peut le regretter, mais cette prise en compte aurait sans doute nuit à l’homogénéité du texte.
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, il est précisé que cette dernière « n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions des violences intrafamiliales, mais à défaut d’un projet de loi transversal et d’une loi de programmation pluriannuelle du Gouvernement, que nous attendons depuis plusieurs années, elle propose de reprendre les mesures prioritaires identifiées par les acteurs afin de mieux, et vite, protéger les enfants victimes, directes ou indirectes, de violences intrafamiliales, physiques, sexuelles, incestueuses ou psychologiques. »
L’objet du texte, clairement formulé dans son intitulé, est d’améliorer la protection des enfants victimes de violences commises par l’un de leur parent sur l’autre ou sur eux-mêmes, durant la procédure pénale.
Le texte utilise trois moyens pour aboutir au renforcement de la protection des enfants : l’extension du domaine de la limitation des droits parentaux (I), l’accentuation de cette limitation (II) et l’amélioration de la lisibilité du dispositif (III).
I. L’extension du domaine de la limitation des droits parentaux au-delà des violences conjugales graves
Agressions sexuelles. L’ensemble du dispositif de limitation des droits parentaux mis en place par les lois successives de lutte contre les violences conjugales et amélioré dans la présente loi, est étendu à tous les crimes et les agressions sexuelles commises par un parent sur son enfant. Cette extension, clairement influencée par les travaux de la CIIVISE, est plus que bienvenue car il était choquant qu’un enfant qui a subi des violences sexuelles de la part de son parent soit moins protégé qu’un enfant co-victime de violences conjugales. Le législateur place ainsi les agressions sexuelles au même plan que les crimes, alors qu’elles constituent des délits, leur particulière gravité justifiant une telle assimilation. Les infractions sexuelles font d’ailleurs l’objet de règles plus sévères en matière de prescription que pour les autres délits. Certaines dispositions du texte, quoique rares concernent également les délits commis sur un enfant par son parent autre que l’agression sexuelle.
Assimilation au viol. Le fait de ne pas différencier parmi les infractions sexuelles incestueuses le viol et l’agression sexuelle doit être salué. En effet, il est tout d’abord souvent difficile en pratique de qualifier les violences sexuelles, faute de certitudes et de preuves précise de la pénétration. Il s’avère ensuite, qu’en pratique, la correctionnalisation peut aboutir à juger une agression sexuelle alors que les faits relèvent de la qualification de viol. Enfin, l’agression sexuelle de l’enfant par son parent constitue tout autant que le viol une transgression inacceptable de l’interdit de l’inceste et du principe selon lequel l’autorité parentale a pour finalité la protection de l’enfant. Le fait, à l’inverse, d’abuser de son autorité pour commettre une violence sexuelle sur l’enfant en le contraignant au silence, doit avoir les mêmes conséquences qu’il s’agisse d’un viol ou d’une agression sexuelle. Il est dans les deux cas inadmissible que l’enfant puisse rester soumis à l’autorité de son parent.
Appréciation antérieure du juge pénal. Avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 mars 2024, la limitation des droit parentaux résultait d’une appréciation du juge pénal condamnant l’auteur de violences sur l’autre parent de l’enfant, les textes lui imposant de se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice en cas de crime. Même si plusieurs décisions de la Cour de cassation de ces dernières années [3] permettent de penser que ces dispositions ont fait l’objet d’un certain nombre d’applications récentes, il apparaissait en pratique que les décisions de retrait de l’autorité parentale n’étaient pas systématiques en matière de crime et inexistantes en matière de délit. En outre dans les deux décisions de 2023, la Cour de cassation a clairement énoncé qu’elle contrôlait l’appréciation par les juges du fond de l’intérêt de l’enfant à voir son parent privé de ses droits, considérant notamment que la cour d’appel qui avait retiré l’autorité parentale au parent d’un enfant dont il avait violé la mère n’avait pas suffisamment motivé concrètement sa décision au regard de l’intérêt de l’enfant [4].
Retrait de l’autorité parentale de principe. La loi du 18 mars 2024 renverse totalement le dispositif du retrait de l’autorité parentale en cas de crimes sur l’autre parent ou l’enfant, ou en cas d’agression sexuelle sur ce dernier. Elle instaure clairement – et de manière bienvenue – une présomption selon laquelle dans ces dernières hypothèses, il est de l’intérêt de l’enfant de voir son parent privé de ses droits, au moins partiellement. Ainsi, en vertu des articles 378 N° Lexbase : L8778MLP du Code civil et 228-1 N° Lexbase : L8776MLM du Code pénal, dont la formulation est tout à fait identique, en cas de condamnation d’un parent pour crimes sur l’autre parent ou sur l’enfant, ou pour agression sexuelle sur ce dernier, le juge pénal doit prononcer le retrait au moins partiel de l’autorité parentale sauf décision contraire spécialement motivée. Cette évolution répond incontestablement aux préconisations de la CIIVISE tout en les atténuant. En effet, la CIIVISE souhaitait que le retrait soit systématique et c’est d’ailleurs ce que prévoyait la proposition de loi dans sa version initiale. Celle-ci a été modifiée durant le parcours législatif pour introduire une appréciation minimum par le juge de la conformité du retrait de l’autorité parentale à l’intérêt de l’enfant. Cette modification permet d’assurer la conformité du texte à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui exige qu’une limitation des droits parentaux même dans un cadre pénal doit être appréciée au regard de l’intérêt de l’enfant [5]. Même si elles sont sans doute rares, on peut envisager des hypothèses où il n’est pas opportun pour l’enfant que son parent soit privé de droit sur lui, notamment lorsque le parent auteur du crime sur l’autre était la victime des violences conjugales.
Violences conjugales. À l’origine du texte, le domaine du retrait de principe de l’autorité parentale était applicable aux violences conjugales ayant donné lieu à une ITT de plus de huit jours. Face à l’hostilité d’un certain nombre de parlementaires, et le risque d’une disproportion entre la gravité de l’infraction et l’atteinte aux droits parentaux, les porteurs de la proposition de loi ont restreint le domaine du retrait de principe aux crimes et agressions sexuelles. Ce retrait mérite d’être salué car en étendant trop largement le domaine du retrait de principe de l’autorité parentale, le risque était qu’il soit peu appliqué.
Prononcé du retrait. Le retrait de l’autorité parentale quoique de principe n’est cependant pas automatique et il doit être prononcé par le juge. Ce prononcé est nécessaire pour choisir la portée de la privation des droits parentaux : retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou seulement retrait de son exercice. Ces trois choix sont hiérarchisés dans le texte : « le jugement ordonne le retrait total de l'autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Si elle ne décide pas le retrait total de l'autorité parentale, la juridiction ordonne le retrait partiel de l'autorité parentale ou le retrait de l'exercice de l'autorité parentale. » On peut émettre quelques craintes sur l’application effective du texte. En effet, jusqu’à présent, les juges avaient l’obligation de se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale et ils ne s’y conformaient que rarement ; la nouvelle formulation du texte va-t-elle davantage les contraindre ? Si le juge ne prononce pas le retrait de l’autorité parentale on peut penser que le représentant de l’enfant – son autre parent, son administrateur ad hoc ou le délégataire de l’autorité parentale – pourrait intenter un recours contre cette absence de décision.
Prise en charge de l’enfant. Dans l’arrêt du 6 septembre 2023 [6] la Cour de cassation affirme que l'article 380 N° Lexbase : L8775MLL du Code civil imposant à la juridiction qui prononce le retrait de l'autorité parentale de désigner, si nécessaire, la personne à laquelle l'enfant sera confié ou de le confier au service de l'aide sociale à l'enfance, ne s'applique pas à la Cour d’assise qui prononce le retrait de l'autorité parentale à l'égard du condamné. Cette affirmation devrait s’appliquer au nouveau dispositif de retrait de l’autorité parentale issu de la loi du 18 mars 2024. Il conviendra alors, si l’autre parent est décédé ou dans l’impossibilité d’exercer l’autorité parentale de mettre en place une délégation de l’exercice de l’autorité parentale en vertu des 3° et 4° de l’article 377 N° Lexbase : L6255MLA du Code civil tel qu’issu de la loi de 2024 à la demande de la personne ou du service à qui l’enfant est confié.
Retrait par le juge civil. En l’absence – illégale – de décision du juge pénal sur le retrait de l’autorité parentale, ou si ce dernier estime que celui-ci n’est pas dans l’intérêt de l’enfant, le juge civil peut être saisi de la même demande sur le fondement de l’article 378-1 N° Lexbase : L5369LTZ du Code civil. Dans ce dernier cas, l’autorité de la chose jugée au pénal ne devrait pas empêcher le juge civil de prononcer le retrait de l’autorité parentale dès lors que selon, ce dernier texte, sa décision sera motivée par le danger « manifeste » encouru par l’enfant.
Exécution provisoire. L’article 228-1 du Code pénal précise que la décision de la juridiction de jugement est assortie de plein droit de l’exécution provisoire, c’est-à-dire qu’elle s’applique dès son prononcé, et même si l’auteur forme un recours.
Autres enfants. L’article 228-1 du Code pénal prévoit en outre que le retrait de l’autorité parentale pourra être étendu aux autres enfants du parent condamné, sans que le juge ne soit tenu de se prononcer sur cette question. Sur ce dernier point, on peut noter que cette disposition est en contradiction avec l’article 379 N° Lexbase : L2993LUE du Code civil selon lequel « à défaut d'autre détermination, [le retrait] s'étend à tous les enfants mineurs déjà nés au moment du jugement. »
III. La clarification du dispositif de limitation des droits du parent violent
La clarification du dispositif de limitation des droits du parent violent se traduit d’une part par l’amélioration de certains éléments du dispositif (A), et d’autre part par une réorganisation globale de ce dernier (B).
A. L’amélioration de certains éléments du dispositif
1) La suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement
Domaine. La suspension « de plein droit » de l’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement du parent violent au début de la procédure, déjà prévue par l’article 378-2 N° Lexbase : L8783MLU du Code civil en cas « de poursuite ou condamnation même non définitive « pour crime sur la personne de l’autre parent », a été étendue aux crimes ou agressions sexuelles sur l’enfant. Au départ, l’article 1er de la proposition de loi prévoyait également la mise en place d’une suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent condamné, même non définitivement, pour des faits de violences sur l’autre parent ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits. Mais cette hypothèse de suspension n’a pas été retenue dans la version finale du texte. Il aurait pu cependant être envisagé que cette suspension puisse être décidée de manière exceptionnelle par le procureur de la république (cf. infra).
Durée. La loi de 2024 a, en outre, modifié le régime de la suspension des droits parentaux en vue de faciliter sa mise en œuvre et garantir l’absence de relations entre l’enfant et le parent présumé auteur de violences graves pendant la procédure. L’ancien texte prévoyait que cette suspension courait « jusqu'à la décision du juge et pour une durée maximale de six mois, à charge pour le procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales dans un délai de huit jours. » Selon l’interprétation du texte, par la circulaire d’application et la pratique, la suspension était automatique, et le procureur devait seulement saisir le juge aux affaires familiales dans les huit jours pour obtenir une délégation de l’exercice de l’autorité parentale si l’autre parent était décédé ou la confirmation au fond d’un exercice exclusif de l’autorité parentale dans le cas contraire. La suspension de l’exercice de l’autorité parentale ne pouvait être notifiée au parent auteur des violences qu’au moment de la saisine du juge, faute d’autre acte pour constituer le support de cette notification.
Point de départ. Désormais, la suspension découle automatiquement de l’enclenchement des poursuites par le ministère public ou par la mise en examen par le juge d’instruction de l’auteur des violences. Dans les deux cas, la suspension est notifiée à l’auteur des violences dans le même acte que celui qui lui signifie soit sa convocation par le ministère public à une audience de comparution immédiate ou autre, soit sa mise en examen par le juge d’instruction. La suspension n’aura donc pas lieu en cas de classement sans suite.
Enquête. Il n’est pas prévu que la suspension des droits parentaux puisse intervenir pendant l’enquête préliminaire, ce qui a pu susciter des critiques. Il apparaît cependant qu’une suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale dès le début de l’enquête constituerait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale du parent mis en cause et à la présomption d’innocence. Il paraît plus conforme aux droits et libertés fondamentales de mettre en place la suspension des droits parentaux seulement lorsqu’est établie la réalité des soupçons suffisants pesant sur l’auteur présumé des violences. Cette suspension des droits parentaux aurait pu cependant intervenir de manière exceptionnelle par décision du ministère public pour protéger l’enfant et son parent de manière immédiate lorsque l’auteur des violences risque de les réitérer. Ce pouvoir exceptionnel reconnu au ministère en cas d’urgence serait comparable à celui qui lui permet de rendre une ordonnance de placement provisoire pour protéger un enfant d’un danger grave et imminent [7]. Cette suspension exceptionnelle des droits parentaux pendant l’enquête pourrait fonctionner de la même manière que l’ordonnance de placement provisoire, le procureur de la république qui rend la décision devant saisir le juge compétent dans les huit jours - le juge des enfants pour le placement, le juge aux affaires familiales pour la suspension des droits parentaux - pour qu’il infirme ou confirme sa décision.
Terme. Le régime de la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement évolue également à travers la modification de son terme. Alors qu’auparavant, la suspension cessait soit au moment où le juge aux affaires familiales, obligatoirement saisi par le ministère public, rendait sa décision, soit automatiquement au bout de six mois, le nouveau texte permet indirectement de faire perdurer la suspension jusqu’à la fin de la procédure. En effet le texte prévoit d’abord que la suspension perdure jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales « saisi le cas échéant par le parent poursuivi ». En effet, dès lors que la saisine du juge aux affaires familiales par le parquet n’est pas plus obligatoire, celui-ci ne sera pas saisi de manière systématique. Seule la personne poursuivie aura intérêt à saisir le juge aux affaires familiales pour lui demander de faire cesser la suspension. Le juge aux affaires familiales devra alors décider s’il maintient ou non la suspension, ce qui n’est pas la même chose que de décider s’il la met en place ou non. Hormis l’hypothèse du parent qui s’est défendu des violences de l’autre, on ne voit pas trop ce qui pourrait inciter le juge aux affaires familiales à faire cesser la suspension des droits parentaux alors que le parent est soupçonné de faits particulièrement graves et qu’on peut présumer qu’il représente un danger pour l’enfant. Il est plus probable que le juge aux affaires familiales maintienne la suspension des droits jusqu’à la fin de la procédure pénale. Si l’auteur des violences ne saisit pas le juge aux affaires familiales, aucun délai n’est prévu par le texte et la suspension perdure jusqu’à la décision de non-lieu du juge d’instruction ou jusqu’à la décision – de condamnation ou d’acquittement – de la juridiction de jugement. Cette modification a suscité la réticence des sénateurs. Elle a cependant été acceptée dans le cadre de la commission paritaire « en espérant que les JAF auront à se prononcer rapidement sur ces suspensions lorsqu’elles ne sont pas dans l’intérêt de l’enfant. » Si la procédure aboutit à une condamnation du parent, c’est le prononcé du retrait de l’autorité parentale ou de son exercice qui succèdera à la suspension de ce dernier. En cas de non-lieu ou d’acquittement, le parent retrouve ses droits, et il conviendra en cas de persistance d’un danger pour l’enfant, de saisir rapidement le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants pour protéger l’enfant et le parent victime, par un exercice exclusif de l’autorité parentale ou un placement, notamment dans l’hypothèse où la fin de la procédure est uniquement fondée sur un défaut de preuves des faits allégués.
Changement de résidence. Selon la loi du 18 mars 2024, l’obligation d’un parent d’informer l’autre de tout changement de résidence, contenue dans l’article 373-2 N° Lexbase : L8774MLK du Code civil, est écartée pour le parent bénéficiaire d'une autorisation de dissimuler son domicile ou sa résidence prévue au 6° bis de l'article 515-11 N° Lexbase : L8100MAA, si l'ordonnance de protection a été requise à l'encontre de l'autre parent. Cette disposition aboutit concrètement à empêcher le parent violent d’entrer en contact avec l’autre parent et ses enfants et constitue un corollaire bienvenu à la suspension de l’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite.
2) La clarification du régime de la délégation forcée de l’exercice de l’autorité parentale
Parent seul titulaire de l’exercice de l’autorité parentale. Le législateur a réécrit de façon plus lisible l’article 377 N° Lexbase : L8782MLT du Code civil relatif à la délégation de l’exercice de l’autorité parentale. Celui-ci énumère désormais plus clairement les quatre cas de délégation forcée : d’une part le désintérêt des parents ou leur impossibilité d’exercer l’autorité parentale, et d’autre part des poursuites, par le procureur de la République, ou une mise en examen par le juge d’instruction d’un parent soit pour un crime commis sur l’autre parent ayant entrainé la mort de celui-ci, soit pour un crime ou une agression sexuelle commise sur son enfant alors qu’il est le seul titulaire de l’exercice de l’autorité parentale. Cette dernière hypothèse a été rajoutée par la loi du 18 mars 2024. Dans les deux derniers cas, la délégation de l’exercice de l’autorité parentale n’est envisagée que dans les cas où l’autre parent n’exerce pas l’autorité parentale, ce qui est logique car dans le cas contraire c’est ce dernier qui exercera seul cette autorité. Les 3° et 4° de l’article 377 sont donc destinés à permettre au service ou à la personne qui a recueilli l’enfant de se voir transférer les prérogatives nécessaires pour assurer la prise en charge de celui-ci sans avoir à composer avec le parent auteur du crime ou de l’agression sexuelle, en attendant, le cas échéant, un retrait de l’autorité parentale au moment de la condamnation de ce dernier.
B. La mise en place d’un dispositif gradué et cohérent
Regroupement. Formellement, la clarification du dispositif de limitation des droits parentaux par le juge pénal passe par la suppression des dispositions éparses relatives au retrait de l’autorité parentale ou de son exercice dans la Code pénal, pour les remplacer par un chapitre VIII du Code pénal qui lui est spécifiquement consacré, dans le titre sur les atteintes à la personne humaine et après le chapitre sur les atteintes au mineur et à sa famille.
Gradation. L’article 228-1 du Code pénal issu de la loi du 18 mars 2024 améliore la visibilité du dispositif de limitation des droits du parent violent en distinguant trois situations et en prévoyant pour chacune le régime du retrait de l’autorité parentale. Le texte prévoit une gradation de la limitation des droits parentaux selon la gravité de l’infraction. Même si cela implique de reprendre certains points évoqués plus haut, il paraît opportun de présenter le dispositif de la limitation des droits parentaux en son entier : aux différentes étapes de la procédure et après celle-ci, tel qu’il ressort désormais des différents textes, du Code pénal et du Code civil, relatifs à la limitation des droits parentaux.
Crime ou agression sexuelle. En cas de crime sur l’autre parent, sur l’enfant ou une agression sexuelle sur ce dernier, une suspension automatique des droits parentaux est prévue lors des poursuites, et le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice est de principe en cas de condamnation. En outre, une délégation de l’exercice de l’autorité parentale pourra être prononcée en cours de procédure si l’autre parent n’exerce pas l’autorité parentale ou est décédé.
Délit sur la personne de l’enfant. En cas de délit sur la personne de l’enfant autre qu’une agression sexuelle, la suspension des droits parentaux n’est pas prévue au moment des poursuites, mais elle peut être demandée au juge aux affaires familiales. Lors de la condamnation, le juge doit se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice sans être obligé de prononcer celui-ci.
Violences conjugales. En cas de délit de violences sur l’autre parent ou si la personne poursuivie est coautrice d’une infraction commise sur l’enfant, la suspension des droits parentaux au moment des poursuites n’est pas prévue – elle peut là encore être demandée au juge aux affaires familiales - et lors de la condamnation le juge pénal peut se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice sans y être obligé.
Restitution de l’autorité parentale. Le Sénat a introduit en commission un article additionnel qui clarifie l’article 381 N° Lexbase : L8784MLW du Code civil en distinguant les modalités de restitution des droits attachés à l’autorité parentale selon que le retrait porte sur l’autorité parentale ou sur son exercice. Ainsi, si la demande de restitution ne peut être formée qu’à l’issue d’un délai d’un an après que la décision de retrait est devenue irrévocable en cas de retrait total de l’autorité parentale, ce délai n’est que de six mois lorsque le retrait porte sur l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement pour l’une des causes prévues aux articles 378 et 378-1 du Code civil, c’est-à-dire en cas d’infraction pénale commise sur l’enfant ou son autre parent ou en cas de danger manifeste pour l’enfant. Cette rédaction introduit une gradation entre les hypothèses de limitations de l’exercice de l’autorité parentale. Pour éviter que cette restriction à la restitution de l’exercice de l’autorité parentale ne soit contournée, aucune demande de modification ne pourra être présentée au JAF, avant six mois, dans le cadre de sa compétence de droit commun en matière d’autorité parentale [8].
[1] Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants N° Lexbase : L7042IMR ; loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes N° Lexbase : L9079I3N ; loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille N° Lexbase : L2114LUT, v. I. Corpart, Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales, Lexbase Droit privé, janvier 2020, n° 809 N° Lexbase : N1877BY8 ; et loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales N° Lexbase : L7970LXH, v. A. Gouttenoire, La loi du 30 juillet 2020 : un nouveau pas dans la protection civile de toutes les victimes de violences conjugales, Lexbase Droit privé, septembre 2020, n° 836 N° Lexbase : N4539BYR.
[2] A. Gouttenoire, La coparentalité à l’épreuve des violences conjugales, in A. Gogos-Gintrand et S. Zeidenberg dir.), Une décennie de mutations en droit de la famille, Dalloz, Thèmes commentaires et études, 2021 p.185-195.
[3] Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-85.904, F-P+B N° Lexbase : A7041WLD, Lexbase hebdo, éd. droit privé, 14 déc. 2017, n° 723. C. assises Tarn et Garonne, 19 mai 2016, n° 4 bis/2016 ; C. assises Gironde, 18 oct. 2017, cités par C. Quennesson, Le retrait de l’autorité parentale par le juge pénal en cas de crime d’un parent sur l’autre, Lexbase hebdo, droit privé, 14 déc. 2017 ; Cass. crim., 6 septembre 2023, n° 22-87.022, F-D N° Lexbase : A13241G7 ; Cass. crim., 21 juin 2023, n° 22-82.287, F-D N° Lexbase : A430994D.
[4] Cass. crim., 21 juin 2023 préc.
[5] CEDH, 28 septembre 2004, Req. n° 46572/99, Sabou et Pircalab c/ Roumanie N° Lexbase : A4446DDZ ; CEDH, 30 juin 2009, Req. n° 75109/1 et 12639/02, Viorel Burzo c/ Roumanie [en ligne] ; CEDH, 1 juillet 2008, Req. n° 42250/02, Calmanovici c/ Roumanie N° Lexbase : A0856EAX ; CEDH, 14 octobre 2008, Req. 6817/02, Iordache c/ Roumanie N° Lexbase : A7328EAN ; CEDH, 17 juillet 2012, Req. n° 64791/10, M.D. et autres c/ Malte [en ligne] en anglais, Dr. fam. 2013, étude n° 3, obs. A. Gouttenoire.
[6] préc. Cass. crim., 6 septembre 2023, n° 22-87.022, F-D N° Lexbase : A13241G7.
[7] C. civ., art. 375-5, al. 2 N° Lexbase : L4936K8C.
[8] C. civ., art.381 N° Lexbase : L8784MLW al.2 du Code civil qui renvoie à l’article 373-2-13 N° Lexbase : L2594LBP du Code civil, selon lequel « les décisions relatives à l'exercice de l'autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge » notamment à la demande d’un parent.
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