La lettre juridique n°977 du 14 mars 2024 : Procédure civile

[Brèves] Péremption d’instance en appel : la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence !

Réf. : Cass. civ. 2, 4, arrêts, 7 mars 2024, n° 21-19.475 N° Lexbase : A41372SZ, n° 21-19.761 N° Lexbase : A41302SR, n° 21-23.230 N° Lexbase : A41362SY, n° 21-20.719 N° Lexbase : A41312SS, FS-B

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par Alexandra Martinez-Ohayon

le 25 Mars 2024

► Opérant un revirement de jurisprudence relatif à la péremption d’instance, par quatre arrêts du 7 mars 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, vient de juger qu’une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière.

Les faits et procédures.

Dans la première affaire (n° 21-19.475), une société a interjeté appel à l’encontre d’un jugement rendu par un tribunal de commerce dans une instance l’opposant à une autre société. Par ordonnance, le conseiller de la mise en état a constaté la péremption d’instance. L’appelante a formé un pourvoi contre l’arrêt ayant confirmé l’ordonnance déférée.

Dans la seconde affaire (n° 21-19.761), une copropriétaire d’un immeuble a relevé appel à l’encontre d’un jugement l’opposant au syndicat des copropriétaires et une société. Par ordonnance, le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l'instance. La copropriétaire a formé un pourvoi contre l'arrêt ayant confirmé l'ordonnance déférée.

Dans la troisième affaire (n° 21-23.230), dans un litige opposant une société à un particulier, ce dernier a interjeté appel à l’encontre d’un jugement. Par ordonnance, le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l'instance, et un pourvoi a été formé contre l'arrêt ayant confirmé l'ordonnance déférée.

Dans la quatrième affaire (n° 21-20.719), une association a relevé appel à l’encontre d’un jugement rendu par un conseil des prud’hommes dans un litige l’opposant à son salarié. Par ordonnance, le conseiller de la mise en état a rejeté l’incident de péremption soulevé par le salarié. Ce dernier a formé un pourvoi contre l'arrêt ayant confirmé l'ordonnance déférée.

Dans les quatre affaires, le président de la conférence des premiers présidents de cours d'appel, le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris et le président du Conseil national des barreaux ont, en application des articles L. 431-3-1 du Code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L3775LD8 et 1015-2 du Code de procédure civile N° Lexbase : L3783LDH, déposé chacun une note écrite et les deux derniers ont été entendus à l'audience publique du 19 décembre 2023.

Le problème. L’enjeu porte principalement sur la péremption d’instance devant la cour d’appel. En effet, comme le rappelle la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans chacune de ces décisions :

  • jusqu'à présent, la Cour de cassation décidait en matière de procédure d'appel avec représentation obligatoire que la péremption de l'instance d'appel résulte du défaut d'initiative des parties après avoir conclu en vertu des articles 908 N° Lexbase : L2401MLI et 909 N° Lexbase : L7240LEU du Code de procédure civile, ou d’obtenir du conseiller de la mise en état la fixation des débats de l’affaire, en application de l'article 912 du code précité N° Lexbase : L7245LE3 (Cass. civ. 2, 16 décembre 2016, n° 15-27.917, FS-P+B+I N° Lexbase : A2215SXC.
  • elle considérait que la demande de la partie appelante au président de la formation de jugement, indiquant son intention de ne pas répliquer aux dernières conclusions de l'intimé, interrompt le délai de péremption, mais ne le suspend pas, selon un arrêt du 1er février 2018 (Cass. civ. 2, 1er février 2018, n° 16-17.618, F-P+B N° Lexbase : A4857XCU) ;

La Haute juridiction énonce qu’il y a lieu de reconsidérer cette jurisprudence, dès lors que :

  • postérieurement à l’arrêt précité du 16 décembre 2016, il découle du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 , qui a introduit l'article 910-4 dans le Code de procédure civile . Selon cet article, impose aux parties de présenter l'ensemble de leurs prétentions sur le fond dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 N° Lexbase : L7036LEC et 908 à 910 N° Lexbase : L2403MLL, sous peine d'irrecevabilité relevée d'office ;
  • lorsque les parties ont respecté leurs obligations dans les délais impartis en vertu de l'article précité, sans avoir à ajouter quoi que ce soit au soutien de leurs prétentions, la direction de la procédure revient au conseiller de la mise en état ;
  • la demande de fixation de l'affaire à une audience peut souvent être vaine, car les cours d'appel, en raison de rôles d'audience complets, sont parfois incapables de fixer l'affaire dans un délai inférieur à deux ans. En conséquence, lorsque le conseiller de la mise en état ne peut pas fixer la date de clôture et des plaidoiries avant l'expiration du délai de péremption, les parties ne devraient pas être contraintes de solliciter la fixation de la date des débats uniquement dans le but d'interrompre la péremption.

Dans les cas d’espèce, nous étions dans des situations où les rôles étaient surchargés, et les cours d’appels n’étaient pas en mesure de fixer les affaires dans des délais raisonnables.

Solution. Énonçant la solution susvisée au visa de l’article 6, §, 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, des articles 2 N° Lexbase : L1108H4S, 386 N° Lexbase : L2277H44, 908, 909, 910-4 et 912 du Code de procédure civile, ces quatre derniers dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la Cour de cassation, censure le raisonnement des cours d’appel des trois premières affaires (n° 21-19.475, n° 21-19.761, n° 21-23.230). Elle annule en toutes leurs dispositions les arrêts rendus par les cours d’appels et remet les affaires où elles se trouvaient avant ces arrêts. Pour la quatrième affaire (n° 21-20.719), la Haute juridiction valide le raisonnement de la cour d’appel ayant constaté que les parties avaient accompli les charges procédurales leur incombant et en l'absence de diligences particulières mises à leur charge par le conseiller de la mise en état, et dès lors, en a déduit que la péremption n’était pas acquise. La Cour de cassation déclare le moyen non-fondé et rejette le pourvoi.

La Cour de cassation précise que ce revirement de jurisprudence est immédiatement applicable en ce qu'il assouplit les conditions de l'accès au juge, et conduit à l'annulation des arrêts attaqués.

Pour aller plus loin : ces arrêts feront l’objet d’un commentaire détaillé par Yannick Joseph-Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Directeur adjoint de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble, Centre de Recherches Juridiques à paraître prochainement dans Lexbase Droit privé.

 

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