Réf. : Loi n° 2023-1322, du 29 décembre 2023, de finances pour 2024 N° Lexbase : L9444MKY
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par Ellena Brunetti, Juriste en droit de l’environnement et droit douanier et ancienne avocate au Barreau de Paris
le 17 Janvier 2024
Mots-clés : loi de finances pour 2024 • fiscalité environnementale • fiscalité énergétique • environnement • énergie
Comme chaque année, la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 (ci-après désignée par l’acronyme « LF 2024 »), a été publiée fin décembre. Celle-ci comporte — sans grande surprise compte tenu de l’actualité sans cesse renouvelée de ces sujets — de nombreuses dispositions ayant trait aux thématiques environnementales et énergétiques. Ces mesures se rattachent aussi bien aux domaines des déchets (I), que de l’énergie (II). Des mesures diverses qui touchent de manière plus ou moins directe à ces matières sont également à mentionner (III).
Avant de présenter les principales mesures relatives à la fiscalité environnementale et énergétique issues de la LF 2024, il convient de procéder à un rappel d’ordre budgétaire, puisque, pour la quatrième année consécutive, la loi de finances est accompagnée d'une cotation intégrale des dépenses du budget selon leur impact environnemental. À l’occasion de cette édition 2024, ce concept de « budget vert » a d’ailleurs été élargi aussi bien aux collectivités territoriales (articles 191 et 192 LF 2024) qu’à certains opérateurs de l’État (article 296 LF 2024).
I. Déchets
A. TGAP - Évolution des tarifs pour la mise en décharge des déchets non dangereux (DND) (Articles 102 et 103 LF 2024)
La LF 2024 comporte plusieurs mesures notables relatives à la composante « déchets » de la taxe générale sur les activités polluantes (ci-après « TGAP »).
En premier lieu, l’exemption de TGAP pour les déchets issus de la résorption des décharges littorales. Cette mesure, consacrée à l’article 103 de la LF 2024, concerne plus particulièrement les déchets réceptionnés dans une installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND) qui proviennent d'un dépôt de déchets couvert par le Plan 2022-2032 national de résorption des décharges littorales historiques (qui, pour mémoire, vise à résorber, sur 10 ans, les sites d’anciennes décharges en front de mer présentant à court terme un risque important de déversement de déchets en mer). Les dépôts concernés sont ceux situés à moins de 100 mètres du trait de côte dans une zone soumise à érosion ou dans une zone de submersion marine potentielle, et dont la liste est fixée par un arrêté du ministre chargé de l'environnement.
Cette mesure permet ainsi d’assurer la cohérence du dispositif de la TGAP aux principes de « pollueur-payeur » [1], de hiérarchie des traitements des déchets [2] et d’économie circulaire, qui conduisent notamment, à travers la composante « déchets » de la TGAP, à renchérir le coût du traitement thermique et du stockage des déchets. En effet, force est de constater que les cas de stockage de déchets visés par cette mesure ne relèvent pas du circuit traditionnel de production de déchets, mais sont issus d’un projet de réhabilitation et de prévention de la pollution marine (puisque la présence sur le littoral français de tels sites constitue une menace environnementale non négligeable, compte tenu des risques de recul du trait de côte et de submersion pouvant résulter des effets conjugués de l’érosion côtière et de la montée des eaux, conséquences anticipées du réchauffement climatique). Ainsi, en raison de leur particularité, il semblait cohérent d’aligner leur régime sur celui déjà prévu par l’article 266 sexies du Code des douanes N° Lexbase : L4367MGT pour la réception de déchets relevant de situations exceptionnelles ou caractérisées par l’urgence (dépôt non autorisé de déchets abandonnés, catastrophes naturelles, etc.).
En second lieu, deux autres mesures figurent à l’article 104 de la LF 2024 :
Enfin, l’article 102 de la LF 2024 procède à un élargissement du champ d’application matériel de la composante « déchets » de la TGAP, puisqu’y sont dorénavant soumis les déchets radioactifs métalliques, alors qu’auparavant, seuls étaient désignés les déchets qualifiés de « dangereux et non dangereux ». Est ainsi proposée une définition de ce type de déchets à l’article 266 sexies du Code des douanes. Le reste de l’article 266 sexies, ainsi que l’article 266 nonies N° Lexbase : L0160L3C sont également retouchés afin de préciser les règles applicables à ce type de déchets, s’agissant en particulier de leur stockage.
En parallèle, afin de ne pas augmenter globalement les coûts supportés par cette filière stratégique, les tarifs de la taxe sur les installations nucléaires de base sont abaissés.
B. TEOM - Assouplissement pour sa mise en œuvre au sein des EPCI (article 150 LF 2024)
L’article 150 de la LF 2024 procède à une modification de l’article 1522 bis du CGI N° Lexbase : L7115LZK, en introduisant un assouplissement des conditions de mise en œuvre de la tarification incitative afin de permettre aux EPCI de n’instituer la part de tarification incitative que sur les territoires des communes qui disposent d’une proportion de logements collectifs inférieure à 20 %.
En effet, cet article du code général des impôts prévoit que les communes et leurs groupements peuvent instituer une part incitative de taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM), permettant de prendre en compte le niveau de production de déchets dans le calcul de cette dernière, afin d’inciter financièrement les usagers à des comportements vertueux de tri et de réduction des déchets.
Néanmoins, si ce levier a reçu des éloges soulignant son efficacité [6] pour progresser sur le tri des déchets, le dispositif de tarification incitative souffrait jusqu’alors d’une faiblesse constituant un frein à son instauration au sein des collectivités, à savoir, les éventuelles disparités, en termes de densité de logements, au sein du territoire des EPCI compétent en matière de collecte des déchets. En effet, parmi les communes regroupées au sein d’un EPCI, certaines disposent d’une proportion importante de logements collectifs, amoindrissant dès lors l’intérêt d’application de la TEOM à cet EPCI.
La mesure ici commentée a pour ambition de remédier à ce frein, en permettant désormais aux EPCI souhaitant instaurer la tarification incitative de panacher la mise en œuvre de celle-ci sur l’étendue de son territoire, en raison de la possibilité qui leur est offerte de ne pas instituer la part incitative sur le territoire de ses communes membres dont la proportion de logements situés dans des immeubles collectifs est supérieure à 20 % du nombre total de logements dans chacune de ces communes.
II. Énergie
A.Fraction perçue sur l'électricité de l'accise sur les énergies (anciennement TICFE, TDCFE et TICCE) – Prorogation et extension des tarifs réduits au titre du « bouclier fiscal » (articles 92 et 93 LF 2024)
L’actualité en matière de taxation de l’électricité présente pour cette édition 2024 un caractère anecdotique :
B. Fraction perçue sur les gaz naturels (ex-TICGN) (article 92 LF 2024)
En contrepartie de la prolongation de la minoration des tarifs réduits pour la fraction perçue sur l'électricité de l'accise sur les énergies, tel qu’elle a été présentée en supra, l’article 92 de la LF 2024 a offert la possibilité au Gouvernement de majorer le tarif normal d'accise sur le gaz naturel à usage combustible avant le décembre 2023. Une limite à cette majoration a néanmoins été prévue par les dispositions législatives (16,37 €/MWh).
En application de cette mesure, l'arrêté du 13 décembre 2022 constatant divers tarifs et seuils de régime d'imposition relatifs à certaines impositions sur les biens et services a été modifié par un arrêté du 29 décembre 2023 [7].
Ainsi, le tarif normal majoré de l'accise sur les gaz naturels combustibles est désormais fixé à 16,37 euros par mégawattheure (contre 8,45 euros par mégawattheure auparavant).
C. Fraction perçue en métropole de l'accise sur les énergies sur les produits énergétiques autres que les gaz naturels et les charbons (anciennement TICPE) [Articles 94 et 98 LF 2024]
La LF 2024 prévoit plusieurs mesures portant sur la taxation des produits pétroliers :
Par ailleurs, du point de vue procédural, il est rappelé qu’est effectif depuis le 1er janvier 2024 le transfert du recouvrement de cette taxe des douanes à la DGFiP (tel que prévu par l'article 184 de la loi n° 2019-1479, du 29 décembre 2019, de finances pour 2020, et dont les modalités ont été ensuite précisées par l'ordonnance n° 2021-1843, du 22 décembre 2021, portant partie législative du Code des impositions sur les biens et services et transposant diverses normes du droit de l'Union européenne).
D. Taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport ( TIRUERT, anciennement TIRIB) (article 95 LF 2024)
Outre le transfert de compétence effectif depuis le 1er janvier 2024 — comme cela a déjà précisé pour la fraction de l’accise sur les produits pétroliers, pour laquelle ce transfert de compétences est intervenu concomitamment — s’agissant de la taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport (TIRUERT) [9], les évolutions suivantes peuvent être relevées :
Outre ces mesures concernant les principales taxes existant en matière d’environnement et d’énergie, d’autres mesures plus anecdotiques ont également été prévues, et concernent aussi bien sur l’impôt sur les sociétés que sur le revenu, ou encore, la création de nouvelles taxes.
III. Autres mesures relatives à l’environnement ou l’énergie
Parmi les diverses mesures présentant un lien avec les matières environnementales et fiscales, peuvent ainsi être citées ;
Enfin, la LF 2024 comporte également de nombreuses mesures d’ordre budgétaire portant aussi bien sur les thématiques du patrimoine naturel que de la prévention des risques (compensations au profit des régions et des départements suite aux transferts des sites Natura 2000 et du réseau routier national, prolongation de l'affectation d'une partie des recettes du loto de la biodiversité à l'OFB , instauration d'un fonds d'accompagnement du secteur agricole vers des pratiques agroécologique, éligibilité au fonds de prévention des risques naturels majeurs des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite « des cinquante pas géométriques » dans les départements d'outre-mer, conditionnalité des aides publiques accordées au titre du fonds « France 2030 » au respect par les bénéficiaires de leur obligation de bilan carbone, dotation de soutien aux communes pour la valorisation des aménités rurales, compensations financières à destination du bloc communal des charges liées au transfert de la compétence en matière de police de la publicité extérieure).
[1] Principe selon lequel c’est le pollueur qui doit, en principe, assumer le coût de la pollution, dans le souci de l'intérêt public et sans fausser le jeu du commerce international et de l'investissement. Ce principe se traduit notamment par l'internalisation des coûts de protection de l'environnement et l'utilisation d'instruments économiques.
[2] La hiérarchie des modes de traitement est un ordre de priorité défini au niveau européen pour la gestion des déchets, et rappelé à l’article L. 541-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6920L7G. Conformément à cette hiérarchie, la première priorité est d’éviter la production du déchet : il s’agit des démarches de prévention des déchets. Quand un déchet n’a pas pu être évité, la personne chargée de la gestion du déchet doit privilégier, dans l’ordre : la préparation en vue de la réutilisation, puis le recyclage, puis toute autre valorisation (dont la valorisation énergétique), et seulement dans un dernier temps le cas échéant, l’élimination, est la solution à éviter dans la mesure du possible (incinération sans valorisation énergétique, ou à stockage des déchets dans une décharge).
[3] L’article 70 de la loi n° 2015-992, du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) N° Lexbase : L2619KG4 est en effet venu fixer un objectif chiffré de 50 % d’ici 2025 pour la réduction les déchets mis en décharge, via la modification de l’article L. 541-1 du Code de l'environnement comme suit : « I. […] 7° Réduire de 30 % les quantités de déchets non dangereux non inertes admis en installation de stockage en 2020 par rapport à 2010, et de 50 % en 2025 ».
[4] Pour l’application de la composante « déchets de la TGAP », une tarification spécifiquement appliquée aux collectivités d’outre-mer (COM) a été prévue, afin de prendre en compte la situation particulière de ces dernières, pour lesquelles les coûts de gestion du service public des déchets peuvent être plus importants que ceux observés dans l'Hexagone (les facteurs expliquant cela pouvant varier du transport maritime, du coût élevé de la vie en outre-mer, de la prépondérance de la collecte en porte à porte, du retard d’équipement et de l'usure prématurée des matériels en raison du climat, ou encore, du coût du foncier). À ce titre, il convient d’ailleurs de noter que, concernant la mesure relative à la majoration du tarif de mise en décharge pour la fraction excédant les objectifs fixés par la LTEV, des modalités particulières d’application ont également été prévues, puisque celle-ci ne s'applique pas aux déchets réceptionnés dans les installations situées dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution.
[5] Pour mémoire, l’article 63, de la loi n° 2020-1721, du 29 décembre 2020, de finances pour 2021 N° Lexbase : L3002LZ9 a modifié le taux de réfaction de la composante déchets de la TGAP applicable à la Guyane et à Mayotte par rapport aux tarifs de droit commun (une exception étant néanmoins prévue pour les installations de stockage non accessibles par voie terrestre situées en Guyane, pour lesquelles le tarif est fixé à 3 euros par tonne), en l’augmentant de 60 % à 75 %, avant de prévoir sa réduction à 70 % à compter du 1er janvier 2024. Concernant la Réunion, la Guadeloupe et la Martinique, l’article 14 de la loi n° 2021-1549, du 1er décembre 2021, de finances rectificatives pour 2021 N° Lexbase : L7368L9R a quant à lui porté provisoirement de 25 % à 35 % le taux de réfaction de la TGAP. Ces taux sont prévus à l’article 266 nonies du code de l’environnement.
[6] Le bilan de l’ADEME sur les premiers retours d’expérience [en ligne] constate, dès la mise en œuvre de la tarification incitative, la diminution des quantités d’ordures ménagères résiduelles et l’amélioration des collectes sélectives
[7] Arrêté du 29 décembre 2023, fixant le tarif normal d'accise sur les gaz naturels en application de l'article L. 312-36 du Code des impositions sur les biens et services N° Lexbase : L9606MKY.
[8] Ordonnance n° 2023-661, du 26 juillet 2023, prise en application des dispositions de l'article 137 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et de l'article 128 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.
[9] Concernant le fonctionnement de ce mécanisme - incitatif en ce que son objectif prépondérant ne réside pas dans le paiement de la taxe, mais dans l’évolution du comportement des redevables qu’il cherche à provoquer pour améliorer l’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport – celui-ci consiste à déterminer un objectif d’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport, au-delà duquel le montant dû au titre de cette taxe est nul pour le redevable. Ainsi, le taux de la taxe due par le redevable est alors minoré à proportion de la part d’énergie renouvelable réputée contenue dans les carburants qu’il met à la consommation durant l’année considérée. Pour ce faire, seuls les biocarburants ou les carburants d’origine renouvelable répondant à des critères de durabilité stricts peuvent être pris en compte pour le calcul de la réduction du taux de la taxe.
[10] L’article 67 de la loi n° 2022-1726, du 30 décembre 2022, de finances pour 2023, avait déjà procédé à la hausse, applicable depuis le 1er janvier 2024, respectivement de 9,5 % à 9,9 % dans les essences, et de 8,6 % à 9 % dans les gazoles.
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