La lettre juridique n°970 du 18 janvier 2024 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Le droit du prêteur à l’habitat de saisir l’immeuble légalement insaisissable subsiste après clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire

Réf. : Cass. com., 13 décembre 2023, n° 22-19.749, FS-B+R N° Lexbase : A550318C

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N8002BZE

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 23 Janvier 2024

Mots-clés : insaisissabilité légale de la résidence principale • possibilité pour le créancier auquel l’insaisissabilité est inopposable de saisir l’immeuble • possibilité maintenue après clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire

Le créancier, auquel l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale est inopposable, peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, exercer son droit de poursuite sur l'immeuble, qui n'était pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire.


 

L’insaisissabilité légale, comme la déclaration notariée d’insaisissabilité, sont des mécanismes faisant naître de très intéressantes questions juridiques, et alors que le parcours a déjà été bien jalonné par la Cour de cassation en cette matière, on a le plaisir de voir abordées par la Haute juridiction des problématiques sur lesquelles on avait eu l’occasion de réfléchir [1]. Il en est ainsi, en l’espèce, de la question du droit de poursuite du créancier auquel l’insaisissabilité légale est inopposable, après clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire de son débiteur.

En l’espèce, les 27 mai et 22 juillet 2016, M. M. a été mis en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire, la procédure ayant été étendue à Mme M. le 16 septembre suivant. La liquidation a été clôturée pour insuffisance d'actif par un jugement du 3 avril 2018.

La Caisse de crédit mutuel de Lorient Sévigné (la banque), qui avait précédemment déclaré une créance représentant le solde d'un prêt consenti en 2001 à M. et Mme M. pour l'acquisition de leur résidence principale, a signifié le 7 janvier 2021 un commandement de payer valant saisie immobilière du bien, puis, le 21 avril suivant, les a assignés à l'audience d'orientation du juge de l'exécution. Ces derniers ont soulevé l'irrecevabilité de la demande.

Les juges du fond [2] ont fait droit à la demande d’irrecevabilité soulevée par les débiteurs, en raison de la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire des deux époux. La banque s’est pourvue en cassation.

La question posée, à la Cour de cassation, inédite devant la Haute juridiction, était de savoir si la clôture de la procédure pour insuffisance d’actif interdisait la saisie immobilière de l’immeuble d’habitation de l’entrepreneur individuel, de la part d’un créancier auquel l’insaisissabilité légale était inopposable, en raison du fait qu’il détenait une créance non professionnelle et, en conséquence, devait conduire à la mainlevée de l’hypothèque inscrite sur l’immeuble.

À cette question, sans surprise, pour ce qui nous concerne, compte tenu de ce que nous avions écrit sur la question [3], la Cour de cassation va répondre, au visa des articles L. 526-1 N° Lexbase : L9698L7C et L. 643-11 N° Lexbase : L2737MGH du Code de commerce, qu’« Il résulte du premier de ces textes que le créancier auquel l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale est inopposable peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, et sans que le second texte y fasse obstacle, exercer son droit de poursuite sur l'immeuble, qui n'était pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire. Pour déclarer irrecevable l'action de la banque tendant à saisir l'immeuble de M. et Mme M., l'arrêt, après avoir retenu que l'action de la banque n'entrait dans aucune des exceptions prévues à l'article L. 643-11 du Code de commerce, au principe de non-recouvrement par les créanciers de l'exercice individuel de leurs actions après la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de leur débiteur, en déduit que la banque n'était plus en droit de saisir l'immeuble. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application, le second par fausse application ». La Cour de cassation va, en conséquence, casser l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes, dans un arrêt appelé à être signalé au Rapport annuel. C’est assez dire son importance.

La solution ne peut qu’être approuvée. L’immeuble, objet de l’insaisissabilité légale instituée par la loi Macron du 6 août 2015 (loi n° 2015-990 N° Lexbase : L4876KEC), n’est pas compris dans l’effet réel de la procédure collective. Il n’est donc pas soumis aux contraintes de la procédure collective : il est hors procédure.

En matière d’insaisissabilité légale, il existe deux catégories de créanciers.

Certains ont le droit de saisir l’immeuble, ce sont ceux auxquels l’insaisissabilité légale est inopposable. Il s’agit des créanciers qui, d’une part, ont une créance, quelle qu’en soit la nature, née avant l’entrée en vigueur de la loi Macron ou qui, d’autre part, détiennent une créance née après l’entrée en vigueur de la loi Macron, sans rapport avec l’activité professionnelle. Tel était le cas en l’espèce de la banque qui avait prêté à l’habitat.

D’autres n’ont pas le droit de saisir l’immeuble d’habitation, ce sont ceux auxquels l’insaisissabilité légale est opposable. Il s’agit des créanciers dont la créance professionnelle est née après l’entrée en vigueur de la loi Macron.

Les créanciers qui n’ont pas perdu le droit de saisir l’immeuble conservent ce droit pendant la procédure collective de leur débiteur, et pourront exercer cette saisie en marge de la procédure collective, sans passer par la case juge-commissaire, et sans avoir à appeler à la saisie le liquidateur judiciaire, en somme en exerçant une saisie immobilière de droit commun comme si le débiteur n’avait pas été placé sous procédure collective. La solution s’explique par le fait que l’immeuble n’est pas soumis à l’effet réel de la procédure collective : il n’est pas saisi par la procédure collective.

L’immeuble, hors procédure collective, n’est pas un élément du gage commun des créanciers, dans la mesure où seuls certains peuvent le saisir et se faire payer sur son prix. Puisque l’immeuble n’est pas un élément du gage commun, les règles de la discipline collective, qui sont précisément destinées à la protection du gage commun, n’ont pas vocation à s’appliquer à cet immeuble. Et c’est pourquoi les créanciers ayant, en droit commun, le droit de saisir l’immeuble relativement insaisissable, continuent à avoir ce droit pendant la procédure collective. Ils ne sont pas concernés par les règles de la discipline collective en tant qu’ils agissent sur l’immeuble.

Ce qui est vrai pendant la procédure collective le demeure nécessairement après clôture de la procédure collective de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.

Certes, selon la première du I de l’article L. 643-11 du Code de commerce, « Le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ». Mais comme l’énonce le texte, il s’agit d’interdire, par principe, à un créancier ayant perdu le droit de poursuivre le débiteur de le retrouver après clôture pour insuffisance d’actif. Pour ne pas « recouvrer » son droit de poursuite, il faut l’avoir perdu. L’article L. 643-11, I est symétrique de l’article L 622-21,I N° Lexbase : L9125L74 et doit donc être coordonné avec ce dernier. Le jugement d’ouverture interdit au créancier autre que postérieur méritant de poursuivre le débiteur en paiement. C’est la fameuse règle de l’arrêt des poursuites individuelles, mesure phare de la discipline collective. Ce créancier, frappé par l’arrêt des poursuites individuelles, par principe, ne retrouve pas,  énonce l’article L. 643-11,I, son droit de poursuite individuelle après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.

En revanche, celui qui n’a jamais perdu son droit de poursuite individuelle sur l’immeuble, ce qui va lui permettre d’exercer une saisie immobilière, n’est pas concerné par une interdiction du droit de reprendre ses poursuites individuelles sur l’immeuble.

Cette symétrie entre arrêt des poursuites et interdiction du droit de reprise des poursuites est connue et a déjà été posée par la Cour de cassation, à propos des créanciers postérieurs méritants. La solution avait été posée sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) au profit des créanciers de l’article 40. N’étant pas astreints à la règle de l’arrêt des poursuites individuelles, ces créanciers ne sont pas concernés par une règle leur interdisant de reprendre leurs poursuites individuelles, après clôture de la procédure de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif [4]. Voici l’attendu de principe: « Mais attendu que les créanciers, dont la créance est née régulièrement après l'ouverture de la procédure collective, peuvent poursuivre le recouvrement de leurs créances après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ; qu'après avoir relevé qu'il n'était pas discuté que le fait générateur de la créance invoquée par le receveur était postérieur à la mise en redressement judiciaire de M. X..., la cour d'appel, qui a énoncé exactement que les dispositions de l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985 n'étaient pas applicables au receveur, a légalement justifié sa décision ; que le moyen est sans fondement ».

Par conséquent, à l’instar du créancier postérieur méritant, le créancier auquel l’insaisissabilité légale est inopposable, qui ne perd pas pendant la liquidation judiciaire le droit de saisir l’immeuble d’habitation, conserve ce droit même après clôture de la liquidation judiciaire.

Encore faut-il cependant qu’il n’ait pas encouru la prescription, dont on rappelle qu’elle est, du moins pour les procédures ouvertes avant le 15 mai 2022, interrompue par l’effet de la déclaration de créance jusqu’à ce qu’il ait été statué sur l’admission. Depuis la loi du 14 février 2022 (loi n° 2022-172 en faveur de l’activité professionnelle indépendante N° Lexbase : L3215MBP), la solution vaut toujours si la procédure collective ouverte contre le débiteur, entrepreneur individuel, est une procédure collective bi-patrimoniale, celle de l’article L. 681-2, III N° Lexbase : L3712MB4. En revanche, si la procédure collective est uni-patrimoniale, procédure de l’article L. 681-2, II ou de l’article L. 681-2, IV, le créancier personnel, ce qui est le cas du créancier à l’habitat, ne peut plus déclarer sa créance au passif. Tout dépendra du point de savoir si la contestation de sa déclaration de créance se conclura par un rejet de sa créance, ou plus justement par une irrecevabilité de la déclaration de créance pour défaut d’intérêt à déclarer une créance personnelle au passif d’une procédure n’intéressant que le patrimoine professionnel. Dans le premier cas, l’effet interruptif de prescription lié à la déclaration de créance sera maintenu. Dans le second, il disparaitra rétroactivement sous l’effet de la décision d’irrecevabilité de la déclaration de créance.

Terminons en indiquant que l’effet interruptif de la déclaration de créance jouera systématiquement, même dans la procédure collective uni-patrimoniale, si la créance de prêt à l’habitat est née avant le 15 mai 2022. Cela supposera que le contrat de prêt ait été signé avant cette date, puisqu’alors le créancier personnel aura le droit de se faire payer sur le patrimoine professionnel et pourra donc, parce qu’il sera recevable à le faire, déclarer, une créance personnelle dans une procédure uni-patrimoniale. 


[1] P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 12ème éd., 2023/2024, n° 562.156.

[2] CA Rennes, 8 juin 2022, n° 22/00454 N° Lexbase : A025777N.

[3] « La question de la reprise du droit de poursuites individuelles après clôture pour insuffisance d’actif ne se pose pas, en ce qui concerne l’immeuble objet de la déclaration notariée d’insaisissabilité, puisque le créancier en question, auquel la déclaration notariée d’insaisissabilité est inopposable, n’a jamais perdu son droit de poursuites au regard de l’immeuble. Dans ces conditions, il ne peut évidemment être concerné par une règle qui lui interdit de reprendre ses poursuites. Par conséquent, le droit du créancier qui a conservé le droit de saisir l’immeuble subsiste après la clôture de la procédure collective. La solution justifie que le débiteur ne peut obtenir la mainlevée d’une hypothèque provisoire inscrite par un créancier ayant conservé le droit de saisir l’immeuble, au motif de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ».

[4] Cass. com., 30 octobre 2000, n° 97-17.800, inédit N° Lexbase : A5670A77, Act. proc. coll., 2000/19, n° 248, note J. Vallansan ; RJDA, 2001/2, n° 203.

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