La lettre juridique n°967 du 7 décembre 2023 : Responsabilité

[Brèves] Force majeure et exonération du gardien de la chose : à propos de la chute d’un pilote sur un circuit

Réf. : Cass. civ. 2, 30 novembre 2023, n° 22-16.820, F-B N° Lexbase : A992814H

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[Brèves] Force majeure et exonération du gardien de la chose : à propos de la chute d’un pilote sur un circuit. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/102200664-breves-force-majeure-et-exoneration-du-gardien-de-la-chose-a-propos-de-la-chute-dun-pilote-sur-un-ci
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par Hélène Nasom-Tissandier, Maître de conférences HDR, Université Paris Dauphine-PSL, CR2D

le 07 Décembre 2023

► La faute de la victime n’exonère totalement le gardien de sa responsabilité qu’à la condition de constituer un cas de force majeure ; tel n’est pas le cas d’un pilote qui chute sur un circuit, faute d’imprévisibilité.

Faits et procédure. En l’espèce, le pilote d’une motocyclette, au cours d’une séance de « roulage » sur un circuit fermé, a chuté au sol lors d’une manœuvre de freinage, avant d'être percuté par une autre motocyclette conduite. Il assigne en indemnisation le conducteur l’ayant percuté et son assureur sur le fondement de la responsabilité pour faute et de la responsabilité du fait des choses.

La cour d’appel déboute la victime de toutes ses demandes en considérant qu’elle avait freiné brutalement sans nécessité, contrairement aux consignes données, alors qu'elle était en pleine accélération après une sortie de virage, créant un risque de collision avec les motards qui le suivaient. Les juges du fond estiment ainsi que la victime avait commis une faute de conduite en lien de causalité avec son dommage.

La cour d’appel considère par ailleurs que les fautes imprévisibles et irrésistibles de la victime exonèrent totalement le conducteur de la motocyclette l’ayant percuté de sa responsabilité de gardien, dès lors que ce dernier ne pouvait prévoir que, durant une course consacrée aux pilotes de la catégorie « confirmé » qui s'étaient vus rappeler les consignes de sécurité avant le départ, la victime violerait ces règles et opérerait un freinage brutal qui ne s'imposait pas (CA Paris, 17 février 2022, n° 20/05938).

La victime de l’accident forme un pourvoi en cassation. Elle fait grief à l'arrêt de l’avoir déboutée de toutes ses demandes indemnitaires alors notamment que « l'exonération totale du gardien de la chose instrument du dommage suppose que la faute de la victime revête les caractéristiques de la force majeure » et que « le freinage brutal d'un participant en cas d'accident lors d'une course de motocyclette, ne saurait être considéré comme un événement imprévisible » et cela malgré des consignes de sécurité avant le départ dès lors que la victime n'était pas licenciée contrairement au motocycliste l’ayant percuté, et où leur commune appartenance au classement confirmé ne résultait que « des performances de temps réalisées au tour précédent ». Comment caractériser la cause étrangère ?

Solution. La Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond. Après voir rappelé, au visa de l'article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7 que « la faute de la victime n'exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure », elle considère que, contrairement à ce que retient la cour d’appel, « la chute d'un pilote sur un circuit ne constitue pas un fait imprévisible pour les motards qui le suivent ». La force majeure ne pouvant être caractérisée, le conducteur ne peut être exonéré de sa responsabilité de gardien du véhicule.

Il est quelque peu étonnant que la Cour de cassation ne tienne pas compte des circonstances de l’espèce ni ne renvoie à l’appréciation souveraine des juges du fond quant à l’appréciation du caractère extérieur, imprévisible et irrésistible de la force majeure. Toutefois, si les juges du fond sont souverains pour apprécier si les faits de l’espèce permettent de caractériser les éléments constitutifs de la force majeure, la Cour de cassation exerce son contrôle sur la qualification (v. Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-10.250, FS-P+B N° Lexbase : A4485DQ8) et vérifie que les juges du fond justifient de l’imprévisibilité de l’évènement (v. par ex. Cass. civ. 2, 27 mars 2014, n° 13-15.528, F-D N° Lexbase : A2339MIH ; Cass. civ. 2, 6 février 2018, n° 16-26.198, FS-P+B+I N° Lexbase : A6833XC3). On peut néanmoins regretter la formulation très générale retenue en l’espèce qui ne renvoie pas explicitement à cette exigence de justification mais semble signifier que désormais aucune chute sur un circuit ne saurait être qualifiée de force majeure.

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