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par Anna Maria Smolinska, Avocat spécialiste en droit public et de la commande publique
le 05 Décembre 2023
Mots clés : industrie verte • commande publique • transition énergétique • développement durable • critère environnemental
La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023, relative à l'industrie verte, aurait pu porter le nom de la loi « 3F » par rapport aux objectifs affichés, tels que notamment rappelés dans l’exposé des motifs du dossier législatif : faciliter, favoriser et financer l’attractivité du territoire français pour le développement des industries vertes.
La loi ne définit pas la notion de l’industrie verte. Le ministre de l’Économie et des Finances a tenté de synthétiser cette définition dans son discours à l’occasion de la présentation du projet de la loi le 16 mai 2023 (discours de Bruno Le Maire), en indiquant que « l’industrie verte » est en fait la somme de deux stratégies complémentaires : d’une part celle de la décarbonation des industries existantes et, d’autre part, celle de la production massive des technologies vertes : pompes à chaleur, éolien, photovoltaïque, batteries et hydrogène vert.
Pour développer ces deux axes, à travers les trois « exigences » de faciliter, favoriser et financer, le ministre a annoncé l’utilisation « des instruments révolutionnaires, qui marquent un changement d’approche radical et volontaire dans notre relation à l’industrie ».
La loi instaure des mesures relevant de plusieurs domaines : la planification industrielle, la modernisation de consultation du public, le développement de l’économie circulaire, la réhabilitation des friches pour un usage industriel, l’implantation d’industries vertes, le financement de l’industrie verte et – l’objet de cette réflexion – les enjeux environnementaux de la commande publique.
Pour mémoire, ce n’est pas la première des « grandes lois environnementales » qui traite de ces enjeux de la commande publique. La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, dite « climat et résilience », a déjà opéré un certain « verdissement » de la commande publique. Parmi ses mesures phares : l’intégration des objectifs de développement durable dans les spécifications techniques, l’obligation de prévoir un critère environnemental, l’obligation d’utiliser des matériaux biosourcés ou bas-carbone « dans au moins 25 % des rénovations lourdes et des constructions relevant de la commande publique ». Il faudra cependant attendre encore quelques années (parfois jusqu’en 2030) pour voir ces obligations appliquées, ce qui altère leur caractère « révolutionnaire ».
Qu’en est-il des mesures prévues par la loi « industrie verte » ? Sont-elles, comme annoncé par le ministre, « révolutionnaires » ?
Ces mesures sont, indiscutablement, assez nombreuses et variées. Elles sont regroupées en trois catégories.
I. Une meilleure prise en compte des considérations environnementales dans la commande publique
L'on peut ici citer :
- l’extension du champ d’application de l’obligation d’adopter un schéma de promotion des achats publics socialement et économiquement responsables (SPASER) à l'État et à tous les acheteurs soumis au Code de la commande publique en fonction du montant de leurs achats annuels (le cas échéant, la mutualisation de cette démarche est autorisée) (CCP, art. L. 2111-3 N° Lexbase : L9546MIE) ;
- la précision sur l’appréciation de la notion de « l’offre économiquement la plus avantageuse », qui doit inclure les critères environnementaux ou sociaux (CCP, art. L. 2152-7 N° Lexbase : L9501MIQ) ;
- l’extension des motifs d’exclusion des procédures de passation pour les entreprises qui ne satisfont pas à l’obligation d’établissement d’un bilan des émissions de gaz à effet de serre et à celle de publication d'informations en matière de durabilité (CCP, art. L. 2141-7-2 N° Lexbase : L9499MIN et L. 3123-7-2 N° Lexbase : L9550MIK) ;
- l’accélération du calendrier de la prise en compte obligatoire d’un critère environnemental dans l’appréciation des offres, prévue « au plus tard » en août 2026 (loi « Climat et résilience »), cette obligation entraînant en vigueur en de manière progressive en suivant « des dates fixées par décret en fonction de l'objet du marché » (loi « industrie verte », art. 29.II.3°).
II. La simplification « de la passation des marchés publics par les entités adjudicatrices dont les activités, notamment de production et distribution d'énergie, de traitement et distribution d'eau ou de transport de passagers, jouent un rôle moteur dans la transition énergétique nationale »
Lors de la présentation de la loi par la DAJ, ont ainsi été dévoilées :
- la dérogation au principe de l’allotissement des marchés « lorsque la dévolution en lots séparés risque de conduire à une procédure infructueuse » (CCP, art. L. 2113-11 N° Lexbase : L9547MIG) ;
- la possibilité de déroger à la durée maximum des accords-cadres, réservée aux entités adjudicatrices (qui bénéficient déjà d’une durée maximum de 8 ans), dans le cas où une durée trop courte (sous-entendu, de 8 ans) crée un « risque important de restriction de concurrence ou de procédure infructueuse » (CCP, art. L. 2125-1 N° Lexbase : L9548MIH) ;
- la possibilité (déjà envisagée lors de la réforme de 2015 et, finalement abandonnée à cette époque (cf. article 32 de la version initiale de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics N° Lexbase : L9077KBS) de présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus (cette possibilité sera réservée aux marchés supérieurs à un certain seuil, restant à définir, CCP, art. L. 2151-1 N° Lexbase : L9500MIP et L. 2152-7).
III. Le conditionnement de l’octroi des aides publiques à l’engagement des bénéficiaires dans la transition écologique et énergétique
Ces mesures sont-elles révolutionnaires ? La réponse est nécessairement subjective et, à ce jour, sans recul nécessaire pour juger de ses effets réels. Des doutes semblent cependant permis.
Tout d’abord, il pourrait être reproché à plusieurs de ces mesures d’avoir un effet d’annonce plutôt qu’un réel impact.
Il en est ainsi de la disposition qui modifie la définition de l’offre économiquement la plus avantageuse, dont le Conseil d’État a conseillé l’abandon au Gouvernement en se fondant sur la présence dans la partie réglementaire du code des critères économiques et en soulignant que « la disposition proposée ne change rien au droit positif » [1]. L’on peut noter que le Conseil d’État a exprimé une sorte d’agacement, en rappelant au Gouvernement que « les dispositions de l’article L. 2152-7 ont déjà fait l’objet d’une modification, qui n’est pas encore entrée en vigueur, par la loi du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, consistant à rendre obligatoire la prise en compte d’au moins un critère environnemental » et qu’un tel enchaînement des textes est « inutilement complexe, dès lors surtout que, ainsi qu’il a été dit, la disposition prévue n’ajoute rien au droit de la commande publique ».
Il en est ainsi, également, de l’accélération, à venir, de la mise en œuvre de l’obligation d’un critère obligatoire. Quelle différence réelle entre la disposition issue de la loi « climat et résilience » qui prévoit une entrée en vigueur « au plus tard en août 2026 », à fixer par décret et celle de la loi « industrie verte » qui permet une entrée en vigueur « par objet » selon un calendrier… restant à déterminer par décret ?
Ensuite, les nouvelles dispositions législatives réellement « révolutionnaires » : offres variables, non-allotissement, durée longue de certains accords-cadres, sont réservées aux seules entités adjudicatrices, ce qui limite considérablement leur portée.
Enfin, l’efficacité réelle de l’obligation d’établir un schéma de promotion des achats publics socialement responsables (SPASER) (obligation encore largement méconnue par les acheteurs qui y sont déjà soumis et non assortie d’une sanction) ou celle de la possibilité (et non l’obligation) d’écarter les entreprises n’établissant pas leur bilan de gaz à effet de serre ou manquant à leur obligation de reporting de durabilité paraît incertaine.
Les avancées de la loi « industrie verte » par rapport à la loi « climat et résilience » dans l’objectif du « verdissement » de la commande publique sont donc assez décevantes.
Reste que certaines dispositions issues de ces deux lois inquiètent fortement les acheteurs publics quant à leurs modalités pratiques de mise en œuvre. En première place arrivent les modalités d’application du critère environnemental dans certains marchés publics, notamment des prestations intellectuelles en dépassant le stéréotype des critères liés à l’utilisation du papier recyclé et la limitation des déplacements polluants, dont le lien avec l’objet du marché et ses conditions d’exécution n’est pas toujours pertinent.
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