La lettre juridique n°967 du 7 décembre 2023 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La clôture anticipée du redressement judiciaire, une simple faculté

Réf. : Cass. com., 22 novembre 2023, n° 22-17.894, F-B N° Lexbase : A862213Q

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N7605BZP

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 05 Décembre 2023

Mots-clés : redressement judiciaire • clôture anticipée • démonstration de la possibilité de payer les créances exigibles et les frais de la procédure • obligation pour le tribunal (non) • faculté (oui)

Il n’est pas possible, sous couvert de griefs non fondés de violation des articles L. 631-16 et R. 663-34 du Code de commerce, de remettre en cause l'exercice par la cour d'appel du pouvoir souverain qu'elle tient de l'article L. 631-16 de ne pas faire usage de la faculté offerte par ce texte de mettre fin au redressement judiciaire.


 

La logique d’une procédure collective de sauvetage est de débuter par une période d’observation et de se terminer par l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement. Cependant, il se peut que, pendant la période d’observation, la situation se soit améliorée à un point tel que le débiteur n’ait pas besoin d’obtenir un moratoire pour le paiement de ses dettes. Le plan ne sert plus alors à rien et le débiteur préfère, pour son image, quitter le plus vite possible la sphère des procédures collectives.

Le législateur lui en donne les moyens tant dans la procédure de sauvegarde que dans la procédure de redressement judiciaire.

Dans la procédure de sauvegarde, l’article L. 622-12 du Code de commerce N° Lexbase : L3520ICD dispose que « Lorsque les difficultés qui ont justifié l'ouverture de la procédure ont disparu, le tribunal y met fin à la demande du débiteur. Il statue dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l'article L. 622-10 N° Lexbase : L9122L7Y ». La rédaction de ce texte fait apparaître que la clôture de la sauvegarde est obligatoire « [l]orsque les difficultés qui ont justifié l'ouverture de la procédure ont disparu ». Le débiteur sollicite la clôture. Le tribunal n’a pas de pouvoir d’appréciation : si les difficultés ont disparu, il doit accorder au débiteur la clôture qu’il sollicite.

Dans la procédure de redressement judiciaire, une clôture anticipée est également prévue. Elle est régie par l’article L. 631-15, alinéa 1er, du Code de commerce, selon lequel « S'il apparaît, au cours de la période d'observation, que le débiteur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les frais et les dettes afférents à la procédure, le tribunal peut mettre fin à celle-ci ». C’est l’application de ce texte qui était au centre de l’arrêt commenté.

En l’espèce, à la suite de l’assignation d’un créancier, la société JASSP a été mise en redressement judiciaire. Le 5 juillet 2021, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société JASSP d'une durée de 6 ans.

La société JASSP avait demandé la clôture de son redressement judiciaire et fait, par conséquent, grief à la cour d’appel d’avoir confirmé le jugement ayant arrêté son plan et rejeté sa demande de clôture du redressement judiciaire.

La société débitrice prétendait, en effet, avoir consigné les sommes suffisantes pour, d’une part, payer ses créanciers dont les créances étaient exigibles et, d’autre part, acquitter les frais et les dettes afférents à la procédure, à savoir divers honoraires de repartions dus au mandataire judiciaire. Un doute existait sur le montant exact des honoraires de répartition devant être alloué au mandataire judiciaire, variant entre 300 et 2300 euros, de sorte que la discussion pouvait porter sur la possibilité de prise en charge totale de l’honoraire de répartition qui, au demeurant, n’avait pas encore été taxé. Et toute la discussion du débiteur portait sur ce point.

La cour d’appel ne s’était guère appesantie sur cette question, préférant confirmer le jugement ayant adopté le plan de redressement du débiteur.

Un point de droit n’avait en réalité pas été abordé : celui de savoir si, lorsque les conditions de clôture du redressement judiciaire sont réunies, le tribunal doit ou simplement peut faire droit à la demande de clôture du redressement judiciaire présentée par le débiteur ?

C’est sur cet unique terrain que va se placer la Cour de cassation, pour confirmer la décision de la cour d’appel ayant rejeté la demande de clôture du redressement judiciaire et confirmer le jugement ayant adopté le plan. La Cour de cassation juge que « Selon l'article L. 631-16 du Code de commerce N° Lexbase : L4027HBR, le juge peut mettre fin à la période d'observation s'il apparaît que le débiteur dispose des sommes suffisantes, non seulement pour désintéresser les créanciers, mais aussi pour acquitter les frais et dettes afférents à la procédure collective. Sous le couvert de griefs non fondés de violation des articles L. 631-16, R. 663-34 N° Lexbase : L8328MHW du Code de commerce et 455 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6565H7B, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'exercice par la cour d'appel du pouvoir souverain qu'elle tient de l'article L. 631-16 précité de ne pas faire usage de la faculté offerte par ce texte de mettre fin au redressement judiciaire ».

Ainsi, il importe peu, devant la Cour de cassation, de discuter sur le point de savoir si la preuve est rapportée que les conditions de la clôture anticipée sont réunies. C’est là une question de preuve. Une fois que la cour d’appel a dit, en faisant application de son pouvoir d’appréciation, qu’il n’y avait pas place à clôture, il est inutile de porter le débat devant la Cour de cassation. Les juges du fond sont souverains pour apprécier s’il faut ou non accorder au débiteur la clôture anticipée de son redressement judiciaire, dans l’hypothèse où les conditions en seraient réunies.

Comme l’énonce l’article L. 631-15 du Code de commerce N° Lexbase : L9174L7W, « le tribunal peut mettre fin » au redressement judiciaire si le débiteur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les frais et les dettes afférents à la procédure. La formule utilisée « peut mettre fin » ne laisse place à aucun doute : cette clôture anticipée du redressement est une faculté pour le tribunal non une obligation.

Le contraste est d’ailleurs saisissant par rapport à la formule utilisée par le législateur à propos de la clôture anticipée de la sauvegarde : « Lorsque les difficultés qui ont justifié l'ouverture de la procédure ont disparu, le tribunal y met fin à la demande du débiteur ». Le tribunal a ici l’obligation d’accorder au débiteur qui la sollicite la clôture de la sauvegarde.

Le redressement judiciaire est une procédure obligatoire pour le débiteur, qui, tout en ayant encore la possibilité de se redresser, est en état de cessation des paiements depuis au moins 45 jours. Au contraire, la sauvegarde est une procédure facultative, puisque le débiteur n’est pas en état de cessation des paiements.

Ainsi :

  • à procédure facultative, clôture anticipée obligatoire ;
  • à procédure obligatoire, clôture anticipée facultative.

Ces solutions s’expliquent. En effet, il est logique de ne pas laisser de pouvoir d’appréciation au tribunal pour clôturer une sauvegarde : le débiteur n’était pas en état de cessation des paiements. Les difficultés qui l’ont amené à franchir les portes du tribunal pour se mettre sous sa protection ont disparu. Il n’a plus besoin de la protection du tribunal. Il le fait savoir et on doit le laisser tranquille. Il ne fait pas courir de risque majeur à l’environnement économique.

Au contraire, lorsque le débiteur est placé en redressement judiciaire, il est par hypothèse en état de cessation des paiements. Il peut être contagieux pour l’environnement économique. Une mesure de prophylaxie consiste à le mettre sous procédure collective. Il ne doit pas pouvoir en sortir facilement car il est dangereux. Certes, observa-t-on, ces dangers se sont écartés s’il peut payer son passif exigible. Certes ! Mais la loi n’est pas ici assez exigeante. En effet, il se peut que, à l’instant « t », il soit en en mesure de payer son passif exigible. Le sera-t-il encore à l’instant « t’ » lorsqu’un passif supplémentaire sera devenu exigible ? Le danger est réel pour les créanciers et c’est ce qui a conduit le législateur à opter pour une clôture simplement facultative.

La solution ici posée n’est au demeurant qu’un rappel. En effet, la Cour de cassation l’avait déjà bien précisé dans une décision : « la cour d’appel n’a fait qu’user du pouvoir souverain qu’elle tient de l’article L. 631-16 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, en ne faisant pas usage de la faculté offerte par ce texte de mettre fin au redressement judiciaire » [1]. Ainsi, seule importe à la Cour de cassation, le fait que la cour d’appel ait fait usage de sa faculté, ce qui suppose qu’elle apprécie les éléments de nature à la conduire à décider que la clôture de la procédure doit ou non intervenir. Il y a là une appréciation en opportunité.

Terminons par une observation. Il faut  bien comprendre que le débiteur peut jouer contre son intérêt à solliciter la clôture de son redressement judiciaire si des créances n’ont pas été régulièrement déclarées. En effet, la créance non déclarée est inopposable à la procédure collective. Et depuis l’ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT), une règle spéciale prévoit que l’inopposabilité de la créance non déclarée subsiste après complète exécution du plan de sauvegarde ou de redressement. Il est donc largement préférable pour le débiteur désireux de se débarrasser d’une partie de son passif, en présence d’importantes créances non déclarées régulièrement, d’obtenir un plan de redressement plutôt que de solliciter la clôture de sa procédure de redressement judiciaire.

 

[1] Cass. com., 16 décembre 2008, n° 07-22.033, N° Lexbase : A9133EBU, D., 2009,  AJ 94, note A. Lienhard ; JCP E, 2009, 1347, n° 2, obs. M. Cabrillac ; Act. proc. coll., 2009/2, n° 32, note C. Régnaut-Moutier ; Defrénois, 2009, 38973, p. 1405, n° 6, note D. Gibirila ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase Affaires, janvier 2009, n° 334, N° Lexbase : N3534BIQ.

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