Réf. : Cass. com., 18 octobre 2023, n° 21-15.378, FS-B+R N° Lexbase : A08251NU
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par Vincent Téchené
le 24 Octobre 2023
► La règle instituant la compétence exclusive des juridictions spécialisées pour connaître des pratiques restrictives de concurrence visées par le I et le II de l'ancien article L. 442-6 du Code de commerce (désormais C. com. art. L. 442-1, I et II) constitue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
Faits et procédure. En novembre 2014, deux sociétés ont conclu un contrat aux termes duquel l’une d’elles (le fournisseur) devait fournir à l’autre (le distributeur) des luminaires et en assurer la maintenance. Ces matériels faisaient parallèlement l'objet d'un contrat de location financière conclu, le même jour, par le distributeur et une société de location financière.
Après la mise en liquidation judiciaire du fournisseur et constatant que ce dernier ne répondait plus aux demandes d'intervention pour les dysfonctionnements des installations, le distributeur a cessé de payer les loyers.
La société de location financière a, en application d'une clause attributive de compétence, assigné le distributeur en paiement de diverses sommes devant le tribunal de commerce de Saint-Étienne.
Le distributeur a notamment demandé, d'une part, qu'il lui soit donné acte qu'il entendait invoquer les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, d'autre part, qu'il soit jugé que la clause attributive de compétence prévue au contrat ne lui était pas applicable, peu important qu'elle soit valable par ailleurs, et, enfin, que le tribunal se déclare incompétent au profit de celui de Marseille, juridiction spécialement désignée dans l'annexe visée à l'article D. 442-3 du Code de commerce.
La cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 3 décembre 2020, n° 20/01135 N° Lexbase : A783438N) ayant débouté le distributeur de ses demandes, ce dernier a formé un pourvoi en cassation.
Décision. La Cour de cassation, opérant un important revirement de jurisprudence, censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 442-6 N° Lexbase : L7575LB8, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 N° Lexbase : L0386LQD (cf. désormais C. com., art. L. 442-1 N° Lexbase : L3427MHE), et D. 442-3 du Code de commerce N° Lexbase : L5667LQX, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2021-211 du 24 février 2021 N° Lexbase : L4082L3L, l'article R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L6510IAD et l'article 33 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1178H4E.
La Cour de cassation commence par rappeler sa position en ce qui concerne la compétence exclusive des juridictions spécialisées pour connaître des actions en matière de pratiques restrictives de concurrence (déséquilibre significatif, avantage sans contrepartie et rupture brutale des relations commerciales établies).
Ainsi, elle juge, depuis 2013 (Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-21.089, F-P+B N° Lexbase : A9414KLA), que la cour d'appel de Paris étant seule investie du pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la méconnaissance de ce pouvoir juridictionnel exclusif est sanctionnée par une fin de non-recevoir, laquelle doit être relevée d'office (Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-10.016, F-P+B N° Lexbase : A0915NGY). Elle a, par la suite, étendu ce principe aux juridictions du premier degré désignées dans l'annexe de l'article D. 442-3. Cette règle a été appliquée à toutes les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'article L. 442-6 du Code de commerce, même lorsqu'elles émanaient de juridictions non spécialement désignées.
Elle a ensuite jugé qu'en application des articles L. 442-6, III, et D. 442-3, seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées étaient portés devant la cour d'appel de Paris, de sorte qu'il appartenait aux autres cours d'appel, conformément à l'article R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire, de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui n'étaient pas désignées par le second texte. Il en était ainsi même dans l'hypothèse où celles-ci avaient, à tort, statué sur l'application du premier, auquel cas elles devaient relever, d'office, l'excès de pouvoir commis par ces juridictions en statuant sur des demandes qui, en ce qu'elles ne relevaient pas de leur pouvoir juridictionnel, étaient irrecevables (Cass. com., 29 mars 2017, pourvoi n° 15-15.337, FS-D N° Lexbase : A0917UT7).
Par ailleurs, la Cour a précisé que si les demandes fondées sur l'article L. 442-6 devaient être déclarées irrecevables lorsqu'elles étaient présentées devant une juridiction non spécialisée, celle-ci pouvait néanmoins valablement statuer sur les demandes fondées sur le droit commun (Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-21.086, FS-P+B N° Lexbase : A2088MYY).
La Haute juridiction constate alors que cette construction jurisprudentielle complexe, qui ne correspond pas à la terminologie des articles D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce, devenus depuis, respectivement, les articles D. 442-2 N° Lexbase : L4438L3R et D. 442-3 N° Lexbase : L4439L3S de ce code, lesquels se réfèrent à la compétence de ces juridictions et non à leur pouvoir juridictionnel, aboutit à des solutions confuses et génératrices, pour les parties, d'une insécurité juridique quant à la détermination de la juridiction ou de la cour d'appel pouvant connaître de leurs actions, de leurs prétentions ou de leur recours. Elle donne lieu, en outre, à des solutions procédurales rigoureuses pour les plaideurs qui, à la suite d'une erreur dans le choix de la juridiction saisie, peuvent se heurter à ce que certaines de leurs demandes ne puissent être examinées, en raison soit de l'intervention de la prescription soit de l'expiration du délai de recours. Au surplus, sa complexité de mise en œuvre ne répond pas aux objectifs de bonne administration de la justice.
Enfin, pour la Cour de cassation, elle est en contradiction avec l'article 33 du Code de procédure civile dont il résulte que la désignation d'une juridiction en raison de la matière par les règles relatives à l'organisation judiciaire et par des dispositions particulières relève de la compétence d'attribution.
Ce constat conduit donc la Chambre commerciale à modifier sa jurisprudence.
Elle retient qu’il convient en conséquence de juger désormais que la règle découlant de l'application combinée des articles L. 442-6, III, devenu L. 442-4, III, et D. 442-3, devenu D. 442-2 du Code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l'application des dispositions du I et du II de l'article L. 442-6 précité, devenues l'article L. 442-1, institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
Il en résulte que, lorsqu'un défendeur à une action fondée sur le droit commun présente une demande reconventionnelle en invoquant les dispositions de l'article L. 442-6, la juridiction saisie, si elle n'est pas une juridiction désignée par l'article D. 442-3, doit, si son incompétence est soulevée, selon les circonstances et l'interdépendance des demandes, soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée par ce texte et surseoir à statuer dans l'attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande, soit renvoyer l'affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée.
Enfin, la Cour de cassation rappelle que les textes du Code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence ne s'appliquent pas aux activités de location financière, telle que c’est le cas en l’espèce, qui relèvent du Code monétaire et financier (Cass. com., 15 janvier 2020, n° 18-10.512, FS-P+B N° Lexbase : A91723BC ; Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16.782, F-B N° Lexbase : A52937KA).
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