Réf. : Cass. civ. 1, 12 juillet 2023, n° 21-10.905, FS-D N° Lexbase : A79621A7
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par Larick Okounda, Juriste-Documentaliste, Doctorant en droit international à l'Université Le Havre Normandie
le 27 Septembre 2023
Mots clés : succession • Règlement « succession » • défunt • de cujus • résidence habituelle
La Cour de cassation maintient la résidence habituelle du défunt en France alors que celui-ci avait officiellement déménagé au Portugal. Elle confirme ainsi l’idée que la résidence habituelle est une notion objective et autonome qui s’apprécie par l’évaluation des faits pertinents de la vie du de cujus les années précédant son décès et au moment de son décès.
Par un arrêt du 12 juillet 2023, la Cour de cassation a apporté des précisions sur les critères permettant de déterminer la résidence habituelle du de cujus au moment de son décès.
Les faits sont les suivants : un homme (de nationalité française et guérie de son cancer) déménage au Portugal avec son épouse où il décède peu après, le 20 novembre 2016, par un infarctus, laissant pour lui succéder ses deux filles et son épouse actuelle. Les 21 mai 2014 et 13 janvier 2015, il avait souscrit un contrat d'assurance sur la vie et désigné comme bénéficiaire, outre son épouse actuelle, d’autres personnes ainsi qu’une fondation et une association. De même avait-il, avant son déménagement, liquidé une partie de son patrimoine immobilier en France et souscrit une assurance-vie au Portugal dont les bénéficiaires n’étaient pas les enfants de son premier lit.
Soutenant que le de cujus avait sa résidence habituelle en France au jour de son décès, les héritiers réservataires, représentés par leur mère, ont assigné les légataires universels en partage de la succession devant une juridiction française. Ils ont également assigné en intervention forcée les autres bénéficiaires du contrat d'assurance sur la vie.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence est saisie de la demande et déclare la juridiction française compétente pour connaître de l'ensemble de la succession jugeant que la dernière résidence du défunt était située en France au moment de son décès. Insatisfaite, l’épouse forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Elle soulevait ainsi l'incompétence du juge français sur le fondement de l’article 4 du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, dit Règlement « Successions » N° Lexbase : L8525ITW, en soutenant que la dernière résidence était au Portugal et soutenait que le changement de résidence s'expliquait par une motivation autre que celle de changer de loi successorale.
La Cour de cassation confirme la position de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et maintient à son tour la résidence du de cujus en France. En effet, elle affirme qu’« après avoir constaté que [Le de cujus ] ne s'était installé au Portugal qu'à compter du 28 juin 2016 et qu'étant décédé le 20 novembre 2016, il n'y avait résidé que moins de cinq mois, la cour d'appel a relevé que celui-ci avait entrepris très tardivement d'apprendre le portugais, qu'au moment de son décès, il était toujours inscrit sur les listes électorales françaises et que, s'il était propriétaire avec son épouse d'au moins un bien immobilier au Portugal, où ils étaient officiellement domiciliés, ceux-ci détenaient toujours une maison en France et que l'examen des nombreuses attestations produites révélait que les familles des époux, la plupart de leurs relations amicales, ainsi que les principaux bénéficiaires du contrat d'assurance sur la vie, étaient domiciliés en France. » Ainsi, pour la Haute juridiction, la cour d'appel en a souverainement déduit qu'à la date de son décès, le de cujus avait sa résidence habituelle en France et non au Portugal.
La décision est rendue sous les visas de l’article 4 du Règlement « Succession » qui pose le principe de la compétence générale, et de son considérant 23 qui apporte des indications sur les critères permettant d’identifier la dernière résidence habituelle du défunt aux fins notamment de déterminer la juridiction d’un État membre compétente pour en connaître la totalité de la succession. Or si le Règlement « Succession » fait de la résidence habituelle le critère fondamental de rattachement de la compétence juridictionnelle et de la loi applicable en matière de succession internationale (article 4), il n’apporte cependant pas de définition [1]. Les indications apportées par les considérants 23, 24, 25 restent pour le moins vagues et imprécises [2]. Ce qui signifie que l’identification de la résidence habituelle dépend entièrement de l’appréciation souveraine de l’autorité judiciaire de l’Etat saisie. Pour ce faire, celle-ci se doit d’analyser les faits pertinents de la vie du défunt avant et au moment de son décès. En ce sens, cette décision illustre parfaitement les critères permettant de déterminer la dernière résidence habituelle du défunt au moment de son décès.
I. Illustration des critères matériels
L’arrêt de la Cour nous rappelle à juste titre que si la résidence habituelle se caractérise avant tout par la présence de l’individu sur le territoire, celle-ci doit être néanmoins appréciée à la fois de manière quantitative et qualitative [3].
A. Les critères quantitatifs
Les critères quantitatifs renvoient à la durée et à la régularité de la résidence dans l’État concerné [4]. Elles en demeurent pour le moins des éléments déterminants. Or sur ce point le Règlement ne précise pas la durée minimum qu’il faudrait résider dans l’État concerné [5]. L’autorité saisie doit donc apprécier. Dans le cas d’espèce, les juges ont relevé que le de cujus ne s'était installé au Portugal qu'à compter du 28 juin 2016 et qu'il était décédé le 20 novembre 2016, soit moins de six mois. On en déduit qu’une domiciliation ou une présence inférieure à six mois dans l’État concerné ne saurait être considérée comme habituelle. Qui plus est, constatent-ils qu'au moment de son décès, « il était toujours inscrit sur les listes électorales françaises et que, s'il était propriétaire avec son épouse d'au moins un bien immobilier au Portugal, où ils étaient officiellement domiciliés, ceux-ci détenaient toujours une maison en France ». Ainsi, pour les juges, la présence avérée du de cujus sur le territoire ne suffisait pas à établir de manière stable et permanente sa résidence habituelle, la cour d’appel ayant considéré que la durée était moins importante.
On se souvient que dans l’affaire « Hallyday », la durée de résidence du de cujus avait été un élément déterminant pour identifier sa dernière résidence. En effet, le tribunal de Nanterre avait alors jugé que la durée et la régularité de sa présence étaient plus importante en France qu’aux États-Unis [6]. De même que la Cour de cassation, dans son arrêt du 29 mai 2019 [7], avait jugé sur la base de l’article 4 et des considérants 23 et 24 que les durées respectives des séjours du de cujus en France et aux États-Unis ne permettaient pas d’identifier la dernière résidence du de cujus, car ces durées ne suffisaient pas à déterminer une présence majoritaire dans l’un des États. La Cour avait alors pris en compte d’autres faits pertinents. Il apparaît clairement que c’est le même raisonnement qu’ont suivi les juges dans cette affaire.
B. Les critères qualitatifs
Les critères qualitatifs sont les autres critères soulevés par les juges pour maintenir la résidence du de cujus en France. Ils renvoient à l’ensemble de liens sociaux et familiaux de l’intéressé décédé [8]. Autrement dit, il pourrait s’agir à notre sens de la prise en compte du degré d’intégration du de cujus dans l’État concerné [9]. En l’espèce, l’un des aspects relevés est, pour le moins surprenant, l’apprentissage de la langue locale. À ce titre, les juges ont relevé que celui-ci n’avait entrepris que très tardivement d'apprendre le portugais, c’est-à-dire peu avant son décès. Néanmoins, cet argument n’est pas sans soulever des interrogations. En effet, le fait de ne pas parler couramment la langue locale ou d’entamer tardivement les démarches en vue de son apprentissage constitue-t-il un élément pertinent ou valable pour neutraliser la résidence habituelle ou le déménagement dans un autre pays ? Ne peut-on pas vivre dans un État autre que notre État d’origine sans couramment parler la langue locale ? Mais l’on constate que visiblement la Cour a eu une approche différente. Et cela devrait désormais interpeller les candidats à l’expatriation ainsi que les praticiens qui pourraient être confrontés à un cas de figure similaire.
L’autre élément qualitatif apprécié par les juges est celui de l’intégration sociale et familiale. Or si le de cujus et son épouse avaient acquis une maison au Portugal, les juges ont-ils relevé après « examen des nombreuses attestations produites que les familles des époux, la plupart de leurs relations amicales, ainsi que les principaux bénéficiaires du contrat d'assurance sur la vie, étaient domiciliés en France ». Selon eux, en effet, il existait encore un certain nombre de liens étroits familiaux et sociaux avec l’État d’origine. Ainsi, ont-ils considéré que le centre des intérêts du de cujus était toujours en France et non au Portugal. On retrouve ici le même raisonnement et la même démarche de la Cour de cassation dans son arrêt précité de 2019 [10].
II. Illustration des critères ou faits intentionnels
Ici la question de l’intention permet d’apprécier les raisons de la présence de cujus dans l’État concerné et dans une certaine mesure sa volonté de s’y installer : qu’est-ce qui pourrait motiver le transfert ou le changement de résidence d’un État à un autre ? Les juges peuvent-ils prendre en compte l’intention du défunt du temps de son vivant ? L’arrêt commenté semble répondre à ces questions car il s’illustre, d’une part, par le rejet de l’intention du de cujus de transférer sa résidence habituelle au Portugal, et d’autre part par la sanction de la fraude à la loi successorale.
A. La non-prise en compte de l’intention de fixer la résidence dans l’État concerné
On voit bien à travers cet arrêt que la Haute juridiction a rejeté l’intention du de cujus de fixer sa résidence habituelle au Portugal. Pourtant cette intention nous semble manifeste puisque le de cujus avait acquis une maison au Portugal dans le but d’y établir le centre de ses intérêts, bien qu’il ait conservé une maison en France. Aussi, cette intention pourrait se vérifier par le fait que le défunt avait effectué, avec son épouse, plusieurs séjours au Portugal courant 2014 avant de déménager de manière définitive et qu’il avait noué des relations amicales. C’est dire qu’il n’était pas en terre inconnue et qu’il avait pris le soin de construire des liens étroits dans l’État concerné. Mais la position de la Haute juridiction bien que discutable est tout à fait justifiée dans la mesure où elle s’inscrit dans l’esprit même du Règlement « Succession » du 4 juillet 2012. En effet, si le Règlement « Succession » permet au de cujus de choisir la loi applicable pour sa succession (article 22) [11], il n’en est pas de même pour sa résidence qui, elle, est une notion objective qui fait l’objet d’une interprétation autonome [12]. En ce sens, il ne dispose pas de la liberté de choisir la juridiction chargée de régler sa succession. Ainsi, à bien des égards, la question de l’intention d’une personne de fixer sa résidence de manière durable dans un autre Etat ne devrait pas se poser [13], car seuls les faits pertinents devraient être appréciés. C’est en effet cette position qu’a adoptée la CJUE dans son arrêt du 16 juillet 2020 en rappelant notamment qu’ « afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement [14]».
B. Sanction de l’intention de frauder la loi successorale ?
Selon les juges du fond, « il y a fraude à la loi lorsque les parties ont volontairement modifié le rapport de droit « dans le seul but » de le soustraire à la loi normalement compétente ; que la fraude suppose un élément matériel, résidant dans la manipulation destinée à échapper à la loi normalement applicable, un élément légal qui réside dans les dispositions que l'on cherche à contourner et un élément intentionnel qui doit avoir été déterminant ». La question qui se pose ici est celle de savoir si le changement de domicile était fait dans le but de ne pas soumettre la succession à la loi Française. Pour les juges du fond, la réponse est affirmative. Selon elle en effet, « le défunt avait tout mis en œuvre pour que ne s'appliquent pas les dispositions de la loi française en matière de réserve héréditaire et de primes manifestement excessives s'agissant des contrats d'assurance vie, de sorte que l'objectif poursuivi était de voir appliquer la loi portugaise à sa succession ». Et que « c’est à partir de la connaissance de son cancer qu’il a commencé à liquider son patrimoine immobilier en France pour placer une partie du produit de ces ventes sur un contrat d'assurance vie qui n'était pas au bénéfice de ses héritières réservataires ».
Mais à supposer que le de cujus avait acquis à la nationalité portugaise avant son décès, et qu’il avait préalablement choisi la loi portugaise comme loi applicable à sa succession conformément à l’article 22 du Règlement (professio juris), dans ce cas, la question de sa résidence habituelle, de la compétente des juridictions et de la loi portugaises ne se serait pas posée, elles se serait appliquée de plein droit du fait de la nationalité et de l’autonomie de la volonté du de cujus [15] et la juridiction française se serait déclarée incompétente [16]. En effet, « la condition d’un lien particulièrement étroit entre celui-ci et la loi choisie, permet d’éviter une utilisation de la professio juris aux fins de frauder les héritiers réservataires [17] ».
On pourrait aussi penser que les juges aient voulu sanctionner les démarches tardives (apprentissage de la langue locale et inscription aux listes électorales) entreprises par le de cujus, interprétant cela comme un manque de volonté réelle de transférer de manière définitive sa résidence au Portugal [18].
À retenir. Il faut retenir de cet arrêt que la dernière résidence n’est pas toujours la résidence habituelle du défunt dans la mesure où cette notion est objective et dont la détermination doit être fondée sur des faits pertinents avant et au moment du décès du de cujus. Elle exclut par conséquent, du moins en matière de succession internationale, l’intention de fixer la résidence. Cependant, comme certains auteurs l’admettent, une telle analyse « a le défaut de l'imprévisibilité, voire de la création de disparité entre des individus dont les situations semblables pourraient être interprétées de manière différente selon la juridiction saisie. En droit de l'UE, il est loisible d'espérer que les critères de détermination de la notion de résidence habituelle seront progressivement précisés par la Cour de justice afin de permettre une application et une interprétation relativement harmonisées des règlements au sein des États membres[19] ». Cela étant, il est important de rappeler qu’en matière de succession internationale, la résidence habituelle du défunt doit être effective et stable au moment de son décès afin de déterminer la juridiction compétente. |
[1] Pour plus de développements, voir H. Gaudemet-Tallon, Les règles de compétence dans le règlement européen sur les successions, in Droit européen de successions internationales, Defrénois, 2023, pp. 127 à 140. Voir également, P. Lagarde, Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions. Revue critique de droit international privé 2012/4 (N° 4), pages 691 à 732. Voir enfin Grégoire Laurentin, La notion de résidence habituelle en droit international privé des successions, Solution Notaire Hebdo n° 15, 20 avril 2023, pp. 11-15. Voir Floriane Chasse, Les aspects civils du changement de résidence habituelle, Actes pratiques et stratégie patrimoniale n° 3, Juillet 2021, dossier 14.
[2] Ibid..
[3] G. Laurentin. Op.cit.
[4] Ibid.
[5] G. Laurentin. Op.cit.
[6] TGI Nanterre, 28 mai 2019, RG 18/01502. Notes de M. Jaoul, Dalloz actualité n° 62 (20 juin 2019) ; JL Van Boxstael, Revue du notariat belge 2019, pp. 871-881, R. Le Guidec, JCPN, n° 38, 20 septembre 2019, 1278.
[7] Cass. civ. 1, 29 mai 2019, n° 18-13.383, FS-P+B+I N° Lexbase : A1010ZDR. Notes de S. Godechot-Patri, in RJPF n° 7-8 juillet-août 2019 ; F. Melin, in Dalloz actualité n° 57 13 juin 2019 ; M. Jaoul, in Dalloz actualité du 20 juin 2019 ; G. Escudey et A. Mars, in Lexbase Droit privé, n° 789 N° Lexbase : N9682BXU.
[8] F. Chasse, op.cit.
[9] G. Laurentin, op.cit.
[10] Cass. civ. 1, 29 mai 2019, n° 18-13.383, préc. Voir note de S. Godechot-Patri, in RJPF n° 7-8 juillet-août 2019
[11] P. Lagarde, Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions, op.cit. pp. 719-720
[12] Ibid. F. Chasse, op.cit. l’auteur parle de la « notion de fait ».
[13] E. Fongaro, Le choix de la loi applicable au régime matrimonial : JCP N 2018, n° 16, 1166.
[14] CJUE, 16 juillet 2020, aff. C‑80/19 « Kauno » N° Lexbase : A57083RT, point 23. Voit Note de François Melin, Dalloz actualité n° 116 (4 septembre 2020) ; A. Guichard, AJ Famille 2020, n° 9, p.491 9.
[15] Paul Lagarde, Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions, op.cit. p.719 - 720
[16] CJUE, 9 septembre 2021, aff. C-422/20, RK c/ CR N° Lexbase : A896043A. Note A. Lelouvier, Déclinatoire de compétence du Règlement « successions » : mode d’emploi !, Lexbase Droit privé, n° 880, 7 octobre 2021 N° Lexbase : N9001BYZ ; C. Nourissat, Déclinatoire de compétence en matière successorale, in Procédures n° 1.
[17] Ibid. p. 720.
[18] Voir le présent arrêt sous commentaire : Cass. civ. 1, 12 juillet 2023, n° 21-10.905.
[19] F. Chasse, op.cit.
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