La lettre juridique n°958 du 28 septembre 2023 : Discrimination

[Chronique] Chronique égalité et discrimination (janvier à juin 2023)

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N6840BZD

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par Morgan Sweeney, Maître de conférences à l’Université de Dauphine et Delphine Tharaud, Professeure de droit privé à l’Université de Limoges

le 27 Septembre 2023

Mots-clés : discrimination • non-discrimination • discriminations directe et indirecte • principes d’égalité • égalité en droits européens • égalité en droit public

Cette première livraison semestrielle de la chronique « égalité et discrimination » porte sur les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation, des cours d’appel (arrêts remarqués et remarquables), du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel dans le domaine social. La jurisprudence du premier semestre 2023 est marquée par le chantier, plus vaste, du droit à la preuve en cours de construction par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Elle précise les conditions de recours à l’article 145 du Code de procédure civile pour qu’un salarié qui suspecte une discrimination puisse se voir communiquer les éléments de rémunération d’autres salariés dans une situation comparable. En somme, comment il peut constituer un panel de comparaison en forçant l’employeur à lui fournir des données, qui ne seront pas nécessairement anonymisées. La Chambre sociale a également explicité la voie à suivre pour que cette communication de pièces soit conforme aux droits tirés du RGPD des salariés avec lesquels le requérant se compare. Une autre évolution, plus discutable, semble se faire jour dans la jurisprudence judiciaire : la charge de la preuve de la discrimination à l’occasion d’un licenciement varierait selon que le licenciement soit fondé, ou non, sur une cause réelle et sérieuse. À l’occasion de questions prioritaires de constitutionnalité, la Chambre sociale saisit l'occasion d’affirmer que sa jurisprudence constante à propos du point de départ du délai de prescription de l’action en justice, c’est-à-dire à compter de la « révélation » de la discrimination, repose « sur des faits qui n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription ». Enfin, les deux juridictions européennes sont de plus en plus saisies de contentieux de discrimination en raison de l’orientation sexuelle. Les prétoires deviennent le terrain de l'affrontement des défenseurs des communautés homosexuelles contre ceux qui luttent contre ce qu’ils appellent une « idéologie LGBT ».


I. Discrimination

A. Signification du motif discriminatoire

Discrimination en raison de l’état de santé (Cass. soc., 13 avril 2023, n° 21-24.149, F-D N° Lexbase : A56639PG). Les régimes de l’accident du travail et de la non-discrimination en raison de l’état de santé se télescopent souvent. Dans un contentieux qui concerne le licenciement d’un salarié accidenté du travail à son retour d’arrêt maladie en Nouvelle-Calédonie, la Chambre sociale est invitée à interpréter l’article Lp. 112-1 du Code du travail de la Nouvelle-Calédonie, moins riche que l’article L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY, qui dispose : « dans l'offre d'emploi, l'embauche et dans la relation de travail, il est interdit de prendre en considération l'origine, le sexe, l'état de grossesse, la situation de famille, l'appartenance ou la non-appartenance réelle ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, l'opinion politique, l'activité syndicale, l'exercice d'une responsabilité coutumière, le handicap ou les convictions religieuses. Il en va de même en cas de sanction ou de licenciement d'un salarié ». Il est frappant de constater que ne figure pas le motif de l’état de santé – mais qu’il existe un motif discriminatoire particulier à la Nouvelle-Calédonie : la « responsabilité coutumière ». Le juge des référés en appel refuse de prononcer la nullité du licenciement, car dans le régime de l’accident du travail la nullité n’est prévue par le Code du travail de la Nouvelle-Calédonie que pour les ruptures pendant la période de suspension. Or en l’espèce, le licenciement a été prononcé à la suite du retour du salarié. La Chambre sociale a, malgré tout, trouvé un fondement prohibant la discrimination en raison de l’état de santé au détour d’un article concernant la situation de handicap selon lequel : « les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées » (Lp. 471-2 du Code précité). Les juges du fond auraient donc dû rechercher si le licenciement n'était pas discriminatoire pour avoir été prononcé en raison de l'état de santé du salarié. Pour plus de cohérence, il serait bon que le motif de l’état de santé figure dès l’article Lp. 112-1 du Code du travail de la Nouvelle-Calédonie, qui énonce la règle générale de non-discrimination (article étrangement logé dans un chapitre intitulé « Discriminations et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes »).

M. Sweeney

B. Domaines de la non-discrimination

Discrimination et non-renouvellement d’un détachement d’un agent public (Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-16.391, FS-B N° Lexbase : A08989HQ). La lutte contre la discrimination s’étend aujourd’hui à l’ensemble des décisions que l’employeur prend. Cette décision peut consister en une abstention. En l’espèce, il s’agissait d’un fonctionnaire en détachement qui a occupé, en tant que salarié, différentes fonctions au sein de Réseau ferré de France (RFF). À la suite d’arrêts maladie et congés de longue durée, l’établissement employeur signifie au salarié qu’il ne sollicitera pas le renouvellement de son détachement. Le salarié estime que ce non-renouvellement est motivé par son état de santé et introduit une action pour discrimination. La Chambre sociale confirme que toute décision de l’employeur est susceptible d’être contestée pour discrimination. En l’occurrence, le non-renouvellement du détachement ne fait pas partie des hypothèses expressément visées par l’article L.1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY. Le détachement d’un agent public est à durée déterminée et à l’expiration de la période de détachement l’agent est automatiquement réintégré dans son corps d'origine et affecté au poste qu'il occupait avant son détachement. Aucun acte positif n’est requis. Cette automaticité ne fait pas obstacle au contrôle d’une discrimination éventuelle et à l’obligation de l’employeur de se justifier d’absence de discrimination. Toutefois, en l’espèce, les juges ont estimé que la décision n’est pas discriminatoire.

M. Sweeney

Compétence juridictionnelle et discrimination syndicale (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 21-21.349, F-B N° Lexbase : A02119QU). En matière de discrimination syndicale, peut se poser la question de l’identification du juge compétent. En effet, lorsque le salarié dispose d’un mandat, l'inspecteur du travail doit autoriser ou non son licenciement. En l’espèce, une salariée élue au comité d’entreprise (désormais comité social et économique) avait été déclarée inapte à la reprise de son poste par le médecin du travail et l’employeur avait sollicité, à la suite de l’impossibilité de reclassement, l’autorisation de l’inspection du travail. Ce dernier, dans sa décision administrative d’autorisation du licenciement, précise qu'il n'apparaissait pas que la demande d'autorisation de licenciement par l’employeur serait en lien avec l'exercice de son mandat par la salariée et qu'ainsi l'éventualité d'une discrimination syndicale était exclue. La salariée saisit le juge judiciaire en affirmant que son inaptitude découle de la discrimination syndicale dont elle s’estime victime. L’employeur conteste la compétence du juge judiciaire au motif qu’il appartient à l’inspecteur du travail de rechercher si la demande de licenciement est en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Qui du juge judiciaire ou du juge administratif est compétent pour la qualification de discrimination à la source de l’inaptitude d’un salarié protégé ? La Chambre sociale précise qu’en cas de licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé, il n’appartient pas à l’inspecteur du travail « de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral ou d'une discrimination syndicale ». En conséquence, « l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations ». La sanctuarisation de la compétence du juge judiciaire sur les causes de l’inaptitude n’est pas nouvelle, cette décision interroge néanmoins sur la capacité et le sérieux du contrôle de l’inspecteur du travail sur l’absence de lien de la demande de licenciement d’un salarié protégé inapte lorsque cette inaptitude résulte d’une discrimination syndicale. Au nom de la séparation des pouvoirs, l’inspecteur n’est pas censé s’interroger sur la source de l’inaptitude, mais en même temps il doit s’assurer que le licenciement n’est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Il semblerait dès lors qu’un double contrôle puisse jouer en cas d’inaptitude résultant d’une discrimination syndicale : l’inspecteur du travail dans le cadre de ses prérogatives habituelles, qui consiste peu ou prou à traquer toute discrimination syndicale éventuelle ; le juge judiciaire dans le cadre de l’appréciation de la source de l’inaptitude.  La Cour de cassation de préciser simplement que la conclusion de l’inspecteur du travail d’absence de discrimination syndicale dans le cadre de la décision administrative ne s’impose pas au juge judiciaire quant à la source de l’inaptitude.

M. Sweeney

C. Discrimination directe

1) Reconnaissance de la discrimination directe et aménagement de la charge de la preuve

Accès à la preuve en matière de discrimination syndicale et atteinte proportionnée à la vie personnelle (Cass. soc., 15 février 2023, n° 21-15.033 N° Lexbase : A44669DR ; Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-12.492, FS-B N° Lexbase : A08929HI ; Cass. soc., 1er juin 2023, n° 22-13.238 N° Lexbase : A64069XK). La preuve d’une discrimination est la plupart du temps faite par l’intermédiaire d’une comparaison entre la situation du demandeur et un panel de situations similaire à la première. Pour autant, si évidente soit-elle en théorie, la comparaison se heurte souvent à des entraves pratiques et juridiques. En effet, pour comparer, il faut avoir accès aux éléments que l’on souhaite mettre en balance avec la situation estimée discriminatoire. Or, ces données touchent d’autres salariés et les juges peuvent alors avoir à trancher ce que la Cour européenne des droits de l’homme nomme un conflit de droits fondamentaux : les droits procéduraux du demandeur en matière de non-discrimination peuvent aller à l’encontre de la vie privée des autres salariés. Comme dans tout conflit de ce type, le travail du juge s’apparente à celui d’un équilibriste. Ces dernières années, la Cour de cassation construit une jurisprudence forte sur cette question où la balance semble pencher du côté des droits du demandeur. Plusieurs arrêts du premier semestre 2023 attestent de cette dynamique, à commencer par un arrêt du 1er juin 2023 N° Lexbase : A64069XK relatif à une situation concernant un ensemble de personnes sur un site. Une soixantaine de salariés exerçant des mandats de représentants du personnel au sein de la société Renault Trucks ont obtenu une ordonnance sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 leur permettant d’avoir accès à un vaste jeu de données concernant d’autres salariés : nom, prénom, sexe, âge, date d’entrée sur le site pour toutes les personnes ayant une qualification professionnelle similaire et ayant été embauchée la même année ou jusqu’à deux ans plus tôt ou plus tard, ainsi que les bulletins de paye, diplômes, éventuels changements de poste ou de qualification. La Cour rappelle que l’article 145 du Code de procédure civile permet d’ordonner des mesures d’instruction « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige » et qu’une atteinte à la vie privée garantie par l’article 9 du Code civil N° Lexbase : L3304ABY et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme N° Lexbase : L4798AQR est possible « à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ». Or, la cour d’appel a établi que les salariés ont connu une évolution de carrière « très lente » avec un salaire quasi inchangé et que l’employeur n’a pas donné suite à la demande d’un syndicat de transmettre des éléments qu’il avait à sa disposition afin d’établir la comparaison nécessaire à la preuve de la discrimination. Dès lors, la cour d’appel, dans son appréciation souveraine, a estimé que le jeu de données précédemment cité était indispensable à l’apport de la preuve. La cour d’appel ayant établi l’utilité de chaque élément devant être transmis par l’employeur dans le cadre d’une opération de comparaison, l’atteinte à la vie personnelle reste proportionnée. La cour précise que l’opération de comparaison suppose une précision des informations. En l’espèce, cela comprend un tableau récapitulatif devant être élaboré par l’employeur.

La Cour de cassation rappelle également que la production des noms et prénoms des salariés faisant partie du panel de comparaison peut relever d’une atteinte proportionnée à la vie personnelle, et que, ce qui est plus inédit, les bulletins de salaire peuvent être produits dans leur intégralité. La cour d’appel n’est pas tenue de s’expliquer sur l’utilité de chaque mention et, par ailleurs, la « cancellation » de certaines données ne lui avait pas été demandée. Le pourvoi de l’employeur est donc rejeté.

Dans un autre arrêt publié au bulletin en date du 8 mars 2023 N° Lexbase : A08929HI , la Chambre sociale avait déjà affirmé cette dynamique. Le visa du règlement RGPD du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I n’y change rien, les nécessités de la preuve de la discrimination peuvent conduire, si les données en cause sont indispensables, à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés. Même si la proportionnalité de l’atteinte justifie l’occultation de données personnelles, d’autres restent apparentes. En l’occurrence, la cour d’appel a pu, de manière justifiée, admettre la nécessité pour l’employeur, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, de produire les bulletins de paye de 8 collègues masculins de la salariée comportant leur nom et prénom, leur classification conventionnelle, leur rémunération mensuelle détaillée et leur rémunération brute totale cumulée par année civile. Cette force du droit de la non-discrimination est une belle victoire pour la salariée obtenue le 8 mars, journée des droits des femmes.

On le comprend, grâce à ces premiers arrêts, le droit de la preuve en matière de non-discrimination est fort. L’employeur peut donc être valablement soumis à la production de pièces qui vont permettre au salarié d’établir la différence de traitement. Plutôt que d’attendre et, selon la règle de l’aménagement de la charge de la preuve, essayer de se justifier de manière objective, il peut tenter d’avoir lui-même la maîtrise du panel. C’est ce que démontre un arrêt du 15 février 2023 N° Lexbase : A44669DR. Le salarié essayait d’obtenir la production d’éléments concernant 33 autres salariés afin de prouver l’existence d’une discrimination sur sa rémunération liée à son origine (l’arrêt précise d’ailleurs de manière très atypique qu’il s’agit de « ses origines culturelles et ethniques »). La cour d’appel a refusé cette demande en indiquant que l’employeur avait déjà transmis de lui-même un ensemble de données relatives à 12 salariés sous la forme d’un tableau récapitulatif ainsi que les bulletins de paye de 20 personnes. Pour les juges du fond, le salarié ne justifie pas d’un motif légitime afin d’obtenir la communication de pièces supplémentaires. La Cour de cassation casse et annule cet arrêt, car la cour d’appel aurait dû vérifier si ces pièces supplémentaires étaient nécessaires à l’apport de la preuve et si, dans le cas d’une atteinte à la vie privée des salariés concernés, elles étaient indispensables et nécessitaient éventuellement de cantonner le périmètre des pièces concernées.

D. Tharaud

Fiabilité de la comparaison et prise en compte par les juges du fond des éléments apportés par le salarié (Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-16.433, FS-D N° Lexbase : A65789CM ; Cass. soc., 22 mars 2022, n° 21-21.276, F-D N° Lexbase : A01039LE ; Cass. soc., 5 avril 2023, 2 arrêts, n° 21-25.838 N° Lexbase : A44459NX et n° 21-24.556 N° Lexbase : A43119NY, F-D ; Cass. soc., 13 avril 2023, n° 20-23.619, F-D N° Lexbase : A55589PK ; Cass. soc., 19 avril 2023, n° 22-11.065, F-D N° Lexbase : A78779QS ; Cass. soc., 17 mai 2023, n° 21-24.159, F-D N° Lexbase : A18459WA). Comme elle en a l’habitude depuis quelques années, en ce premier semestre 2023, la Cour de cassation a tranché à plusieurs reprises la question de l’opération de comparaison et spécifiquement les éléments apportés par le salarié pour procéder à celle-ci. Cette étape procédurale est essentielle pour le salarié puisque suivant la règle d’aménagement de la charge de la preuve mise en place par la loi du 16 novembre 2001, il doit apporter des éléments qui laissent supposer l’existence d’une discrimination. Et ce n’est que si c’est le cas que l’employeur devra tenter de se justifier en apportant des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Pour espérer voir son action prospérer, le salarié doit donc, en pratique, établir l’existence d’une différence de traitement. Pour cela, il doit comparer sa situation à celles d’autres personnes qui sont dans une situation similaire à la sienne. Cette question est particulièrement sensible dans le contentieux de l’évolution de la carrière et de la rémunération qui suppose de se comparer à des personnes présentant des caractéristiques communes assez fortes (qualification, expérience professionnelle, date d’entrée dans l’entreprise…). Le contentieux porte alors souvent sur la pertinence de ce panel.

Dans un arrêt du 5 avril 2023 N° Lexbase : A44459NX, la Cour de cassation rappelle que le panel de comparaison élaboré par le salarié, et plus largement tous les éléments apportés par ce dernier, est apprécié souverainement par les juges du fond. En l’espèce, concernant la preuve d’une discrimination syndicale quant à l’évolution de la rémunération du salarié, les éléments apportés par ce dernier consistaient en une comparaison avec des personnes occupant des fonctions supérieures et dans un contexte où il a bénéficié d’une augmentation constante de salaire. Dès lors, la Cour de cassation valide l’analyse de la cour d’appel qui a jugé que ces éléments ne permettaient pas de supposer l’existence d’une discrimination et rejette ainsi le pourvoi.

Quelques jours plus tard et dans un contentieux similaire, la Cour de cassation réitèrera sa position le 19 avril 2023 N° Lexbase : A78779QS en rappelant que les juges du fond ont un pouvoir d’appréciation souverain dans l’analyse de la fiabilité de la comparaison telle que présentée par le salarié. Tout comme dans la première affaire, la question des similitudes des situations faisant l’objet d’une comparaison est mise en lumière, cette fois sur les plans temporel et spatial. Certes, le salarié a transmis des bulletins de paie d’autres salariés de l’entreprise, mais ceux-ci ne travaillaient pas sur le même site et les bulletins ne dataient pas de la même période. S’ajoutent à ce problème de fiabilité des éléments de comparaison le fait que le salarié bénéficiait d’une rémunération comprise entre la fourchette la plus haute et la fourchette la plus basse, supérieure aux minimas conventionnels, et qu’il a bénéficié d’augmentations individuelles juste après le début de son élection au comité d’entreprise et de son mandat de délégué syndical. Par ailleurs, les juges du fond ont estimé que l’ensemble des sanctions disciplinaires (une mise en garde, 4 avertissements et une mise à pied) était justifié. De ces éléments, il ressort que la cour d’appel a pu estimer que le salarié ne présentait pas d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination. Le pourvoi est alors rejeté.

S’ajoute à ce lot d’arrêts sur l’apport de la preuve par le salarié une troisième espèce en date du 13 avril 2023 N° Lexbase : A55589PK qui, cette fois, permet au salarié qui a formé le pourvoi de voir l’arrêt de la cour d’appel cassé et annulé. La particularité de l’affaire provenait de la disparité des éléments présentés par le salarié qui extraient l’espèce de la dimension classique de la simple comparaison à la situation d’autres salariés. En effet, les données produites se concentraient sur la situation propre du salarié : période anormalement longue d’intercontrat, difficultés rencontrées en matière de formation professionnelle et enfin plusieurs sanctions disciplinaires en lien avec l’exercice de son mandat de représentant du personnel. La cour d’appel a eu une réponse consistant à indiquer que l’ensemble de ces éléments n’était que la réaction de l’employeur face à « l’activisme mal fondé » du représentant du personnel. Outre que cette réponse laisse songeur quant à son aspect plus moral que juridique, elle brille également par son absence d’argumentation technique sur le plan du régime de discrimination, mais également sur le plan disciplinaire si c’est bien ce dont il s’agit. Logiquement, la Cour de cassation estime que ces motifs sont impropres à écarter l’existence d’une discrimination syndicale. La cour d’appel était tenue de prendre en compte l’ensemble des éléments présentés pour vérifier s’ils étaient suffisants pour laisser supposer l’existence d’une discrimination. La Haute juridiction rappelle qu’en cas de réponse positive, les juges du fond ont alors l’obligation d’analyser les éléments objectifs de justification apportés par l’employeur. Pour ce qui est de son office, elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.

Dans le même esprit, une cour d’appel ne peut se contenter de dire que des arrêts de travail pour maladie d’origine non professionnelle mentionnant des crises d’angoisse et un syndrome dépressif réactionnel présentés par le salarié ne démontrent aucun lien de causalité entre la dégradation de l’état de santé et les conditions de travail dans le contexte de l’exercice d’un mandat de représentant du personnel. La Cour de cassation rappelle, par une décision du 17 mai 2023 N° Lexbase : A18459WA, que les juges du fond sont tenus préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas supposer l’existence d’une discrimination.

Dans le même sens, à propos d’une discrimination syndicale, le salarié se plaignait de n’avoir jamais été promu comme chef d’équipe. Les juges de la cour d’appel retiennent que pour l’une des promotions contestées, le salarié retenu présentait une ancienneté plus importante et que donc « pris dans leur ensemble » les éléments ne permettent pas de présumer une discrimination. Par décision du 8 février 2023 N° Lexbase : A65789CM, la Chambre sociale casse l’arrêt pour violation de la loi, car les juges du fond auraient dû retenir deux éléments caractérisant la suspicion de discrimination en l’espèce : tout d’abord la promotion comme chef d’équipe de collègues ayant une expérience et une ancienneté moins importantes ; ensuite le directeur du site avait publiquement annoncé sa promotion comme chef d’équipe, ce qui ne sera jamais suivi d’effet. Cette décision souligne que les juges du fond doivent prendre en considération chaque élément présenté par le salarié et qu’ils ne peuvent « diluer » les éléments susceptibles de caractériser une discrimination pour plusieurs promotions d’autres salariés face à une seule promotion où le salarié retenu présentait une ancienneté plus grande.

L’ensemble du contentieux met en lumière deux dynamiques différentes de la discrimination et de la preuve qui y est associée dans le cas de la problématique de l’évolution de carrière. Soit le retard se fait par rapport à ce que les autres salariés connaissent et, dans ce cas, l’enjeu est de constituer un panel de comparaison viable et pertinent. Outre le choix des éléments, cette difficulté renvoie également aux questions d’accès à la preuve évoquées plus haut. Soit, le retard ou la dégradation de sa situation provient de faits multiples que seul le salarié subit (climat de tension, multiplication de sanctions…). Cette diversité des actes ne suppose pas d’opération de comparaison, mais nécessite de la part des juges du fond une analyse complète de l’ensemble des éléments. Le contentieux fait alors souvent apparaître une multiplication des procédures disciplinaires dont l’employeur devra se justifier de manière objective, comme indiqué dans un arrêt du 5 avril 2023 N° Lexbase : A43119NY. Tel n’est pas le cas lorsqu’il n’apporte aucun élément au fait qu’il ait coupé l’accès à un logiciel et qu’il ne l’a pas rétabli, qu’il ne démontre pas les faits justifiant une sanction disciplinaire et que, pour d’autres, elles apparaissent disproportionnées (mise à pied de 3 jours pour non-respect du port d’un costume).

D. Tharaud

Discrimination et cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc., 22 mars 2023, n° 22-10.556, F-D N° Lexbase : A01359LL ; Cass. soc., 28 juin 2023, n° 22-11.699, F-B N° Lexbase : A266997Y). La Chambre sociale précise l’application de l’aménagement de la charge de la preuve en fonction de l’existence ou non d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. Dans une première affaire en date du 28 juin 2023 N° Lexbase : A266997Y, le salarié avait sollicité l'organisation d’élection professionnelle dans l’entreprise. Le jour même de réception de la demande du salarié, l'employeur a entamé une procédure de licenciement disciplinaire. La cour d’appel refuse d’y voir une discrimination. La cassation est encourue, car dès lors que les juges du fond constatent tout d’abord que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et, ensuite que la décision de l’employeur est concomitante à la demande d'organisation des élections, la suspicion de discrimination syndicale est établie. D’aucuns pourraient s’interroger sur la qualification de discrimination syndicale en l’espèce, car en soi la demande d’organisation d’élection d’un délégué du personnel, qui n’est pas un mandat « syndical », n’est nullement réservée aux militants syndicaux. Néanmoins, cette décision est heureuse : si en effet il ne s’agit pas de l’action d’un adhérent d’une organisation syndicale (personne morale), cette demande concerne directement l’intérêt collectif et la mise en place d’une représentation du personnel. Le caractère syndical, entendu largement, s’inscrit dans la défense de l’intérêt collectif. Nous retrouvons cette conception large de l’activité syndicale dans la jurisprudence de la CEDH, qui fonde l’action revendicative de grève et le droit à la négociation collective sur la liberté syndicale, alors même qu’en France et dans d’autres États parties de la convention ces prérogatives ne sont pas exclusivement réservées aux membres d’organisations syndicales. Dans une seconde affaire du 22 mars 2023 N° Lexbase : A01359LL, une salariée, licenciée pour insuffisance professionnelle, invoquait une discrimination en raison de l’état de santé. La Chambre sociale rejette le pourvoi de la salariée en affirmant que « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte antérieure au sein de l'entreprise pour discrimination ». La salariée ne produisait comme élément de preuve de suspicion de discrimination que ses propres écrits envoyés une fois qu’elle a reçu la convocation à l’entretien préalable. Indépendamment de l’insuffisance de la preuve en l’espèce, faire dépendre ainsi l’aménagement de la charge de la preuve du salarié en matière de discrimination en fonction de l’existence ou non d’une cause réelle et sérieuse peut de prime abord convaincre : si le licenciement est légalement justifié, c’est qu’il n’y a pas de discrimination dans la motivation de la rupture. Toutefois, cette jurisprudence paraît dangereuse au regard de la charge de la preuve : en matière de licenciement, si le salarié ne subit pas le risque de la preuve, il doit néanmoins en assumer la charge. Il ne jouit pas d’aménagement de la charge de la preuve. La solution de la Chambre sociale dans ces deux arrêts revient peu ou prou à ce que lorsque les juges retiennent la cause réelle et sérieuse du licenciement, l’aménagement de la charge de la preuve en matière discriminatoire n’a plus lieu à s’appliquer. Le vocabulaire de la Chambre sociale est signifiant : en présence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement le salarié doit « démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion » et non simplement « des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination », exigé à l’article L. 1134-1 du Code du travail N° Lexbase : L2681LBW [1]. Cette solution méconnaît également le fait que le motif discriminatoire peut être une raison accessoire et non principale de la décision de licencier. Or, même accessoire une discrimination doit être sanctionnée [2]. Il est parfaitement concevable qu’un salarié soit fautif ou n’ait plus les compétences nécessaires pour occuper son emploi et que ces événements seront l’occasion pour l’employeur de licencier un salarié qui a subi une discrimination tout au long de sa carrière. Rien ne justifie qu’il ne puisse pas dans une telle situation apporter la preuve d’une simple suspicion de discrimination.

M. Sweeney

Protection des lanceurs d’alerte et apport facilité de la preuve (Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-24.271, FS-B N° Lexbase : A01919BP ; Cass. soc., 17 mai 2023, n° 21-24.159, F-D N° Lexbase : A18459WA). Parfois, c’est un événement unique qui permet de considérer l’apport de la preuve par le salarié comme accompli. C’est par exemple le cas relevé dans un arrêt du 1er février 2023 lorsque ce dernier a dénoncé des faits pouvant relever d’une corruption à sa hiérarchie puis au comité d’éthique de l’entreprise et a par la suite été licencié. Sa bonne foi n’étant pas mise en doute, la salariée bénéficiait, selon les juges du fond, de la qualité de lanceur d’alerte au titre de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 N° Lexbase : L6482LBP dans ses dispositions alors applicables. Dès lors, elle pouvait se prévaloir du régime de la preuve en matière de discrimination puisque la qualité de lanceur d’alerte est un des motifs envisagés par le Code du travail (à l’époque isolé au sein de l’article L. 1132-3-3 N° Lexbase : L0919MCZ, ce motif a été intégré par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 N° Lexbase : L0484MCW à la liste principale de l’article L. 1132-1 N° Lexbase : L0918MCY). La cour d’appel avait considéré, suivant la même dynamique que dans l’arrêt du 17 mai N° Lexbase : A18459WA, qu’il n’était pas démontré de lien manifeste entre la détérioration de relation de travail et l’alerte (qui a suivi la procédure alors applicable qui a également subi des modifications depuis), l’employeur s’appuyant sur des considérations purement professionnelles dans les évaluations de la salariée et pour motiver son licenciement. La Cour de cassation casse et annule cet arrêt en indiquant que les juges du fond avaient « constaté que la salariée présentait des éléments permettant de présumer qu'elle avait signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 » et que, partant, ils auraient dû rechercher si l’employeur se justifiait par des éléments étrangers à toute discrimination. Nous pouvons remarquer que la Cour opère ici un glissement puisque le fait de présenter la qualité de lanceur d’alerte semble ici être suffisant pour considérer que la salariée a apporté des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination. Même si, en application de l’aménagement de la charge de la preuve, l’employeur aura toujours la possibilité de se justifier objectivement, il n’en reste pas moins que cette position établit une forme de suspicion planant sur tout acte pris après une procédure d’alerte. Cela fait comprendre que c’est bien le motif qui conduit ce glissement des règles de preuve. En effet, à l’instar de l’exercice du droit de grève, il ne s’agit pas d’un motif orthodoxe fondé sur les préjugés et stéréotypes associés à une caractéristique, mais un motif de représailles. C’est d’ailleurs cette dynamique de riposte de l’employeur que faisait valoir explicitement la salariée. Cela peut être critiqué sur le plan dogmatique, encore plus en pensant que dorénavant ce motif de représailles est inscrit parmi les motifs au fonctionnement plus classique, puisque cela conduit à apprécier la charge de la preuve différemment selon le motif mobilisé. Il n’en reste pas moins une meilleure protection des salariés concernés.

D. Tharaud

2) Exception : exigences essentielles et déterminantes

 [...]

3) Autres exceptions (action positive, etc.)

Discrimination en raison de l’âge, mise en inactivité d’office et statut d’entreprise publique (Cass. soc., 17 mai 2023, n° 21-25.622, F-D N° Lexbase : A18349WT). La Directive européenne n° 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4 en son article 6, § 1, transposé à l’article L.1133-2 du Code du travail N° Lexbase : L6055IAI, prévoit un régime propre au motif de l’âge, selon lequel une différence de traitement sur ce motif « ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ». Régulièrement sont contestés les statuts d’entreprises publiques qui prévoient qu’à un âge déterminé, souvent 65 ans, le salarié est d’office mis en inactivité. Cette règle est le décalque de celle qui prévalait dans la fonction publique, justifiée par la mise à la retraite d’agent public pour créer des emplois disponibles pour des agents plus jeunes. Les juges de la cour d’appel ont pris prétexte que le Conseil d’État a, dans un arrêt du 13 mars 2013, jugé conforme le statut d’EDF, qui prévoyait un tel dispositif de mise en inactivité, avec la directive européenne. La Chambre sociale rappelle qu’il appartient au contraire aux juges judiciaires de rechercher concrètement « si, pour la catégorie d'emploi de la salariée, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime, notamment par des objectifs d'emploi des jeunes et de promotion d'accès à l'emploi avec une meilleure distribution de celui-ci entre les générations, et si la mise en inactivité d'office de la salariée était un moyen approprié et nécessaire de réaliser cet objectif ». L’aval du Conseil d’État, opérant un contrôle in abstracto, ne suffit nullement à telle justification.

M. Sweeney

D. Discrimination indirecte

1) Suspicion de discrimination indirecte

[...]

2) Justification de la différence de traitement

a. Raisonnabilité de la mesure

[...]

b. Proportionnalité de la mesure

[...]

3) Charge de la preuve

[...]

E. Sanction et réparation de la discrimination

Prescription quinquennale de l’action en discrimination (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 21-15.751, F-D N° Lexbase : A76139QZ ; Cass. soc., 7 juin 2023, n° 22-22.920, FS-B N° Lexbase : A69039YC). La prescription quinquennale de l’action en discrimination continue de faire l’objet de contestation. Le contentieux autour de la carrière des salariés syndiqués discriminés souligne combien la brièveté de ce délai peut être en décalage avec la discrimination « à bas bruit étalée sur plusieurs années. La Chambre sociale a répondu à cette difficulté en reportant le point de départ de ce délai de prescription reposant sur la « révélation de la discrimination » (selon les termes de l’article L.1134-5 du Code du travail N° Lexbase : L5913LBM). Malgré une jurisprudence constante, la cour d’appel de Basse-Terre avait jugé comme prescrit les faits de discrimination syndicale pour une action introduite le 17 décembre 2015, car aucune des décisions attaquées n’était postérieure au 17 décembre 2010. La Chambre sociale rappelle, dans un arrêt du 19 avril 2023 N° Lexbase : A76139QZ, qu’en matière de discrimination affectant la carrière d’un syndicaliste, il appartient à la victime de faire « valoir que cette discrimination s'était poursuivie tout au long de sa carrière en termes d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résultait qu'elle se fondait sur des faits qui n'avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription ». Le point de départ de la prescription s’apprécie non au regard de la date des décisions de l’employeur, mais de la cessation des effets de celles-ci sur la carrière. Par une décision du 7 juin 2023 N° Lexbase : A69039YC, la Chambre sociale a été saisie de questions prioritaires de constitutionnalité à l’encontre de cette prescription quinquennale. Un ancien salarié de la SNCF estime avoir été discriminé en raison de sa nationalité et réclame réparation de son préjudice. Il a travaillé pour la SNCF jusqu'en 2000 et a liquidé sa retraite en 2008. Il n’a introduit son action pour discrimination que le 22 décembre 2017. Le conseil de prud’hommes et la cour d’appel l’ont débouté de son action, jugeant à l’unisson que son action est atteinte par la prescription tant pour la demande de rappel de salaire que ses droits à pension. Au moment de son pourvoi en cassation, le salarié saisit la Chambre sociale de trois questions prioritaires de constitutionnalité, qui en substance interrogent cette prescription au regard du droit à un recours juridictionnel effectif et de la non-discrimination en raison de la nationalité. Le salarié reproche en creux aux juridictions du fond d’avoir retenu comme point de départ de la prescription soit la rupture de la relation de travail, soit le jour où le salarié pouvait liquider ses droits à pensions. La Chambre sociale refuse de transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité. Tout d’abord, parce que « il n'existe pas, en l'état, de jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l'article L.1134-5, alinéa 1, du Code du travail N° Lexbase : L5913LBM, serait interprété en ce qu'il aurait pour conséquence de fixer, dans tous les cas, le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue tout au long de la carrière à date de la rupture du contrat de travail et celui du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue dans les droits à la retraite au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension ». Les jurisprudences citées par le pourvoi, où ces points de départ avaient été retenus, ne sont que des arrêts d'espèces. Par ailleurs, la Chambre sociale rappelle sa jurisprudence constante [3] selon laquelle “quand bien même le salarié fait état d'une discrimination ayant commencé lors d'une période atteinte par la prescription, l'action n'est pas prescrite dès lors que cette discrimination s'est poursuivie tout au long de la carrière en termes d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résulte que le salarié se fonde sur des faits qui n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription”. Il est heureux que cette jurisprudence constante qui n’a été jusqu’ici appliquée qu’à des cas de discrimination syndicale soit étendue dans cette décision à la discrimination en raison de la nationalité - les règles de prescriptions étant les mêmes, quel que soit le motif discriminatoire en jeu. Il reste donc au salarié à démontrer que les faits de discrimination dont il s’estime victime produisent toujours des effets, notamment sur son niveau de pension.

M. Sweeney

Sanction de la non-discrimination: repositionnement dans la carrière (Cass. soc., 14 juin 2023, n° 22-11.601, F-D N° Lexbase : A206193Q). Toujours en matière de carrière de la victime discriminée, la Chambre sociale a été saisie de la question de la demande du salarié syndiqué à être repositionné à la qualification à laquelle il aurait dû être s’il n’avait pas été discriminé. Les juges du fond, alors qu’ils avaient retenu la discrimination syndicale en raison de la décélération et stagnation de carrière du salarié, avaient refusé un tel repositionnement, car le salarié « ne démontre pas avoir exercé des fonctions d'encadrement, critère objectif justifiant l'attribution d'un coefficient de rémunération supérieur, que l'employeur démontrait le silence de la salariée à des propositions de poste » et que la salariée ne s’était pas portée candidate sur ces postes. La Chambre sociale rappelle au contraire qu’en réparation du préjudice dans le déroulement de sa carrière la salariée peut prétendre « à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination et qu'il appartient au juge de rechercher à quel coefficient de rémunération le salarié serait parvenu sans la discrimination constatée ». Les juges du fond avaient également décidé de réparer le préjudice financier démontré à hauteur de 100 000 euros « tous chefs de préjudice confondus », sans donner aucun motif pour avoir débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral résultant d'une discrimination. La cassation est encourue pour ces deux motifs.

M. Sweeney

Réparation des préjudices nés de la discrimination et du harcèlement (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 22-14.778, F-D N° Lexbase : A77229Q3). La Chambre sociale rappelle que le préjudice né d’une discrimination se distingue de celui né d’un harcèlement, et cela même si le motif en jeu est le même. Elle casse un arrêt de cour d’appel qui avait alloué une somme unique de dommages-intérêts au titre de la discrimination et du harcèlement. Elle rappelle que « Les obligations résultant des articles L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY, au titre du principe de non-discrimination, et L. 1152-1 du même Code N° Lexbase : L0724H9P, au titre de la prohibition du harcèlement moral, sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents, ouvre droit à des réparations spécifiques ».

M. Sweeney

Sanction de la discrimination et remboursement des indemnités chômage (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 22-11.148, F-D N° Lexbase : A76659QX). Lorsque le salarié à la suite d’une démission obtient qu’elle soit requalifiée en licenciement nul en raison d’une discrimination syndicale, les juges du fond peuvent ordonner d’office le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois. La contestation de l’employeur tenait au fait que la rupture du contrat consistait en une démission et non en un licenciement. Cet argument ne tient pas lorsque la démission a les effets d’un licenciement nul, comme en l’espèce. Dans une autre affaire, un employeur a contesté le remboursement des indemnités de chômage prononcé à la suite d’une discrimination pour fait de grève. L’employeur affirme en effet que la sanction de la discrimination pour fait de grève est énoncée à l’article L. 2511-1 du Code du travail N° Lexbase : L0237H9N, qui n’est pas visé à l’article L.1235-4 du Code du travail N° Lexbase : L0274LM4 qui énumère limitativement les cas où le juge peut ordonner le remboursement des indemnités chômage. La chambre sociale écarte cet argument, car l’article précité vise l’article L.1132-4 N° Lexbase : L0920MC3 qui dispose que « Toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre (...) est nul ». Or, la non-discrimination en raison de l'exercice normal du droit de grève est énoncée à l’article L.1132-2 du Code du travail N° Lexbase : L0676H9W, au sein du chapitre visé par l’article L.1132-4.

M. Sweeney

Assiette de calcul des dommages et intérêts pour discrimination (Cass. soc., 1er juin 2023, n° 21-21.191, FS-B N° Lexbase : A63919XY). La Chambre sociale précise également l’assiette de calcul des dommages et intérêts en cas de violation du statut protecteur d’un salarié, victime de discrimination syndicale. Le principe de calcul, lorsque le salarié ne demande pas sa réintégration « est la rémunération que le salarié aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection résultant du mandat en cours à la date de la rupture, dans la limite de trente mois ». Qu’en est-il lorsque le salarié protégé a été en arrêt de travail pour maladie pendant la période d'éviction? La Chambre sociale précise qu’il convient de prendre pour les besoins du calcul le salaire moyen des douze derniers mois, incluant les commissions, perçues avant l'arrêt de travail. La cour d’appel avait refusé d’inclure les commissions perçues dans l’assiette de calcul du salaire moyen. La cassation est prononcée de ce chef.

M. Sweeney

II. Principes d’égalité

A. Égalité en droits européens

1) Le principe d’égalité en droit de l’Union européenne

Différences de traitement dans les prestations sociales subies par les travailleurs transfrontaliers durant un confinement (CJUE, 15 juin 2023, aff. C-411/22 N° Lexbase : A097593I). La question de la gestion nationale du COVID n’échappe pas aux règles de la libre circulation des travailleurs comme l’a rappelé la CJUE dans un arrêt du 15 juin 2023, Termalhotel Fontana. En l’espèce, plusieurs salariés résidant en Slovénie et Hongrie et travaillant dans un hôtel autrichien ont été testés positifs au COVID-19. Après information de l’employeur auprès des autorités autrichiennes, celles-ci informent les autorités des deux pays concernés qui ordonnent chacune un confinement des salariés à leur domicile en vertu de leur droit national. Les salariés ont vu leur rémunération continuer à être versée par leur employeur pendant cette période, lequel demande alors aux autorités autrichiennes d’effectuer un remboursement, car la somme versée correspondrait à un manque à gagner pour raison de maladie et l’employeur estime qu’il ne s’agit que d’un système de subrogation au bénéfice des salariés. Cela lui est refusé, car la mesure du confinement a été ordonnée par les autorités slovènes et hongroises et non autrichiennes. La question préjudicielle porte alors sur le fait de savoir s’il est possible de faire une différence de traitement selon l’origine nationale ou étrangère de la décision de confinement qui provoque le manque à gagner pour les salariés. Cette différence de traitement doit être lue au prisme de l’article 45, § 2 TFUE qui, au titre de la liberté de circulation des travailleurs, interdit les discriminations faites en raison de la nationalité. La Cour reconnait dans le cas d’espèce l’existence d’une discrimination, car si le refus des autorités autrichiennes de faire droit au remboursement de l’employeur se justifie par la volonté d’éviter tout enrichissement sans cause des salariés avec une double indemnisation par la législation du lieu de travail et celle du lieu de résidence, il est possible aux autorités autrichiennes de mettre en place une indemnisation conditionnée aux montants déjà perçus au titre de la législation du lieu de résidence. Dès lors, le refus automatique et sans prise en considération de la situation réelle est constitutif d’une discrimination.

D. Tharaud

Le calcul de l’expérience professionnelle avant le recrutement d’un fonctionnaire peut relever d’une discrimination (CJUE, 15 juin 2023, aff. C-132/22 N° Lexbase : A096893A ; CJUE, 20 avril 2023, aff. C-650/21 N° Lexbase : A29879R3). Dans un but de lutte contre la précarité dans certains établissements publics d’enseignement, la loi italienne a mis en place un système de recrutement de personnes n’ayant pas obtenu le diplôme habituellement requis, mais ayant déjà passé un concours sélectif et ayant accumulé un certain nombre d’années d’expérience d’enseignement. Dans l’arrêt Ministero dell'Istruzione, dell'Università e della Ricerca N° Lexbase : A096893A, la question préjudicielle posée à la Cour, au titre d’une éventuelle rupture de l’égalité de traitement contraire à la libre circulation des travailleurs, provient du recours exercé par plusieurs personnes contestant les règles énoncées en ce qu’elles ne permettent pas de prendre en compte l’expérience professionnelle acquise à l’étranger. La Cour rappelle ici que sont prohibées les discriminations directes et indirectes. Elle précise alors le fait que le décret italien qui est au cœur de la discussion n’incite pas à la liberté de circulation des travailleurs puisque l’expérience acquise sur le territoire d’un autre État membre n’est pas prise en compte. De fait, cette disposition est susceptible d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux. Par ailleurs, la Cour ne trouve pas d’adéquation entre l’objectif poursuivi, à savoir la lutte contre la précarité, et les restrictions présentées par le texte. Dès lors, elle conclut que l’article 45 du TFUE s’oppose à de telles dispositions qui s’avèrent contraires à la libre circulation des travailleurs.

En revanche, un autre arrêt N° Lexbase : A29879R3, la Cour indique que l’État peut mettre en place une différence dans la prise en compte des périodes d’apprentissage effectuées dans une collectivité territoriale avant le recrutement du fonctionnaire selon la date de ce dernier pour calculer la rémunération. Cette différence n’est pas contraire à la Directive n° 2000/78 N° Lexbase : L3822AU4 combinée avec l’article 21 de la CDFUE qui prohibe les discriminations. Cependant, le même arrêt indique qu’un système de rémunération fondé sur un ancien classement discriminatoire est lui-même contraire à ces deux textes. Dans le même esprit, le fait que le reclassement s’effectue alors que la position du fonctionnaire dans le barème de rémunération est pendante entre en opposition avec le principe d’égalité de traitement proclamé par l’article 20 de la CDFUE et le principe de sécurité juridique.

D. Tharaud

Âge et pensions de retraite (CJUE, 20 avril 2023, aff. C-52/22 N° Lexbase : A37209R9 ; CJUE, 27 avril 2023, aff. C-681/21 N° Lexbase : A55729S8). Dans l’arrêt BVAEB du 20 avril 2023, la CJUE a été confrontée à l’application de la Directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4 à propos de la législation autrichienne modifiant les règles relatives au montant des pensions de retraite afin de mettre en place un régime uniforme incluant le secteur privé et le secteur public. Plusieurs ajustements ont été mis en place provoquant ainsi une modulation des règles applicables aux fonctionnaires avec une mise en place déployant des règles distinctes en fonction de la date d’entrée dans la fonction publique et de la date à laquelle le fonctionnaire peut faire valoir son droit à la retraite. Ce régime conduit la Cour a rapidement exclure l’existence d’une discrimination directe fondée sur l’âge puisque ce critère n’est pas utilisé dans la réforme. En revanche, le fait que les dispositions en cause permettent une mise en place progressive du nouveau calcul de la pension en fonction de la date à laquelle le fonctionnaire fait valoir son droit à la retraite induit une utilisation indirecte du critère de l’âge puisque cela conduit nécessairement à prendre en compte le nombre d’années de travail et le dépassement d’un seuil d’âge.

Reste pour la Cour à identifier s’il s’agit d’une discrimination indirecte qui suppose que « parmi l’ensemble des personnes visées par le champ d’application de la réglementation nationale (…), cette réglementation affecte négativement, et sans justification, une proportion significativement plus importante de personnes d’un âge donné par rapport à d’autres personnes » (point 49). Tel n’est pas le cas ici, car la différence de traitement se fonde uniquement sur la date de naissance du droit à pension et que le régime de retraite propose des aménagements qui permettent à une personne d’être admise à la retraite plus tôt ou plus tard que les 65 ans de principe. Dès lors, la Cour considère qu’il n’existe pas de désavantage significatif pour certaines catégories d’âge.

Par ailleurs, sur le plan des justifications, la CJUE rappelle que des arguments d’ordre budgétaire ne peuvent permettre de valider une discrimination fondée sur l’âge. Cependant, la finalité de financement durable des pensions de retraite reste un objectif légitime de politique sociale dénué de tout aspect discriminatoire. La Cour ajoute, comme le fait également régulièrement la CEDH, que les États bénéficient dans ce cas d’une large marge d’appréciation. Tous ces éléments conduisent la Cour à estimer que la différence faite entre des catégories de fonctionnaires selon l’année d’ouverture du droit à pension n’est pas contraire à la Directive n° 2000/78. Autrement dit, la vitesse d’ajustement du régime de pension peut varier selon les catégories de travailleurs.

Malgré tout, le deuxième arrêt BVAEB, du 27 avril 2023, vient limiter la liberté des États énoncée 7 jours plus tôt. En effet, cette fois, la question préjudicielle portait sur un aspect rétroactif de la réforme des retraites qui avait pour conséquence qu’un fonctionnaire qui appartenait à une catégorie antérieurement favorisée soit assimilé à une catégorie antérieurement défavorisée. En effet, même si l’objectif poursuivi par l’État était de mettre fin à une discrimination fondée sur l’âge et qu’il est possible d’assimiler une catégorie privilégiée à une catégorie moins privilégiée, toujours dans un but d’équilibre financier du régime de pension, l’effet rétroactif de la mesure entre en contradiction avec le principe de sécurité juridique. Cette fois, une telle disposition doit être considérée comme contraire à la Directive n° 2000/78. Prise dans son ensemble, la réforme autrichienne des pensions de retraite ne produit pas de discrimination fondée sur l’âge et se trouve en contradiction avec le droit de l’Union pour une mesure de lutte contre les discriminations fondées sur l’âge. Certes, ce dernier point s’explique par l’atteinte à la sécurité juridique, mais le constat général sur la réforme est contrintuitif lorsque l’on songe que l’âge bénéficie en droit de l’Union européenne de la qualité de principe général de non-discrimination [4]. Ce résultat s’explique, comme dans beaucoup de situations liées aux prestations sociales, par l’application d’une large marge d’appréciation, que ce soit en droit de l’Union ou en application de la Convention européenne des droits de l’homme.

D. Tharaud

Liberté d’entreprendre et discrimination en raison de l’orientation sexuelle (CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-356/21 N° Lexbase : A6644879). Dans l’arrêt TP du 12 janvier 2023, la CJUE a une nouvelle fois ce semestre été confrontée à l’interprétation des règles contenues dans la Directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4. Cette fois, il s’agit d’un homme, entrepreneur individuel polonais exerçant la profession de monteur audiovisuel, dont le contrat d’entreprise n’a pas été renouvelé. Il y voit une discrimination en raison de son orientation sexuelle dont il demande indemnisation. L’entrepreneur avait conclu un ensemble de contrats de courte durée sur une période de 7 ans avec une société qui exploite une chaîne de télévision publique. Évalué positivement dans le cadre d’un projet de réorganisation, le monteur a conclu de nouveaux contrats avec établissement d’emploi du temps précis. Cependant, deux jours après avoir publié avec son compagnon une vidéo sur YouTube visant à promouvoir la tolérance en faveur des couples de même sexe, il reçoit une annulation concernant la période d’intervention qui avait fait l’objet d’un contrat et il ne signera aucun autre contrat par la suite.

La question posée ici à la Cour est celle de la compatibilité de la loi polonaise par rapport à la Directive n° 2000/78, car elle ne mentionne pas l’orientation sexuelle au titre des motifs de discrimination prohibés, au contraire du texte européen. Après avoir établi le fait que le refus de conclure un contrat d’entreprise avec un contractant exerçant une activité économique indépendante entrait dans le champ des activités visées par la Directive de 2000 et que les notions de travail et d’emploi présentes dans la directive ne devaient pas faire l’objet d’une interprétation « trop restrictive », la Cour rappelle que l’orientation sexuelle doit être identifiée comme motif protégé en application de ce texte. Il restera cependant à la juridiction de renvoi de juger s’il existait bien en l’espèce une discrimination directe ou indirecte qui ne pourra trouver justification que dans les objectifs démocratiques listés dans le texte de la directive : sécurité publique, défense de l’ordre et prévention des infractions pénales, protection de la santé et protection des droits et des libertés d’autrui. Cette affaire est importante dans le contexte où la Pologne, l’un des pays les plus homophobes d’Europe, soumet actuellement les personnes homosexuelles à un recul fort de leurs droits au nom de la protection des familles contre ce qui est appelé « l’idéologie LGBT ».

D. Tharaud

2) L’article 14 de la CESDHLF

Absence de protection contre les discours discriminatoires (CEDH, 30 mai 2023, n° 39954/09 et n° 3465/17 ; CEDH, 31 janvier 2023, n° 33470/18). Soumise une fois de plus à la dynamique de recul des droits des homosexuels en Russie, la Cour européenne des droits de l’homme a admis, dans un arrêt du 30 mai 2023, l’existence d’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 au titre de propos homophobes émis par des personnalités politiques dans les médias (« La tolérance ? Bon sang ! Les Homos doivent être mis en pièces. Et les morceaux jetés au vent ! », qualification des homosexuels de « malades et pervers »). Cette atteinte discriminatoire à la vie privée provient en premier lieu des propos eux-mêmes, mais également en second lieu de l’absence de réaction de la justice russe malgré plusieurs actions judiciaires engagées par les 4 requérants. Il est à noter que la Cour admet ici la recevabilité de la requête de ces derniers, simples militants de la cause. En effet, les propos tenus sur la communauté “LGBTI” touchent directement les requérants en tant que membres de cette dernière et militants, même s’ils n’étaient pas nommément cités. Cette acceptation ouvre des perspectives intéressantes dans le cadre des actions liées aux discriminations de manière générale.

Cet arrêt est également à mettre en lien avec une autre affaire russe tranchée par la Cour le 31 janvier 2023, Kreyndlin c. Russie, dans laquelle des militants de Greenpeace ont été agressés physiquement par un groupe de personnes armées (couteaux, matraques, armes à feu et engins explosifs artisanaux) dans un contexte xénophobe. La Cour conclut ici à une violation de l’article 14 (non-discrimination) combiné avec l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) en raison de la passivité et des insuffisances de l’enquête des autorités russes. Comme dans l’arrêt Nepomnyashchiy et autres, c’est le refus d’agir des autorités, laissant les actes discriminatoires impunis et ouvrant ainsi la voie à d’autres actes de même type, qui provoque le constat de violation. L’inaction procédurale de l’État est fautive. On sait même, grâce à des arrêts précédents, que le traitement réservé à la victime d’actes discriminatoires durant la procédure peut conduire à ce que la Cour appelle une « victimisation secondaire » [5].

D. Tharaud

Licenciement non discriminatoire d’un président adjoint d’un syndicat (CEDH, 17 janvier 2023, n° 976/20). L’arrêt Hoppen et syndicat des employés de AB Amber Grid c. Lituanie rendu le 17 janvier 2023 a été l’occasion pour la Cour européenne des droits de l’homme de se pencher sur la discrimination syndicale à la suite d’une procédure, initiée par un salarié ayant des responsabilités syndicales, au titre de l’article 14 (principe de non-discrimination) combiné avec l’article 11 (liberté de réunion et d’association). L’action du syndicat sera quant à elle uniquement considérée sous l’angle de l’article 11 pris isolément. Travaillant depuis de nombreuses années dans la même entreprise, M. Hoppen a subi une procédure de licenciement après une tentative de l’employeur de rompre son contrat à l’amiable. Cette procédure est initiée durant une période où les salariés de l’entreprise créent un syndicat dans lequel M. Hoppen prend des responsabilités importantes (membre du conseil d’administration puis président adjoint, participation à la négociation collective). Estimant que cette procédure de licenciement était en lien direct avec l’activité syndicale du salarié, ce dernier ainsi que son syndicat ont agi en justice pour faire reconnaître l’existence d’une discrimination. Ils échoueront en cela devant la Cour européenne comme devant les juges internes. En effet, il est établi qu’ils n’ont pas réussi à prouver le lien entre le licenciement et l’activité syndicale dans le cadre d’un régime procédural protégeant contre les discriminations jugé satisfaisant. Le droit lituanien présente à cet égard des similitudes importantes avec le droit français : nécessité d’obtenir l’autorisation préalable de l’inspection nationale du travail, procédures de recours devant le juge administratif et le juge civil, possibilité de recours constitutionnel. Dès lors, la simple concomitance des événements ne fait pas la cause du licenciement et l’article 14 combiné avec l’article 11 n’est pas violé.

D. Tharaud

Conditions d’octroi des prestations sociales (CEDH, 24 janvier 2023, n° 4723/13). Dans la décision d’irrecevabilité du 24 janvier 2023, Berisha c. Suisse portant sur l’article 14 combiné avec l’article 8, le requérant est une personne présentant un handicap lourd. Cette situation a conduit à une prise en charge quotidienne effectuée pendant plusieurs décennies par ses parents, épaulés par leur fille durant quelque temps. L’âge de plus en plus avancé de ses aidants a finalement conduit le requérant à demander une aide extérieure permettant de lui assurer une assistance permanente. Cependant, la caisse de compensation a refusé de procéder à un remboursement complet arguant du fait que les frais dépassaient le plafond annuel de remboursement des frais de maladie et d’invalidité.

M. Berisha, comme beaucoup d’autres requérants présentant un handicap, se heurte à une décision d’irrecevabilité. La Cour estime en effet que les prestations en cause ne relèvent ni de la vie familiale, ni de la vie privée. Sur le premier item, la Cour s’appuie sur l’argument du gouvernement selon lequel le requérant n’a jamais été contraint d’aller dans une institution. Sa vie familiale n’a donc pas été touchée par la problématique du remboursement de soins. Sur le deuxième item, la juridiction, faisant une analyse in concreto de la situation du requérant, estime qu’il n’a pas été empêché de vivre tel qu’il le souhaitait. L’article 8 n’est donc pas applicable, ce qui rend l’article 14 lui-même inapplicable puisqu’en raison de son absence d’indépendance il doit être combiné à un autre article de la Convention.

Il est à noter que cette affaire pose une question récurrente devant le prétoire strasbourgeois, à savoir si les prestations sociales entrent dans le champ de protection de l’article 8 sous l’angle de la vie privée ou de la vie familiale. La réponse à cette interrogation est d’autant plus importante pour les ressortissants suisses que la Confédération helvétique n’a pas signé le protocole additionnel 1, intégrant le droit au respect des biens, qui sert souvent de lecture au refus discriminatoire de prestations sociales. Autrement dit, dans le contexte suisse, l’absence d’applicabilité de l’article 8 sonne le glas des prétentions des requérants. Au contraire, lorsque l’État défendeur a signé le protocole 1, l’absence d’applicabilité de l’article 8 peut laisser le droit au respect des biens s’exprimer, même si le caractère économique et social de ce dernier peut abaisser le niveau de protection (prise en compte des justifications budgétaires de l’État par exemple). En revanche, quel que soit l’article combiné avec la clause de prohibition des discriminations, cette dernière impose son régime technique. La discrimination provient du traitement différent réservé à deux situations similaires. En conséquence, des situations différentes peuvent être traitées de manière distincte. Tel est le cas lorsqu’il s’agit de verser une allocation familiale à des mères de nationalité étrangère. Le fait de ne pas verser la prestation sociale à des mères n’ayant pas de titre de séjour ne provoque pas de discrimination, car elles sont dans une situation différente des mères ayant un titre de séjour [6]. Partant, il n’y pas dans ce cas de violation de l’article 14 combiné avec l’article 1 Protocole 1.

D. Tharaud

3) Protocole n° 12 de la CESDHLF

[...]

B. Égalité en droit public

1) Dans la jurisprudence constitutionnelle

Réforme des retraites et principe d’égalité (Cons. const., décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, Loi de financement rectificatives de la Sécurité sociale pour 2023 N° Lexbase : A17809PM). Le caractère discriminant de la dernière réforme des retraites à l'égard des femmes a été l’un des points brûlants des débats parlementaires. Les députés et sénateurs requérants ont tenté, en vain, de contester la réforme sur le terrain de l’égalité. Ils ont tout d’abord invoqué une inégalité entre ceux qui ont commencé à cotiser à un jeune âge et ceux ayant commencé plus tard, les premiers devant cotiser plus longtemps avant de pouvoir liquider leur retraite. Après avoir rappelé que le principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit », le Conseil écarte toute violation de la Constitution. Tout d’abord, en raison d’un dispositif dans la loi qui permet à ceux ayant commencé à cotiser avant 21 ans de voir l’âge minimal de liquidation abaissé. Ensuite, pour ceux qui malgré tout seraient amenés à cotiser des semestres supplémentaires, cela « ne méconnaît pas le principe d’égalité, au regard de l’objet d’un système de retraite par répartition qui implique de fixer un âge minimal de départ à la retraite ». Argument contestable, car un système par répartition pourrait parfaitement être fondé uniquement sur un nombre minimal de trimestres de cotisation… Par ailleurs, des députés invoquaient que certains dispositifs avaient « pour conséquence d’annuler les effets compensatoires des mesures destinées à corriger les inégalités entre les hommes et les femmes et seraient ainsi contraires au troisième alinéa du même préambule ». Le Conseil écarte cet argument de manière lapidaire « les dispositions contestées de l’article 10 n’ont en elles-mêmes ni pour objet ni pour effet de supprimer le bénéfice de la majoration de la durée d’assurance de quatre trimestres attribuée aux femmes assurées sociales au titre de l’incidence sur leur vie professionnelle de la maternité ». Il est patent, qu’en matière sociale, le Conseil constitutionnel laisse au législateur une plus grande liberté de distinguer, bien plus que dans d'autres matières.

M. Sweeney

Aide sociale et personne en situation de handicap (Cons. const. décision n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023 N° Lexbase : A50179KZ). Le Conseil constitutionnel a également été saisi, par QPC, d’une contestation  des aides financières destinées à compenser les frais liés au handicap par les départements - limité à 10 % des ressources personnelles du bénéficiaire. Les associations requérantes invoquent « des différences de traitement injustifiées entre les personnes handicapées selon le fonds départemental dont elles dépendent, entre les personnes handicapées et les bénéficiaires d’autres prestations sociales, et entre les personnes handicapées et les personnes qui ne sont pas en situation de handicap ». Le Conseil, après avoir rappelé le principe d’égalité, se contente de constater que les personnes en situation de handicap sont dans une situation différente de celles des bénéficiaires d’aides sociales obligatoires ou des personnes qui ne sont pas en situation de handicap. Le critère du handicap n’est pas prêt d’être consacré comme un motif discriminatoire au niveau constitutionnel.

M. Sweeney

2) Dans la jurisprudence administrative

Absence d’égalité entre salariés et agents publics (CE, 1e-4e ch. réunies, 30 juin 2023, n° 465323 N° Lexbase : A806297Q). Le Conseil d’Etat a confirmé son approche formelle de l’égalité dans une décision inédite du 30 juin 2023. La question fait suite à la mise en place de la prime « grand âge » en faveur des agents publics des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Cette prime vise à revaloriser le métier d’aide-soignant. Les établissements privés à but non lucratif du secteur ont décidé de s’aligner sur cette politique pour accorder une prime équivalente aux aides-soignants salariés du secteur. La fédération patronale des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs conteste une instruction du ministre des solidarités et de la santé et de la directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie aux agences régionales de santé en ce qu’elle ne prévoit pas de crédits supplémentaires pour financer la prime « grand âge » pour les aides-soignants du secteur privé. Seul un argument juridique nous intéresse ici : les crédits alloués ne servent qu’au financement de la prime « grand âge » au seul bénéfice des agents de la fonction publique. Les juges administratifs écartent la rupture d’égalité aux motifs que « les agents de la fonction publique ne sont pas, en matière de régime indemnitaire, placés dans la même situation que les salariés de droit privé ». Les agents publics et les salariés forment deux catégories juridiques différentes et les juges ne recherchent pas si concrètement les aides-soignants salariés effectuent le même travail que les aides-soignants agents publics, en dépit d’une recommandation patronale cherchant à assurer une égalité entre ces catégories. Recommandation patronale pourtant agréée par le ministre… entre la volonté affichée d’égalisation et la décision budgétaire pour réaliser cette égalité, il existe souvent un gouffre.

M. Sweeney

Autorisation de licenciement pour motif économique d’un salarié protégé en situation de handicap (CE, 1e-4e ch. réunies, 4 avril 2023, n° 449276, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A83129MS). Le présent contentieux concerne la place de l’avis du médecin du travail dans la recherche de reclassement d’un salarié protégé en situation de handicap, dans le cadre d’un licenciement économique. Plane alors sur l’employeur le risque de discrimination en raison du handicap, faute de prise en compte de « mesures appropriées » dans les offres de reclassement. En matière de licenciement économique, l’administration vérifie que l’employeur « a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié protégé ». Comment s’apprécie cette recherche sérieuse, lorsque le salarié est en outre en situation de handicap ? Le Conseil répond, que lorsque l’employeur a connaissance de la situation de handicap (rappelons que le salarié n’a pas obligation de révéler sa situation), il est suffisant de proposer des postes identiques à celui précédemment occupé pour lequel le médecin du travail l’avait déclaré apte et « qu'il n'était pas allégué que ce poste aurait fait l'objet d'adaptations particulières liées à sa qualité de travailleur handicapé, ni que les postes proposés auraient nécessité des adaptations liées à cette qualité ». Dans ces conditions, l’employeur n’avait pas à solliciter l’avis du médecin du travail préalablement à sa recherche de reclassement. Deux remarques s’imposent. Tout d’abord, l’employeur ne connaît pas la situation médicale à la source de la situation du handicap. Seul le médecin, tenu par le secret médical, en a connaissance. Seul lui est apte à faire l’évaluation des mesures appropriées propres à chaque poste. L’employeur n’ayant pas cette connaissance ne peut inférer d’un avis d’aptitude précédent, l’aptitude pour un autre poste. Ensuite, la situation du handicap doit s’apprécier par rapport à l’environnement concret du travail. L’avis d’aptitude pour un poste de travail ne vaut pas avis d’aptitude pour un poste fonctionnellement identique, mais dans un autre lieu de travail, aux aménagements éventuellement différents. Le juge administratif en voulant alléger les formalités qui pèsent sur l’employeur en cas de reclassement d’un salarié protégé en situation de handicap en l’exonérant de l’avis préalable du médecin du travail sur les postes proposés au reclassement, le fait au détriment de la protection attachée à la situation de handicap.

M. Sweeney

C. Égalité en droit social

1) La comparaison

Principe d’égalité de traitement et situations similaires (Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-21.471, F-D N° Lexbase : A51679BY ; Cass. soc., 15 mars 2023, n° 21-18.078, F-D N° Lexbase : A70499IW ; Cass. soc., 24 mai 2023, 2 arrêts, n° 21-21.902 N° Lexbase : A83029WE et n° 21-17.027 N° Lexbase : A96559WI ; Cass. soc., 21 juin 2023, n° 21-23.487, F-D N° Lexbase : A426794S). Le salarié qui estime être désavantagé sur le plan de la rémunération peut agir sur le fondement de l’égalité de traitement. Si celle-ci laisse apparaître des différences de régime avec la non-discrimination [7], ils présentent des points communs, notamment quant aux ressorts techniques sur lesquels ils reposent. Rupture d’égalité de traitement ou discrimination s’appuient en effet toutes deux sur l’existence d’un traitement différent. Lorsque l’opération de comparaison se fait sous l’égide de l’application du principe de l’égalité de traitement, l’élément le plus sensible est la détermination du caractère identique, ou à tout le moins similaire, des situations auxquelles le salarié se compare. Le contentieux est dorénavant assez classique et les derniers arrêts reprennent les dynamiques que la Cour de cassation a déjà pu installer. Ainsi, la seule différence de diplôme ne peut fonder une différence de rémunération alors que les salariés occupent les mêmes fonctions. Pour qu’une rémunération différente puisse être justifiée, il faut démontrer que le diplôme en question atteste de « connaissances particulières utiles à l’exercice de la fonction occupée ». Par ailleurs, les juges du fond auraient dû vérifier, comme il leur était demandé, si le salarié n’avait pas une expérience professionnelle plus importante N° Lexbase : A426794S. Cependant, comme le montre un arrêt du 24 mai 2023 N° Lexbase : A83029WE, l’expérience professionnelle ne peut être prise en compte pour établir une différence de traitement que lors de l’embauche. Les fonctions similaires occupées après celle-ci doivent alors conduire à une égalisation de la rémunération et de l’évolution de carrière. Ainsi, selon la formule générale insérée dans cet arrêt : « l’expérience professionnelle acquise auprès d'un précédent employeur ainsi que les diplômes ne peuvent justifier une différence de salaire qu'au moment de l'embauche et pour autant qu'ils sont en relation avec les exigences du poste et les responsabilités effectivement exercées ». Or, ce principe n’a pas été respecté en l’espèce. En effet, la salariée et le collègue auquel elle se compare ont connu après leur embauche une évolution de carrière et de rémunération semblables pendant environ 2 ans. Mais, après cette première période, l’autre salarié a bénéficié d’une augmentation de salaire justifiée par l’employeur au regard d’un diplôme que ne présentait pas la demandeuse et d’une plus grande expérience professionnelle. En appliquant le principe énoncé au cas d’espèce, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel sur ce point, la différence de traitement apparaissant au cours de la carrière professionnelle. La salariée a également agi sur le plan de la discrimination en raison du traitement qui lui a été réservé après sa grossesse. En effet, dans les actions de lutte contre les discriminations figure une protection spécifique identifiée à l’article L. 1225-25 du Code du travail N° Lexbase : L0899H98 : « à l'issue du congé de maternité, la salariée retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente ». En l’occurrence, l’arrêt de la cour d’appel est également cassé sur ce point, car les juges du fond ont omis de s’assurer du caractère similaire de l’emploi proposé au retour de congé maternité (en l’occurrence une mission refusée par la salariée) à l’emploi précédent. Cet arrêt, qui mobilise concomitamment égalité de traitement et non-discrimination montre bien les ressorts techniques communs à ces deux fondements.

Suivant la même logique d’effacement dans le temps de la différence initiale montrée dans l’arrêt du 24 mai 2023, des salariés embauchés ou promus après la mise en œuvre d’un nouveau barème conventionnel peuvent bénéficier d’une avancée en carrière plus rapide, sans toutefois dépasser le niveau de rémunération des autres personnes n'en bénéficiant pas et occupant des fonctions similaires [8].

Par ailleurs, dès lors que les situations sont jugées similaires et que le salarié a démontré qu’il avait été traité de manière différente, le fait qu’il ne produise pas la totalité des bulletins de salaire sur la période pertinente n’empêche pas de considérer qu’il existe bien des éléments laissant supposer l’existence d’une inégalité de traitement. Même si la comparaison ne peut être effectuée sur l’ensemble de la période, les éléments transmis aux juges sont suffisants pour prouver qu’il existe une différence de traitement, même sur un temps relativement court. L’employeur aura alors à s’en justifier [9]. En revanche, si le salarié n’a pas apporté la preuve que les personnes auxquelles il se compare sont dans une situation similaire à la sienne, les juges du fond n’ont pas à analyser les tentatives de justification de l’employeur [10].

D. Tharaud

Principe d’égalité de traitement et absence de situations identiques dans le cadre de l’obtention d’un avantage (Cass. soc., 10 mai 2023, n° 21-17.011, F-D N° Lexbase : A01759UZ). À partir du moment où la loi met en place un régime salarial spécifique, les personnes en bénéficiant sont considérées comme étant dans une situation différente et, par conséquent, ne peuvent demander l’application d’avantages réservés à une autre catégorie. C’est ainsi que l’équipe de suppléance, dont les fonctions sont de remplacer l’équipe première les jours de repos, et qui se voit appliquer en vertu de la combinaison des articles L. 3132-16 N° Lexbase : L7354LHT et L. 3132-19 N° Lexbase : L0472H9D du Code du travail, une majoration d’au moins 50 % de la rémunération ne peut prétendre à la prime pour « incommodité de nuit » touchée par l’équipe première. Ici comme dans d’autres arrêts qui traitent d’une inégalité de traitement face à un simple avantage – et non pas sur l’ensemble d’une rémunération –, la Cour de cassation se réfère uniquement à des situations « identiques » pour appliquer l’égalité de traitement. La similarité ne serait donc pas suffisante pour déclencher le mécanisme égalitaire.

D. Tharaud

2) La justification

Principe d’égalité de traitement et présomption de justification (Cass. soc., 10 mai 2023, n° 21-21.673, n° 21-21.674 et n° 21-21.675, F-D N° Lexbase : A01579UD ; Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11.324, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0807RSP). Depuis une jurisprudence constante [11], la Chambre sociale juge que « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ». La même présomption a été étendue aux salariés exerçant des fonctions distinctes au sein d’une même catégorie professionnelle [12]. Ces présomptions ont été utilisées pour écarter les réclamations de conducteurs de cars à propos de différentes primes et de reclassification [13]. L’identité de fonction peut être écartée sur des éléments très frustes: ainsi le fait que certains doivent être détenteur d’un permis TZ et d’un badge personnel ou que d’autres effectuent de façon régulière le transport de passagers entre l'aéroport et les hôtels et non seulement sur le tarmac – ce qui supposerait  des sujétions particulières, sans plus de précision – suffit à caractériser l’absence d’identité. Nous sommes très loin de l’approche pragmatique de l’équivalence des situations qui a prévalu après 2008. Avancer que la détention ou non d’un badge personnel caractérise la distinction de fonction est pour le moins contre-intuitif, car ne dit rien de la capacité d’exercer une fonction du conducteur de car. La liberté de distinguer abandonnée aux interlocuteurs sociaux promet quelques voyages en absurdie.

M. Sweeney

3) La sanction

[...]


[1] Pour une critique de ces décisions, v. P. Adam, L'absence d'élections professionnelles, entre preuve des mesures de rétorsion et préjudice nécessaire, Droit social, 2023, p. 729.

[2] L’importance du motif discriminatoire, parmi les autres motifs qui ont présidé à la prise de décision, n’est pas un élément dont dépend la qualification de discrimination v. Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 08-40.988, FS-P+B N° Lexbase : A6023EIW, ou en matière pénale Cass. crim., 15 février 2011, n° 10-85.081, F-D N° Lexbase : A1808HDC.

[3] V. not. I. Meftah, Discrimination syndicale dans le déroulement de carrière et prescription, RDT, 2021, p. 464.

[4] CJCE, 22 novembre 2005, aff. C-144/04 N° Lexbase : A6265DLM.

[5] à propos du traitement des agressions sexuelles qui fait lui-même ressortir un arrière-plan social sexiste, v. CEDH, 27 mai 2021, J.L c. Italie, n° 5671/16 [en ligne].

[6]  CEDH, 22 juin 2023, X et autres c. Irlande, n° 28351/20 et 24360/20 [en ligne].

[7] notamment en matière de prescription puisque l’égalité de traitement est soumise à une prescription de 3 ans tandis que l’action en discrimination bénéficie d’un temps plus long fixé à 5 ans. Sur ce point, v. Cass. soc., 30 juin 2021, n° 20-12.960, FS-B N° Lexbase : A20724YE.

[8] Cass. soc., 24 mai 2023, n° 21-17.027, F-D N° Lexbase : A96559WI.

[9] Cass. soc., 15 mars 2023, n° 21-18.078, F-D N° Lexbase : A70499IW.

[10] Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-21.471, F-D N° Lexbase : A51679BY.

[11] Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-22.179, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3401NA9.

[12] Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11.324, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0807RSP.

[13] Cass. soc., 10 mai 2023, n° 21-21.673, n° 21-21.674 et n° 21-21.675, F-D N° Lexbase : A01579UD.

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