La lettre juridique n°958 du 28 septembre 2023 : Droits d'enregistrement

[Focus] L’administration fiscale commente la hausse du seuil pour l’application de l’abattement de 75 % en cas de transmission à titre gratuit de biens ruraux ou de parts de GFA

Réf. : BOFiP, actualité, 11 juillet 2023

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N6846BZL

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[Focus] L’administration fiscale commente la hausse du seuil pour l’application de l’abattement de 75 % en cas de transmission à titre gratuit de biens ruraux ou de parts de GFA. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/100033744-focusladministrationfiscalecommentelahausseduseuilpourlapplicationdelabattementde75en
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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

le 27 Septembre 2023

Mots-clés : biens ruraux • groupements fonciers agricoles • mutations à titre gratuit

L’administration fiscale est venue commenter la hausse du seuil au-delà duquel l'exonération partielle, prévue par l'article 793 bis du CGI, sur les mutations à titre gratuit de biens ruraux et de parts de groupements fonciers agricoles est réduite de 75 % à 50 %.


 

1.- En cas de transmission à titre gratuit, de biens ruraux donnés à bail à long terme ou de parts de GFA, le donataire est susceptible de bénéficier d’un abattement.

Celui-ci était jusqu’à présent égal à 75 % de la valeur du bien, jusqu’à 300 000 euros, et 50 % pour la fraction excédant ce seuil [1].

2.- Concernant les terres agricoles, le bénéfice de ce régime est soumis à plusieurs conditions cumulatives :

  • le bien transmis doit constituer un bien rural ;
  • il doit faire l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible hors du cadre familial au jour de la transmission. Le bail doit être en cours au moment de la transmission ;
  • il doit rester la propriété du donataire, héritier ou légataire pendant cinq ans à compter de la mutation à titre gratuit ;
  • le bail doit avoir été consenti depuis au moins deux ans lorsque le preneur est le donataire ou un membre de sa famille. Cette condition n’est pas exigée en cas de transmission par succession.

En outre, si bail a été conclu depuis moins de deux ans, et que le preneur est une société contrôlée par le donataire, le conjoint et/ou les descendants, le régime de faveur ne s’applique pas.

3.- Ce régime trouve également à s’appliquer en cas de transmission à titre gratuit des parts d’un groupement foncier agricole(GFA). Plusieurs conditions cumulatives doivent être respectées :

  • Les statuts doivent interdire aux GFA d’exploiter en faire-valoir direct. Attention, car si les statuts ne contiennent pas une telle clause, le GFA serait déqualifié, et le régime de faveur inapplicable. La cour d’appel de Riom [2] a notamment pu rappeler par le passé, que dans l’hypothèse où les statuts permettraient une telle exploitation, mais que dans les faits l’exploitation serait effectuée par un tiers, que le régime de faveur ne trouverait également pas à s’appliquer.
  • Les immeubles présents à l’actif du GFA doivent être donnés à bail à long terme ou à bail cessible. Les baux doivent être en cours au moment de la transmission à titre gratuit. Attention, l’ensemble des immeubles agricoles doivent être donnés à bail à long terme ou à bail cessible, sauf à remettre en cause l’application du régime de faveur. Par ailleurs, si une parcelle du GFA est donnée à bail emphytéotique [3], pour accueillir une éolienne par exemple, le régime de faveur est susceptible d’être remis en cause.
  • En principe, les parts doivent être détenues depuis au moins deux par le défunt ou le donateur au moment de la transmission à titre gratuit.

Le délai de deux ans n’est pas requis [4] lorsque le donateur ou le défunt a constitué le GFA, et qu’il a effectué des apports exclusivement constitués par des immeubles ou des droits immobiliers à destination agricole.

  • L’exonération ne s’applique pas aux parts de GFA détenues par des SCPI ;
  • Les parts de GFA transmises doivent rester la propriété du bénéficiaire de la transmission pendant à minima 5 ans ;
  • Le bail doit avoir été consenti depuis au moins deux ans lorsque le preneur est le donataire ou un membre de sa famille. Cette condition n’est pas exigée en cas de transmission par succession.

En outre, si bail a été conclu depuis moins de deux ans, et que le preneur est une société contrôlée par le donataire, le conjoint et/ou les descendants, le régime de faveur ne s’applique pas.

4.- L’article 23 de la loi de finances pour 2023 rehausse le seuil permettant de bénéficier de l’abattement de 75 %. Le plafond passe de 300 000 euros à 500 000 euros. En contrepartie, la durée de conservation est renforcée, celle-ci passe de 5 ans à 10 ans. Cette modification entre en vigueur pour les transmissions à titre gratuit intervenant à compter du 1er janvier 2023. Cette modification suscite des interrogations pratiques.

5.- L’administration fiscale vient de publier une série de trois instructions fiscales [5], commentant la mise en œuvre de l’article 23 de la loi de finances pour 2023.

Celles-ci apportent plusieurs réponses quant à l’articulation des seuils de 300 000 euros et 500 000 euros.

Faut-il une option pour bénéficier du seuil de 500 000 ? Et le cas échéant, où formuler l’option ?

6.- La doctrine administrative opère une distinction entre la valeur des biens.

Si le bien a une valeur atteignant au plus 300 000 euros, alors c’est le régime prévu pour ce seuil qui, à priori au vu de la rédaction des commentaires, devrait s’appliquer. En d’autres termes, c’est l’abattement de 75 % qui s’applique avec l’application de l’engagement de conservation de 5 ans.

Ici, l’administration fiscale ne laisse vraisemblablement pas la possibilité de basculer sur le nouveau régime avec l’application du délai de conservation de 10 ans. Attention tout de même, ce seuil s’apprécie au regard des transmissions antérieures, et vraisemblablement par catégorie de biens au vu des exemples donnés par l’administration.

7.- Si le bien a une valeur excédant 300 000 euros, alors dans une telle situation, le contribuable a le choix entre le seuil de 300 000 euros et le seuil de 500 000 euros. Cela impacte bien évidemment la durée de l’engagement de conservation.

Autre exemple, si en N+1 des terres faisant l’objet d’un bail rural à long terme d’une valeur de 190 000 euros sont données, c’est vraisemblablement le seuil de 300 000 euros qui s’applique.

En revanche, si en N+3 des terres faisant l’objet d’un bail rural à long terme d’une valeur de 250 000 euros sont données, dans ce cas, le montant total des donations effectuées d’élevant à 440 000 euros, le contribuable retrouve la faculté d’option entre le seuil de 300 000 euros et de 500 000 euros.

L’exemple donné par l’administration fiscale semble ainsi ouvrir la possibilité de gérer les obligations de conservation au gré des donations, et de la catégorie de biens.

Concernant la possibilité de choisir, il convient de relever que la récente réponse ministérielle Anglars [6] semblait déjà être en ce sens [en ligne].

8.- Quant au lieu de matérialisation de l’option, l’administration fiscale comble le vide législatif en indiquant explicitement que celle-ci doit être formalisée dans l’acte de donation ou la déclaration de succession. En outre, il doit également être fait mention de la durée de conservation choisie.

Parmi les points intéressants, il convient de relever que l’administration fiscale permet de revendiquer l’application du seuil de 500 000 euros et l’obligation de conservation de 10 ans en découlant, par voie de réclamation précontentieuse.

Peut-on bénéficier d’un seuil différent dès lors que l’on transmet des parts de GFA et des biens ruraux faisant l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible ?

9.- La doctrine administrative confirme de manière explicite la possibilité de bénéficier d’un seuil différent selon la catégorie de biens transmis.

Ainsi, en cas de donation de parts de GFA et de biens ruraux faisant l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible, il est possible par exemple de choisir le seuil de 500 000 euros pour les parts de GFA, et le seuil de 300 000 euros pour les biens ruraux faisant l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible.

Cela peut ainsi permettre d’apporter de la souplesse quant à l’application des obligations de conservation, et d’avoir une gestion par typologie de biens.

10.- La rédaction de la doctrine administrative ne semble pas interdire d’opérer ce choix au sein du même acte de transmission. Cela impliquerait ainsi d’adapter par catégorie de biens la clause fiscale dédiée à l’option, dans l’acte de donation ou dans la déclaration de succession. À vrai dire, il semble que la question n’ait pas été traitée par la doctrine administrative.

11.- Cependant, en précisant qu’un seuil différent est susceptible de s’appliquer à chaque catégorie de biens, la doctrine administrative semble ne semble pas apporter de précisions sur l’existence un tel choix au sein d’une même catégorie de biens et au sein du même acte de donation.

À titre d’exemple, si un père transmet plusieurs hectares de terres à son fils, faisant l’objet d’un bail à long terme, situés en des lieux distincts, la doctrine administrative ne précise pas si le contribuable pourra opter pour le seuil de 300 000 euros ou de 500 000 euros, selon la parcelle. Il n’y a ainsi pas de commentaires portant sur la possibilité d’adopter une logique distributive, lui permettant d’appliquer le seuil qu’il souhaite pour chacune des parcelles, au sein du même acte.

En revanche, une telle logique semble accepter au vu des commentaires administratifs en présence d’actes de transmission distincts, et intervenants à des périodes différentes.

En cas d’apport dans le délai de 10 ans, mais à l’issue d’une période de 5 ans, la déchéance emporte-t-elle l’intégralité de l’avantage fiscal ?

12.- L’administration fiscale apporte une réponse intéressante. Elle prend l’exemple de l’apport. Elle indique, au cas d’un contribuable qui aurait choisi le seuil de 500 000 euros et l’obligation de conservation de 10 ans, que si l’apport intervient après le délai de conservation de 5 ans, alors il y aura une remise en cause du dispositif, cependant il ne s’agira que d’une remise en cause partielle.

En effet, la remise en cause portera sur la fraction excédant 300 000 euros ayant bénéficié de l’abattement de 75 % au lieu de 50 %.

13.- À titre d’exemple, si une personne physique transmet des terres agricoles faisant l’objet d’un bail rural à long terme à un enfant d’une valeur de 600 000 euros.

Il a été fait application du seuil de 500 000 euros.

Ainsi, le donataire a bénéficié d’un abattement de 375 000 euros sur la partie allant jusqu’à 75 %, et de 50 000 euros sur la partie excédant 500 000 euros.

Ainsi, le montant d’exonération totale s’est élevé à 425 000 euros, et le montant taxable s’élève à 175 000 euros.

Si, au bout de la 6ème année de détention, le donataire cède les terres reçues.

Dans ce cas, au vu de la doctrine administrative, il y aura une reprise partielle de l’avantage fiscal.

Dans cette situation, 200 000 euros ont bénéficié de l’abattement de 75 % au lieu de l’abattement de 50 %.

Le montant de l’abattement aurait ainsi dû s’élever à 100 000 euros au lieu 150 000 euros.

Il y a ainsi eu, une déduction excessive s’élevant à 50 000 euros, susceptible d’être reprise outre l’application de l’intérêt de retard visé à l’article 1727 du Code général des impôts N° Lexbase : L5776MA8.

14.- Plusieurs des précisions apportées par l’administration fiscale, malgré l’existence de certaines interrogations pratiques, demeurent intéressantes pour le contribuable.

 

[1] CGI, art. 793,2-3° N° Lexbase : L3146LDU et art. 793 bis N° Lexbase : L4146MGN.

[2] CA Riom, 27 mai 2010, n° 05/01756 N° Lexbase : A4462E97.

[3] QE n° 04105 de M. Pierre André, JO Sénat 17 avril 2008 p. 748, réponse publ. 21 août 2008 p. 1650, 13ème législature N° Lexbase : L0025KMU.

[4] Cass. com., 19 mars 1985, n° 83-15012, publié au bulletin N° Lexbase : A2592AAA.

[5] BOI-ENR-DMTG-10-20-30-20 N° Lexbase : X7067ALC et BOI-ENR-DMTG-10-50-50 N° Lexbase : X4151ALC.

[6] Donation de terres agricoles faisant l’objet d’un bail à long terme ou d’un bail cessible ou parts de GFA – une petite précision est apportée par une réponse ministérielle, Les fourmis du patrimoine [en ligne].

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