La lettre juridique n°689 du 2 mars 2017 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Cession de droits d'auteur : position divergente du juge fiscal ?

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 27 janvier 2017, n° 390660, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5626TAM)

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par Nacima Lamalchi-Elkilani, Avocat counsel et Florent Mattern, Avocat - UGGC Avocats

le 02 Mars 2017

Dans son arrêt du 27 janvier 2017, le Conseil d'Etat aurait-il souhaité jeter un pavé dans la marre des règles d'ordre public posées par le Code de la propriété intellectuelle ("CPI") en matière de cession des droits d'auteur ? La question mérite d'être posée tant on pourrait penser à première lecture que le juge fiscal a admis la cession implicite des droits de l'auteur en considérant que "les contrats passés emportaient, par leur objet même, cession de ses droits de représentation ou de reproduction [...]" et s'est ainsi affranchi des règles impératives régissant les cessions de droits d'auteur posées par l'article L. 131-3 du CPI (N° Lexbase : L3386ADR) et de la jurisprudence de la Cour de cassation s'y rapportant. Pour comprendre la réelle portée de cet arrêt qui dépasse le droit fiscal et alimente un débat en droit d'auteur, il est nécessaire de rappeler les règles applicables à la cession de droits d'auteur en droit fiscal puis en droit de la propriété intellectuelle avant de les confronter aux faits de l'espèce de l'arrêt du 27 janvier 2017 du Conseil d'Etat (CE 3° et 8° ch.-r., 27 janvier 2017, n° 390660, mentionné aux tables du recueil Lebon). En droit fiscal, la cession des droits d'auteur sur les oeuvres de l'esprit bénéficie d'un taux réduit de TVA sur le fondement de l'article 279, g du CGI (N° Lexbase : L4666I7X) selon lequel "la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 10 % (1) en ce qui concerne [...] g) les cessions des droits patrimoniaux reconnus pas la loi aux auteurs des oeuvres de l'esprit et aux artistes-interprètes ainsi que tous droits portant sur les oeuvres cinématographiques et sur les livres [...] (2)".

En droit d'auteur, l'article L.131-3 du CPI impose un formalisme strict à la validité des cessions des droits patrimoniaux de l'auteur (droits de reproduction et de représentation) puisqu'il prévoit que "la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée".

Traditionnellement, les tribunaux judiciaires interprètent cet article en faveur de l'auteur, en particulier lorsqu'il s'agit d'une personne physique, et requièrent, à peine de nullité, que la cession soit conclue par écrit et comporte les quatre mentions légales obligatoires. Est ainsi privée d'effet toute cession de droits d'auteur tacite ou verbale (3).

Un tempérament au formalisme de l'article L. 131-3 est néanmoins admis en matière de cessions de droits d'auteur entre personnes morales ou de sous-cessions entre le cessionnaire et le sous cessionnaire (4).

Les faits d'espèce de l'arrêt commenté. A l'occasion d'une vérification de comptabilité en matière de TVA, l'administration fiscale avait refusé à un artiste professionnel l'application du taux réduit de 5,5 % (5) qu'il avait appliqué sur la base de l'article 279, g du CGI au motif que "les documents contractuels produits n'identifient ni ne distinguent ce qui relève de la cession de l'oeuvre ou de la cession des droits de représentation ou de reproduction, passibles du taux réduit, que lorsque de telles cessions sont identifiées, elles ne sont pas délimitées quant à leur étendue et à leur montant [...]".

Bien entendu, l'artiste a contesté ce rappel de taxe au motif notamment que "l'article 279 ne subordonne pas l'application du taux réduit de TVA au respect des conditions de forme ou de fond mentionnées dans le code de la propriété intellectuelle ainsi qu'il ressort également des instructions administratives".

Il est d'abord débouté par le tribunal administratif d'Orléans (6) puis la cour administrative d'appel de Nantes (7). Le Conseil d'Etat (8), saisi une première fois, casse l'arrêt de la cour pour défaut de réponse à un point des conclusions de l'artiste, sans pour autant trancher le conflit apparent entre les articles 279, g du CGI et L. 131-3 du CPI.

Dans son arrêt de renvoi du 2 avril 2015, la cour administrative d'appel de Nantes retient le caractère "dérogatoire au droit commun" de l'article 279, g et juge que les cessions de droits patrimoniaux sont soumises au taux réduit "quelles que soient les formes et conditions suivant lesquelles elles ont été consenties" (CAA Nantes, 2 avril 2015, n° 14NT02139 N° Lexbase : A0062NRQ).

Cette position, a priori surprenante, trouve en fait appui sur l'article 279, g du CGI tel qu'interprété à la lumière l'instruction du 9 octobre 1991 (9) (l'"Instruction") (conformément à l'article L. 80 du LPF N° Lexbase : L8732G8W) et en particulier du :

- point 67 (10) selon lequel "Lorsque des travaux d'études, de conception et de mise en oeuvre [...] sont suivis d'une cession du droit de représentation ou de reproduction [...], l'ensemble de l'opération s'analyse, au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, comme une cession de droits" ;

- point 79, alinéa 2, selon lequel "Le terme de cession de droits recouvre en pratique toutes les opérations relatives à l'exploitation des droits protégés" ;

- point 80 (11) selon lequel "Le taux réduit de la taxe s'applique aux opérations qui ont la nature de cession de droits".

Nonobstant cette interprétation de l'article 279, g du CGI à la lumière de l'Instruction, la cour appliquera le taux réduit de TVA à certaines prestations de l'artiste à l'exception de celles réalisées pour la commune des Pays de Murat et le comité Fulbert, ce qui a conduit à un nouveau pourvoi et à l'arrêt du Conseil d'Etat.

L'arrêt. Après avoir rappelé les termes des articles 279 alinéa, g du CGI et L. 131-3 du CPI, le Conseil d'Etat confirme l'arrêt déféré en ce qu'"Il résulte des dispositions précitées du g) de l'article 279 du CGI que la cession à des tiers, par les auteurs d'oeuvres de l'esprit, des droits de représentation ou de reproduction qu'ils détiennent sur celles-ci est soumise au taux réduit de TVA, alors même que les conditions posées par l'article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle ne seraient pas remplies". Pour autant, il casse partiellement cet arrêt en ce qu'il a commis une erreur de droit dans l'application de cette règle.

Sur la base de ce principe, après avoir pris soin de retenir la qualification d'oeuvres de l'esprit des prestations réalisés (12), le Conseil d'Etat a considéré que :

- la convention conclue avec la commune des Pays de Murat prévoyant la conception de prestations de scénographie "par son objet même, impliquait la cession du droit de représentation lié à l'exposition en cause et alors qu'il n'était pas contesté qu'elle avait été exécutée" ;

- "le contrat passé [avec le comité Fulbert] impliquait par nature la cession du droit de reproduction" s'agissant de la conception par l'artiste de maquettes graphiques pour divers supports ayant fait l'objet d'éditions.

On comprend ainsi que le fait que les personnes publiques aient exercé, pour l'une, le droit de représentation en exploitant la scénographie créée pour une exposition et pour l'autre, le droit de reproduction en éditant les documents pour lesquels les maquettes graphiques avaient été créées, constituent des actes d'exploitation desdits droits de l'auteur impliquant "par nature" ou "par leur objet-même" leur cession.

Quel est l'apport de l'arrêt du 27 janvier 2017 ?

Sous une apparente contradiction, la position du Conseil d'Etat sur la cession implicite de droits d'auteur est en réalité parfaitement compatible avec les règles de cession de droits d'auteur posées par le CPI puisqu'il confirme l'indépendance de l'article 279, alinéa g, du CGI au regard des dispositions de l'article L. 131-3 du CPI.

En effet, il est question de l'application du taux réduit de TVA et non de la validité de la cession de droits, et en cette matière l'Instruction fiscale de 1991 admet la cession implicite de droits d'auteur aux opérations ayant porté sur "l'exploitation des droits".

Cette solution n'est pas nouvelle. En effet, il avait déjà été jugé que, dès lors que les clients d'un graphiste indépendant "se chargeaient de faire réaliser les travaux de reproduction et de façonnage, les prestations facturées doivent être regardées comme correspondant à la cession des droits patrimoniaux sur les oeuvres réalisées [...] sans que les dispositions des articles L. 131-1 (N° Lexbase : L3384ADP) à 131-3 du Code de la propriété intellectuelle aient d'incidence à cet égard" (13).

Il n'y a donc en réalité aucune contradiction entre une disposition fiscale dérogatoire applicable en matière de TVA par l'auteur dans ses rapports avec l'administration fiscale et les dispositions de droit commun de l'article L. 131-3 du CPI applicables en matière contractuelle par l'auteur dans ses rapports avec ses clients ou commanditaire.

En conclusion, l'arrêt pose le principe de l'accès des auteurs à l'application du taux réduit de TVA et clarifie la combinaison de textes spéciaux favorables à la protection des auteurs, lesquels textes ont un objet distinct et sont ainsi indépendants l'un de l'autre.

Il reste qu'on ne peut prévoir la position des juridictions judiciaires si elles étaient confrontées, dans un contentieux de nullité de cessions de droits d'auteur à l'initiative de l'auteur pour non respect de l'article L. 131-3 du CPI, à un défendeur co-contractant se prévalant d'une cession implicite intervenue sur la base de l'article 279, g du CGI en application de la jurisprudence administrative.

On ne manquera pas de suivre les prochaines décisions des juridictions judiciaires sur ce sujet.


(1) Taux réduit applicable depuis 2014.
(2) Cette disposition n'est pas applicable aux "cessions de droits portant sur des oeuvres d'architecture et des logiciels et aux cessions de droits patrimoniaux portant sur des oeuvres cinématographiques représentées au cours de spectacles cinématographiques mentionnées à l'article L. 214-1 du Code du cinéma et de l'image animée (N° Lexbase : L6809IEW) ou dans le cadre de festivals de cinéma".
(3) Cass. com., 28 avril 2004, n° 02-14.220, F-D (N° Lexbase : A0491DC8) ; voir également CA Aix en Provence, 8 février 2012, n° 10/22511 (N° Lexbase : A1702ICZ) selon lequel "d'autant qu'en vertu du texte ci-dessus lesdits droits ne peuvent être cédés de manière implicite".
(4) Cass. com., 5 novembre 2002, n° 01-01.926, F-D (N° Lexbase : A6771A38), et Cass. civ. 1, 13 octobre 1993, n° 91-11.241 (N° Lexbase : A3606ACK).
(5) Taux applicable à cette période.
(6) TA Orléans, 27 mai 2011, n° 0803125-1003110.
(7) CAA Nantes, 17 janvier 2013, n° 11NT02155 (N° Lexbase : A1024MRD).
(8) CE 3° s-s., 23 juillet 2014, n° 367031, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7300MUW).
(9) BOI n° 3 A 15-91, n° 199, 16 octobre 1991 (N° Lexbase : X0673ACW).
(10) Point repris au paragraphe 7 de la documentation de base 3B-263 du 18 septembre 2000 (N° Lexbase : X7872AAS).
(11) Point repris au paragraphe 14 de la documentation de base 3C-2298 du 30 mars 2001.
(12) CAA Marseille, 23 juin 2016, n° 14MA04621 (N° Lexbase : A3436RUS).
(13) TA Amiens, 30 décembre 2008, n° 0700392 (N° Lexbase : A8778EIX).

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