La lettre juridique n°689 du 2 mars 2017 : Droit pénal des affaires

[Jurisprudence] Exhumation de l'application UberPOP : condamnation de la société Uber pour pratiques commerciales trompeuses

Réf. : Cass. crim., 31 janvier 2017, n° 15-87.770, F-D (N° Lexbase : A4306TB4)

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par Evan Raschel, Maître de conférences à l'Université Clermont Auvergne, Centre Michel de l'Hospital EA 4232

le 02 Mars 2017

La médiatique concurrence entre les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (VTC) est rude et amère, trop pour que les acteurs concernés parviennent à des accords, au point de devoir pousser le législateur à intervenir régulièrement ; il en fut ainsi, dernièrement, avec la loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016, relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes (N° Lexbase : L0757LCZ) (1), règlementant une nouvelle activité de courtage : la mise en relation, par des centrales de réservation, de transporteurs de personnes avec des clients potentiels. Dans ce contexte de tension permanente, la mise en place il y a trois ans de l'application UberPOP, proposant des activités rémunérées de transport à de simples particuliers, a engendré des contestations politiques et sociales véhémentes, parfois violentes, forçant la société Uber France à la "suspendre" en juillet 2015. En réalité, ce retrait fut d'autant moins spontané que plusieurs procédures judiciaires étaient déjà déclenchées, menaçant la société de diverses sanctions, notamment pénales.
L'arrêt commenté conclut l'une de ces procédures, initiée par un procès-verbal d'infractions établi par des agents de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF), à la suite duquel la société fut convoquée devant le tribunal correctionnel, pour y répondre du délit pénal de pratiques commerciales trompeuses (2), envers les conducteurs et les consommateurs, en raison du contenu de certaines communications sur internet. Le 31 janvier 2017, la Chambre criminelle de la Cour de cassation entérine, par rejet du pourvoi de la société Uber France, sa condamnation à une amende de 150 000 euros et une mesure de publication, tout en prononçant sur les intérêts civils à l'égard, notamment, de certaines représentations de taxis. Relevons la mesure de la peine prononcée, quand celle encourue s'élève, s'agissant d'une personne morale, à 1,5 million d'euros (3), voire "à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit" (4). La caractérisation de l'élément matériel du délit ne posait en l'espèce aucune difficulté majeure, insuffisamment en tous cas, pour que les juges successivement saisis acceptent de poser, comme le demandait la société, une question préjudicielle à la CJUE aux fins d'interprétation de la Directive 2005/29 du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales (N° Lexbase : L5072G9Q). En effet, le Code de la consommation définit longuement les pratiques commerciales trompeuses par commission et omission (5), avant de réputer trompeuses certaines de ces pratiques. Sur ce dernier point, la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR dite "LME"), a entendu parfaire l'oeuvre de transposition de la Directive européenne, en reprenant ce qu'il était d'usage d'appeler la "liste noire" de pratiques que cette Directive considère explicitement comme trompeuses en toutes circonstances. Sous cet aspect, l'expression de pratiques "réputées trompeuses" n'est peut-être pas la meilleure, car celles-ci seront toujours considérées comme trompeuses. Ce n'est donc pas une présomption, plutôt une véritable règle de fond. Or, parmi les pratiques ainsi réputées trompeuses, figurent notamment celles qui ont pour objet "de déclarer ou de donner l'impression que la vente d'un produit ou la fourniture d'un service est licite alors qu'elle ne l'est pas" (6). La qualification pénale se concentrait alors sur cette question essentielle : l'application UberPOP, promue par la société dans sa communication en ligne, pouvait-elle être considérée comme un service licite ? La cour d'appel, intégralement approuvée par la Cour de cassation, répond par la négative, déployant un raisonnement en deux temps.

D'abord, ce service ne respectait pas la réglementation imposée, sous la menace d'une sanction pénale, aux taxis ou aux voitures de transport avec chauffeur. A titre principal, il convient de rappeler que dans les deux cas, une autorisation administrative est nécessaire (7). S'agissant des taxis, l'exclusion était d'autant plus évidente que les conducteurs du service UberPOP ne répondaient ni à la définition des conducteurs de taxi, ni aux diplômes et formations requis (8). S'agissant plus spécifiquement des voitures de transport avec chauffeur (la loi faisait à l'époque des faits référence aux "véhicules de petite remise"), auxquelles les conducteurs UberPOP pouvaient plus facilement être rattachés, le texte alors applicable était l'article L. 3122-2 du Code des transports (N° Lexbase : L3413I48) qui disposait que "l'exploitation de voitures de petite remise est soumise à autorisation délivrée par l'autorité administrative", laquelle faisait justement défaut aux conducteurs UberPOP.

Ensuite, le service UberPOP ne pouvait davantage être assimilé à une activité de covoiturage. D'une part, parce que celle-ci suppose un but non lucratif, alors que, comme le remarque la cour d'appel, "la tarification prédéfinie par Uber France, imposée tant au passager qu'au conducteur ne correspondait pas au partage des frais mais s'apparentait bien au paiement d'une course" ; par ailleurs, le site internet de la société indiquait lui-même que le service visait des particuliers souhaitant gagner de l'argent durant leurs disponibilités. D'autre part, parce que le conducteur UberPOP acceptait d'emmener le passager vers une destination qui n'était pas nécessairement la sienne. La Cour de cassation souligne, dans ses motifs, que "le choix de la destination par le client était présenté comme inhérent au service offert, ce qui excluait la qualification de covoiturage". Ces exigences, initialement jurisprudentielles, semblent correspondre tout à fait à la définition du covoiturage issue de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte (N° Lexbase : L2619KG4), qui figure aujourd'hui à l'article L. 3132-1 du Code des transports (N° Lexbase : L2945KG8) et selon lequel "le covoiturage se définit comme l'utilisation en commun d'un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d'un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte. Leur mise en relation, à cette fin, peut être effectuée à titre onéreux et n'entre pas dans le champ des professions définies à l'article L. 1411-1 (N° Lexbase : L8102INE)" [nous soulignons].

Ainsi, faute de s'inscrire dans le cadre d'une des réglementations citées, le service UberPOP ne pouvait qu'apparaître illégal dès l'origine ; partant, la pratique commerciale consistant à la promouvoir devait être réputée trompeuse. L'affirmation de la Chambre criminelle de la Cour de cassation mérite d'être rapprochée d'autres décisions antérieures -auxquelles la Cour aurait d'ailleurs pu se référer- qui confirment cette illicéité du service UberPOP. Il en est particulièrement ainsi de la décision du 22 septembre 2015 du Conseil constitutionnel (9), saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l'ancien article L. 3124-13 du Code des transports (N° Lexbase : L3396I4K) (10) incriminant le fait "d'organiser un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent aux activités [de transport routier] sans être ni des entreprises de transport routier pouvant effectuer les services occasionnels mentionnés [...] ni des taxis ni des [voitures de transport avec chauffeur]". Rejetant le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre, invoqué par Uber, le Conseil déduisit de cet article, notamment, "que l'exercice de cette activité est donc interdite aux personnes qui ne sont ni des entreprises de transport routier [...] ni des taxis, des véhicules motorisés à deux ou trois roues ou des voitures de transport avec chauffeur ; que le législateur a entendu, par les dispositions contestées, réprimer des agissements facilitant l'exercice d'une activité interdite" (11) [nous soulignons]. Aurait-il pu dire plus clairement que les activités alors proposées par le service UberPOP étaient illicites ?

Il restait à trancher la question de l'élément moral du délit, dont la société Uber contestait la présence. En discuter n'était pas déraisonnable : on se souvient que la mutation, par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, pour le développement de la concurrence au service des consommateurs (N° Lexbase : L7006H3U), du délit de publicité trompeuse en pratiques commerciales trompeuses avait été l'occasion d'une évolution de son élément moral, d'une infraction d'imprudence à une infraction intentionnelle (12). Mais l'intention exigée à ce titre est extrêmement légère : reprenant une formule fréquente, la Cour de cassation précisa que "la seule constatation de la violation, en connaissance de cause, d'une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l'intention coupable exigée par l'article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY)". Bref, la conscience de la violation suffit, étant précisé qu'en matière pénale également, nul n'est censé ignorer la loi... Voilà une nouvelle démonstration de l'affaiblissement constant de l'élément moral des infractions d'affaires. Sans doute la solution n'est-elle pas à l'abri de la critique. Il reste peu étonnant de voir la cour d'appel affirmer laconiquement, dans la présente espèce, que "c'est en toute connaissance de cause que la société Uber France a vanté les mérites de la prestation illégale proposée sous la dénomination UberPOP", élément moral auquel la Cour de cassation elle-même ne fait qu'une référence rapide et formelle.


(1) Sur laquelle, v. Ph. Delebecque, Du nouveau pour les taxis, les VTC et leurs clients : un statut pour les centrales de réservations, D., 2017, p. 314 et s..
(2) Actuel article L. 121-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1706K7C les articles visés dans l'arrêt commenté ont été déplacés par l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation N° Lexbase : L0300K7A).
(3) En application de l'article 131-38 du Code pénal (N° Lexbase : L0410DZ9), l'amende est quintuplée à l'encontre des personnes morales.
(4) C. consom., art. L. 132-2 (N° Lexbase : L1657K7I).
(5) V. respectivement, les actuels articles L. 121-2 (N° Lexbase : L1706K7C) et L. 121-3 (N° Lexbase : L9807LC9) du Code de la consommation. V. pour une remise en cause de la distinction : Cass. crim., 22 novembre 2016, n° 15-83.559, F-P+B (N° Lexbase : A3537SLL).
(6) Actuel article L. 121-4, 9° du Code de la consommation (N° Lexbase : L1704K7A).
(7) Rappelons qu'un titre du Code des transports est consacré aux "transports publics particuliers" (C. transports, art. L. 3120-1 N° Lexbase : L3387I49 et s. ; pour les sanctions pénales, v. C. transports, art. L. 3124-4 N° Lexbase : L1767LCG et L. 3124-5 N° Lexbase : L7649INM).
(8) Les textes alors applicables étaient les articles L. 3121-1 (N° Lexbase : L7672INH), L. 3121-9 (N° Lexbase : L7664IN8) et L. 3121-10 (N° Lexbase : L7663IN7) du Code des transports.
(9) Cons. const., 22 septembre 2015, n° 2015-484 QPC (N° Lexbase : A4510NPQ).
(10) Comp., aujourd'hui, l'article L. 3143-4 du Code des transports (N° Lexbase : L1308LCG), créé par la loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016, , relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes (N° Lexbase : L0757LCZ).
(11) Cons. const., 22 septembre 2015, préc., cons. 17.
(12) Cass. crim., 15 décembre 2009, n° 09-83.059, F-P+F (N° Lexbase : A2220EQB).

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