La lettre juridique n°307 du 5 juin 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] Grossesse, accident du travail et maladie professionnelle : à l'impossible l'employeur est tenu

Réf. : Cass. soc., 21 mai 2008, n° 07-41.179, Mme Noura M'Chaighi, F-P+B (N° Lexbase : A7149D8B)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Les salariées en état de grossesse médicalement constatée, en congé d'adoption ou, encore, les salariés dont le contrat de travail est suspendu pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle bénéficient d'une protection exorbitante du droit commun contre le licenciement. Le principe d'interdiction de licencier ces salariés ne trouve exception que dans la faute grave et l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour une cause extérieure à la grossesse, la maladie ou l'accident. Lorsque la rupture trouve sa cause dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail, le ou les motif(s) contenu(s) dans la lettre de licenciement doit/doivent établir cette impossibilité et ne pas seulement se contenter de faire état des difficultés économiques que connaît l'entreprise, comme l'affirme, une nouvelle fois, la Haute juridiction dans un arrêt du 21 mai 2008. La solution n'est pas nouvelle, mais invite à s'interroger sur l'effectivité de la faculté laissée à l'employeur de licencier une telle salariée.
Résumé

La lettre de licenciement d'une salariée en état de grossesse et dont le contrat de travail est suspendu à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle doit préciser le ou les motifs non liés à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption, à l'accident ou à la maladie, pour lesquels l'employeur se trouve dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail.

L'existence d'un motif économique ne caractérise pas à lui seul cette impossibilité.

Commentaire

I - Une faculté théorique de licencier

  • Principe d'interdiction de licenciement

Les salariées en état de grossesse médicalement constatée ou en congé d'adoption bénéficient d'une protection exorbitante du droit commun contre le licenciement.

Le législateur pose, en effet, le principe de l'interdiction, pour l'employeur, de procéder au licenciement de la femme en état de grossesse médicalement constatée . Cette protection s'étend du jour de la reconnaissance de l'état de grossesse aux quatre semaines qui suivent les périodes de suspension du contrat.

Cette interdiction supporte deux exceptions pour les périodes antérieures et postérieures à la période de suspension du contrat de travail (pendant la période de suspension, l'interdiction de licencier est absolue).

La première exception est la faute grave de la salariée, non liée à l'état de grossesse .

La seconde exception est l'impossibilité, pour l'employeur, de maintenir le contrat de travail de la salariée, devant cette impossibilité étrangère à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption. La jurisprudence précise, en outre, que les motifs invoqués au soutien du licenciement doivent être indépendants du comportement de la salariée (Cass. soc., 27 avril 1989, n° 86-45.547, Mme Romilly c/ Institut Dudouit N° Lexbase : A3654ABX).

Le même régime est applicable aux salariés dont le contrat est suspendu en raison d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail . Le principe est, également, celui de l'interdiction de licencier. L'exception à ce principe peut soit résider dans la faute grave du salarié, soit résulter de l'impossibilité devant laquelle l'employeur se trouve, pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie, de maintenir le contrat.

S'agissant d'une exception à un principe général de protection, la jurisprudence admet, très restrictivement ces deux causes de rupture du contrat de travail. Lorsque le licenciement trouve son fondement dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail, la Cour de cassation exige que l'employeur établisse cette impossibilité.

  • Insuffisance de la cause économique de licenciement

Pour la femme enceinte ou en congé d'adoption, les juges considèrent que l'existence d'une cause économique de licenciement ne constitue pas, nécessairement, une impossibilité de maintenir le contrat de travail (Cass. soc., 31 octobre 1996, n° 93-45.019, Mlle Christine Roger c/ Société Boulier, société à responsabilité limitée, inédit N° Lexbase : A8965C78, RJS, 1996, 755, n° 1168). La même règle est appliquée à la suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle (Cass. soc., 17 novembre 2004, n° 02-46.321, F-D N° Lexbase : A9482DDK, RJS, 2005, 203, n° 269).

Il est traditionnellement affirmé, dans ces deux domaines, que ni l'existence d'une cause économique, ni l'application des critères d'ordre des licenciements ne suffisent à caractériser l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l'accident (Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-44.026, La Cuma de l'Hermine c/ M. Le Roy N° Lexbase : A7534AXC, Bull. civ. V, n° 382).

La lettre de licenciement faisant état des difficultés économiques de l'entreprise ne suffit donc pas à caractériser cette impossibilité. Pour que le licenciement soit justifié, encore faut-il que cette cause économique empêche le maintien du contrat de travail et que la lettre de licenciement établisse cette impossibilité pour l'employeur de poursuivre la relation de travail, comme l'affirme, une nouvelle fois, la Haute juridiction, dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, une salariée avait été engagée en qualité d'employée polyvalente. Un peu plus d'une année plus tard, elle était arrêtée pour accident du travail et informait son employeur de son état de grossesse.

Le 26 avril 2003, l'employeur lui notifiait son licenciement pour motif économique. Les motifs figurant dans la lettre de licenciement faisaient état des difficultés financières de la société et du fait que la salariée avait refusé le poste de reclassement à temps partiel qui lui avait été proposé. Sur ces fondements, la société avait donc décidé de procéder à la suppression du poste d'employée polyvalente de la salariée à temps plein.

Les juges du second degré avaient conclu au caractère justifié de ce licenciement, considérant que la réalité des pertes de la société pour l'année précédente et le refus par la salariée d'un poste à temps partiel établissaient, tant l'impossibilité de maintenir le contrat de travail, que l'impossibilité de reclasser la salariée.

La Cour de cassation ne voit pas les choses de la même manière. Aux visas des articles L. 1232-6 , L. 1225-4 (L. 122-25-2, anc.) et L. 1226-9 (L. 122-32-2, anc.) du Code du travail, elle rappelle que "l'employeur, lorsqu'il licencie une salariée en état de grossesse médicalement constatée et dont le contrat de travail est suspendu à la suite d'un arrêt de travail provoqué par un accident du travail ou une maladie professionnelle, est tenu de préciser, dans la lettre de licenciement, le ou les motifs non liés à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption, à l'accident ou à la maladie professionnelle pour lesquels il se trouve dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pendant les périodes de protection dont bénéficie la salariée, l'existence d'un motif économique ne caractérisant pas à elle seule cette impossibilité".

Or, pour la Haute juridiction, si la lettre de rupture comportait l'énoncé des raisons économiques motivant le licenciement, elle ne précisait pas en quoi celles-ci avaient placé l'employeur dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée pendant les périodes de protection dont elle bénéficiait. La Haute juridiction casse donc la décision rendue par les juges du fond.

Cette solution, qui n'est que la stricte application des principes traditionnellement dégagés en la matière, doit être approuvée.

II - Une impossibilité pratique de licencier ?

Difficultés économiques, refus par le salarié d'une modification de son contrat de travail, suppression du poste à temps plein..., quel autre motif pouvait donc invoquer l'employeur dans la lettre de licenciement au soutien de cette rupture ? Comment pouvait-il mieux démontrer l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à la grossesse de la salariée ? Cette impossibilité ne résulte pas du comportement de la salariée, elle n'est pas liée à son état, l'entreprise traverse des difficultés, la salariée a refusé un passage à temps partiel et l'employeur supprime le poste à temps plein. Cette démonstration serait-elle impossible ?

  • Des conditions trop restrictives

Cette question n'est pas innocente. La lecture des décisions rendues en la matière semble illustrer l'ineffectivité pratique de la faculté pour l'employeur de licencier.

La décision n'a, en effet, pas de quoi surprendre. Dans un arrêt de 2004, la Haute juridiction était arrivée au même constat (Cass. soc., 28 septembre 2004, n° 02-40.055, F-D N° Lexbase : A4715DDY). Dans cette espèce, malgré l'existence d'un motif économique, la suppression du poste de la salariée et l'impossibilité de procéder au reclassement de cette dernière, la Haute juridiction avait considéré que le licenciement n'était pas justifié, parce que l'impossibilité de maintenir le contrat de travail n'était pas établie par l'employeur. De la même manière, la Cour de cassation, malgré une ordonnance du juge-commissaire prévoyant le licenciement de 4 salariés et le fait que l'entreprise se trouvait en liquidation judiciaire, avait conclu au caractère injustifié de la rupture, car l'employeur ne démontrait pas que la suppression de l'emploi de la salariée ne pouvait absolument pas être différée (Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-41.937, M. Lavallart, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Light Déco c/ Mme Usselet autre N° Lexbase : A7696AHI).

L'impossibilité n'étant pas établie dans ces hypothèses, on est amené à se demander ce qui peut justifier une telle rupture.

Il est particulièrement difficile, pour ne pas dire impossible, pour l'employeur, de savoir si sa lettre permet de caractériser l'impossibilité de maintenir le contrat ou si elle ne fait que faire état des difficultés de l'entreprise. Il est donc périlleux de licencier une salariée en état de grossesse dont le contrat de travail est suspendu pour accident du travail, mais, aussi, une salariée en état de grossesse ou un salarié dont le contrat est suspendu pour accident du travail ou maladie professionnelle ; le cumul des deux états (grossesse et accident) n'est, en effet, pas une condition d'application du principe de motivation de la lettre de rupture.

  • Une large portée

On pourrait croire, à la lecture de l'attendu de principe, que ce postulat ne s'applique que lorsque la salariée est en état de grossesse et en période de suspension du contrat de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail. La rédaction retenue par la Haute juridiction peut, en effet, laisser un doute sur la portée qu'il convient de donner au principe utilisé.

L'obligation faite à l'employeur de préciser dans la lettre le ou les motifs pour lesquels il se trouve dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail semble liée à l'état cumulatif de grossesse et d'accidenté du travail.

Tel n'est, toutefois, pas le cas. Ce sont les circonstances de l'espèce et, singulièrement, le fait que la salariée cumule suspension pour accident du travail et grossesse, qui justifie le lien établi par la Haute juridiction entre les deux états.

Le contenu de la lettre de licenciement, que la salariée soit enceinte et/ou en maladie professionnelle ou en accident du travail, devra faire état de cette impossibilité de maintenir le contrat de travail et la justifier. Le cas échéant, le licenciement, quelles que soient les difficultés de l'entreprise, pourra, à la demande du salarié, être annulé, sans que soient prises en considération les difficultés que cela peut poser, notamment, lorsque l'entreprise au moment de la rupture avait des difficultés...

Décision

Cass. soc., 21 mai 2008, n° 07-41.179, Mme Noura M'Chaighi, F-P+B (N° Lexbase : A7149D8B)

Cassation partielle de CA Aix-en-Provence, 9ème ch., sect. C, 13 décembre 2005, n° 04/17441, Mademoiselle Noura M'Chaighi c/ EURL N.C.S. (N° Lexbase : A7687D89)

Mots clefs : grossesse ; accident du travail et maladie professionnelle ; lettre de licenciement ; contenu de la lettre ; justification dans la lettre de l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l'état de grossesse, à l'accident ou à la maladie ; insuffisance du motif économique.

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