La lettre juridique n°307 du 5 juin 2008 : Impôts locaux

[Jurisprudence] La difficile mise en oeuvre de la définition de l'établissement industriel au sens des dispositions de l'article 1499 du CGI

Réf. : CE, 16 janvier 2008, n° 296840, Société MTE R. Le Bras (N° Lexbase : A1119D49) ; CE 3° et 8° s-s-r, 14 avril 2008, n° 307465 (N° Lexbase : A9547D7Q), n° 307466 (N° Lexbase : A9548D7R), n° 307467 (N° Lexbase : A9549D7S), n° 307468 (N° Lexbase : A9550D7T), SA Lorientaise de stockage

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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par ses arrêts rendus le 16 janvier et le 14 avril 2008, vient d'apporter d'utiles précisions sur l'application des critères alternatifs définissant un établissement industriel au sens des dispositions de l'article 1499 du CGI (N° Lexbase : L0268HMU). La Haute juridiction confirme, par ces arrêts, une fois encore, la jurisprudence du Conseil d'Etat du 27 juillet 2005 (CE section, 27 juillet 2005, n° 261899, Minéfi c/ Société des Pétroles Miroline N° Lexbase : A1332DKK). Les faits dans ces deux affaires sont les suivants : la société "Lorientaise" de stockage, la société "Lorient Stockage" et la société "Manutention Transit et Entrepôts (MTE) R. Le Bras" exercent une activité de manutention, transit, consignation, stockage, surveillance et affrètement routier portant sur des matières premières d'origine agricole dans le port de Lorient. Ces sociétés sont propriétaires d'entrepôts utilisés pour le stockage de ces matières premières. L'administration, au regard de l'importance des installations de manutention et de stockage mises en oeuvre et utilisées par ces sociétés, avait regardé les entrepôts comme des établissements industriels et évalué la valeur locative servant d'assiette à la taxe professionnelle et à la taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles les trois sociétés ont été assujetties en fonction de la méthode comptable prévue par les dispositions de l'article 1499 du CGI. Les sociétés avaient soutenu de leur côté que les biens avaient le caractère de biens à usage commercial relevant de l'évaluation prévue par les dispositions de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT). Elles avaient obtenu satisfaction devant le tribunal administratif de Rennes et devant la cour administrative d'appel de Nantes qui avaient regardé ces entrepôts comme commerciaux et avaient en conséquence prononcé la réduction de la taxe professionnelle et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (CAA Nantes, 4ème ch., 23 juin 2006, n° 05NT00435 N° Lexbase : A3830DRB ; CAA Nantes, 1ère ch., 23 avril 2007, n° 06NT00742 N° Lexbase : A9547D7Q, n° 06NT00741 N° Lexbase : A9750DWZ, n° 06NT00739 N° Lexbase : A9748DWX, n° 06NT00740 N° Lexbase : A9749DWY). Le ministre de l'Economie s'était alors pourvu en cassation en faisant valoir, notamment, que la cour administrative d'appel de Nantes avait, à tort, apprécié l'importance des moyens utilisés au regard des seuls équipements mis en oeuvre de façon permanente pour le stockage sans prendre en compte les outillages nécessaires pour les opérations de chargement et de déchargement.

L'intérêt de ces décisions réside dans la confirmation de la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" et aussi dans l'éclairage que ces décisions apportent, d'une part, sur la notion de moyens techniques mis en oeuvre, pour la qualification d'établissement industriel et, d'autre part, sur les incertitudes et hésitations quant à l'application des critères définissant l'établissement industriel et s'agissant, notamment, du critère de "la prépondérance dans l'exploitation". Le domaine de définition de l'établissement industriel même après ces arrêts, reste donc ouvert.

1. Les difficultés de la mise en oeuvre des critères tirés de "l'importance des moyens" et de la "prépondérance" qui fondent la caractérisation de l'établissement industriel au sens de l'article 1499 du CGI

La loi classe les locaux affectés à une activité professionnelle en deux grandes catégories, les locaux industriels et les locaux commerciaux, dont la valeur locative est appréciée selon des règles qui leurs sont spécifiques. La valeur des locaux industriels est déterminée conformément aux dispositions de l'article 1499 du CGI en appliquant au prix de revient de leurs éléments des taux d'intérêts fixés à 7 ou 8 %.

1.1. La jurisprudence du Conseil d'Etat du 27 juillet 2005 "Société des pétroles Miroline" : le domaine de l'incomplétude

La jurisprudence "Société des pétroles Miroline" a paru clore le débat en refermant une parenthèse ouverte en 1997 (CE, 15 octobre 1997, n° 154534, SA "Entrepôts Frigorifiques de Cabannes" N° Lexbase : A4558ASM), en faisant converger doctrine et position du juge. L'arrêt de 2005 "Société de pétroles Miroline" retient, en effet, la définition suivante de l'établissement industriel au sens de l'article 1499 du CGI : est un établissement industriel, un établissement dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant. Le juge distingue deux situations : soit l'activité développée au sein de l'immeuble en cause consiste dans la transformation ou la fabrication et met en oeuvre d'importants moyens techniques ; soit l'activité développée est autre qu'industrielle et, dans ce dernier cas, pour que l'établissement soit qualifié d'industriel, il doit requérir des moyens techniques importants dont le rôle doit revêtir un caractère prépondérant.

Le Conseil d'Etat avait jugé de longue date que le caractère industriel d'un établissement dépend de la nature et de l'importance des moyens techniques mis en oeuvre pour la réalisation des opérations qui y sont effectuées (CE, 15 octobre 1997, n° 154534, précité : RJF, 12/97, n° 1138, conclusions F. Loloum ; BDCF, 6/97, n° 114). Il s'était alors engagé dans la voie de la mise en oeuvre de critères alternatifs. La jurisprudence "Société des pétroles Mirolines" a interrompu cette évolution en retenant à l'égal de la doctrine administrative et en paraissant clore un débat ancien, la mise en oeuvre d'un critère alternatif de l'importance des moyens mis en oeuvre et de la nature de l'activité.

L'apport essentiel de la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" a été, sans doute, de faciliter l'exclusion du champ d'application de l'article 1499 du CGI de tout un ensemble de locaux. En effet, si postérieurement à ce jugement de 2005, les services fiscaux ont semblé redéfinir la frontière séparant l'établissement industriel de l'établissement commercial, dans les faits, c'est tout simplement un meilleur équilibre naturel qui a été trouvé entre les deux catégories d'établissements. La frontière a retrouvé en un sens une certaine simplicité de tracé. La doctrine a d'ailleurs souligné postérieurement à la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" que le caractère industriel ne pouvait, par exemple, plus être reconnu aux hypermarchés ou à de simples entrepôts logistiques. Si la frontière entre les dispositions du 1499 et de l'article 1498 ne fait pas souci, la mise en oeuvre des critères permettant de qualifier l'établissement d'industriel est demeurée délicate à la fois parce qu'il s'agit de situation originale et unique en ce qui concerne l'importance des moyens mis en oeuvre et parce que de nombreuses incertitudes demeurent quant à la mise en oeuvre du critère tiré de la prépondérance des moyens.

1.2. La persistance des difficultés postérieurement à la définition de l'établissement industriel initiée par la décision de 2005

La jurisprudence "Société des pétroles Miroline" n'a pas résolu toutes les difficultés. Les hésitations de la jurisprudence étaient inévitables même en présence d'une définition de l'établissement industriel. C'est que les situations à propos desquelles il convient d'apprécier l'existence d'un établissement industriel sont uniques et évoluent en fonction des techniques de production. En effet, la notion d'importance des moyens est éminemment relative et dépend d'un état donné des techniques et de l'industrie. La doctrine souligne, d'ailleurs, avec raison, que le critère de l'importance des moyens mis en oeuvre n'est guère discutable lorsqu'il s'agit d'apprécier des installations de stockage de l'industrie lourde : dépôts pétroliers ou silos céréaliers. Mais il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit de simples entrepôts ou de centres logistiques. La jurisprudence en présence de cette nature d'équipements fluctue, surtout lorsque les matériels nécessaires à la conduite de ces activités se miniaturisent, l'électronique supplantant pour partie la mécanique classique, cela emporte des solutions parfois surprenantes : dans l'arrêt "MTE R. le Bras", la cour administrative d'appel de Nantes juge que des équipements et moyens matériels dont le prix de revient s'élève à 986 039 euros ne sont pas de nature à emporter une qualification d'établissement industriel. Ce n'est pas seulement le critère de l'importance qui est délicat à manier. La décision "Société des pétroles Miroline" ne qualifie d'industriel l'établissement dans lequel aucune activité de transformation n'est exercée que si les moyens techniques mis en oeuvre jouent un rôle prépondérant dans l'exploitation. La notion de prépondérance a alors été diversement approchée et appréciée : approche liée à l'actif du bilan (Pierre Colin, commissaire du Gouvernement sous CE, 10 février 2006, n° 270766, SNC Distribution Leader price N° Lexbase : A8320DM4) ou approche par la comptabilité analytique et pourcentage des différents facteurs à la production (Laurent Olléon, commissaire du Gouvernement, sous CE, 27 février 2006, n° 267181, SA larivière N° Lexbase : A3975DNK). Ici, la difficulté est celle de la mesure, car il faut mesurer cette prépondérance ; encore faut-il définir par rapport à quoi.

Ces hésitations illustrent le fait que la définition retenue par le Conseil d'Etat de l'établissement industriel est délicate à mettre en oeuvre, c'est une définition ouverte. Mais il ne pouvait sans doute pas en être autrement au regard de la complexité et de la diversité des situations qu'offre le monde industriel à l'imagination du fiscaliste. Il est vrai que l'arrêt "Société des pétroles Miroline" invitait à se référer aux installations techniques matériels et outillages tels que visés au compte 215 du plan comptable général du 29 avril 1999. C'est une manière de poser une règle claire pour ce qui concerne l'instrumentation du critère de la prépondérance. Mais les poids respectifs des actifs au bilan ne sont pas toujours l'image fidèle de la prépondérance de la mise en oeuvre d'un moyen d'exploitation.

Postérieurement à la décision "Société des pétroles Miroline", la jurisprudence s'est montrée hésitante et la qualification d'établissement industriel ne s'est pas toujours référée à la lettre aux critères avancés par l'arrêt du 27 juillet 2005 "Société des pétroles Mirolines". Dans la décision "SNC Distribution Leader Price" du 10 février 2006, le Conseil d'Etat qualifie un entrepôt d'industriel en se référant à la composition du bâtiment. Le juge retenant pour qualifier l'entrepôt d'industriel, la superficie de 37 000 mètres carrés nécessitant la mise en oeuvre de moyens matériels fixes et mobiles de stockage, de levage et d'empaquetage et la présence d'ouvrages fixes de desserte et de stationnement. Ces singularités jurisprudentielles ne remettent, cependant, pas en question, à titre principal, les principes dégagés par la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" qui apporte sa part de lumière à l'éclaircissement d'une question complexe.

2. Les arrêts du 14 avril 2008 et 16 janvier 2008 : pour quelques certitudes de plus

La cour administrative d'appel de Nantes dans ses décisions de 2007, après avoir repris la définition de l'établissement industriel, écartait cette qualification en constatant, d'une part, que les trois sociétés en cause se bornaient à stocker les matières premières qui leur étaient confiées pour les restituer en l'état sans effectuer aucune opération de fabrication, de transformation ou de conditionnement et que si elles utilisaient un matériel important, il ne jouait pas un rôle prépondérant dans son activité de stockage. Le Conseil d'Etat n'a pas remis en question cette analyse dans ses arrêts de 2008, les décisions du Conseil d'Etat apportant principalement des précisions sur la notion de "mise en oeuvre" des moyens.

2.1. Les arrêts du Conseil d'Etat de 2008 "SA Lorientaise de stockage" et "MTE R. Le Bras" éclairent la notion de "mise en oeuvre"

Le juge n'avait pas eu l'occasion de se prononcer sur la question de la propriété des matériels à prendre en compte pour se prononcer sur le caractère industriel d'un établissement. Dans l'arrêt "MTE R. Le Bras", la cour administrative d'appel de Nantes avait pris en compte dans le cadre de son appréciation des moyens techniques mis en oeuvre, la valeur des seuls immeubles et équipements détenus en pleine propriété excluant les grues louées par le contribuable.

Le commissaire du Gouvernement Nathalie Escault a souligné dans ses conclusions que la nature d'un établissement industriel repose sur l'importance des moyens utilisés. La circonstance qu'ils soient la propriété de l'entreprise ou qu'ils soient loués n'ayant aucune incidence sur leur rôle dans l'exploitation. Le statut juridique des biens ne pèse donc pas au regard de leur utilisation et de leur mise ne oeuvre. C'est une approche économique qui prévaut. "Mettre en oeuvre" c'est affecter des biens dans le but de produire et cette mise en oeuvre ne peut être relativisée ou mise en question simplement du fait du statut juridique des biens. D'une certaine façon, qu'importe qui et comment on exploite l'établissement, ce qui compte c'est de savoir avec quels moyens il est exploité. Le Conseil d'Etat a suivi son commissaire en jugeant que "la circonstance que le redevable soit ou non propriétaire des installations techniques, matériels et outillages est sans incidence sur l'appréciation de leur importance et de leur rôle". Le statut juridique des éléments d'exploitation n'est donc pas déterminant au regard d'une analyse d'une fonction de production.

Le Conseil d'Etat, en écartant, en 2008, toute notion de mise ne oeuvre du pouvoir juridique exercé sur les installations, se montre garant de l'intégrité de la frontière et les inquiétudes nées dans le prolongement de la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" d'une extension immodérée de l'application de la méthode comptable ne semblent pas avérées, même si les différents critères demeurent d'application délicate.

2.2. L'incertitude n'est pas un obstacle dans l'application des critères de l'établissement industriel lorsqu'elle est maîtrisée

Sans doute la réalité du monde de l'industrie n'est-elle pas propice à l'élaboration d'une définition transparente de l'établissement industriel. Mais, d'une part, l'équilibre existant entre établissements industriels et commerciaux est souligné par les arrêts "SA Lorientaise de stockage" qui confirme après la décision "Société des pétroles Miroline", la position de l'administration exprimée dans la documentation administrative de base 6 C-251 à jour au 15 décembre 1988 et dans une réponse ministérielle du 4 avril 1991 à M. Arthuis (QE n° 12530 de M. Arthuis, réponse publiée JO Sénat du 4 avril 1991, p. 710 N° Lexbase : L9026H3P). Le Conseil d'Etat, dans ses décisions de 2008, fait, en outre, une application scrupuleuse de la grille de lecture dégagée par la jurisprudence "Société des pétroles Miroline". Or, l'essence même de cette jurisprudence est de conférer un caractère accessoire et secondaire au critère de l'activité exercée, ce qu'a d'ailleurs confirmé la Haute assemblée en annulant plusieurs jugements qui plaçaient ce critère sur le même plan que l'importance des moyens techniques. Pour le reste, on ne maîtrise pas le réel par décret et il importe simplement de veiller à garder une cohérence d'ensemble dans la qualification par la mise en oeuvre des critères de l'établissement industriel. De ce point de vue, la solution retenue dans la décision "MTE R. Le Bras" fait pour le moins débat : convient-il, en effet, de juger de l'importance de moyens d'exploitation pour une activité industrielle donnée à l'aune de son pourcentage du prix de l'immeuble ? Certes, c'est la voie déjà empruntée, comme le souligne le commissaire Olléon, avec la décision du 14 décembre 2005 "Sica du Silo Portuaire de Caen" (CE, 14 décembre 2005, n° 267227 N° Lexbase : A1026DMX), mais il n'est pas certain que ce rapprochement de l'outillage et des constructions soit des plus heureux, ni des plus pertinents.

Il s'agit de fait de contrôler l'évolution jurisprudentielle de la qualification de l'établissement industrie. De ce point de vue, le fait que le Conseil d'Etat ait pu regarder comme industriel tel ou tel établissement, eu égard à l'importance et au caractère prépondérant des moyens techniques employés sur le site, n'emporte pas généralisation de cette qualification à tous les établissements ayant la même activité. Il y a donc, à cet égard, stabilité de la jurisprudence. Simplement, les décisions de 2008 laissent en suspens les interrogations liées à l'application du critère de la prépondérance. Nul doute qu'il sera bientôt précisé.

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