La lettre juridique n°307 du 5 juin 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Le défaut de conformité s'apprécie au regard des données techniques connues ou prévisibles au jour de la vente

Réf. : Cass. civ. 1, 7 mai 2008, n° 06-20.408, Société Sagem communication, F-P+B (N° Lexbase : A4373D8H)

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N2163BG9

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

L'occasion a été donnée, à plusieurs reprises, d'insister sur l'une des difficultés essentielles du droit de la vente tenant à la distinction de l'obligation de délivrance du vendeur, d'une part, définie par l'article 1604 du Code civil (N° Lexbase : L1704ABQ) comme "le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur", et qui suppose, précisément, que le vendeur lui délivre une chose conforme à ce à quoi il s'est engagé, et, d'autre part, de l'obligation de garantie des vices cachés de l'article 1641 du même code (N° Lexbase : L1743AB8), aux termes duquel "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus". Il n'est pas ici question de revenir dans le détail sur les enjeux pratiques considérables attachés à la distinction, sauf peut-être à rapidement en rappeler que, s'agissant du délai de prescription de l'action, l'action en garantie des vices cachés, qui, autrefois, devait être engagée à "bref délai", doit, depuis une ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur (N° Lexbase : L9672G7D), être exercée dans les "deux ans à compter de la découverte du vice" (C. civ., art. 1648 N° Lexbase : L8779G8N), délai distinct du délai de droit commun applicable à l'action en défaut de conformité. Des différences se manifestent encore du point de vue des conséquences attachées aux restitutions consécutives soit à la rédhibition dans l'action en garantie des vices cachés, soit à la résolution dans l'action en défaut de conformité. Contrairement, en effet, à ce que décide la jurisprudence en cas de rédhibition consécutive à l'exercice d'une action en garantie des vices, la Chambre commerciale de la Cour de cassation (1) a, récemment, confirmé la solution retenue par un arrêt de la première chambre civile en date du 21 mars 2006, arrêt dans lequel elle avait jugé que "si l'effet rétroactif de la résolution d'une vente pour défaut de conformité permet au vendeur de réclamer à l'acquéreur une indemnité correspondant à la dépréciation subie par la chose en raison de l'utilisation que ce dernier en a faite, il incombe au vendeur de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue de cette dépréciation" (2). L'importance de la distinction des notions de défaut de conformité et de vice caché explique que la Cour de cassation soit si fréquemment conduite à y revenir pour préciser les contours de chacune d'elles. Pour preuve, une fois encore, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 mai dernier, à paraître au Bulletin.

En l'espèce, l'acquéreur d'un rétroprojecteur comprenant les fonctionnalités requises pour recevoir la télévision haute définition avait, deux ans après l'acquisition, saisi la juridiction de proximité en résolution de la vente pour défaut de conformité, faisant valoir que le matériel vendu ne permettait pas la réception des émissions haute définition en mode numérique que la société Canal + s'apprêtait à diffuser, selon un mode de cryptage mettant en oeuvre une norme mise au point postérieurement à la vente. La juridiction de proximité de Grenoble avait fait droit à cette demande et, donc, prononcé la résolution de la vente, aux motifs, en substance, que le vendeur aurait dû informer le consommateur de ce que le matériel mis sur le marché n'était pas "prêt" pour la technicité à venir et de s'abstenir de commercialiser un appareil destiné à une technique qui n'était pas encore sur le marché. La décision est cassée, sous le visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1604 du Code civil : "en statuant ainsi quand, sauf stipulation contraire, le défaut de conformité doit s'apprécier au regard des données techniques connues ou prévisibles au jour de la vente et ne peut résulter d'une inadéquation de la chose vendue à des normes ultérieurement mises au point et découlant de l'évolution de la technique, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés".

On rappellera que la non-conformité de la chose vendue aux spécifications convenues par les parties est une inexécution de l'obligation de délivrance ; en revanche, la non-conformité de la chose à sa destination normale ressortit à la garantie des vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil (3). Si, donc, ce qui est discuté tient à la conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties, c'est-à-dire au contrat, c'est bien l'obligation de délivrance qui est en cause, le vendeur devant délivrer la chose contractuellement convenue, avec ses caractéristiques, de telle sorte que la délivrance d'une chose différente constitue un manquement à cette obligation (4). Si, au contraire, ce qui est discuté tient à la conformité de la chose à sa destination normale, c'est alors la garantie des vices qui est en cause, les vices étant, précisément, des défauts de la chose qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine (5).

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 7 mai dernier, la question ne portait pas, en réalité, sur la distinction elle-même, mais sur la notion de défaut de conformité telle qu'elle a été définie plus haut. L'intérêt de l'arrêt est, en effet, de venir préciser que la conformité de la chose aux spécifications convenues ne peut être appréciée qu'au regard, dit l'arrêt, "des données connues ou prévisibles au jour de la vente", si bien qu'elle "ne peut résulter d'une inadéquation de la chose vendue à des normes ultérieurement mises au point et découlant de l'évolution de la technique". Cette solution est cohérente : décider du contraire conduirait, particulièrement à une époque où les progrès de la technique sont si nombreux et rapides, à considérablement fragiliser le droit de la vente et favoriser l'insécurité des transactions, en permettant à l'acquéreur de venir réclamer la résolution de la vente, après avoir usé de la chose pendant un certain temps, au motif qu'elle s'avérerait plus ou moins dépassée par l'évolution de la technique postérieure à la vente.


1) Cass. com., 30 octobre 2007, n° 05-17.882, Société Anciens Etablissements Branger (AEB), FS-P+B (N° Lexbase : A2281DZI).
(2) Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 02-19.236, Safirauto c/ Société Sonauto-Hyundaï, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6388DNW), Contrats, conc., consom. 2006, n° 130, obs. L. Leveneur.
(3) Cass. civ. 1, 27 octobre 1993, n° 91-21.416, Compagnie La Concorde c/ Société MTS et autre (N° Lexbase : A8458AXK), Bull. civ. I, n° 305 ; Cass. civ. 1, 8 décembre 1993, n° 91-19.627, M. Prario c/ M Hennequin de Villermont (N° Lexbase : A5323ABR), Bull. civ. I, n° 362.
(4) Voir not. Cass. civ. 1, 5 novembre 1996, n° 94-15.898, Mlle Badiou c/ M. Faure et autres (N° Lexbase : A8550ABB), JCP éd. G, 1997, II, 22872, note Ch. Radé ; Cass. civ. 1, 17 juin 1997, deux arrêts, n° 95-18.981, Société Plâtres Lambert production c/ M. Poux (N° Lexbase : A0677AC3) et n° 95-13.389, Société Garage Saurel c/ M. Hercher et autres (N° Lexbase : A0414ACC), Bull. civ. I, n° 205 et n° 206.
(5) Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-22.263, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Epoux Journe (N° Lexbase : A0802ACP), Bull. civ. III, n° 181 ; Cass. civ. 3, 15 mars 2000, n° 97-19.959, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Société Thoretim et autres (N° Lexbase : A3495AUY), Bull. civ. III, n° 61 ; Cass. com., 28 mai 2002, n° 00-16.749, Société Wartsila NSD corporation c/ Société Méca Stamp international, F-D (N° Lexbase : A7838AYX), Contrats, conc., consom., 2002, n° 139, obs. Leveneur.

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