Réf. : Cass. soc., 3 mai 2007, n° 05-44.776, Société Autogrill Paris Saint-Lazare, FS-P+B (N° Lexbase : A0602DW9)
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le 07 Octobre 2010
Résumé
Le mouvement de grève ayant été, notamment, motivé par le non-paiement des heures supplémentaires et donc, à l'évidence, par un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, le juge des référés a exactement décidé que l'obligation de l'employeur au paiement des provisions sollicitées n'était pas sérieusement contestable, nonobstant le protocole d'accord de fin de grève. |
1. Paiement des heures de grève et faute de l'employeur
L'article L. 521-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5336ACM) dispose, depuis 1950, que "la grève ne rompt pas le contrat de travail", sauf faute lourde du salarié (1). Le contrat de travail se trouve ainsi simplement suspendu pendant la durée du conflit, à tout le moins les obligations principales des parties ; le salarié n'est donc plus placé sous la subordination de son employeur qui, en contrepartie, se trouve libéré de son obligation de paiement du salaire.
La jurisprudence considère, toutefois, que l'employeur peut voir sa responsabilité civile délictuelle engagée lorsqu'il a commis une faute à l'origine du conflit ; dans cette hypothèse, les salariés obtiendront des dommages et intérêts réparant le préjudice subi, c'est-à-dire compensant au minimum la perte des salaires (2).
Les éléments constitutifs de cette faute ont été précisés par la Cour de cassation en 1991 : l'action en responsabilité aboutira lorsque les "salariés se sont trouvés dans une situation contraignante telle qu'ils ont été obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par suite d'un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations" (3).
La Cour de cassation a ainsi, au cours des arrêts, déterminé plus concrètement dans quelles situations les salariés pouvaient, ou non, obtenir gain de cause (4), singulièrement lorsque l'employeur manque à ses obligations salariales (5).
Cette fois-ci, c'est un différend sur le paiement des heures supplémentaires qui était la cause du conflit. Pour la première fois, la Chambre sociale de la Cour de cassation admet de manière expresse que "le mouvement de grève ayant été notamment motivé par le non-paiement des heures supplémentaires et donc, à l'évidence, par un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, le juge des référés a exactement décidé que l'obligation de l'employeur au paiement des provisions sollicitées n'était pas sérieusement contestable, nonobstant le protocole d'accord de fin de grève".
La solution n'est pas surprenante, compte tenu de la jurisprudence antérieure.
Le demandeur faisait pourtant valoir des arguments pertinents. Il prétendait, en effet, que la preuve de manquements "graves et délibérés" de l'employeur à ses obligations essentielles n'était pas rapportée, autrement dit que l'employeur était de bonne foi lorsqu'il pensait ne pas devoir payer ces heures.
L'argument était astucieux puisqu'il tentait d'assimiler la faute dans le déclenchement du conflit et le délit de travail dissimulé par sous-déclaration d'heures de travail sur le bulletin de salaire, dont on sait qu'il impose la preuve de l'intention de l'employeur (6). La Cour de cassation ne s'est pourtant pas laissée séduire et a, au contraire, considéré que le non-paiement des salaires révélait un comportement délibérément fautif de l'employeur imposant sa condamnation (7).
Cette décision ne signifie pas que les juges ne doivent pas s'intéresser aux causes du défaut de paiement ; c'est ainsi que si les retards dans le paiement des salaires sont directement et exclusivement imputables aux difficultés économiques rencontrées par l'entreprise, l'employeur ne sera pas condamné (8).
Tout se passe, toutefois, comme si le défaut de paiement des salaires était présumé intentionnel, l'employeur devant établir sa bonne foi s'il souhaite échapper à une condamnation.
L'arrêt ne portait pas directement sur ce point, de telle sorte qu'il est difficile de se déterminer ; on peut, cependant, penser que l'examen du dossier faisait clairement apparaître que le refus de payer les heures supplémentaires était, dans cette affaire, sans aucune justification, ce qui explique l'apparente sévérité de la Haute juridiction dans cette affaire.
2. Incidences d'un accord de fin de conflit
La situation était plus complexe qu'il n'y paraissait en raison de la conclusion d'un accord de fin de conflit qui avait écarté le paiement des heures de grève, et sur lequel l'employeur prétendait s'appuyer pour s'opposer à la demande présentée par les salariés devant le juge des référés afin d'obtenir une provision sur les sommes à valoir au titre des dommages et intérêts.
Il y avait, dans cette affaire, deux niveaux de difficultés. Le premier était purement factuel et portait sur l'interprétation de l'accord de fin de conflit. Ce dernier comportait, en effet, une clause aux termes de laquelle "la direction confirme qu'elle ne paiera pas les heures de grève. Celles-ci seront retenues sur la paye du mois de mai 2004". Or, les conseillers prud'hommes de la formation des référés avaient considéré que cette formule n'avait aucune portée normative et, singulièrement, que les syndicats signataires n'avaient pas accepté le non-paiement des jours de grève. L'employeur prétendait, bien entendu, que le non-paiement des jours de grève faisait, en quelque sorte, partie des dispositions de l'accord, l'employeur s'engageant étrangement... à ne pas payer les jours de grève.
Il s'agit, ici, somme toute, d'un banal problème d'interprétation d'une convention collective que la Cour aurait pu trancher, mais elle a préféré dépasser cette difficulté d'interprétation pour rendre une décision beaucoup plus juridique.
Selon la Cour, en effet, il suffisait de constater que l'employeur avait manqué de manière grave et délibérée à ses obligations essentielles pour que les salariés soient indemnisés, et ce "nonobstant le protocole d'accord de fin de grève".
Cette formule, assez mystérieuse, peut signifier soit que l'accord ne permettait pas, de par son contenu, de s'y opposer, soit que même comportant un engagement de ne pas payer les jours de grève, l'employeur devait être condamné.
C'est certainement la seconde interprétation qui prévaut, à juste titre d'ailleurs. Les termes mêmes de l'accord excluaient, certes, toute obligation conventionnelle de l'employeur de payer les heures de grève (9), mais l'action des salariés n'était pas fondée sur cet accord, mais bien sur l'existence d'une faute commise dans le déclenchement du conflit. Il s'agissait alors de mettre en cause la responsabilité délictuelle de l'employeur, et non sa responsabilité contractuelle. L'existence d'un accord de fin de conflit était bien accessoire ici.
Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Décision
Cass. soc., 3 mai 2007, n° 05-44.776, Société Autogrill Paris Saint-Lazare, FS-P+B (N° Lexbase : A0602DW9) Rejet (conseil de prud'hommes de Paris,13 septembre 2005) Textes concernés : C. trav., art. L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. civ., art. 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ). Mots-clefs : grève ; paiement des salaires ; accord de fin de conflit ; faute de l'employeur. Lien bases : |
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