Réf. : Loi n° 2007-298 du 5 mars 2007 autorisant l'approbation du protocole n° 2 à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif à la coopération interterritoriale (N° Lexbase : L6036HU4)
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le 07 Octobre 2010
A. Le rôle du Conseil de l'Europe
La Convention-cadre de Madrid. Les collectivités infra-étatiques des Etats membres du Conseil de l'Europe sont représentées depuis 1957 au sein d'un "organe consultatif" : le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe (CPLRE) (2). Le CPLRE, soutenu par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a su sensibiliser le Comité des ministres, seul organe décisionnel, à la nécessité de déterminer un cadre juridique européen pour les relations frontalières. Cette dynamique a abouti à la rédaction de la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, ouverte à la signature à Madrid le 21 mai 1980 (3).
La France a signé la Convention de Madrid en 1982 et l'a ratifiée en 1983 (4). Le caractère peu normatif de ce Traité n'a pas manqué d'être relevé par les commentateurs (5), bien qu'il fût incontestablement la condition de son adoption. Les Etats l'ayant ratifiée se voient au moins contraints de lever leur éventuelle opposition de principe à la coopération transfrontalière. L'apport peut sembler minime, mais le progrès est symboliquement majeur (6). S'inspirant de la Convention de Madrid, la France a conclu des Traités avec ses voisins pour promouvoir et encadrer la coopération transfrontalière (7).
Le Protocole additionnel. L'absence de caractère opérationnel de la Convention de Madrid a abouti à la persistance d'obstacles juridiques dénoncée par une enquête menée en 1990-1991 par le Secrétariat du Conseil de l'Europe et, en 1991, par la Résolution 227 de la CPLRE. Le Comité des ministres a, en conséquence, décidé l'élaboration d'un Protocole additionnel à la Convention-cadre afin de renforcer la coopération transfrontalière. Le Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière a été ouvert à la signature le 9 novembre 1995.
La France a signé ce Protocole additionnel le 9 novembre 1995 et ne l'a ratifié que le 4 octobre 1999 (8). S'appuyant sur l'acquis de la Convention-cadre, le Protocole additionnel réaffirme plus clairement le droit à la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales et apporte des instruments juridiques aux relations entre partenaires infra-étatiques (9).
Le second Protocole additionnel. En 1993, le CPLRE, par sa Résolution 248 relative à la coopération interterritoriale, et les Chefs d'Etat et de Gouvernement, par leur Déclaration de Vienne du 9 octobre, engageaient le Conseil de l'Europe à élaborer un cadre juridique pour la coopération entre collectivités locales et régionales non contiguës. Les travaux du Comité directeur des autorités locales et régionales (CDLR) et de son comité restreint d'experts ont considéré l'analogie des problèmes soulevés par la coopération transfrontalière et la coopération interterritoriale. Le second Protocole additionnel a été élaboré par référence aux deux instruments juridiques existant en la matière : la Convention-cadre et le Protocole additionnel.
Le Protocole n° 2 a été ouvert à signature le 5 mai 1998. La France l'a signé le 20 mai 1998. Près de dix ans plus tard, elle vient, enfin, de ratifier ce Traité (10). Le projet de loi a été déposé en décembre 2005 (11), adopté par le Sénat le 27 juin 2006 et par l'Assemblée nationale le 22 février 2007 dans les derniers temps de la session parlementaire et de la XIIème législature.
B. La complexification des cadres normatifs
Un cadre juridique de droit interne. L'importance des délais développés par la France pour ratifier les protocoles additionnels est significative. La France, à la suite de la Convention-cadre, a développé son propre cadre juridique de droit interne pour l'action extérieure de ses collectivités territoriales, aujourd'hui codifié dans un chapitre du Code général des collectivités territoriales (12).
L'ensemble des collectivités et leurs groupements se voit reconnaître un droit de conclure des conventions avec des "autorités locales étrangères" (13), ce qui exclut une convention avec un Etat étranger (14). Hormis ce socle commun, les autres dispositions sont spécifiques, soit à la coopération transfrontalière (15), soit à la coopération décentralisée interne à l'Union européenne (16).
Ces dispositions normatives de source interne restent lacunaires et partielles pour la coopération opérationnelle. Nulle règle de conflit de lois ou de conflit de juridictions n'est envisagée. La capacité active ou la capacité passive (17) ne concerne qu'une part de la coopération décentralisée.
Des cadres juridiques de droit international ou communautaire. A ces dispositions s'ajoutent celles des Traités qui ont une valeur supérieure, en vertu de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L1320A9R).
D'abord, celles issues des Conventions internationales du Conseil de l'Europe (18), ensuite les Traités conclus avec certains Etats frontaliers (19), enfin des Traités conclus avec des Etats non frontaliers, principalement ou marginalement consacrés à la coopération décentralisée (20).
Enfin, le pouvoir normatif communautaire, après un encadrement financier par INTERREG, a élaboré un règlement relatif au "groupement européen de coopération territoriale" (21).
Des cadres différenciés. Ainsi, les textes du Conseil de l'Europe viennent encore complexifier le droit positif de la coopération décentralisée des collectivités territoriales françaises. La terminologie des différents textes n'apporte guère de clarté : "coopération décentralisée", "actions de coopération ou d'aide au développement", "coopération interrégionale" et "coopération transfrontalière" (22) ; "coopération transfrontalière" et "coopération inter-territoriale" (23), "coopération territoriale", "coopération transfrontalière transnationale et/ou interrégionale" (24).
Les règles applicables seront déterminées eu égard à plusieurs critères : selon la nationalité du partenaire étranger de la collectivité française (ou du groupement) (25), selon le type de coopération envisagée (26).
II. Une coopération interterritoriale régulée
A. L'apport du Protocole n° 2
Un impact limité du second Protocole additionnel. L'observateur peu initié risque de s'égarer entre les différents cadres applicables et de conférer plus d'importance à certains textes. Déjà le premier Protocole additionnel ne présente guère d'intérêt pour la coopération transfrontalière des collectivités françaises : les Etats frontaliers ont soit conclu un Traité avec la France qui se substitue à ce texte européen (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Luxembourg, Suisse), soit n'ont ni signé, ni ratifié le Protocole (Royaume-Uni, Andorre).
Le second Protocole présente un impact aussi limité puisque le Règlement (CE) n° 1082/2006 (N° Lexbase : L4526HKT) offre déjà un cadre pour la coopération interterritoriale entre partenaires des Etats membres de l'Union européenne. De plus, le nombre d'Etats ayant à ce jour ratifié le second Protocole additionnel reste limité (27).
Une coopération interterritoriale. L'objet du second Protocole est défini négativement par rapport à la coopération transfrontalière de la Convention-cadre et au Protocole additionnel : "Est considérée en effet comme coopération interterritoriale toute concertation entre collectivités territoriales qui n'est pas qualifiée comme transfrontalière par la Convention-cadre et son Protocole additionnel" (28). Cette coopération consiste en une concertation pour établir des rapports entre collectivités ou autorités territoriales de deux ou plusieurs Etats parties.
Une coopération interterritoriale mutatis mutandis comme la coopération transfrontalière. Le Protocole n° 2 affirme clairement la reconnaissance d'un droit pour les collectivités ou autorités territoriales d'entretenir des rapports et de conclure des accords de coopération. Pour le reste, il renvoie à la Convention-cadre et au Protocole additionnel que les Etats parties appliqueront mutatis mutandis. Cela signifie que le terme "coopération transfrontalière" doit se lire comme "coopération interterritoriale". L'application du Protocole n° 2 se fera, donc, par renvoi au contenu des textes antérieurs, ce qui ne manque pas d'introduire une certaine complexité (29).
B. L'application du Protocole n° 2
La coopération conventionnelle. Les partenaires peuvent décider de mettre en oeuvre leur coopération dans le cadre d'une convention uniquement. Dans ce cas, la mise en oeuvre des décisions repose exclusivement sur les collectivités parties à l'accord (30). Les décisions prises dans le cadre d'une convention n'ont pas ex lege une valeur ou des effets juridiques, mais doivent faire l'objet d'une transposition dans l'ordre juridique national des partenaires. L'acte de transposition fait, alors, l'objet d'une décision nouvelle au sein des instances de chaque partenaire (31).
Les textes du Conseil de l'Europe restent silencieux sur le droit applicable à la Convention de coopération (32). Les conventions ne définissent pas le droit applicable aux obligations qu'elles contiennent, pas plus qu'elles ne désignent la juridiction compétente en cas de litige sur le respect de ces obligations. Pourtant, la transposition est une obligation juridique, au risque d'engager la responsabilité du partenaire défaillant. Ces lacunes rendent le dispositif juridique archaïque. L'intérêt principal réside dans l'organisme de coopération.
La coopération institutionnelle. Le Protocole n° 2 permet, ainsi, la création d'un organisme de coopération par un accord de coopération interterritoriale. Il est doté, ou non, de la personnalité juridique (33).
La création d'un organisme sans personnalité ne présente guère d'intérêt pratique mais peut avoir un effet symbolique. Pourtant, cette absence d'effet juridique rend une telle création ouverte à toute collectivité territoriale, sans nécessité qu'un texte le permette expressément.
L'organisme disposant de personnalité juridique permet à des partenaires français de faire partie d'un groupement étranger ou d'accueillir des partenaires étrangers dans une structure nationale. La France a opté, comme pour le Protocole additionnel, pour l'organisme mononational (34). Sa personnalité juridique est déterminée par l'ordre juridique du lieu du siège de l'organisme, et seulement celui-là. La juridiction compétente en cas de litige sera celle compétente en vertu du droit de l'Etat du siège. L'organisme peut être de droit privé ou public mais ne peut se constituer que conformément à des formes juridiques définies par les droits nationaux.
La participation des partenaires français. Le Protocole n° 2 permet aux collectivités françaises d'adhérer à des organismes de droit étranger dans le cadre de la coopération interterritoriale (capacité active) alors que le droit français restreignait cette possibilité à la seule coopération transfrontalière (35). La condition de l'autorisation par arrêté du préfet de région semble devoir perdurer.
Les organismes de coopération basés en France. Le droit français permet la participation de collectivités territoriales étrangères et de leurs groupements au capital de sociétés d'économie mixte locale (SEML) (36). La condition d'un accord préalable avec les Etats concernés, s'ils ne sont pas membres de l'Union européenne, apparaît satisfaite par le Protocole n° 2.
Les groupements d'intérêt public (GIP) (37) restent circonscrits à une coopération au sein de l'Union européenne tandis que les districts européens (38) demeurent consacrés à la coopération transfrontalière. Le GECT reste également limité à l'Union européenne.
Ainsi, l'application du Protocole n° 2 risque de se heurter à des difficultés de mise en oeuvre, faute d'un droit français suffisamment "accueillant". Notons, néanmoins, que de tels organismes ont déjà pu emprunter la forme associative, ainsi en est-il de la Conférence des régions périphériques maritimes (CRPM) depuis 1973 !
Nicolas Wismer
Collaborateur juridique à des associations de collectivités territoriales
Chargé d'enseignement en droit public à l'IEP de Lyon
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