La lettre juridique n°259 du 10 mai 2007 : Droit financier

[Textes] L'ordonnance du 12 avril 2007 : nouvelle articulation des marchés financiers

Réf. : Ordonnance, 12 avril 2007, n° 2007-544, relative aux marchés d'instruments financiers (N° Lexbase : L9551HUB)

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N0514BBN

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le 07 Octobre 2010

"Pour créer un marché il faut inventer un problème, puis trouver sa solution". Cette phrase de l'humoriste Scott Adams (1) s'applique si bien à la situation que le législateur a créé, depuis une dizaine d'années, à propos de l'organisation des opérations boursières, qu'elle pourrait figurer en marge de l'ordonnance du 12 avril 2007. Cette dernière, qui vient d'être édictée afin de transposer la Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil (Directive 2004/39, du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers N° Lexbase : L2056DYS) (2), met, en effet, en lumière, dans son volet relatif aux marchés d'instruments financiers, une organisation nouvelle, qui devrait, en principe, parachever la structuration des marchés financiers européens entamée en 1993. La transposition ultérieure de la nouvelle Directive est actuellement en cours. La modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers viendra, ainsi, compléter le travail législatif et, très certainement, le préciser de façon plus que significative. Ceci contraint, pour l'instant, à limiter l'analyse de l'ordonnance à la partie de ses dispositions concernant l'articulation des marchés car ce volet est de la compétence exclusive du législateur. Elle démontre, d'ores et déjà, que le passage d'un régime boursier à un régime de marchés financiers est très complexe (I) et que les évolutions réalisées n'excluent pas de nouvelles mutations, alors que le législateur semble encore hésiter entre contrôle étroit et laisser-faire (II).

I - La complexité du passage de la Bourse aux marchés

Les règles de droit, relatives aux marchés financiers, sont incontestablement marquées par l'ambiguïté : d'une part, elles tentent d'anticiper l'évolution financière, notamment par le biais de l'harmonisation communautaire (A) alors que, d'autre part, le socle du droit boursier s'est constitué sur la base d'une reconnaissance empirique (B) du fonctionnement des marchés.

A - La notion de marché confrontée à l'harmonisation communautaire

La Bourse, service public : telle est l'analyse juridique traditionnelle que la doctrine et la jurisprudence maintiendront, depuis l'époque napoléonienne jusqu'à nos jours. La transformation de la Bourse en des marchés financiers, en effet, ne date que de l'édiction de la loi de modernisation des activités financières du 2 juillet 1996 (loi "MAF") (3). Cette dernière, en transposant la Directive sectorielle du 10 mai 1993, sur les services d'investissement ("DSI") (4), placera le fonctionnement des opérations financières sous l'égide de l'article 52 du Traité de Rome (5) et, en imposant aux Etats membres le respect des principes de libre prestation de service (6) et de liberté d'établissement, exclura implicitement toute référence au service public. L'encadrement des opérations ne se fera plus dans le cadre d'une Bourse mais sous l'égide de marchés dont la création et la gestion relèveront de l'activité d'entreprises privées.

On ne pourra que constater, avec le recul, que ce que le législateur communautaire s'était empressé de détruire, n'avait pu être rebâti. On a substitué les marchés à la Bourse sans se préoccuper de définir lesdits marchés, non plus que d'en préciser la nature ou leur éventuelle typologie. Les textes ont, d'ailleurs, été conçus de façon tellement laconique -comme nous l'avons déjà souligné dans ces colonnes (7)- que les indications qu'ils fournissaient originellement peuvent être résumés en deux points :
- s'agissant de la "DSI" : les marchés réglementés sont ceux qui garantissent un fonctionnement régulier des opérations encadrées par des règles de marché approuvées par une autorité publique ;
- s'agissant de la loi "MAF" : les relations qui s'établissent entre l'entreprise de marché, chargée d'organiser le fonctionnement des opérations et les membres de ce marché sont de nature contractuelle.

L'organisation des marchés reposait ainsi, à l'époque, sur un certain nombre de non-dits, dont on savait déjà qu'ils étaient le résultat d'un compromis entre Etats membres. Au risque de déboucher sur une simplification abusive, le schéma, tel qu'il était imaginé, était de faire des marchés de gré à gré, fonctionnant exclusivement sous l'égide de la loi des parties, les marchés de droit commun, les marchés réglementés constituant l'exception. La création de ces derniers étant -en principe- exclusivement justifiée par des considérations relevant de la protection de l'épargne publique, et le droit interne affirmait, enfin, pour rejeter toute relation avec l'ancien régime d'encadrement public des marchés, que seul un régime contractuel pouvait être appliqué aux opérateurs financiers.

Restaient, ainsi, en suspens un certain nombre de questions. En premier lieu, celle de l'organisation des marchés de gré à gré. La logique suggérait, en effet, que si des opérations isolées pouvaient être réalisées sur la base des seules conditions contractuelles imaginées par les parties, il ne saurait en être de même pour des transactions réalisées de façon systématique dans un cadre juridique et/ou technique proposé par un tiers. La réponse à cette question était d'autant plus importante pour les opérateurs que l'absence de régime applicable ne permettait pas de mesurer les obligations pesant sur les investisseurs et les sociétés cotées, qu'il s'agisse de contraintes en matière d'information, de respect des règles de marché, de fixation de prix et, en règle générale, de toute sujétion susceptible d'être applicable afin de garantir un déroulement régulier des négociations.

En second lieu, se posait le problème de la valeur normative des règles éventuellement établies sur ces marchés censés être gouvernés exclusivement par des règles contractuelles. L'édiction de la Directive "Marchés d'instruments financiers" est venue répondre à cette préoccupation, notamment, en revenant à une analyse plus pragmatique de l'articulation entre les différentes catégories de marché. L'ordonnance du 12 avril dernier, en transposant une partie des dispositions du nouveau texte communautaire fixe, ainsi, une nouvelle trame sur la pertinence de laquelle on peut, toutefois, s'interroger.

B - L'approche empirique de la notion de marché face aux dispositions de l'ordonnance

Le point a été souligné de façon liminaire : les marchés ont toujours été reconnus par le droit avec retard, le législateur ayant toujours fondé son analyse sur des constats empiriques, jugulant peu à peu certaines pratiques et conférant progressivement une forme particulière de statut à des structures plus ou moins informelles. Historiquement, ce mouvement de reconnaissance a, ainsi, débuté pour limiter la pratique des opérations hors séance de bourse, ce que l'on appelait, à l'origine, le marché "de la coulisse", mis en place par les préposés des agents de change. Donc, avant de s'imaginer investi d'un pouvoir de réglementation, le législateur a dû reconsidérer la notion de "Bourse", et penser une réglementation de police pour les fameux "marchés". Un second mouvement de reconnaissance, particulièrement important, a consisté, ultérieurement, à analyser certains marchés comme des structures hybrides, aux confins du public et du privé, notamment à propos du hors-cote, décrit par la doctrine comme étant un marché "organisé".

On peut, ainsi, affirmer, notamment parce que le même mécanisme a pu être constaté dans d'autres ordres juridiques, que le droit en vient progressivement à dégager le principe d'une structuration des opérations financières autour d'un régime triptyque. Un premier bloc de marchés est placé sous tutelle publique, tutelle qui est matérialisée par le contrôle étroit d'une autorité de marché, les opérations étant encadrées par une réglementation. Un deuxième bloc est constitué par des marchés "organisés" (8), c'est-à-dire disposant de règles de fonctionnement mais se trouvant libre de toute tutelle directe. Un troisième bloc, dit de gré à gré, est placé, lui, sous le régime de la liberté contractuelle.

Avant la transposition de la première version de la Directive sur les instruments financiers, l'articulation des marchés avait pu, ainsi, être présentée par Monsieur le Sénateur Marini à l'occasion de son rapport au Sénat (9), comme reposant sur l'application de deux critères : l'existence d'une autorité de marché et celle d'une réglementation des opérations. Ainsi, on devrait distinguer, en premier lieu, des marchés (réglementés dans la "DSI") placés sous la tutelle de l'Etat et dont la caractéristique était de disposer d'une autorité de marché et d'une réglementation publique ; en deuxième lieu, les marchés organisés (10), dépourvus d'autorité de marché mais encadrés par une réglementation publique ou privée ; et, en troisième lieu, les marchés de gré à gré dépourvus d'autorité et de réglementation.

Cette présentation, fondée autant sur l'observation que sur la logique, ne correspondait pas, toutefois, aux prescriptions de la "DSI" qui, en raison des difficultés à dégager une solution harmonisée au plan européen, ne proposait qu'une conception minimaliste. Elle n'évoquait, en effet, que l'existence de marchés "réglementés", savoir ceux qui correspondaient aux marchés français anciennement attachés au service public de la Bourse. Ces derniers étaient définis comme ceux qui, selon les dispositions de l'article 1er, alinéa 13, de la Directive sur les services d'investissement (11) (C. mon. fin, art. L. 421-1 N° Lexbase : L2568DKC) qui subordonnent, sur la forme, leur existence à la reconnaissance d'un statut accordé par voie administrative (12), alors que, sur le fond, cette reconnaissance répond à la réunion de deux séries de critères. La première requiert un fonctionnement régulier des transactions et subordonne la reconnaissance à l'instauration de cotations régulières dont la périodicité est établie par des règles.

La seconde série de conditions renvoie à l'instauration de règles de marché obligatoires, les dispositions relatives à l'accès aux opérations au fonctionnement ainsi qu'à l'information sur les opérations devant se trouver établies par une entreprise de marché.

C'est ainsi que la transposition de la "DSI" s'étant réalisée sur un socle trop étroit, la définition légale des marchés s'est trouvée inopérante face au foisonnement de nouvelles structures. La première conséquence de cette représentation duale des marchés, a été d'entraîner la disparition du marché hors-cote. Pourtant, cette suppression était à peine réalisée que des structures d'encadrement des opérations réapparaissaient déjà afin de répondre aux besoins de financement de sociétés moyennes, voire à des besoins plus spécifiques liés, par exemple à la nature technologique de certaines activités. Enfin, la doctrine n'avait pas manqué de souligner que l'évolution technique allait impérativement faire apparaître des techniques boursières inconnues jusqu'alors, organisées autour de plate-formes électroniques de négociation, dont les structures juridiques de la "DSI" s'avéraient a priori impuissantes à régler le sort.

La Directive sur les marchés d'instruments financiers (Directive "MIF"), qui est à l'origine de la transposition de l'ordonnance, est, ainsi, venue restaurer, à défaut d'une typologie, un encadrement juridique plus cohérent pour les marchés. Nous renverrons, pour une meilleure compréhension des enjeux de ce texte à d'autres réflexions (13), tout en soulignant, toutefois, le pivot de la réforme que la Directive annonçait : la prise en considération de nouvelles techniques boursières avec la possibilité offerte, dans tous les Etats membres de l'Union européenne, de réaliser "l'internalisation", par les banques et les entreprises d'investissement, des ordres d'achat ou de vente d'actions passés par leur clientèle, c'est-à-dire le traitement de ces ordres en dehors des marchés réglementés. Toute la question restait de savoir si ce phénomène d'internalisation pouvait, ou non, déboucher sur la constitution de marché et de leur reconnaissance ultérieure par le droit.

L'ordonnance du 12 avril répond à cette interrogation en proposant une nouvelle approche des marchés. D'une part, elle donne une véritable définition des marchés réglementés et, d'autre part, elle confère un statut particulier aux systèmes multilatéraux de négociation. Quant à la dernière innovation, la plus importante sans doute, elle concerne l'instauration d'un cadre juridique pour les transactions internalisées. L'ordonnance établit, ainsi, ce que l'on peut estimer constituer l'organisation future du contrôle des marchés.

II - L'organisation future des marchés, entre contrôle et laisser-faire

Evoquer le terme de "marché" pour décrire l'organisation issue de l'ordonnance du 12 avril 2007 est inexact, sinon abusif, dans la mesure où le texte tente, précisément, de contourner l'écueil que constitue la mise en place d'une typologie claire des marchés. Toutefois, ce constat doit être tempéré. D'un côté, en effet, le marché réglementé est, désormais, parfaitement défini (A), alors que l'imprécision demeure en matière de gré à gré (B).

A - Une redéfinition précise des marchés réglementés

Largement appelée de ses voeux par une partie de la doctrine, c'est une véritable définition des marchés financiers qui nous est aujourd'hui proposée par l'ordonnance. Ainsi, l'article 4-1, 14, de la Directive, transposé à l'article L. 421-1 du Code monétaire et financier dispose, maintenant, qu'il s'agit d'"un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre, en son sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers sur des instruments financiers, d'une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur des instruments financiers admis à la négociation dans le cadre de ses règles et systèmes, et qui fonctionne régulièrement conformément aux dispositions qui lui sont applicables".

On retrouve donc, dans cette définition, certains des éléments qui figuraient dans les textes originaux : le marché est d'un fonctionnement régulier et ce fonctionnement est régi par des règles de marché. Toutefois, d'autres critères apparaissent :
- le marché est un système multilatéral de négociation ;
- ce système assure ou facilite la rencontre des intérêts vendeurs et acheteurs sur des instruments financiers ;
- ces intérêts sont exprimés par des tiers (autrement dit, les marchés réglementés sont soumis à une forme ou une autre d'intermédiation).

En soi, toutefois, ces caractéristiques pourraient être celles de marchés privés, soumis à des règles de compensation multilatérales et intermédiées. En effet, le fonctionnement de marchés privés, tel le marché Alternext, décrit dans ses textes fondateurs comme un "système multilatéral de négociation organisé" (14) -voire le "Nouveau marché", qu'il était destiné à remplacer- auraient aussi bien pu prétendre à rentrer, dans une certaine mesure, dans le cadre de cette définition.

Nous nous étions, à ce titre, déjà posé la question de savoir si la dénomination de "système", en remplacement de celle de "marché", emportait une signification juridique particulière et, notamment, si elle permettait à ce type d'organisation de s'affranchir de l'application de certaines règles boursières, voire d'une partie de la tutelle de l'autorité de marché. A l'époque, nous avions choisi de considérer que ces systèmes pouvaient véritablement prétendre à la qualification de marché (15), même si le législateur faisait montre, à ce propos, de la plus grande circonspection. Aujourd'hui, les textes confirment expressément l'assimilation technique de la notion juridique de marché avec celle de système : le marché réglementé est un "système multilatéral", ce qui permet d'affirmer que tous les systèmes permettant, au moyen de toute forme d'intermédiation, d'assurer ou de faciliter la rencontre d'intérêts acheteurs et d'intérêts vendeurs sont, au plan technique, des marchés.

Comment différencier, alors, les marchés réglementés des autres marchés ? L'essentiel tient à un ensemble de formalités administratives permettant d'affirmer la tutelle publique sur l'organisation des opérations. Sur ce point, le renvoi à la Directive est particulièrement explicite puisque le texte établit en son article 36-1, alinéa 1, que "les Etats membres réservent l'agrément en tant que marché réglementé aux systèmes qui se conforment aux dispositions du présent titre. L'agrément en tant que marché réglementé n'est délivré que lorsque l'autorité compétente s'est assurée que l'opérateur de marché et les systèmes du marché réglementé satisfont au moins aux exigences visées dans le présent titre".

La transposition de ces différentes exigences donne, en l'espèce, la confirmation éclatante de ce qu'avaient pu souligner MM de Vauplane et Bornet avant même la transposition de la première Directive en 1996, à savoir que la reconnaissance de la qualité de marché réglementé relevait davantage de l'octroi d'un label octroyé en fonction d'un "cahier des charges" (16) plutôt que de l'application rigoureuse de critères purement techniques.

Ainsi, l'ordonnance prévoit, reconduisant en cela la plupart des dispositions qui figuraient déjà dans le Code monétaire et financier (C. mon. fin., art. L. 421-10), que l'entreprise de marché établit les règles du marché qui, aux termes de l'article L. 421-17, établissent le fonctionnement du marché. Si, par ailleurs, les conditions d'honorabilité des dirigeants et d'organisation sont respectées, et vérifiées par l'Autorité des marchés financiers, dans les conditions et selon les dispositions de l'article L. 421-7 du Code monétaire et financier, alors, le marché peut être considéré comme un marché réglementé. Sa reconnaissance ne devient définitive qu'après que cette dernière soit "décidée par arrêté du ministre chargé de l'Economie sur proposition de l'Autorité des marchés financiers" (C. mon. fin., art. L. 421-4).

Ainsi, les divisions traditionnelles, avec leur typologie triptyque, aussi bien que les premières divisions communautaires, basées sur un diptyque volent apparemment en éclats. Un marché peut présenter toutes les caractéristiques techniques et financières (intermédiation obligatoire, compensation multilatérale ou règles impératives) d'un marché réglementé, mais ne pas pouvoir prétendre à cette qualité, soit parce que la reconnaissance administrative n'a pas été requise par le gestionnaire de ce marché, soit parce que cette qualité lui a été retirée.

Ce point, qui ne peut plus être contesté depuis que le marché réglementé est décrit, à l'instar de ses homologues comme un "système", ne doit, toutefois, pas occulter le fait que si la nature des marchés peut éventuellement être similaire au plan technique, les aspects juridiques diffèrent sensiblement entre les structures qui sont dites "réglementées" et celles qui ne le sont pas. Au plan du droit public, d'abord -comme on vient de le souligner- mais, également, au plan des règles de marché. L'ordonnance, sans en changer le régime en donne, en effet, les caractéristiques en des termes qui étaient, jusque-là encore, inconnus du droit des marchés financiers. Le texte de l'article L. 421-10 nouveau qui vient d'être cité ajoute à l'ancien texte, une série de considérations qui portent, d'abord, sur la nature des règles. Elles soulignent, de la sorte, leur caractère "transparent(es)", "non discrétionnaires", qui assurent une "négociation équitable et ordonnée" et fixent des "critères objectifs en vue de l'exécution efficace des ordres" (les anciennes dispositions n'étant pas abrogées). Ainsi, l'ordonnance introduit de nouvelles techniques d'appréciation de la règle de marché auxquelles notre tradition juridique ne semble pas accoutumée. Comment interpréter ces dispositions qui rappellent les techniques de soft law, ce qu'on l'on appelle, parfois, le droit mou dont l'apparition récente perturbe la perception que le droit français se fait de la règle juridique ? Il semble que l'introduction de ces termes dans la Directive révèle, davantage, le souci de permettre à l'autorité de marché nationale d'approfondir son contrôle dans l'hypothèse où la valeur normative de la règle de droit ne serait pas certaine. En effet, dans d'autres ordres juridiques, les règles de marché ne sont pas des règles de droit, au sens où on l'entend traditionnellement dans le droit romano-germanique, mais l'équivalent de simples guides de comportement qui doivent, soit être approuvés par les membres des marchés, soit faire l'objet d'une adhésion. On comprend, ainsi, que la règle, apparemment de nature contractuelle, -bien que certains auteurs laissent entendre que, par exemple, en Allemagne, lesdites prescriptions sont de nature hybride (17)- doivent faire l'objet d'un contrôle permettant de lui ôter tout caractère subjectif et, surtout, d'éviter qu'une règle contractuelle puisse être négociée par les parties. On soulignera, à cette occasion, que les textes français ne sont pas, eux non plus, dépourvus d'ambiguïté puisque l'ordonnance reprend intégralement la mesure phare de la loi "MAF", mesure qui a eu pour objectif de rompre avec la tradition de service public boursier en disposant que "les relations entre le membre d'un marché et une entreprise de marché sont de nature contractuelles".

Le même article, ensuite, semble introduire la possibilité de réaliser un contrôle d'opportunité sur l'édiction de la règle par l'autorité de marché. L'article L. 421-10 nouveau établit, en effet, que "ces règles sont approuvées par l'Autorité des marchés financiers, qui vérifie leur conformité aux dispositions législatives et réglementaires applicables, ainsi que leur caractère proportionné aux objectifs poursuivis".

Ainsi, on peut en conclure que la différence essentielle entre les marchés réglementés et le gré à gré tient à cette reconnaissance juridique : statutaire, d'une part, avec ce phénomène de labellisation évoqué auparavant et juridique, d'autre part, avec l'édiction d'une règle de nature spécifique reconnue et contrôlée par l'autorité de marché.

B - L'imprécision en matière de marché de gré à gré

En 1993, l'axe fondamental de la "DSI" consistait à structurer les marchés dans le respect de deux intérêts contradictoires : la protection de l'investisseur, matérialisée par l'existence de marchés réglementés et l'allègement des modalités de financement des entreprises que justifiait le régime de liberté contractuelle des marchés de gré à gré. Or, outre cette structuration, explicite et institutionnalisée dans les textes communautaires, une autre logique apparaît, qui tient à l'évolution des obligations déclaratives des sociétés cotées.

En effet, au-delà des marchés réglementés (anciennement publics) existent des marchés dits "organisés", censés, selon la summa divisio imposée par la "DSI", n'être soumis qu'à la loi des parties. On sait, toutefois, que si les sociétés appellent de leurs voeux des techniques de financement souples fondées sur des mécanismes contractuels, elles n'en sont pas moins avides de sécurité. C'est le cas, notamment, pour les petites entreprises qui s'introduisent sur les marchés réservés aux valeurs de croissance et qui ne peuvent prétendre garantir aux opérateurs un volume régulier de transactions, non plus que de supporter les coûts des marchés réglementés. Traditionnellement, les marchés organisés étaient constitués, précisément pour offrir la possibilité à ce type de sociétés de lever des capitaux dans un cadre réglementaire sécurisant et à des coûts raisonnables compte tenu de la taille des entreprises considérées. Par ailleurs -et ce sera sans doute la critique la plus sérieuse que nous adresserons à la structuration binaire des marchés-, ces marchés hybrides sont d'autant plus indispensables qu'ils représentent des structures de transition pour les marchés réglementés, qu'il s'agisse de permettre à des entreprises en croissance d'y entrer, ou de leur permettre d'en sortir sans perturbation notable pour les investisseurs.

A cette justification traditionnelle, s'en ajoute, désormais, une autre, tout aussi importante, qui tient à l'augmentation drastique des obligations déclaratives des sociétés dont les valeurs sont admises à négociation sur les marchés réglementés. En effet, les exigences liées à l'introduction de la gouvernance dans les sociétés ont entraîné une inflation du contrôle des actionnaires et du marché sur la direction de la société. Ce contrôle, toutefois, introduit des surcoûts non négligeables. Partant, bien que les textes ajoutent des obligations déclaratives en deux strates : la première relative aux sociétés faisant appel public à l'épargne, la seconde aux sociétés dont les titres sont admis à négociation sur les marchés réglementés ; la cotation sur ces derniers entraîne des sujétions tellement importantes que la question du coût du financement risque de se poser de plus en plus souvent à l'avenir. Il semble, donc, que la tendance à la multiplication et au renforcement des marchés organisés imposerait, en toute hypothèse, que ces derniers se voient reconnaître un statut spécifique, notamment lorsque ces marchés sont intermédiés, disposent d'une réglementation coercitive et font l'objet d'un contrôle, même amoindri par l'autorité de marché.

Pourtant, l'ordonnance reconnaît, sous une certaine forme, l'existence de structures hybrides puisqu'elle confère, pour la première fois, un statut aux systèmes multilatéraux de négociations, les définissant à l'article L. 424-1 du Code monétaire et financier comme étant des "système(s) qui, sans avoir la qualité de marché réglementé, assure(nt) la rencontre, en son (leur) sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimées par des tiers sur des instruments financiers, de manière à conclure des transactions sur ces instruments [...]". On mesure, ainsi, l'homogénéité de définition avec les marchés réglementés : les systèmes multilatéraux de négociation sont des marchés qui ne sont pas réglementés même si leur fonctionnement peut y être étroitement comparé. Quant à la distinction traditionnelle, qui voyait dans les marchés organisés des marchés dotés d'une réglementation mais dépourvus d'autorité, celle-ci deviendra sans doute une référence purement historique. En effet, le nouveau texte (à l'alinéa 2 de l'article L. 424-2) précise expressément que l'Autorité de marché financier exerce un contrôle sur les règles élaborées pour le marché, puisqu'elle est en droit "de s'opposer à leur mise en application si elle estime que ces règles ne sont pas compatibles avec les dispositions du présent chapitre" (le chapitre IV concernant les systèmes multilatéraux). Si l'on ajoute que la mission de l'AMF emporte protection de l'épargne publique, l'existence d'un contrôle ne peut être niée, même s'il s'exerce de façon indirecte.

On se trouve, alors, devant une situation nouvelle qui risque de poser des problèmes inédits car, à la différence de l'ancienne représentation des structures boursières, on note une grande proximité de nature entre les systèmes multilatéraux de négociation et les marchés réglementés. Cette proximité va-t-elle déboucher, à terme, sur un contrôle de l'autorité de marché plus étroit que celui qui existait avant l'édiction de la loi "MAF" ? Tout laisse à le penser, même s'il faut, pour l'affirmer, attendre la rénovation du règlement général de l'autorité qui n'est pas encore réalisée à l'heure actuelle. Dans ce cas, pourquoi avoir refusé la qualité de marché à ces systèmes ? Ce sont sans doute les ambiguïtés initiales de la "DSI", imparfaite et première Directive financière, qui a été à la source de cette confusion.

Pour conclure, avec la reconnaissance, enfin, des "internalisateurs" systématiques, l'ordonnance rompt, cette fois définitivement, avec les notions traditionnelles de marché. Ces derniers sont, en effet, décrits, aux termes de l'article L. 425-1 du Code monétaire et financier, comme un "prestataire de services d'investissement qui, de façon organisée, fréquente et systématique, négocie pour compte propre en exécutant les ordres de ses clients en dehors d'un marché réglementé ou d'un système multilatéral de négociation". Mécanisme essentiellement destiné à permettre aux établissements bancaires d'internaliser des transactions, le procédé qui a fait l'objet d'une présentation plus détaillée dans ces colonnes (18) exclut en principe toute qualification de marché. Peut-il, pour autant, être réduit à une simple opération de gré à gré ? Nous ne le pensons pas : dans l'esprit du législateur de la "DSI", le gré à gré supposait une transaction débattue librement entre les parties. Or, il n'en est rien ici, puisque le prestataire organise l'opération pour ses clients et, qu'au surplus, le texte reconnaît expressément la faculté pour ces systèmes de réaliser des négociations, terme qui est notoirement réservé aux opérations réalisées sur les marchés.

L'ordonnance dessine donc, désormais, une nouvelle structure dont la pertinence sera à justifier. A coté des marchés réglementés qui ont un statut incontestable, les autres systèmes seront sans doute amenés à évoluer dans un cadre juridique qui, il faut le souhaiter, puisse évoluer avec davantage de clarté.

Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) Dilbert, Random Acts of management, Boxtree, 2001.
(2) Cette transposition a, par ailleurs, été réalisée en considération d'autres textes : les Directives 85/611/CEE (Directive 85/611 du Conseil, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières N° Lexbase : L9653AU3) et 93/6/CEE (Directive 93/6 du Conseil, du 15 mars 1993, sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit N° Lexbase : L7474AUD), ainsi que la Directive 2006/73/CE (Directive 2006/73 de la Commission, du 10 août 2006, portant mesures d'exécution de la Directive 2004/39N° Lexbase : L7471HKW).
(3) Loi n° 96-597, du 2 juillet 1996, de modernisation des activités financières (N° Lexbase : L2263G8C).
(4) Directive 93/22 du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières (N° Lexbase : L7726AUP), voir H. Synvet, La directive "services d'investissement", première lecture, Bull. Joly bourse et produits financiers, 1993, p. 547 ; H. de Vauplane, J.-P. Bornet, Marchés financiers : le défi de la transposition de la DSI, Bull. Joly Bourse et produits financiers, mars-avril 1996, p. 95.
(5) 28ème considérant de l'exposé des motifs de la Directive sur les services d'investissement.
(6) 1er considérant de l'exposé des motifs de la Directive sur les services d'investissement.
(7) J.-B. Lenhof, Marchés boursiers et marchés financiers : du Palais Brongniart à Euronext, Lexbase Hebdo n° 25 du 30 mai 2002 - édition affaires (N° Lexbase : N2980AAM).
(8) S. Amadou, Bourse d'hier et de demain : brèves réflexions sur l'évolution des incertitudes sémantiques et juridiques relatives à la notion de marché, in Mélanges AEDBF-France, 1997, dir. H. de Vauplane et J.-P. Mattout, Banque éditeur, 1997 p. 13, K. Medjaoui, Les marchés à terme dérivés et organisés d'instruments financiers, LGDJ, 1996, préf. C. Gavalda (n° 369 à 384).
(9) Rapport n° 254 du sénateur Marini, déposé le 6 mars 1996, sur le projet de loi de modernisation des activités financières, p. 11.
(10) Ibid, op. cit., loc. cit., p. 16.
(11) J.-G. d'Hérouville, Les marchés réglementés et de gré à gré, La modernisation des activités financières, dir. Th. Bonneau, éd. Joly, 1996, n ° 80.
(12) H. de Vauplane, S. Amadou, Marchés boursiers réglementés et marchés de gré à gré, Dictionnaire Joly Bourse et produits financiers, n° 18.
(13) J.-B. Lenhof, Aspects de l'adoption de la réforme de la directive sur les services d'investissement : l'avancée du secteur bancaire dans le cadre de la réorganisation des marchés, Lexbase Hebdo n° 119 du 6 mai 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N1499AB7).
(14) G. Hippolyte, Alternext : une nouvelle possibilité de financement par le marché boursier pour les sociétés de croissance, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4676AIZ).
(15) J.-B. Lenhof, Alternext, marché organisé : vers un nouveau "syndrome du hors cote" ?, Lexbase Hebdo n° 175 du 7 juillet 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6336AII)
(16) H. de Vauplane, S. Amadou, Marchés boursiers réglementés et marchés de gré à gré, op. cit., n° 23.
(17) A. Pezard, G. Eliet, Droit et déontologie des activités financières en Allemagne, Montchrestien 1999, n° 50.
(18) J.-B. Lenhof, Aspects de l'adoption de la réforme de la directive sur les services d'investissement : l'avancée du secteur bancaire dans le cadre de la réorganisation des marchés, préc..

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