Lexbase Droit privé n°527 du 16 mai 2013

Lexbase Droit privé - Édition n°527

Baux d'habitation

[Brèves] Le désordre des lieux loués, cause de résiliation judiciaire du bail ?

Réf. : CA Paris, Pôle 4, 4ème ch., 9 avril 2013, n° 11/02633 (N° Lexbase : A7987KBG)

Lecture: 2 min

N7057BTK

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Le 22 Mai 2013

Dans un arrêt rendu le 9 avril 2013, la cour d'appel de Paris a débouté un bailleur ayant demandé la résiliation judiciaire du bail à raison de l'encombrement "invraisemblable" du studio loué (CA Paris, Pôle 4, 4ème ch., 9 avril 2013, n° 11/02633 N° Lexbase : A7987KBG). En l'espèce, après avoir rappelé que, conformément aux dispositions de l'article 1728 du Code civil (N° Lexbase : L1850AB7), le locataire doit user paisiblement des lieux loués et suivant la destination donnée par le bail, le bailleur reprochait à son locataire de ne pas occuper le studio loué et d'en avoir fait un dépôt dans lequel il stockait des objets les plus hétéroclites, soutenant, d'une part, qu'il existait manifestement un risque d'incendie, compte tenu de l'entassement des papiers et des plastics inflammables, d'autre part, que le poids des objets entreposés risquait également d'entraîner une surcharge du plancher et des dégâts de la structure de l'immeuble, enfin que le logement n'était pas effectivement habité par le locataire, et que l'encombrement "invraisemblable" des lieux rendait impossible leur entretien et notamment le passage des entreprises spécialisées dans la lutte contre les nuisibles. Mais, selon la cour, le locataire établissait que les lieux, d'une superficie de 17 m² étaient certes très encombrés, notamment par la présence de nombreux livres, mais comportait une banquette transformable en lit, qu'il justifiait également y habiter personnellement par les factures d'électricité et les attestations d'assurances ; il prouvait également que la société spécialisée dans la lutte contre les nuisibles avait pu avoir accès à l'appartement et avait porté sur le bon d'intervention la mention "Rien à faire", que la seule appréciation du cabinet de notaires quant aux désordres qui "risquaient" d'apparaître au niveau du plancher n'était corroboré par aucun autre élément, s'agissant de la sécurité de l'immeuble, que par ailleurs, le bailleur, qui reconnaissait la nécessité d'effectuer des travaux dans les lieux à la suite d'un dégât des eaux, ne prouvait pas que le locataire s'était opposé à l'intervention d'une entreprise à cette fin ; ainsi, selon la cour d'appel, le fait pour le locataire de disposer d'objets nécessaires à la vie courante, voire superflus, et de nombreux livres dans un studio d'une superficie de 17 m² ne saurait être considéré comme une infraction caractérisée à ses obligations de jouissance paisible des lieux.

newsid:437057

Baux d'habitation

[Brèves] Inapplication du DALO dans le cadre de rapports de droit privé

Réf. : CA Versailles, 10 avril 2013, n° 12/04141 (N° Lexbase : A8116KB9)

Lecture: 2 min

N7058BTL

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Le 23 Mai 2013

Dans un arrêt rendu le 10 avril 2013, la cour d'appel de Versailles a été amenée à préciser que le droit au logement opposable (DALO) instauré par les articles L. 300-1 (N° Lexbase : L8284HWQ) et suivants du Code de la construction et de l'habitation issus de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007, n'a pas lieu de s'appliquer dans le cadre de rapports de droit privé (CA Versailles, 10 avril 2013, n° 12/04141 N° Lexbase : A8116KB9). En l'espèce, la locataire soulevait la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire du bail et de l'assignation lui ayant été signifiés les 16 mars et 28 septembre 2011 à la requête du bailleur en invoquant l'inconventionnalité de l'article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L8461AGH) au regard des articles 6 § 1 (N° Lexbase : L7558AIR) et 13 (N° Lexbase : L4746AQT) de la CESDH, ainsi que les dispositions de l'article L. 300-1 du Code de la construction et de l'habitation ; elle soutenait qu'en omettant de préciser que le locataire doit être informé de son droit de former un recours auprès de la commission de médiation dite DALO, l'article 24 de la loi de 1989, l'assignation en date du 28 septembre 2011 et le commandement visant la clause résolutoire en date du 16 mars 2011 méconnaissaient les dispositions des articles 6 § 1 et 13 de la CEDH ainsi que celles de l'article L. 300-1 précité. A tort, selon la cour d'appel qui rappelle que seul l'Etat est débiteur du droit au logement opposable instauré par les articles L. 300-1 et suivants du CCH et que le droit à un logement décent et indépendant garanti par ces dispositions et qui s'exerce par un recours amiable auprès de la commission de médiation, puis, le cas échéant, par un recours contentieux, n'est pas opposable aux personnes privées. Il s'ensuit que ces dispositions et la faculté qu'elles prévoient de saisir la commission de médiation puis de former un recours contentieux n'ont pas à figurer dans les commandement et assignation délivrés et signifiés en application et sur le fondement de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 qui n'intéressent que les rapports de droit privé entre bailleur et locataire et que l'absence de leur rappel dans ces actes, ne peut porter atteinte au droit du locataire à un procès équitable, ni compromettre celui de son droit d'agir en justice, au sens des articles 6 § 1 et 13 de la CESDH. Au demeurant, l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 ne compromet d'aucune manière un tel droit d'agir en justice ; à l'inverse, il prévoit notamment que le commandement de payer rappelle, à peine de nullité, les dispositions de cet article relatives à la faculté pour le juge d'accorder des délais de paiement et de suspendre les effets de la clause de résiliation pendant le cours de ces délais ; enfin, les dispositions de l'article L. 300-1 du CCH sont sans incidence sur la validité des commandement de payer et assignation des 16 mars et 28 septembre 2011.

newsid:437058

Consommation

[Brèves] Présentation de l'action de groupe en Conseil des ministres

Réf. : Projet de loi, relatif à la consommation

Lecture: 1 min

N7054BTG

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Le 16 Mai 2013

Le projet de loi, relatif à la consommation, a été présenté le 2 mai 2013 en Conseil des ministres. L'une des mesures phares du projet est l'instauration de l'action de groupe inspiré des class actions du droit américain. Cette nouvelle action en justice a pour vocation de réparer, uniquement, les "préjudices matériels résultant d'une atteinte au patrimoine des consommateurs [...] causés à l'occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services". L'action de groupe pourra, également, réparer les préjudices résultant "de pratiques anticoncurrentielles". Comme son nom l'indique, le projet de loi est limité au droit de la consommation et, par là, exclut du champ d'application de l'action de groupe le droit des sociétés, le droit boursier et surtout les domaines de la santé et de l'environnement. En outre, le projet ne prévoit qu'une indemnisation des préjudices matériels, à l'exclusion des dommages corporels et du préjudice moral. Seules les associations de consommateurs représentatives au niveau national et agréées pourront introduire une action de groupe devant un tribunal. En effet, les avocats ne seront donc pas compétents en la matière selon les recommandations du Conseil national de la consommation. Le projet de loi, relatif à la consommation, sera soumis à l'Assemblée nationale en juin 2013.

newsid:437054

Divorce

[Brèves] De l'importance de bien choisir la procédure de divorce

Réf. : CA Montpellier, 9 avril 2013, n° 12/04701 (N° Lexbase : A8613KBM)

Lecture: 2 min

N7056BTI

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Le 18 Mai 2013

Il ressort d'un arrêt rendu le 9 avril 2013 par la cour d'appel de Montpellier qu'un divorce pour faute ne peut être prononcé... en l'absence de faute ; les parties sont déboutées de leurs demandes croisées de divorce pour faute aux torts exclusifs de l'autre, dès lors que les fautes ne sont pas établies (CA Montpellier, 9 avril 2013, n° 12/04701 N° Lexbase : A8613KBM ; cf. l’Ouvrage "Droit du divorce" N° Lexbase : E7515ETI). Ainsi que le relève les juges d'appel, les parties ont fait le choix de se battre devant la cour pour obtenir le prononcé du divorce aux torts exclusifs de l'un ou l'autre plutôt que de présenter une nouvelle requête en divorce pour altération définitive du lien conjugal qui aurait, à coup sur, abouti au prononcé de leur divorce, le délai de deux ans de cessation de la communauté de vie prévu par l'article 238 du Code civil (N° Lexbase : L2794DZI) étant écoulé lorsque le jugement dont appel a été rendu. Si, lors de leurs plaidoiries, les avocats des parties ont indiqué que leurs clients n'avaient qu'une envie, que leur divorce soit prononcé, ce dont la cour ne doute pas, pour autant, celle-ci ne saurait, pour complaire aux parties dans leur volonté de divorcer, déjuger le juge aux affaires familiales en prononçant un divorce pour des fautes qui ne seraient pas établies et ce d'autant que cela aurait eu pour effet de rendre, dans une décision judiciaire dont l'exploitation future ne garantit pas une parfaite confidentialité, définitivement avérés des griefs de nature à porter atteinte à l'honneur et la considération de l'une et l'autre tels que, à titre d'exemple, s'agissant de l'un de ceux faits à l'épouse, des accusations de racisme à l'encontre de son époux et de ses enfants et de l'un de ceux faits à l'époux d'avoir un comportement habituellement rétrograde et humiliant à l'égard de son épouse. Les parties n'apportent devant la cour aucun élément nouveau qui serait de nature à l'amener à avoir une analyse différente de celle pertinente du juge aux affaires familiales des éléments qui lui ont été soumis, au terme de laquelle celui-ci a, à bon droit, considéré que ni l'époux, ni l'épouse n'établissait l'existence de violations graves ou répétées aux obligations du mariage justifiant le prononcé du divorce aux torts de l'un ou de l'autre. Tous les griefs supplémentaires formulés devant la cour d'appel souffrent de la même insuffisance en matière de preuve que ceux formulés en première instance et repris de cause d'appel. Pour tenter d'établir le bien-fondé des griefs réciproques qu'elles se font, sans qu'il soit utile de les examiner successivement, les parties, comme elles l'ont déjà fait devant le premier juge, procèdent par voie d'affirmations non accompagnées d'éléments probants et produisent des attestations qui se contrebattent les unes les autres sans qu'il soit possible d'accorder plus de crédit aux unes qu'aux autres.

newsid:437056

Divorce

[Brèves] L'homosexualité du mari constitutive d'une faute cause de divorce

Réf. : CA Paris, Pôle 3, 2ème ch., 10 avril 2013, n° 12/07515 (N° Lexbase : A9143KBA)

Lecture: 1 min

N7055BTH

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Le 17 Mai 2013

Dans un arrêt en date du 10 avril 2013, la cour d'appel de Paris retient que l'homosexualité du mari constitue un grief justifiant le prononcé du divorce à ses torts exclusifs (CA Paris, Pôle 3, 2ème ch., 10 avril 2013, n° 12/07515 N° Lexbase : A9143KBA ; cf. en ce sens : CA Dijon, 6 juillet 2012, n° 09/00628 N° Lexbase : A9077IQA, lire les observations d'Adeline Gouttenoire N° Lexbase : N3435BTE ; cf. l’Ouvrage "Droit du divorce" N° Lexbase : E7585ET4). En l'espèce, Mme A. reprochait à son époux son homosexualité. M. M. sans contester ce grief soutenait que celle-ci lui avait proposé un mariage blanc pour lui permettre de cacher son orientation sexuelle à sa famille et, pour elle, de vivre de manière libérée sans la pression de sa famille ; il concluait alors au divorce pour altération du lien conjugal. Mais, selon les juges parisiens, si, comme l'avait constaté le premier juge, les témoignages de part et d'autre étaient contraires en ce que les témoins de Mme A. attestaient de son désarroi lorsqu'elle avait réalisé l'orientation sexuelle de son époux, alors que ceux de M. M. témoignaient de ce qu'elle connaissait parfaitement, sortant avec les mêmes amis, l'orientation sexuelle de M. M. et qu'elle souhaitait s'affranchir de sa famille en souscrivant à un mariage blanc, ils ne remettaient pas en cause les préférences sexuelles de l'époux. La cour d'appel estime, alors, qu'il résulte de ces éléments que le grief allégué par l'épouse constitué par l'homosexualité de son époux est ainsi confirmé et que, dans ces conditions, sont ainsi établis, à l'encontre de l'époux des faits constituant une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune et justifiant le prononcé du divorce à ses torts. Sur les dommages intérêts, le mari est condamné à verser la somme de 3 000 euros à son ex-épouse sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), au titre du préjudice moral subi à raison de l'humiliation résultant de l'homosexualité de son mari.

newsid:437055

Divorce

[Brèves] Les crises nerveuses constitutives d'une faute cause de divorce ?

Réf. : CA Douai, 2 mai 2013, n° 12/03270 (N° Lexbase : A9565KCA)

Lecture: 1 min

N7066BTU

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Le 21 Mai 2013

Les nombreuses crises nerveuses, souvent spectaculaires voire inquiétantes, très déroutantes pour son entourage, au premier chef pour son époux, ce dont l'épouse se déclarait au demeurant bien consciente, ne sauraient être retenues comme une faute cause de divorce, dès lors que ces manifestations de nervosité exacerbée, révélatrices d'une insatisfaction diffuse, sont à mettre en relation avec un mal-être chronique de l'épouse souffrant de l'éloignement géographique de la métropole. Telle est la solution à retenir d'un arrêt rendu le 2 mai 2013 par la cour d'appel de Douai (CA Douai, 2 mai 2013, n° 12/03270 N° Lexbase : A9565KCA ; cf. l’Ouvrage "Droit du divorce" N° Lexbase : E7588ET9).

newsid:437066

Européen

[Communiqué] Le "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne" : un nouvel outil européen d'évaluation du système judiciaire des Etats membres

Réf. : Communication du 27 mars 2013 de la Commission, COM(2013) 160 final, 27 mars 2013

Lecture: 18 min

N7030BTK

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par Guillaume Payan, Maître de conférences à l'Université du Maine, Membre du Thémis-Um (e.a. 4333)

Le 16 Mai 2013

Dans sa communication du 27 mars 2013, intitulée "Le tableau de bord de la justice dans l'Union européenne : un outil pour promouvoir une justice effective et la croissance" (1), la Commission européenne annonce la création d'un nouvel outil européen d'évaluation du système judiciaire de tous les Etats membres et présente les premiers résultats de cette évaluation. Tout en respectant la diversité des systèmes et traditions juridiques des Etats membres, le tableau de bord mis en place permet de situer chaque Etat européen par rapport aux autres, au moyen de plusieurs indicateurs ayant trait à l'organisation de la justice. Plus généralement, il permet de réaliser -périodiquement (2)- une photographie de la situation de la justice en Europe et de pointer certains dysfonctionnements pouvant constituer un frein au retour de la croissance et de la compétitivité. Si la création de ce nouveau dispositif doit être saluée comme un pas supplémentaire vers l'élaboration d'un véritable espace judiciaire européen, des modifications devront sans doute lui être apportées afin d'enrichir les prochaines éditions de données supplémentaires et d'accentuer sa valeur ajoutée par rapport aux autres dispositifs de collecte de données élaborés notamment sous l'égide du Conseil de l'Europe. La particularité du système d'évaluation mis en place. Le nouvel outil d'évaluation créé a la particularité de s'attacher au fonctionnement des systèmes nationaux de justice. Il se distingue en cela d'une évaluation de la mise en oeuvre des instruments (législatifs) adoptés par l'Union européenne. Le principe de ce second type d'évaluation (3) avait été consacré dans le programme de La Haye adopté lors du Conseil européen des 4 et 5 novembre 2004 (4), puis a été précisé par la Commission européenne dans une communication du 28 juin 2006 intitulée "Evaluer les politiques de l'Union européenne en matière de liberté, de sécurité et de justice" (5). Depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, l'article 70 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) (N° Lexbase : L2721IPH) offre d'ailleurs une base juridique à cette évaluation (6). A la vérité, ces deux types d'évaluation -celui portant sur les politiques de l'Union européenne et celui concernant les systèmes nationaux de justice- sont tout à fait complémentaires et peuvent tous deux être présentés comme des facteurs de nature à accroître la confiance nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur.

La justification de l'évaluation des systèmes nationaux de justice. L'élaboration d'un nouveau dispositif d'évaluation des systèmes nationaux de justice est justifiée par le contexte économique et financier actuel. Pour la Commission européenne, la crise économique et financière conduit les Etats à procéder à différentes réformes et "les systèmes judiciaires nationaux jouent un rôle essentiel dans ce processus de réforme, dans la mesure où ils contribuent à restaurer la confiance et à favoriser le retour de la croissance" (7). Elle ajoute, avec raison, qu'un "système judiciaire efficace et indépendant est [...] un facteur de confiance et de stabilité" et cite les exemples fournis par certains Etats membres -Grèce, Irlande, Lettonie et Portugal- faisant actuellement l'objet de programmes d'ajustement économique et pour lesquels la réforme du système judiciaire est "devenue partie intégrante des composantes structurelles de ces programmes". Or, pour accompagner ou encourager les réformes portant sur l'organisation de la justice dans les Etats membres, dans le but de favoriser le retour de la croissance, ces Etats doivent disposer de "données objectives, fiables et comparables". Données, qui sont présentées et classées dans le tableau de bord diffusé par les services de la Commission européenne.

Dans sa communication du 27 mars 2013, la Commission européenne n'annonce pas seulement la création d'un nouvel outil européen d'évaluation des systèmes de justice nationaux (I), elle présente également les premiers résultats de cette évaluation (II).

I - Un nouvel outil européen d'évaluation des systèmes de justice nationaux

Avant de présenter les principales caractéristiques du système d'évaluation créé (B), il convient d'insister sur son utilité (A).

A - L'utilité d'un "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne"

Tel qu'il est conçu par la Commission européenne, le "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne" vise "à aider l'Union européenne et ses Etats membres à accroître l'effectivité de la justice, en leur fournissant des données objectives, fiables et comparables sur le fonctionnement de tous les systèmes de justice nationaux" (8). Ainsi, ce nouvel outil devrait présenter une réelle utilité tant pour les Etats membres de l'Union européenne, que pour l'Union européenne elle-même.

Utilité pour chaque Etat membre de l'Union européenne. Les données qui figurent dans le tableau de bord peuvent faire prendre conscience aux Etats membres de l'opportunité d'une réforme de leur système judiciaire. Ce nouveau système d'évaluation présente également une utilité certaine pour les Etats membres souhaitant réformer leur droit procédural national, en mettant en lumière les aspects à réformer en priorité. Toutefois, le dispositif mis en place n'apporte aucune précision sur la façon dont la réforme envisagée doit s'opérer. Ainsi, la lecture attentive des résultats figurant dans ce tableau de bord doit opportunément être complétée par des recherches approfondies sur la législation procédurale nationale des Etats qui enregistrent les "meilleurs" résultats. De ce point de vue, l'élaboration de ce tableau de bord est parfaitement complémentaire avec la création, en novembre 2008, du "réseau de coopération législative des ministères de la Justice de l'Union européenne". On le sait, ce réseau est un système d'échanges des informations juridiques entre les Etats membres visant principalement à faciliter le recours au droit comparé lors de l'élaboration des législations nationales (9).

Utilité pour l'Union européenne. L'évaluation périodique des systèmes nationaux de justice peut présenter un intérêt pour le législateur de l'Union européenne et, plus généralement, pour l'effectivité du droit de l'Union européenne. Tout d'abord, l'efficacité des législations nationales procédurales a une incidence sur l'effectivité du droit de l'Union européenne lorsque les juridictions des Etats membres appliquent ce droit ou en sanctionne le non-respect. Ensuite, l'efficacité des législations nationales contribue à générer et à accroître la confiance mutuelle indispensable à l'élaboration d'un véritable Espace judiciaire européen. En effet, comme le rappelle la Commission européenne, la conception et la mise en oeuvre des instruments de l'Union européenne -Règlements et/ou Directives- fondés sur le principe de la reconnaissance mutuelle et la coopération sont tributaires d'un niveau élevé de confiance mutuelle, "les citoyens, les entreprises, les juges et les pouvoirs publics [étant] censés se fier aux décisions de justice arrêtées dans un autre Etat membre, les respecter, les reconnaître et les exécuter" (10).

B - Les caractères du "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne"

Si le tableau de bord élaboré par les services de la Commission européenne dispose d'un vaste domaine (2), sa portée apparaît assez restreinte en ce qu'il laisse les Etats membres entièrement libres de définir les conséquences à tirer des résultats présentés (1).

1) La portée restreinte du tableau de bord

Le "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne" est conçu comme un instrument visant à fournir un complément d'informations sur la situation des systèmes judiciaires nationaux, entre eux, et par rapport aux indicateurs retenus par la Commission européenne. Il s'agit d'un instrument comparatif non contraignant pour les Etats membres et respectueux de la diversité des systèmes et traditions juridiques qui existe en Europe.

Instrument respectueux de la diversité des systèmes et traditions juridiques en Europe. En introduction de sa communication, la Commission européenne insiste sur la nécessité de procéder à une "évaluation systématique du fonctionnement du système judiciaire de tous les Etats membres, en tenant pleinement compte des différentes traditions juridiques nationales". Plus précisément, elle entend s'abstenir de "présenter un classement global unique [ou] de promouvoir un type de système judiciaire en particulier". Il est vrai que le respect des différents systèmes et traditions juridiques des Etats membres constitue l'un des principes directeurs de l'action de l'Union européenne en matière de Justice (11). Cette réserve n'en paraît pas moins surprenante dès lors que tout système d'évaluation conduit inévitablement à distinguer les "bonnes" et les "mauvaises" pratiques (ou politiques) et, partant, à faire apparaître -au moins, en creux- un classement des entités évaluées sur la base des indicateurs choisis. Ainsi, le nouveau dispositif d'évaluation se veut respectueux de la diversité des systèmes et des traditions juridiques en Europe, tout en tendant à l'identification -et, à terme, à l'élimination- d'éventuels dysfonctionnements et défaillances des systèmes judiciaires nationaux.

Instrument non juridiquement contraignant pour les Etats membres. Dans le prolongement du nécessaire respect des systèmes et traditions juridiques des Etats membres, le tableau de bord constitue un instrument non contraignant pour les Etats membres. Ces derniers sont libres de tirer ou non des enseignements des statistiques diffusées par la Commission européenne. Tout comme lorsqu'il est fait usage de la méthode ouverte de coordination, il est ici davantage question de convaincre chaque Etat de l'opportunité de réformer son droit au moyen de la diffusion d'informations sur les "résultats" obtenus à l'étranger.

2) Le vaste domaine du tableau de bord

Le tableau de bord, qui dispose d'un champ d'application étendu, est alimenté par des sources d'informations multiples.

L'étendue du champ d'application du tableau de bord. Ainsi que cela a été indiqué, le tableau de bord ici présenté s'adapte aux différents modèles de systèmes judiciaires. Ainsi, par exemple, la grande distinction entre Common Law et Civil Law ne constitue donc pas -du moins, a priori (12) - un obstacle à l'analyse des données statistiques collectées et ne remet pas en cause la pertinence des comparaisons effectuées à l'échelle de l'Union européenne.

Alors que les affaires pénales ne sont pas concernées par le tableau de bord, la Commission européenne a souhaité y inclure des statistiques concernant tant les affaires civiles et commerciales contentieuses, que les "affaires de droit administratif" (13). Elle justifie la prise en compte de ces dernières par l'importance du rôle joué par la justice administrative dans l'environnement des entreprises.

La Commission européenne n'exclut pas une extension prochaine du domaine couvert par le tableau de bord. Selon elle, "en concertation avec les Etats membres, le tableau de bord pourrait être progressivement étendu à d'autres volets du système de justice et d'autres maillons de la chaîne de la justice' par laquelle tout particulier ou toute entreprise doit passer pour obtenir effectivement justice (par exemple, de la phase initiale d'accès au système de justice à la phase finale d'exécution du jugement)" (14). Cette perspective d'évolution doit être approuvée (15). Plus le domaine couvert par les données statistiques est étendu, plus l'intérêt de diffuser le tableau de bord est grand. A titre d'exemple, on n'insistera jamais assez sur l'importance de la phase de l'exécution proprement dite des décisions de justice. Alors que l'obtention des décisions de justice permet l'établissement des droits des justiciables, leur exécution opère la réalisation effective de ces droits.

La diversité des sources des informations collectées. Pour rédiger ce tableau de bord de la justice dans l'Union européenne, la Commission européenne a sollicité différentes organisations et entités internationales. A titre d'exemples, elle a utilisé des informations en provenance de la Banque mondiale, du Forum économique mondial ainsi que du World Justice Project. Elle a également -et surtout- tiré profit des travaux de la Commission européenne pour l'efficacité de la Justice (CEPEJ). On le sait, depuis 2006, la CEPEJ diffuse tous les deux ans, sous l'égide du Conseil de l'Europe, un rapport très attendu sur l'efficacité et la qualité de la justice en Europe. La dernière édition de ce rapport a d'ailleurs été publiée en 2012 (16). On peut se réjouir des relations étroites qui existent entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe et, singulièrement, entre la Commission européenne et la CEPEJ. La question de la plus-value du tableau de bord diffusé par la Commission européenne peut néanmoins se poser. Si ce tableau de bord devait simplement se résumer dans la sélection de certaines données jugées les "plus pertinentes et significatives" (17) figurant dans le rapport de la CEPEJ, son utilité pourrait être -à court ou moyen terme- remise en cause. Cette plus-value doit impérativement apparaître dans l'analyse, que fait la Commission européenne, des résultats obtenus. Or, cette analyse est très succincte.

II - Les premiers résultats de l'évaluation des systèmes de justice nationaux

L'édition 2013 du "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne" contient les premiers résultats de l'évaluation des systèmes judiciaires nationaux (18). A vrai dire, les indicateurs retenus pour réaliser les comparaisons (A) sont tout aussi intéressants que les conclusions que tire la Commission européenne des données collectées (B).

A - Les indicateurs retenus

Le tableau de bord concerne l'ensemble des Etats membres et cela "quel que soit le modèle auquel obéit le système de justice national ou la tradition juridique dans laquelle il s'ancre" (19). La Commission européenne a donc dû identifier des paramètres d'évaluation qui soient suffisamment précis pour demeurer pertinents, tout en étant assez englobant pour être compatibles avec la diversité des situations rencontrées.

Il serait sans doute préférable que la Commission européenne retienne les mêmes indicateurs dans les éditions prochaines du tableau de bord, afin de faciliter les comparaisons et d'apprécier les effets des réformes opérées dans les Etats membres. De ce point de vue, les données contenues dans l'édition 2013 du tableau de bord serviront d'éléments de référence pour les analyses à venir. Notons toutefois que la Commission a d'ores et déjà annoncé que l'instrument créé est "évolutif". Cela permet de penser -de regretter (?)- que les indicateurs proposés pourraient faire l'objet de modifications (20).

Dans la présente édition du tableau de bord, la Commission européenne a principalement retenu les indicateurs suivants.

- La longueur des procédures : la Commission européenne se concentre principalement sur le délai moyen à respect avant d'obtenir une décision de justice de première instance. La notion de "procédure" ne comprend donc pas les éventuels recours (appel, cassation), pas plus que la phase d'exécution de la décision de justice obtenue (21). A titre de comparaison, rappelons à ce propos que la durée de la phase d'exécution est prise en compte, notamment par la Cour européenne des droits de l'Homme, dans le calcul du droit à être jugé dans un délai raisonnable (22).

- Le taux de variation du stock des affaires pendantes : il s'agit de mettre en relation le nombre d'affaires jugées et le nombre d'affaires nouvelles soumises à une juridiction dans une période donnée. Si le premier est inférieur au second, le stock augmente et des retards dans le traitement des nouveaux dossiers sont à craindre.

- Le nombre d'affaires pendantes : ce nombre correspond aux affaires soumises à une juridiction et qui ne sont pas encore jugées. Ainsi qu'on peut le constater, cet indicateur est étroitement lié aux deux premiers. Dans ce tableau de bord, l'accent est donc porté, par la Commission européenne, sur les délais avec lesquels les affaires sont tranchées.

- Le suivi et l'évaluation de l'activité des juridictions : cet indicateur tend à classer les Etats membres selon qu'ils prévoient ou non "un système de collecte d'informations complet et accessible au public" ayant trait à l'activité des juridictions (ex. rapport d'activité annuel) ainsi qu'une évaluation régulière de ces informations.

- L'utilisation par les juridictions des technologies de l'information et de la communication (TIC) : la Commission européenne retient un indicateur fondé sur l'usage des nouvelles technologies de communication. La dématérialisation des procédures -saisine des juridictions, échanges de documents, visioconférence...- constitue un mouvement de fond qui devrait sinon révolutionner, du moins fortement modifier le quotidien des professionnels du droit et le contenu des droits procéduraux nationaux. Il y a là un facteur puissant d'efficacité des procédures. Le développement de la justice en ligne et l'émergence d'une e-Justice européenne font d'ailleurs parties des grandes orientations définies par le Conseil européen dans le programme de Stockholm (23). A ce sujet, on peut également rappeler l'adoption, en novembre 2008, du "Plan d'action relatif à l'e-Justice européenne" (24) qui fixe le cadre au sein duquel l'action de l'Union européenne devra s'inscrire jusqu'à la fin de l'année 2013. Il n'est donc pas illogique que la Commission européenne retienne l'utilisation des TIC comme indicateur.

- Les méthodes de règlement extrajudiciaire des litiges : tout comme l'usage des nouvelles technologies, le développement des méthodes de règlements extrajudiciaires des litiges est une tendance lourde en Europe, encouragée par l'Union européenne. On peut signaler sur ce thème l'existence de la Directive 2008/52/CE (N° Lexbase : L8976H3T), adoptée en mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (25) dont l'objet est précisément d'encourager le recours à ce mode de règlement des litiges. Il s'agit assurément d'un moyen efficace pour décharger les juridictions de certaines affaires.

- La formation des juges : la Commission européenne s'attache à la formation initiale, comme à la formation continue des juges, en soulignant -avec raison- l'influence de cette formation sur la qualité des décisions de justice rendues. Là encore, cet indicateur n'est pas sans liens avec la politique, menée par la Commission européenne à l'échelle de l'Union européenne, visant à améliorer le niveau de formation des juges des Etats membres (26).

- Les ressources investies dans le système judiciaire : cet indicateur est relatif au nombre de juges et d'avocats ainsi qu'au budget dont disposent les juridictions.

- La perception de l'indépendance du système de justice : ce dernier indicateur ne concerne pas tant l'indépendance " du système de justice ", que la perception que les justiciables (professionnels - entreprises/investisseurs - ou non professionnels) en ont. Un lien peut être établi ici avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme relative à l'indépendance des juges (27) et dans laquelle la Cour affirme qu'en la matière les apparences peuvent revêtir une grande importance. Ce critère est également retenu dans le cadre de différents travaux menés à l'échelle mondiale -tels que ceux réalisés par le Forum économique mondial ou le World Justice Project- et au sein desquels la Commission européenne a collecté des informations.

B - Les conclusions tirées

Dans sa communication, la Commission européenne tire différentes conclusions non seulement quant à la situation actuelle de la justice en Europe (1), mais également quant aux perspectives d'évolution (2).

1) La situation actuelle

Sans surprise, les résultats avancés par la Commission européenne font apparaître de grandes disparités entre les Etats membres (28).

Dans la première série de graphiques -1 à 4- relatifs au temps nécessaire pour trancher les catégories d'affaires sélectionnées par la Commission européenne (29), on constate que certains Etats -tels que Chypre, Malte et le Portugal- se situent généralement parmi les Etats où la longueur des procédures est la plus importante. Inversement, d'autres Etats -tels que l'Autriche, le Danemark ou les Pays-Bas- se classent en principe parmi ceux qui enregistrent les meilleurs résultats. Les écarts peuvent être importants. Par exemple, s'agissant du temps nécessaire pour trancher les "affaires non pénales", le Danemark annonce une durée moyenne inférieure à 50 jours, alors que le Portugal déclare une durée moyenne supérieure à 1100 jours. Il est à noter que la France se situe généralement dans la seconde moitié des classements.

Dans la deuxième série de graphiques -5 à 7- relatifs au taux d'affaires tranchées, les résultats observés sont un peu plus homogènes. On s'attache ici au taux de variation du stock d'affaires pendantes. La France avoisine (30) ou dépasse (31) le taux de 100 % et se classe dans la moyenne européenne. Ce taux de 100 % est important car il correspond à la situation dans laquelle le nombre d'affaires nouvelles soumises à une juridiction sur une période donnée correspond au nombre moyen d'affaires sur lesquelles elle est en mesure de statuer. En somme, dans cette situation, le nombre d'affaires non tranchées reste stable. On notera que le Luxembourg enregistre les meilleurs résultats, alors que d'autres Etats -tels que la Grèce, Malte et Chypre- présentent des résultats parfois (très) inférieurs au taux précité de 100 %. Autrement dit, dans ces derniers Etats, on peut conclure à l'existence de problèmes structurels qui ont pour conséquence un accroissement de l'arriéré judiciaire.

La troisième série de graphiques -8 à 10 (32) - est consacrée au nombre d'affaires pendantes devant les juridictions, au 1er janvier 2010. Là encore, on constate l'existence de très grandes disparités. A titre d'exemples, pour 100 habitants, le nombre d'affaires non pénales pendantes est inférieur à 2 au Luxembourg, en Suède, en Bulgarie, en Lituanie ou encore aux Pays-Bas. En revanche, ce nombre avoisine les 14 au Portugal et les 16 en Slovénie. En France, le nombre d'affaires non pénales pendantes, pour 100 habitants, est légèrement supérieur à 2. Plus généralement, la France se situe en milieu de classement.

Les graphiques 11 et 12 concernent respectivement l'existence d'un suivi de l'activité des juridictions et la tenue d'une évaluation de l'activité des juridictions. A cet égard, si la majorité des Etats bénéficie d'un système de suivi assez complet -rapport d'activité annuel et retranscription du nombre d'affaires renvoyées, du nombre d'affaires nouvelles, de la durée des procédures-, on constate l'existence de plus grandes disparités en ce qui concerne l'évaluation de cette activité. A titre d'exemple, ainsi que le souligne la Commission européenne, plus de la moitié des Etats n'a pas défini de normes de qualité.

Les graphiques 13 à 17 sont relatifs à l'usage des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Là encore, des différences notables existent entre les Etats membres de l'Union européenne. Si la grande majorité des Etats membres bénéficie d'un système de technologie de l'information et de la communication en ce qui concerne l'enregistrement et la gestion des affaires, des différences apparaissent à l'égard de la communication électronique entre les juridictions et les parties. Les disparités sont encore plus nettes s'agissant du traitement électronique des petits litiges. En effet, alors que ce traitement est possible dans toutes les juridictions d'un premier groupe d'Etats (République Tchèque, Estonie, Lettonie, Lituanie, Malte, Autriche, Portugal, Slovénie, Finlande, Angleterre) ; ce traitement informatique est impossible dans un deuxième groupe d'Etats (Belgique, Bulgarie, Danemark, Allemagne, Chypre, Espagne, Grèce, Luxembourg, Hongrie, Pays-Bas, Roumanie, Slovaquie, Suède, Irlande du Nord, Ecosse). On retrouve ce même type de situation à l'égard du recouvrement électronique des créances non contestées ou du dépôt électronique des requêtes. Il est à noter que sur ces différents aspects de la dématérialisation des procédures, la France se situe en milieu de classement, voire dans la seconde moitié.

Le graphique 18 révèle que la quasi-totalité des Etats membres est dotée de dispositifs permettant un règlement extrajudiciaire des litiges, à savoir l'arbitrage, la médiation judiciaire et non judiciaire et/ou la conciliation. La Commission européenne s'interroge toutefois sur leur utilisation effective dans les litiges commerciaux et recommande aux Etats membres d'encourager l'usage de ces dispositifs.

Le graphique 19 a trait à l'obligation de formation des juges. Si la quasi-totalité des Etats impose une formation initiale obligatoire -font exceptions l'Irlande du Nord, Chypre, Malte et la Finlande-, la situation est différente en ce qui concerne la formation continue. Seuls onze Etats -dont fait partie la France- imposent une formation continue générale. Notons, qu'à cette formation continue générale, s'ajoute, dans certains Etats, une nécessaire formation continue pour des fonctions spécialisées ou pour l'utilisation des outils informatiques (par exemple, au Luxembourg, en Roumanie et en Ecosse).

Les graphiques 20 à 22 sont regroupés sous le thème des "ressources" et concernent respectivement le budget alloué aux juridictions ainsi que le nombre de juges et le nombre d'avocats (pour 100 000 habitants). Là encore, les disparités sont saisissantes. Par exemple, alors qu'au Luxembourg, le budget alloué aux juridictions est environ de 140 euros par habitants, il est inférieur à 20 euros en Lituanie et en Bulgarie. Remarquons qu'il affleure les 60 euros en France. Le même type d'écarts existe pour le nombre d'avocats ou de juges. Pour ne retenir que ce dernier indicateur, le nombre de juges dépasse les 70 pour 100 000 habitants en Slovénie alors qu'il est proche de 10 en France, en Italie ou à Malte.

Enfin, les graphiques 23 et 24 sont consacrés à la perception de l'indépendance de la justice. Contrairement à l'ensemble des graphiques évoqués précédemment, pour lesquels la Commission européenne a recueilli les données pertinentes auprès de la CEPEJ, ces deux derniers graphiques ont été élaborés sur la base d'informations collectées auprès du Forum économique mondial et du World Justice Project. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne est à même de donner un classement en référence à un très grand nombre d'Etats.

Ainsi, par exemple, sur 144 pays, la Finlande, les Pays-Bas et l'Irlande arrivent respectivement en 2ème, 3ème et 4ème positions en ce qui concerne la perception que les justiciables ont de l'indépendance de la justice. Inversement, la Roumanie et la Slovaquie sont classées à la 114ème et à la 115ème places. La France figure quant à elle à la 37ème place. Au regard de ces chiffres, le degré de confiance que les justiciables ont dans l'indépendance de la justice apparaît donc très variable d'un Etat à l'autre. Sans doute, les Etats européens les plus "mal classés" devront-ils s'interroger sur les causes d'une telle situation. Il convient néanmoins de se garder d'interprétations attentives de ces résultats, les explications pouvant être multiples (33).

2) Les perspectives d'évolution

En plus d'appeler de ses voeux la tenue d'une réflexion approfondie sur le rôle de la Justice dans l'Union européenne -laquelle devrait notamment se matérialiser par l'organisation des "Assises de la Justice", en novembre 2013 (34)-, la Commission européenne se penche sur les suites à donner aux différentes conclusions tirées dans cette première édition du tableau de bord de la justice européenne ainsi que sur les améliorations possibles dans la collecte des données dans l'optique de la rédaction des prochaines éditions de ce tableau de bord.

Tout d'abord, la Commission européenne souhaite qu'une "contribution" aux réformes des systèmes judiciaires nationaux soit opérée par le Fonds européen de développement régional et le Fonds social européen, au titre du prochain cadre financier pluriannuel. Il s'agirait donc d'apporter une aide financière aux Etats membres désireux de réformer leur système juridique. La Commission indique, par ailleurs, sa volonté d'exploiter les données recueillies dans ce tableau de bord lors des travaux qui seront prochainement réalisés au sein des programmes d'ajustement économique.

Ensuite, la Commission européenne déplore le fait que certains Etats ne collectent pas les données de nature à permettre leur comparaison objective à l'échelle de l'Union européenne. Elle encourage donc les Etats concernés à redoubler d'efforts en la matière par exemple en coopérant pleinement avec la CEPEJ, dont le rôle "essentiel" est mis en exergue. Parallèlement à cela, elle entend notamment définir, avec les réseaux d'autorités judiciaires et de juges, les moyens permettant d'"améliorer, au niveau national, la qualité et la disponibilité de données comparables". Sans doute faudra-t-il également que la Commission européenne lance une réflexion sur la définition de standards communs en matière de suivi des données.


(1) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Le tableau de bord de la justice dans l'UE : Un outil pour promouvoir une justice effective et la croissance, COM(2013) 160 final, 27 mars 2013.
(2) Aucune précision n'est apportée sur la fréquence à laquelle les différentes éditions de ce tableau de bord seront publiées. Il est seulement indiqué qu'il s'agit d'un "exercice régulier" et la publication d'"éditions futures" est d'ores et déjà évoquée (COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1).
(3) Ce second type d'évaluation peut être mis à profit pour améliorer les instruments européens déjà créés et pour identifier les obstacles auxquels l'Union européenne devra faire face lors de la création de nouveaux instruments.
(4) Programme de La Haye : renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne, JOUE n° C 53, 3 mars 2005, p. 1 (spéc. point 3.2. de la partie III). Selon le Conseil européen, "afin de faciliter la pleine mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle, il faut mettre en place un système d'évaluation objective et impartiale de la mise en oeuvre des politiques de l'UE dans le domaine de la justice qui, dans le même temps, respecte pleinement l'indépendance du pouvoir judiciaire et soit compatible avec tous les mécanismes européens existants". Voir, plus récemment, Conseil européen, Le programme de Stockholm - Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens, JOUE n° C 115, 4 mai 2010, p. 1 (spéc. n° 3.2).
(5) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, Evaluer les politiques de l'Union européenne en matière de liberté, de sécurité et de justice, COM(2006) 332 final, 28 juin 2006. L'adoption de cette communication était prévue dans le Plan d'action du Conseil et de la Commission mettant en oeuvre le programme de La Haye visant à renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne, JOUE, C 198 du 12 août 2005, p. 1.
(6) Aux termes de cet article, "Sans préjudice des articles 258 à 260, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures établissant des modalités par lesquelles les Etats membres, en collaboration avec la Commission, procèdent à une évaluation objective et impartiale de la mise en oeuvre, par les autorités des Etats membres, des politiques de l'Union visées au présent titre [en l'occurrence, le titre intitulé "l'espace de liberté, de sécurité et de justice"], en particulier afin de favoriser la pleine application du principe de reconnaissance mutuelle. Le Parlement européen et les parlements nationaux sont informés de la teneur et des résultats de cette évaluation".
(7) COM (2013) 160 final, spéc. introduction.
(8) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1.
(9) A ce sujet, voir notre étude, Résolution du Conseil du 28 novembre 2008 sur l'institution d'un réseau de coopération législative des ministères de la Justice de l'Union européenne : une nouvelle forme de coopération juridique entre les Etats membres, RTDEur., oct.-déc. 2009, p. 844.
(10) COM (2013) 160 final, spéc. introduction.
(11) A cet égard, voir l'article 67, § 1 du TFUE (N° Lexbase : L2717IPC).
(12) La Commission reconnaît toutefois que la "comparabilité des données peut être limitée par les divergences de procédures et de cadre juridique" (COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1).
(13) Sont ici visés les litiges entre des personnes privées et des autorités administratives (locales, régionales ou nationales).
(14) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1.
(15) Il en va différemment pour les modifications pouvant concerner les indicateurs de comparaisons (voir ci-après).
(16) CEPEJ, Systèmes judiciaires européens - Edition 2012 (données 2010) : Efficacité et qualité de la Justice, éd. du Conseil de l'Europe, coll. Les études de la CEPEJ n° 18, 2012.
(17) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1.
(18) Sauf précisions contraires, les données exploitées par la Commission européenne datent de 2010.
(19) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1.
(20) Idem.
(21) Notons, néanmoins, que les "affaires relatives à l'exécution d'une décision de justice" sont visées dans le graphique consacré au "temps nécessaire pour trancher les affaires non pénales" (COM (2013) 160 final, spéc. pt. 3.1.).
(22) Ce droit est notamment garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR).
(23) Programme précité, spéc. n° 3.4.1. Plus généralement, voir notre étude, Programme de Stockholm et coopération judiciaire civile : des orientations du Conseil européen au plan d'action de la Commission européenne, R.R.J., 2010/4, p. 1809.
(24) Conseil de l'Union européenne, Plan d'action pluriannuel 2009-2013 relatif à l'e-justice européenne (2009/C75/01), JOUE, C 75 du 31 mars 2009, p. 1.
(25) JOUE, L 136 du 24 mai 2008, p. 3.
(26) Sur ce sujet, voir notre étude, Formation judiciaire européenne : les grandes orientations de l'action à venir de la Commission européenne, Lexbase Hebdo n° 461 du 10 novembre 2011, édition privée (N° Lexbase : N8689BSM).
(27) Il en va de même dans la jurisprudence relative à l'impartialité desdits juges.
(288) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 3.
(29) Graphique 1 : temps nécessaire pour trancher les affaires non pénales ; graphique 2 : temps nécessaire pour trancher les affaires civiles et commerciales contentieuses ; graphique 3 : temps nécessaire pour trancher les affaires de droit administratif ; graphique 4 : temps nécessaire pour trancher les affaires d'insolvabilité.
(30) En ce qui concerne le taux d'affaires non pénales tranchées (graphique 5) et le taux d'affaires civiles et commerciales contentieuses (graphique 6).
(31) En ce qui concerne le taux d'affaires de droit administratif (graphique 7).
(32) Respectivement : nombre d'affaires non pénales pendantes ; nombre d'affaires civiles et commerciales contentieuses pendantes ; nombres d'affaires de droit administratif pendantes.
(33) On perçoit d'ailleurs en cela la limite du tableau de bord élaboré par la Commission européenne.
(34) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 4.3.

newsid:437030

État civil

[Brèves] Reprise d'un nom en raison de son illustration : intérêt légitime pour demander l'autorisation de porter le nom de "d'Artagnan"

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 29 avril 2013, n° 359472, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0230KDU)

Lecture: 2 min

N7052BTD

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Le 16 Mai 2013

Dans un arrêt rendu le 29 avril 2013, le Conseil d'Etat a été amené à se prononcer sur la question de la légalité d'un décret du 16 mars 2012 autorisant M. Aymeri de M.-F. ainsi que M. Alexandre de M.-F. et ses enfants, à substituer à leur nom patronymique celui de "de M.-F. d'Artagnan" (CE 2° et 7° s-s-r., 29 avril 2013, n° 359472, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0230KDU). Sur le plan procédural, le Haut conseil relève qu'il résulte des articles 2, 3 et 5 du décret du 20 janvier 1994 que la formalité de publication au Journal officiel et dans un journal d'annonces légales de l'arrondissement de résidence du demandeur est destinée à permettre à d'éventuelles oppositions de se manifester, dans le délai prévu par l'article 5, et ce, afin que l'autorité compétente puisse se prononcer en connaissance de cause sur le changement de nom sollicité. Or, en ce qui concerne M. Alexandre de M.-F. et ses trois enfants, il n'avait pas été procédé, avant le décret attaqué, à une publication régulière dans un journal d'annonces légales de l'arrondissement de résidence du demandeur, et la publication de la demande de changement de nom effectuée en novembre 2011 dans un journal d'annonces légales de Seine Saint-Denis n'avait pu tenir lieu de la formalité prescrite par l'article 3 du décret du 20 janvier 1994 ; selon le Conseil, cette irrégularité ne pouvait être regardée comme insusceptible d'avoir eu une incidence sur le sens de la décision prise ; il en résultait que les requérants étaient fondés à demander l'annulation du décret en tant qu'il autorisait M. Alexandre de M.-F. et ses enfants à changer leur nom. S'agissant, en revanche, de la demande présentée par M. Aymeri de M.-F., après qu'il ait été vérifié que la formalité avait été respectée, la Haute juridiction administrative a statué sur le bien-fondé du décret ; si les requérants faisaient valoir qu'ils descendaient en ligne directe de Charles de B.-C., qui fut connu sous le nom de "d'Artagnan", porté par sa mère, en tant que capitaine des mousquetaires du roi, et dont la vie inspira le romancier Alexandre Dumas pour la rédaction des romans "Les trois mousquetaires", "Vingt ans après" et "Le Vicomte de Bragelonne", il résultait de l'instruction que ce nom avait également été illustré par plusieurs membres de la famille de M.-F. qui avaient porté le titre de comtes ou seigneurs d'Artagnan, et dont M. Aymeri de M.-F. était descendant en ligne directe ou collatérale. Ainsi, selon le Conseil d'Etat, le décret attaqué n'était pas fondé sur des faits matériellement inexacts en ce qu'il accordait à M. Aymeri de M.-F. l'autorisation d'adjoindre à son patronyme le nom de "d'Artagnan" en vue de relever un nom illustré dans l'histoire par des membres de sa famille ; celui-ci pouvait donc se prévaloir d'un intérêt légitime pour demander l'autorisation de porter le nom de "d'Artagnan".

newsid:437052

Pénal

[Jurisprudence] La médiation pénale, entre droit pénal et droit civil

Réf. : Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 02-13.672, F-P+B (N° Lexbase : A2728DBN)

Lecture: 11 min

N7029BTI

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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'université Montesquieu - Bordeaux IV, Institut de sciences criminelles et de la justice (ISCJ : EA 4601)

Le 16 Mai 2013

Procédure reposant sur l'accord de tous les intéressés, parquet y compris, la médiation pénale, forme de réconciliation par le dialogue, participe d'une forme de "justice restaurative" au sein de laquelle les personnes concernées par une infraction, auteur et victime, décident ensemble de la réaction à apporter à l'infraction, sous le contrôle d'un tiers habilité par la Justice pénale (1). Objet de nombreux espoirs, invitant à repenser la manière de concevoir le procès pénal, la médiation pénale demeure, aujourd'hui encore, un "objet juridique mal identifié" (2), ce dont témoigne encore un arrêt récent du 10 avril 2013, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui qualifie expressément le contenu de la médiation pénale de transaction, soumise en tant que telle, indépendamment de ses conséquences pénales, au droit civil de l'exécution forcée. Le développement des alternatives aux poursuites. Nées de la pratique des parquets, qui ne voulaient pas se laisser enfermer dans l'option binaire entre poursuites et classement sans suite, les alternatives aux poursuites furent légalisées, à titre expérimental, par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 (N° Lexbase : L8015H3A). La loi n° 99-515 du 23 juin 1999, renforçant l'efficacité de la procédure pénale (N° Lexbase : L2004ATE), rationnalisa et institutionnalisa la figure des alternatives aux poursuites pénales en instituant notamment la médiation pénale et en créant la composition pénale. Ces procédures alternatives aux poursuites constituent donc désormais une "troisième voie", alternative, entre le classement sans suite "sec" et les poursuites, destinées à traiter les infractions d'une gravité relative sans saisir pour autant les tribunaux, déjà encombrés. Ces "circuits de dérivation", qui impliquent une forme de déjudiciarisation du droit pénal, ont pour point commun de reposer sur le consentement des parties et participent donc d'une certaine forme de justice pénale négociée. Essentiellement développées pour alléger la charge des tribunaux et permettant le cas échéant une indemnisation plus rapide des victimes, les alternatives aux poursuites ont connu ces dernières années un développement quantitatif considérable (3).

Les différentes procédures alternatives aux poursuites. Plusieurs procédures alternatives aux poursuites sont prévues aux articles 41-1 (N° Lexbase : L7207IMU) et 41-2 (N° Lexbase : L3348IQ3) du Code de procédure pénale qui peuvent être distinguées selon leur finalité et leur objet. Tandis que le premier texte comprend des mesures de type réparatrices, le second ne vise que la seule composition pénale qui comprend pour sa part des mesures exclusivement punitives (4).

Les mesures réparatrices de l'article 41-1. S'agissant des seules mesures réparatrices, le procureur de la République peut ainsi, aux termes de l'article 41-1 du Code de procédure pénale, préalablement à sa décision sur l'action publique, procéder à un "rappel à la loi" (1°) ; orienter l'auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, pouvant consister notamment dans l'accomplissement par l'auteur des faits, à ses frais, d'un stage ou d'une formation (2°) ; demander à l'auteur des faits de régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements (3°) ; lui demander à de réparer le dommage résultant des faits (4°) ; ou enfin faire procéder à une mission de médiation pénale entre l'auteur et la victime (5°).

Objet de la médiation pénale. Mesure phare de l'article 41-1 du Code de procédure pénale, puisée dans la pratique des procureurs qui l'avaient expérimenté grâce à la figure des classements sans suite sous condition, la médiation pénale, conduite sous l'égide d'un tiers -le médiateur du procureur (5)-, est envisagée lorsque les poursuites n'apparaissent pas, compte tenu des relations entre l'auteur et la victime, comme le meilleur moyen de prévenir la réitération de l'infraction. Quoique le texte n'en dise mot, le recours privilégié à la médiation pénale se situe en effet dans le domaine des relations suivies entre l'auteur et la victime, dans les rapports de famille, de voisinage ou de travail, notamment lorsque l'auteur et la victime sont amenés à se côtoyer après l'infraction, de sorte que la médiation consensuelle paraît préférable à des poursuites pénales qui crispent nécessairement les relations à venir.

Finalités et domaine de la médiation pénale. Aussi la médiation pénale a-t-elle un objet strictement défini quant à ses finalités. Comme les autres mesures prévues à l'article 41-1 du Code de procédure pénale, le procureur de la République peut y recourir s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits, ces différentes finalités n'étant plus désormais, depuis la loi du 23 juin 1999, cumulatives. Contrairement à la composition pénale dont le champ d'application est restreint aux seuls délits punis d'une peine d'emprisonnement n'excédant pas cinq ans ou à certaines contraventions, le domaine de la médiation pénale n'est nullement limité quant aux infractions. Toutefois, au regard des finalités énumérées par la loi, seules les infractions de gravité relative semblent pouvoir donner lieu à médiation, à l'exclusion des crimes, ainsi que semble venir le confirmer la pratique (6).

Issue de la médiation. Quant à l'issue de la médiation, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (N° Lexbase : L1768DP8) est venue légaliser une pratique consistant pour le procureur de la République ou le médiateur, en cas de réussite de la médiation, à en dresser procès-verbal, signé du procureur et des parties. Ce procès-verbal constitue en quelque sorte la charte des obligations devant être respectées par l'agent, charte qui conditionne la réussite ou l'échec de la médiation.

Succès de la médiation : exécution des mesures. Si l'article 41-1 du Code de procédure pénale érige la médiation en cause de suspension de l'action publique, cet article ne prévoit pas que la bonne exécution des mesures imposées à l'auteur des faits emporte extinction de l'action publique. D'ailleurs, ni la médiation pénale, ni les autres mesures prévues par l'article 41-1 ne sont visées par l'article 6 du code (N° Lexbase : L9881IQZ) parmi les causes d'extinction de l'action publique. En théorie, l'auteur n'est donc pas à l'abri de poursuites ultérieures pour les mêmes faits, ainsi qu'en témoigne un arrêt du 21 juin 2011 (7). Sans doute, l'exercice de poursuites ultérieures ne tombent-elles pas sous le coup de la règle non bis in idem dès lors que la médiation a une finalité réparatrice là où l'action publique vise au prononcé d'une peine (8). Il n'en demeure pas moins gênant qu'un individu puisse être poursuivi alors qu'il a consciencieusement accompli les obligations auxquelles il était astreint en vertu de la médiation ; malgré la finalité réparatrice des mesures, il y a là une distorsion avec le régime de la composition pénale peu justifiable, laquelle, si elle est exécutée, éteint l'action publique (9).

Echec de la médiation : non-exécution de la mesure. Assez fréquente à en croire les praticiens (10), l'inexécution des obligations définies par le procès-verbal de médiation génère une double réaction, à la fois civile et pénale.

Suites pénales de l'inexécution. Au plan pénal, la loi du 9 mars 2004 décide qu'en cas de non-exécution de la mesure en raison du comportement de l'auteur des faits, le procureur de la République, sauf élément nouveau, "met en oeuvre une composition pénale ou engage des poursuites". De la même manière qu'en cas de non respect des obligations afférentes à la mesure de composition pénale (11), pour laquelle le procureur est tenu de mettre en mouvement l'action, le pouvoir d'opportunité des poursuites est donc, ici aussi, bridé : pouvant seulement opter pour une composition pénale ou des poursuites, à l'exclusion d'un classement sans suite, le procureur de la République a une compétence liée pour sanctionner la non-exécution des mesures négociées. Décidée par le procureur "préalablement à sa décision sur l'action publique", la médiation pénale ne fait donc que "différer" les poursuites (12) en fonction de la réussite ou de l'échec de la mesure, échec pouvant être d'autant plus préjudiciable pour l'auteur des faits que les déclarations faites au cours de la médiation pourront être utilisées contre lui, la médiation postulant implicitement la culpabilité de l'agent (13).

Suites civiles de l'inexécution. Au plan civil, la loi du 9 mars 2004 a prévu, afin de garantir l'exécution des mesures de médiation, que si l'auteur s'est engagé à verser des dommages et intérêts à la victime, celle-ci peut, en se fondant sur le procès-verbal de médiation, en demander le recouvrement selon la procédure d'injonction de payer telle que prévue par le Code de procédure civile.

Décision du 10 avril 2013. C'est précisément dans ce contexte qu'est intervenu un arrêt du 10 avril 2013 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation (14). A la suite d'une plainte pour violences et extorsion de fonds déposée par une femme contre son concubin, ceux-ci avaient signé, à l'occasion d'une médiation pénale, un procès-verbal aux termes duquel, en contrepartie de la renonciation de la concubine à sa plainte, l'auteur des faits s'obligeait à lui verser une certaine somme, "toutes causes de préjudices confondues", à prendre en charge deux crédits bancaires et à annuler une reconnaissance de dette qu'elle lui avait consentie. Condamné en appel à exécuter l'ensemble de ses engagements, l'auteur des faits forma un pourvoi en cassation. Ce pourvoi est rejeté par la première chambre civile au motif que "le procès-verbal établi et signé à l'occasion d'une médiation pénale, qui contient les engagements de l'auteur des faits incriminés, pris envers sa victime en contrepartie de la renonciation de celle-ci à sa plainte et, le cas échéant, à une indemnisation intégrale, afin d'assurer la réparation des conséquences dommageables de l'infraction et d'en prévenir la réitération par le règlement des désaccords entre les parties, constitue une transaction qui, en dehors de toute procédure pénale, tend à régler tous les différends s'y trouvant compris et laisse au procureur de la République la libre appréciation des poursuites en considération du comportement du mis en cause". Inédite quant à la qualification de transaction retenue à l'endroit du contenu de la médiation pénale, cette décision est particulièrement digne d'intérêt, tant au regard du domaine de la médiation qu'au regard des conséquences -civiles et pénales- de l'inexécution des engagements en résultant.

Extension de l'objet de la médiation pénale au-delà de la seule réparation du dommage résultant des faits. En premier lieu, le demandeur au pourvoi faisait valoir que la médiation pénale ne peut contenir que le seul engagement de l'auteur de réparer le préjudice résultant de l'infraction de sorte qu'en retenant que la mesure pouvait avoir pour objet des actes totalement étrangers à l'infraction (annulation d'une reconnaissance de dettes antérieure aux faits, prise en charge de divers crédits), la cour d'appel aurait violé l'article 41-1 du Code de procédure pénale. Quoi que pertinent en apparence, l'argument n'en était pas moins pas moins voué à l'échec en ce qu'il procédait d'une confusion entre deux mesures prévues par l'article 41-1 du code, la médiation pénale (5°), d'une part, et la réparation du dommage résultant des faits (4°), d'autre part. En effet, si cette dernière mesure implique une réparation pécuniaire des conséquences de l'infraction par l'auteur, ce qui postule un lien de corrélation entre la somme remise à la victime et les faits commis ("réparer le dommage résultant des faits"), l'objet de la médiation pénale est plus large, pouvant consister aussi bien en une satisfaction matérielle qu'en une satisfaction morale de la victime (15). Aussi bien, cette extension de l'objet de la médiation pénale au-delà de la seule réparation du dommage résultant des faits apparaît conforme aux finalités dégagées par l'article 41-1 du Code de procédure pénale puisque si la mesure peut avoir pour objet d'assurer la réparation du dommage causé à la victime ou de mettre fin au trouble résultant de l'infraction, elle peut encore "contribuer au reclassement de l'auteur des faits", ces différentes finalités n'étant plus cumulatives. Or, l'engagement à des actes étrangers à l'infraction, comme tel était le cas en l'espèce, peut parfaitement, sinon réparer les conséquences de l'infraction, du moins participer du reclassement de l'auteur des faits. Ainsi comprend-t-on que la Chambre criminelle ait pris le soin de préciser que la médiation avait pour objet en l'espèce d'assurer non seulement la réparation des conséquences dommageables de l'infraction mais encore d'en prévenir la réitération par le règlement des désaccords entre les parties.

La dualité de régime de la médiation pénale. En second lieu, et c'est là l'apport essentiel de la solution, la Cour de cassation qualifie expressément les engagements, contenus dans le procès-verbal de médiation, de transaction au sens de l'article 2044 du Code civil, soumise en tant que telle aux règles du droit civil de l'exécution. L'intérêt de la qualification de transaction est considérable car si la loi du 9 mars 2004 prévoit que la victime peut demander le recouvrement des dommages et intérêts consentis dans la médiation selon la procédure d'injonction de payer telle que prévue par le Code de procédure civile, cette procédure est inapte à garantir l'exécution des engagements autres que des dommages et intérêts. La qualification de transaction permet ainsi de garantir l'exécution de toutes les mesures de médiation, qu'il s'agisse de dommages et intérêts ou, comme en l'espèce, d'engagements de nature différente. La médiation pénale emporte ainsi deux sortes de conséquences autonomes, les unes de nature pénale relative à l'action publique, les autres de nature civile justifiant l'exécution forcée de la transaction en découlant. Du point de vue de l'action publique d'une part, la médiation pénale "laisse au procureur de la République la libre appréciation des poursuites en considération du comportement du mis en cause" ; du point de vue du droit civil, le contenu de la médiation pénale est qualifié de transaction dotée d'une force obligatoire en vertu de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), qui "en dehors de toute procédure pénale", tend à régler tous les différends s'y trouvant compris, justifiant l'exécution forcée de la transaction. Ainsi en l'espèce, indépendamment de la décision du procureur de la République quant à l'exercice de l'action publique, la cour d'appel pouvait-elle décider de condamner l'auteur des faits à exécuter la transaction dès lors qu'il n'avait pas justifié s'être libéré de ses engagements ni n'avait établi que la victime y eût renoncé.

Garanties procédurales et justice négociée. L'espèce invite implicitement à s'interroger sur le point de savoir si la médiation pénale, qui peut emporter des conséquences pécuniaires importantes, est entourée de garanties suffisantes, en l'absence d'intervention juridictionnelle, que ce soit quant à l'exercice des droits de la défense ou quant à l'intégrité du consentement de celui à qui est proposé une mesure de médiation pénale sous la menace de l'exercice de l'action publique. Car si la justice négociée peut être vue comme un progrès, c'est à la double condition que les droits de la défense soient garantis et que la volonté de ceux qui s'engagent soit libre et éclairée. Plus largement, c'est l'ensemble de ce mouvement de "contractualisation" de la Justice pénale qui peut laisser songeur en ce qu'il conduit à une "déjuridictionnalisation" de la réponse pénale : que l'on songe par exemple au développement de la composition pénale -qui fait certes intervenir un juge pour homologation, mais qui ne fait bien souvent qu'entériner la mesure- ou à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui éclipse purement et simplement la compétence du tribunal correctionnel ; et même lorsque ce dernier est saisi, ce peut être au moyen de procédures simplifiées, telle que l'ordonnance pénale, se déroulant hors de toute audience publique, orale et contradictoire. Si ces différentes procédures continuent d'organiser une réponse pénale aux faits constitutifs d'infractions, c'est au prix d'un glissement sensible d'un traitement juridictionnel des infractions vers un traitement judiciaire de la délinquance, bref au prix d'un changement de nature de la réponse pénale (16).


(1) J. Pradel, Procédure pénale, Cujas, 16ème éd., 2011, n° 595.
(2) E. Dreyer, La médiation pénale, objet juridique mal identifié, JCP éd. G, 2008, I, 131.
(3) Tandis qu'en 1998, les procédures alternatives aux poursuites s'élevaient à 3,6 % des affaires traitées, elles atteignaient 37,5 % des affaires en 2009, in Les chiffres clés de la Justice, Ministère de la Justice, 1998, 2010.
(4) S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, Lexis-Nexis, 7ème éd., 2011, n° 1455.
(5) C. pr. pén., art. R. 15-33-30 (N° Lexbase : L7341A4N).
(6) S. Guinchard, J. Buisson, op. cit., n° 1469.
(7) Cass. crim., 21 juin 2011, n° 11-80.003, F-P+B (N° Lexbase : A5150HUB), Bull. crim. n° 141.
(8) C. pr. pén., art. 1er (N° Lexbase : L9909IQ3).
(9) C. pr. pén., art. 41-2, al. 9 (N° Lexbase : L3348IQ3).
(10) Le taux d'inexécution serait d'environ 45 % (chiffre cité par J. Pradel, op. cit., n° 595).
(11) C. pr. pén., art. 41-2, al. 6.
(12) S. Guinchard, J. Buisson, op. cit., n° 1468.
(13) Cass. crim., 12 mai 2004, n° 03-82.098, FS-P+F (N° Lexbase : A5247DCC), Bull. crim. n° 121.
(14) Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 02-13.672, F-P+B (N° Lexbase : A2728DBN).
(15) S. Guinchard, J. Buisson, op. cit., n° 1464.
(16) F. Fourment, Procédure pénale, Larcier, 13ème éd., 2012, n° 321. Adde, F. Debove, La justice pénale instantanée, entre miracles et mirages, DP, 2006, Etude 19, p. 4.

newsid:437029

Procédure civile

[Jurisprudence] Le déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état fait obstacle au pourvoi en cassation contre cette décision

Réf. : Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-14.939, F P+B+I (N° Lexbase : A9961KBK)

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N7026BTE

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France

Le 16 Mai 2013

Le déféré est un recours particulier contre certaines ordonnances du conseiller de la mise en état (CME), dont la procédure est peu développée dans le Code de procédure civile et soulève des incertitudes. L'arrêt du 10 avril 2013 apporte des précisions importantes sur la ventilation des recours contre les décisions du CME. L'article 916, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0410IGB) dispose par principe que "les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond". Cela signifie concrètement que ces ordonnances peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation concomitamment à l'arrêt au fond de la cour d'appel. Ce principe est la conséquence d'un principe plus général d'irrecevabilité des recours immédiats des décisions de nature procédurale. Il s'applique également aux décisions du juge de la mise en état (C. pr. civ., art. 776 N° Lexbase : L7010H7R).

Toutefois, l'article 916, alinéa 2, dispose par exception que certaines décisions du CME peuvent être "déférées par simple requête à la Cour dans les quinze jours de leur date". Ces décisions sont les suivantes :

- celles qui ont pour effet de mettre fin à l'instance ou constater son extinction ;

- celles qui ont trait aux mesures provisoires dans la procédure de divorce ou de séparation de corps ;

- celles qui statuent sur une exception de procédure ou un incident mettant fin à l'instance.

Et depuis l'entrée en vigueur des décrets du 9 décembre 2009 et 28 décembre 2010 qui ont réformé la procédure d'appel :

- celles qui statuent sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou de la caducité de celui-ci ;

- celles qui prononcent l'irrecevabilité des conclusions.

La question soulevée par l'arrêt du 10 avril 2013. L'article 916 du Code de procédure civile fait donc apparaître un double régime de recours dont la coordination n'est pas évidente. Dans l'arrêt commenté, un litige était apparu à propos d'un bail entre le propriétaire et la société locataire. Toutefois, un doute était né sur l'identité du défendeur et le propriétaire avait agi en première instance, puis formé appel, contre deux sociétés distinctes "Numéricable" et "NC numéricable". Le CME avait déclaré recevable l'appel contre le premier intimé et irrecevable l'appel contre le second. L'un des deux appels ayant été déclaré recevable, l'affaire fut examinée au fond par la cour d'appel. Le propriétaire forma alors un pourvoi en cassation, à la fois contre la décision d'irrecevabilité du second appel et contre la décision au fond de la cour d'appel (premier appel).

La situation qui se présentait à la Cour de cassation était atypique. En effet, dans l'hypothèse où le CME prononce l'irrecevabilité de l'appel, la cour d'appel ne statue pas au fond dans la même instance. La décision du CME met fin au litige. En revanche, dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, le CME s'était prononcé sur deux appels formés contre deux intimés différents. Ainsi, deux procédures différentes étaient soumises à la Cour de cassation : un pourvoi contre l'arrêt au fond et un autre pourvoi contre la décision du CME déclarant irrecevable l'un des deux appels. La question se posait de savoir si ces deux pourvois étaient recevables devant la Cour de cassation.

A la lecture de l'article 916, alinéa 1er, on aurait pu penser que la décision du CME avait fait l'objet d'un recours différé corrélativement à la décision au fond et que ce pourvoi était recevable en application du principe général énoncé ci-dessus. Toutefois, la Cour de cassation juge en sens contraire que "les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ont autorité de chose jugée au principal et, en ce cas, peuvent être déférées par simple requête à la cour d'appel dans les quinze jours de leur date". La Cour de cassation déduit ce principe de la combinaison des articles 914, alinéa 2 (N° Lexbase : L0168IPW), et 916, alinéa 2, du Code de procédure civile. Elle en tire une conséquence importante : l'ordonnance du CME ayant prononcé l'irrecevabilité de l'appel était irrévocable et le pourvoi formé contre cette ordonnance était irrecevable, même s'il avait été interjeté concomitamment à la décision au fond.

L'apport direct de l'arrêt. Cette irrecevabilité du pourvoi en cassation constitue un apport important au régime du déféré. D'une part, la Cour de cassation tire les conséquences de la réforme de la procédure d'appel qui accorde l'autorité de la chose jugée aux ordonnances du CME qui statuent sur une fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 914, alinéa 2). Il s'agit ici d'une remise en cause de la jurisprudence antérieure, qui jugeait que la décision du CME sur la recevabilité de l'appel pouvait être réexaminée devant la formation collégiale de la cour d'appel même en l'absence de déféré (1). Ainsi, avant la réforme de 2009, le plaideur qui avait laissé passer le délai du déféré pouvait remettre en cause une décision du CME sur la recevabilité de l'appel devant la cour d'appel au moment de l'audience sur le fond du litige. Cette prérogative est désormais révolue.

D'autre part, en interdisant le pourvoi en cassation contre la décision du CME, même lorsqu'il est interjeté concomitamment à la décision au fond, la Cour de cassation fait du déféré la seule voie de recours contre une ordonnance statuant sur la recevabilité de l'appel. Ce faisant, la Cour de cassation ajoute une précision à l'article 916, alinéa 2, du Code de procédure civile. En effet, cet article prévoit simplement que certaines décisions du CME "peuvent être déférées" à la cour d'appel. La Cour de cassation précise que les décisions du CME revêtues de l'autorité de la chose jugée peuvent uniquement être déférées à la cour d'appel, à l'exclusion de toute autre voie de recours formée immédiatement ou concomitamment à la décision au fond. En d'autres termes, le déféré est un passage obligé pour attaquer une décision du CME ayant autorité de la chose jugée. Le plaideur qui attend la décision au fond perd l'opportunité de porter cette question devant la Cour de cassation. C'est bien le sens de la décision commentée. La Cour de cassation affirme ainsi que "le pourvoi |contre la décision du CME, ndlr], fût-il formé avec celui dirigé contre l'arrêt au fond, est irrecevable".

L'apport indirect de l'arrêt sur la nature du déféré. Indirectement, l'arrêt commenté semble modifier la nature du déféré. Jusqu'à présent, certains auteurs considéraient que l'instance née du déférée était la même que celle poursuivie devant le CME (2). Autrement dit, le déféré ne faisait pas naître une nouvelle instance. Cette interprétation ne s'accorde pourtant pas avec l'arrêt du 10 avril 2013. En effet, la Cour de cassation fait application des articles 914, alinéa 2, et 916, alinéa 2, du Code de procédure civile, "en leur rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2011". Ainsi, la Cour de cassation applique au litige la réforme de la procédure d'appel issue des décrets de 2009 et 2010 (3). Toutefois, comme l'a remarqué un auteur (4), les dispositions transitoires de ces décrets prévoyaient une application de la nouvelle procédure "aux appels formés à compter du 1er janvier 2011". Or, dans l'affaire soumise à la Cour de cassation, l'appel datait de 2009. Les nouvelles dispositions n'auraient pas dû s'appliquer au litige. Toutefois, la procédure de référé était postérieure au 1er janvier 2011. Dans l'arrêt étudié, tout se passe comme si la Cour de cassation avait traité l'instance sur le déféré comme une instance indépendante et qu'elle avait appliqué à cette instance la nouvelle procédure d'appel. Cette interprétation n'est pas évidente dans l'arrêt et, en tout état de cause, la décision de la Cour de cassation n'est pas conforme aux dispositions transitoires du décret du 9 décembre 2009 (5). Toutefois, cet arrêt s'intègre dans un mouvement jurisprudentiel plus général qui tend à traiter le déféré comme un recours de droit commun similaire à un appel et qui crée une instance dérivée dans la procédure d'appel. Par exemple, dans un arrêt du 3 mars 1992 (6), la Cour de cassation avait jugé que le déféré n'avait pas le caractère d'un appel, et elle avait admis en conséquence que le CME dont la décision était attaquée siège ensuite dans la formation collégiale de la Cour d'appel statuant sur le déféré. Toutefois, la Cour de cassation juge désormais que le CME ne peut siéger dans la formation de la cour d'appel qui statue sur le déféré de sa décision (7). Si la nouvelle solution découle logiquement du procès équitable, elle tend également à traiter le déféré commun un recours de droit commun et elle va donc dans le sens d'une instance autonome. On attendra de voir, avec la réforme de la procédure d'appel, si cette tendance jurisprudentielle se confirme.


(1) Cass. civ. 2, 20 juillet 1987, n° 86-13.244 (N° Lexbase : A8608AHB), D., 1988, 128, note Remy.
(2) L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Lexisnexis, 7ème éd., 2011, n° 779, p. 720.
(3) Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW) ; décret n° 2010-1647 du 28 décembre 2010, modifiant la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L9934INA).
(4) Ch. Laporte, Déféré : application immédiate du décret Magendie, JCP éd. G, 2013, 461.
(5) Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, art. 15, al.2.
(6) Cass. civ. 1, 3 mars 1992, n° 90-11.088 (N° Lexbase : A4996AHI), JCP éd. G, 1993, II, 21977, note du Rusquec.
(7) Cass. civ. 2, 10 septembre 2009, n° 08-14.004, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8946EKK), JCP éd. G, 2010, 551, n° 21, obs. S. Amrani-Mekki.

newsid:437026

Procédure pénale

[Brèves] Détermination des modalités de fonctionnement des établissements pénitentiaires

Réf. : Décret n° 2013-368 du 30 avril 2013, relatif aux règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires (N° Lexbase : L7256IWN)

Lecture: 1 min

N7059BTM

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Le 16 Mai 2013

A été publié au Journal officiel du 3 mai 2013, le décret n° 2013-368 du 30 avril 2013, relatif aux règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires (N° Lexbase : L7256IWN). Ce texte, qui entre en vigueur le lendemain de sa publication, fixe les règlements intérieurs types des différentes catégories d'établissements pénitentiaires. Il détermine les modalités de fonctionnement communes à l'ensemble des établissements pénitentiaires. Il comporte également des dispositions spécifiques aux maisons d'arrêt, aux maisons centrales, aux centres de détention et aux centres pour peines aménagées. Il précise les droits et obligations des personnes détenues.

newsid:437059

Propriété

[Questions à...] La cathédrale de Nice est bien la propriété de l'Etat russe - Questions à Maître Alain Confino, avocat au barreau de Paris

Réf. : Cass. civ. 3, 10 avril 2013, n° 11-21.947, FS-P+B (N° Lexbase : A0776KCQ)

Lecture: 11 min

N7031BTL

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par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 16 Mai 2013

Par un arrêt du 10 avril 2013, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'Aix-en-Provence du 19 mai 2011 (CA Aix-en-Provence, 19 mai 2011, n° 10/01453 N° Lexbase : A0785HSU) qui avait retenu que la prestigieuse cathédrale Saint-Nicolas de Nice était la propriété de l'Etat de Fédération de Russie, et non de l'association cultuelle orthodoxe qui occupait l'édifice depuis 80 ans. Pour faire le point sur les apports juridiques de cette affaire, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Alain Confino, avocat au barreau de Paris, ayant défendu les intérêts de l'Etat russe dans cette affaire, que nous avions déjà interrogé à l'occasion de la décision rendue par la cour d'appel le 19 mai 2011 (lire N° Lexbase : N4301BS4), et qui a accepté de revenir sur cette affaire définitivement tranchée, afin d'en dégager quelques enseignements. Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les termes du litige ?

Alain Confino : Pour résumer cette affaire à l'extrême, il s'agissait pour l'Etat de la Fédération de Russie de reprendre possession de la cathédrale orthodoxe russe de Nice (considérée comme le plus bel édifice religieux russe édifié, entre 1903 et 1912, hors les frontières de l'Empire tsariste), à l'expiration, au 31 décembre 2007, d'un bail emphytéotique consenti en 1909 par le Tsar Nicolas II à l'administration ecclésiastique diocésaine de Saint-Pétersbourg sur un terrain acquis en 1865 par son grand-père, le Tsar Alexandre II. En 1927, un acte dit d'"attribution", conforme aux lois de 1905 et 1926, avait été signé entre Monseigneur Euloge, chargé de l'administration des églises russes en Europe occidentale, et une association cultuelle locale (dénommée ACOR) constituée en 1923 pour continuer la gestion de la paroisse russe de Nice.

Fin 2005, mon cabinet a été chargé par l'Etat russe de préparer cette reprise de possession et a déposé à cet effet une requête au président du TGI de Nice afin d'ordonner un inventaire du contenu de la cathédrale et un constat de l'état de l'édifice. Cette mesure ayant été accordée, l'huissier chargé de réaliser ces opérations s'est heurté à l'obstruction physique des représentants de l'ACOR. Celle-ci a saisi le président du tribunal qui, face aux remous suscités par l'association dans les medias locaux à la suite de cette démarche, a rétracté son ordonnance et renvoyé les parties au fond.

C'est dans ces conditions que nous avons saisi le tribunal de grande instance de Nice qui, par un jugement rendu le 20 janvier 2010, faisait entièrement droit aux demandes de l'Etat. Sur appel de l'association, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par arrêt du 19 mai 2011, confirmait la propriété de la Fédération de Russie sur l'édifice et son droit d'en reprendre possession. L'association, qui ne s'avouait pas vaincue pour autant, s'est pourvue en cassation et a refusé l'accès à la cathédrale aux représentants de l'Etat russe chargés d'évaluer les importants travaux à y faire. Nous avons donc dû saisir le juge de l'exécution qui, par jugement du 31 octobre 2011, ordonnait à l'ACOR, sous astreinte de 6 000 euros par jour, de leur remettre un jeu de clefs de l'édifice. Saisi par l'ACOR d'une demande de sursis à exécution de ce jugement, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par ordonnance du 30 novembre 2011, rejetait ce recours. L'association s'est alors enfin exécutée. Son pourvoi contre l'arrêt au fond vient donc d'être rejeté par la troisième chambre civile par un arrêt du 10 avril 2013 qui met un point final à ce long procès.

Voilà pour le déroulement procédural, à l'occasion duquel les juridictions saisies ont été amenées à trancher un nombre considérable de questions tant de droit immobilier français que de droit impérial russe et de droit international.

Lexbase : Quelles ont été les principales questions soulevées en l'espèce ?

Alain Confino : Nous avons dû, d'abord, faire la démonstration, à l'aide de très nombreux documents historiques et juridiques (que nous avons retrouvés dans les archives départementales et municipales de Nice ainsi que dans les archives d'Etat à Saint-Pétersbourg et Moscou), et avec le renfort de consultations rendues par d'éminents historiens du droit russe, que la cathédrale de Nice et son terrain avaient dès l'origine un caractère de bien d'Etat.

Nous avons pu ainsi établir :

- que le terrain appartenait à l'Etat dès son acquisition par l'Empereur Alexandre II en 1865, car il avait fait cette acquisition en sa qualité de chef de l'Etat impérial, et non à titre privé ;
- qu'un oukase (ordonnance) pris en 1908 par Nicolas II, reconnaissait le Cabinet Impérial comme étant le propriétaire du terrain ;
- que le Cabinet était désigné à cet égard en sa qualité d'institution de l'Etat impérial ;
- que, construite sous les ordres de Nicolas II et avec des deniers d'Etat mis par lui à la disposition de la commission d'édification, la cathédrale avait le caractère d'une propriété étatique et non celui d'un bien personnel de la famille impériale ; nous avons d'ailleurs été confortés dans notre démonstration par des témoignages de descendants de cette famille et notamment de l'actuel chef de la famille Romanov ;
- enfin, que le caractère étatique de la propriété de l'édifice était encore clairement attesté par les actes publiés au cadastre et au fichier immobilier français.

Lexbase : En l'espèce, s'agissant de la reconnaissance du droit de propriété de l'Etat russe, comment avez-vous pu démontrer sa qualité de bailleur emphytéotique ?

Alain Confino : Nous avons établi que la Fédération de Russie vient légalement et légitimement aux droits de l'Empire Russe et, partant, du bail emphytéotique, par une succession d'actes d'Etat réguliers et légitimes.

C'est ainsi que nous avons dû notamment démontrer que les mesures prises par le Gouvernement provisoire de février 1917 et le massacre de la famille impériale par la Révolution d'octobre n'avaient d'aucune manière remis en cause la propriété de la cathédrale de Nice, s'agissant d'un bien qui n'appartenait pas à la famille impériale mais à l'Etat.

Nous avons par ailleurs montré comment l'URSS était venue aux droits et obligations de l'Empire (après la République Socialiste de Russie puis la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie) et rappelé que la Fédération de Russie a été reconnue par la communauté des nations Etat continuateur de l'ex-URSS.

De sorte que la Fédération de Russie avait bien la qualité de bailleur emphytéotique et, de ce fait, était la propriétaire du terrain, de ses constructions et de leur contenu mobilier considéré par le droit français comme des immeubles cultuels par destination.

C'est ce que la Cour de cassation a retenu en énonçant "qu'ayant relevé que par oukase du 20 décembre 1908, le tsar Nicolas II avait ordonné de considérer le terrain litigieux comme étant la propriété de son cabinet, que le bail emphytéotique du 9 janvier 1909, signé au nom du bailleur par le consul de Russie à Nice agissant comme mandataire d'un ministre de la Cour impériale de Russie, mentionnait qu'il portait sur un terrain appartenant à la Cour impériale de Russie', que l'Etat de la Fédération de Russie a finalement succédé à l'Empire russe, la continuité juridique étant admise par l'Etat de la Fédération de Russie et par la République française, la cour d'appel, qui en a déduit, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté de ces deux actes rendait nécessaire, que le bien litigieux était devenu la propriété de la Cour impériale de Russie à la date du bail puis celle de la Fédération, a pu, par ces seuls motifs et sans être tenue de répondre à des moyens que ses constatations rendaient inopérants, rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de la Fédération et déclarer celle-ci propriétaire et bailleur emphytéotique du bien".

Lexbase : Des enseignements sont-ils à tirer de cette affaire quant au régime du bail emphytéotique ?

Alain Confino : L'association cultuelle avait mis en doute la qualification de bail emphytéotique au regard des dispositions de l'article L. 451-1 du Code rural (N° Lexbase : L4141AE4), aux termes desquelles "ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière" au motif que le bail consenti par Nicolas II comportait une clause selon laquelle "l'Administration de l'Eglise ne pourra céder son droit au présent bail ou sous-louer à quelque titre que ce soit", "ne pourra transformer la nature de l'Edifice qui doit demeurer Eglise Orthodoxe Russe livrée au culte" et "ne pourra également édifier sur le terrain présentement loué aucune autre construction que l'Eglise", et enfin que "le présent bail sera également résilié de plein droit au cas où pour une raison quelconque le culte orthodoxe russe cesserait définitivement d'être célébré à l'Eglise".

Elle en concluait que cette convention ne pouvait être qualifiée de bail emphytéotique dans la mesure où certaines des caractéristiques essentielles de ce type de droit réel faisaient défaut. Soulevée par l'association détentrice, cette question aboutissait toutefois inéluctablement pour elle à une impasse totale puisqu'elle en concluait... que la convention devait être requalifiée en bail de droit commun et que celui-ci était nul faute de prix. De sorte qu'elle n'en était que davantage détentrice précaire du bien et ne pouvait donc prétendre au statut de possesseur au regard de la prescription acquisitive !

La question méritait sans doute d'être posée en droit pur. Il est de jurisprudence traditionnelle que le bail emphytéotique ne peut comporter aucune restriction à la liberté de l'emphytéote de donner au bien la destination qu'il souhaite, ni à celle de le céder ou sous-louer. Les circonstances historiques et la destination d'édifice cultuel légitimaient sans doute une entorse aux règles gouvernant l'emphytéose. Mais la qualification de commodat aurait pu aussi convenir. Cependant, les juges du fond n'ont pas eu à trancher cette question dès lors qu'elle n'emportait aucune conséquence particulière dans le débat qu'ils avaient à trancher.

Lexbase : L'association cultuelle revendiquait la propriété de la cathédrale au titre de la prescription acquisitive. En vain. Quels sont les apports de la décision de la Cour de cassation du 10 avril 2013 en matière de prescription acquisitive, et plus particulièrement de la possession équivoque ?

Alain Confino : En effet l'ACOR, contrairement à sa prise de position initiale devant le juge des référés de Nice en 2006, lorsqu'elle reconnaissait n'être qu'emphytéote, se prétendait devenue propriétaire par l'effet de la prescription acquisitive. Mais, au regard du droit français, elle était bien un détenteur précaire car elle ne pouvait se prévaloir d'une véritable possession, ni a fortiori d'une possession utile en raison du vice radical d'équivocité qui affectait sa prétendue possession.

Nous avons à cet effet démontré que l'ACOR était la continuatrice de l'emphytéote d'origine, que l'acte dit d'attribution de 1927 n'avait qu'une finalité fiscale et n'avait pu en toute hypothèse lui conférer la propriété (ce qu'elle reconnaissait), qu'elle s'était d'ailleurs elle-même prévalue du bail emphytéotique à différents moments de son existence. Elle avait invoqué ce bail, notamment, en 1925, à l'occasion d'une procédure qu'elle avait introduite devant le juge des référés du Tribunal civil de la Seine pour contester le périmètre de la mission d'inventaire des biens laissés à l'abandon par l'URSS, nommée par le Gouvernement Herriot à la suite de la reconnaissance par la France de l'Etat soviétique. Pour éviter que cette mission ne s'étendît à la cathédrale de Nice, l'ACOR déclarait alors avoir la jouissance de cette cathédrale en vertu du bail emphytéotique.

Ce simple fait confirmait clairement le caractère équivoque de la possession qu'elle revendiquait.

Mais l'ACOR invoquait, pour tenter d'échapper à cette difficulté, une "interversion de titre" en prétendant qu'elle avait ainsi agi à l'encontre de l'URSS. Ce qui ne tenait évidemment pas dès lors qu'en 1925 elle ne se prétendait nullement propriétaire et qu'au surplus l'URSS n'était même pas partie au procès.

Le caractère équivoque de la possession avait de ce fait été retenu par le tribunal, puis par la cour d'appel.

La troisième chambre civile s'en est donc très naturellement remise aux constatations souveraines des juges du fond en considérant "qu'ayant relevé qu'au cours de la procédure devant le président du tribunal civil de la Seine en 1925, l'association n'avait pas prétendu que le bail emphytéotique n'existait plus, qu'elle avait affirmé alternativement avoir la détention, la possession ou la jouissance de la cathédrale, et retenu souverainement que la position exprimée par l'association devant cette juridiction n'était pas révélatrice d'une intention claire et non équivoque de se comporter en propriétaire de la cathédrale et que l'acte du 12 avril 1927 entre l'administration religieuse des églises orthodoxes d'Europe occidentale et l'association n'avait pu avoir pour effet de transférer à celle-ci la propriété des biens litigieux, la cour, qui en a déduit que la possession de ces biens par l'association était entachée d'équivoque et que celle-ci ne pouvait se prévaloir d'une interversion de son titre, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef".

Lexbase : Avez-vous dû affronter d'autres difficultés pour gagner ce procès, et lesquelles ?

Alain Confino : Certes oui ! Je pourrais d'abord évoquer les difficultés médiatiques et même politiques que nous avons connues, surtout au début, lorsque l'association locale avait mobilisé autour d'elle les médias, même nationaux, et les élus locaux, sur les thèmes : "il est inadmissible qu'un Etat étranger revendique la propriété d'un édifice cultuel sur le territoire français", "il est intolérable qu'une association regroupant les descendants de russes émigrés ayant fui le régime soviétique se voie priver de 'son' bien (un bien pourtant construit, financé par le Tsar et remis gratuitement à l'Eglise)", etc..

Progressivement, néanmoins, la presse et les élus qui s'étaient émus au début ont compris que l'Etat de la Fédération de Russie ne faisait rien d'autre qu'exercer légitimement un droit protégé par les lois de notre pays. Ils se sont mêmes rendus compte, au fil des ans, que la véritable motivation de l'association était financière, car cet édifice niçois est le monument le plus visité de la Côte d'Azur (150 000 visiteurs par an) et que l'association cultuelle en tirait un bénéfice considérable par les droits d'entrée qu'elle faisait payer en dehors des offices (à raison de 3 euros par visiteur). Or, la Fédération de Russie, par la voix de ses deux ambassadeurs successifs qui ont connu ce dossier, S.E. Alexandre Avdeev d'abord, puis S.E. Alexandre Orlov, avait fait savoir qu'elle rétablirait la gratuité des entrées dans ce lieu de culte.

Mais nous avons dû aussi affronter tardivement, devant la cour d'appel, une fin de non-recevoir à l'action de la Russie, soulevée par l'association après quatre ans de procédure. Selon elle, la Fédération de Russie (dont elle soutenait par ailleurs de façon très contradictoire qu'elle n'avait jamais eu la qualité d'emphytéote) avait perdu le droit d'agir en signant, le 27 mai 1997, l'accord franco-russe qui mettait fin aux contentieux soulevés avant 1945 entre les deux pays, notamment au sujet de la lancinante question des emprunts russes !

Cet accord interétatique contenait notamment une stipulation qui, selon l'ACOR, interdisait à la Russie de se prévaloir d'un droit de propriété né avant 1945, et notamment du droit de reprendre la propriété d'un bien au terme d'un bail emphytéotique conclu en 1909, en soutenant que ce droit était né dès la conclusion du bail. Pour astucieux qu'il fût, ce moyen ne pouvait prospérer. Nous avons bataillé ferme pour prouver que l'Accord de 1997 ne pouvait d'aucune façon valoir renonciation réciproque des deux pays à faire valoir leurs droits de propriété respectifs régulièrement acquis avant 1945. Nous avons également souligné que, de toutes façons, s'agissant d'un accord entre Etats, l'association ne pouvait l'invoquer à son profit devant une juridiction française, et ce conformément à la doctrine du Conseil d'Etat.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait admis que l'action intentée par la Fédération de Russie à l'expiration du bail emphytéotique était de ce fait hors du champ de l'Accord de 1997.

Mais la bataille a repris de plus belle sur ce point devant la Cour de cassation qui, en définitive, pour rejeter le moyen soulevé sur ce point par le pourvoi, a substitué au motif retenu par les juges d'appel celui, de pur droit, tiré de la non-invocabilité de l'Accord de 1997 par l'association, s'agissant d'un accord interétatique dont l'objet était bien de régler les contentieux entre la France et la Russie.

Elle l'a fait en des termes très clairs :

"attendu qu'il résulte tant de son objet que des termes de ses stipulations que l'accord du 27 mai 1997 conclu entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945, a entendu apurer un contentieux financier entre ces deux Etats, le règlement des litiges liés aux créances entre les particuliers et chacun de ces Etats demeurant exclusivement de la compétence nationale ; qu'il s'ensuit que l'association ne peut utilement invoquer, au soutien de sa fin de non-recevoir, un moyen tiré des dispositions de l'article V dudit accord".

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Santé

[Brèves] Interdiction de la publicité en faveur d'une méthode de massage (le Nuad Thao) et d'une méthode de Fish pédicure (le Fish Spa)

Réf. : Décision du directeur général de l'ANSM du 13 février 2013 interdisant la publicité pour un objet, un appareil ou une méthode présenté comme bénéfique pour la santé lorsqu'il n'est pas établi qu'il possède les propriétés annoncées

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Le 16 Mai 2013

A été publiée au Journal officiel du 4 mai 2013, la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en date du 13 février 2013, interdisant, en application des articles L. 5122-15 (N° Lexbase : L1700IT7) et R. 5122-26 (N° Lexbase : L9373ISX) du Code de la santé publique, la publicité pour un objet, un appareil ou une méthode présenté comme bénéfique pour la santé lorsqu'il n'est pas établi que ledit objet, appareil ou méthode possède les propriétés annoncées. La société F. avait fait paraître, sur son site internet, une publicité en faveur d'une méthode de massage (le Nuad Thao) et d'une méthode de Fish pédicure (le Fish Spa), présentées comme bénéfiques pour la santé avec des allégations telles que : concernant le Nuad Thao ("soulage les douleurs au niveau des muscles et articulations ; il vous aide à combattre efficacement (...) l'insomnie et même la fatigue chronique ; ce soin traditionnel Thaï aide à soulager le phénomène 'jambes lourdes'" ; concernant le Fish Spa : "le garra (...) libère une enzyme, le diathranol, connue pour limiter la propagation des symptômes de certaines maladies de peau ; [libère les pores de votre peau], pour vous permettre d'éliminer impuretés et bactéries ; les micro-succions du garra ont un effet stimulant sur votre circulation". Or la réponse fournie par la firme ne contenait aucun élément scientifique permettant d'apporter la preuve de ces allégations. Aussi, la publicité, effectuée par la société F., sous quelque forme que ce soit, en faveur d'une méthode de massage (le Nuad Thao) et d'une méthode de Fish pédicure (le Fish Spa), reprenant les termes visés ci-dessus, est interdite.

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