Lexbase Contentieux et Recouvrement n°10 du 9 juillet 2025

Lexbase Contentieux et Recouvrement - Édition n°10

Actualité

[Veille d'actualité] Veille – l’actualité de la procédure civile et des voies d’exécution (mars à juin 2025)

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N2531B37

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 09 Juillet 2025

La revue Lexbase Contentieux et recouvrement vous propose de retrouver, dans un plan thématique, une sélection des décisions qui ont fait l’actualité de la procédure civile (I) et des voies d’exécution (II) de mars à juin 2025, ainsi que toute l’actualité normative (III), classées par thèmes et mots-clés, pour vous permettre une lecture fluide et pertinente des évolutions récentes.


 

I. Actualité jurisprudentielle en procédure civile

♦ Appel à jour fixe

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-11.183, F-D N° Lexbase : A58760DY : Viole les articles 922 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0982H47 et 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme N° Lexbase : L7558AIR, la cour d’appel qui déclare irrecevable un appel à jour fixe, en raison du fait que l’assignation déposée au greffe ne comprend pas la copie de la requête aux fins d’autorisation d’assigner à jour fixe, l’ordonnance du premier président, et la déclaration d’appel. Dans cette hypothèse, la Cour considère que les juges du fond avaient été saisis, et que l’absence de remise de la copie de l’assignation au greffe n’aurait pu être sanctionnée que par la caducité de la déclaration d’appel. Dans cette même affaire, l’assignation à jour ne comprenait que deux pages, et ne disposait pas de dispositif contenant les prétentions du demandeur. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation considère qu’il s’agit d’une irrégularité de forme, qui n’est susceptible d’entraîner sa nullité que sur la démonstration d’un grief. Au passage, la cour précise que les juges d’appel n’auraient pu prononcer la caducité de la déclaration d’appel, sans avoir constaté au préalable, la nullité de cet acte.

♦ Appel immédiat

Cass. civ. 2, 13 mars 2025, n° 22-20.683, F-D N° Lexbase : A289467C : La décision d'une juridiction du premier degré, qui se borne à ordonner une mesure d'expertise, ne peut être frappée d'appel indépendamment du jugement sur le fond que sur autorisation du premier président de la cour d'appel, dans les conditions prévues par le deuxième de ces textes.

♦ Conclusions d’appel

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-18.277, F-D N° Lexbase : A58160DR : Dans le cadre d’une instance d’appel, une banque sollicite dans le dispositif de ses conclusions, d'infirmer le jugement en ce qu'il avait prononcé l'annulation de la déchéance du terme et, statuant à nouveau, de retenir le montant de sa créance en principal, accessoires, frais et intérêts à la somme de 250 752,58 euros. À la lecture de ce dispositif, la cour d’appel estime que la banque ne forme aucune prétention qui tend à voir débouter les adversaires de leurs demandes. Les juges du fond déduisent qu’ils ne sont saisis d’aucune prétention quant à la disposition du jugement qui a prononcé l’annulation de la déchéance du terme, dont les intimés demandent la confirmation, et qu’elle ne peut que confirmer cette disposition. La Cour de cassation casse et annule cette décision au visa de l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, et l’article 954 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7253LED, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891, du 6 mai 2017 N° Lexbase : L9786MXQ. Elle considère qu’à la lecture du dispositif des conclusions de la banque, il se déduisait que cette dernière sollicitait le débouté des demandes adverses, en ce compris celles tendant à la confirmation du jugement sur la régularité du prononcé de la déchéance du terme. De ce fait, les juges du quai de l’horloge considèrent que la cour d’appel a fait preuve d’un formalisme excessif.

Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-22.868, F-B N° Lexbase : B3029AAG : Il résulte d’une jurisprudence de 2020 (Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I N° Lexbase : A88313TA), que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. La Cour de cassation considère que lorsqu’une instance a été introduite par une déclaration d'appel antérieure à cette jurisprudence, la règle de procédure nouvelle énoncée pour la première fois par cette dernière ne peut recevoir application, quand bien même la déclaration de saisine serait postérieure au 17 janvier 2020.

♦ Contradictoire

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-16.067, F-D N° Lexbase : A59220DP : Une cour d’appel constate qu’un appel est dépourvu d’effet dévolutif, en raison de l’absence de mention des chefs de jugements expressément critiqués et de la mention « appel total » dans la déclaration d’appel. Cependant, la Cour d’appel mentionne ses constatations dans son arrêt, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel, aux motifs que les constatations des juges du fond sur l’absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel, constituaient un moyen relevé d’office sur lequel les parties auraient dû être invitées à formuler leurs observations.

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 21-20.297, F-B N° Lexbase : A42280CL : Dans le cadre d’une procédure d’appel sans représentation obligatoire, viole l’article R. 142-11 du Code de la sécurité sociale N° Lexbase : L6655LMG et les articles 16 N° Lexbase : L1133H4Q, 446-1 N° Lexbase : L1138INH et 946 N° Lexbase : L8617LYS du Code de procédure civile, la cour d’appel qui autorise une partie, qui n’a pas été mise en mesure de répondre aux prétentions et moyens adverses, à communiquer une note en délibéré, alors que les juges ne pouvaient que renvoyer l’affaire à une prochaine audience.

♦ Déclaration d’appel

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-21.602, F-B N° Lexbase : A42310CP : La déclaration d’appel qui énumère les chefs de jugement dont il est demandé la confirmation et qui sollicite l’infirmation de la décision pour le « surplus » est valide. Dans cette hypothèse, les juges du droit considèrent que si la déclaration précise son objet, alors il se déduit de cette dernière l’énumération des chefs de jugement critiqués.

♦ Droit à la preuve

Cass. soc., 19 mars 2025, n° 23-19.154 N° Lexbase : A04510BC : Il résulte de l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes. Toutefois, il peut prendre en considération ces témoignages, qui sont rendus anonymes a posteriori, mais dont l’identité est connue par la partie qui les produit. Pour ce faire, la partie qui produit ces témoignages devra verser aux débats d’autres éléments, afin de corroborer ces derniers et de permettre au juge d’analyser leur crédibilité et leur pertinence. En l’absence de tels éléments, le juge devra, dans un procès civil, apprécier si la production d'un témoignage dont l'identité de son auteur n'est pas portée à la connaissance de celui à qui ce témoignage est opposé porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Ensuite, le juge devra mettre en balance le principe d’égalité des armes et les droits antinomiques en présence. Le droit de la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte au principe d’égalité des armes, à condition que cette production soit indispensable à son exercice, et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-17.022, F-B N° Lexbase : A42130CZ : Dans le cadre d’une procédure d’appel, un intimé n’a pas constitué avocat dans le mois de l’avis adressé par le greffe, conformément à l’article 902 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2383MLT. Ne disposant pas du fichier récapitulatif, qu’elles n’ont pas réclamé, les appelantes ont signifié à l’intimé le document joint au message RPVA. Par la suite l’intimé a constitué avocat devant la cour. Cependant, la cour d’appel décide de déclarer l’appel caduc, en raison du fait que ce message ne justifie pas la remise de la déclaration d’appel au greffe. Également, les juges du fond considèrent que ni l’acte de signification ni les pièces remises à l’intimé n’établissent la remise de la déclaration d’appel au greffe. La Cour de cassation désapprouve cette argumentation, car, d’une part, la remise du fichier récapitulatif est une charge qui incombe au greffe, et d’autre part, l’intimé a constitué avocat, ce qui démontre qu’il a été informé de l’acte d’appel. Les juges du droit considèrent que la cour d’appel a fait preuve d’un formalisme excessif.

Cass. civ. 2, 30 avril 2025, n° 22-20.064, F-B N° Lexbase : A15810QM : Une déclaration d’appel irrégulière, faute d’avoir été communiquée par RPVA, qui fait encourir une irrecevabilité au recours, n’empêche pas l’appelant de former un second appel, sous réserve de l’expiration du délai d’appel, et tant que le premier n’a pas été déclaré irrecevable.

 Enrôlement

Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-23.066, F-B N° Lexbase : B3039AAS : Une assignation délivrée à plusieurs personnes n'impose pas plusieurs enrôlements. Dans cette hypothèse, la remise au greffe d’une seule copie de l'assignation, faite dans le délai imparti, est régulière. 

 Fin de non-recevoir

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-21.513, F-D N° Lexbase : A58360DI : Aux termes de l’article 123 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9280LTU, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement, et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages et intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt. Ainsi, viole l’article susvisé la cour d’appel qui déclare irrecevable une fin de non-recevoir, aux motifs que cette dernière constitue une prétention nouvelle au sens de l’article 564 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0394IGP.

♦ Injonction de payer

Cass. civ. 3, 27 mars 2025, n° 23-21.501, FS-B N° Lexbase : A42260CI : Il résulte de l’article 1405 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6337H7T que le recouvrement d’une créance contractuelle ne peut être demandé suivant la procédure d'injonction de payer que si son montant est déterminé en vertu des stipulations du contrat. Ainsi, n’étant pas déterminée en vertu des seules stipulations du contrat de bail, la créance réclamée au titre de dégradations locatives ne peut faire l’objet d’une procédure d’injonction de payer.

♦ Juge commis pour surveiller les opérations de partage

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-18.970, F-B N° Lexbase : A42220CD : Le juge commis pour surveiller les opérations de partage, qui ordonne une expertise portant sur des actifs aux fins de liquidation de la masse et de son partage, tient son pouvoir de désigner un expert des articles 1375 N° Lexbase : L6329H7K et 1371, alinéa 1er N° Lexbase : L6325H7E du Code de procédure civile. En usant de ce pouvoir, le juge ne vide pas sa saisine et il reste saisi de la surveillance des opérations de partage.

♦ Jugement rendu en dernier ressort

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-20.194, F-B N° Lexbase : A56290CH ; Cass. civ. 1, 2 avril 2025, n° 24-13.847, F-B N° Lexbase : A35180EZ : Il résulte des articles 606 N° Lexbase : L6763H7M, 607 N° Lexbase : L6764H7N et 608 N° Lexbase : L7850I4I du Code de procédure civile que, sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements en dernier ressort qui ne mettent pas fin à l'instance ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond que s'ils tranchent dans leur dispositif tout ou partie du principal. Une telle règle ne peut faire l’objet d’une dérogation qu'en cas d'excès de pouvoir.

♦ Juge de la mise en état

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-21.989, F-D N° Lexbase : A58210DX : Il résulte de l’article 789 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9730MMC que le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, exclusivement compétent pour statuer sur une fin de non-recevoir. Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance. Une cour d’appel qui est saisie d’un recours contre une ordonnance du juge de la mise en état ne peut statuer que dans la limite du champ de compétence d’attribution de celui-ci, conformément à l’article 789 du Code de procédure civile.

♦ Mesure d’expertise judiciaire

Cass. civ. 2, 30 avril 2025, n° 22-15.215, FS-B N° Lexbase : A15690Q8 : Un examen clinique destiné à donner lieu à des constatations d’ordre strictement médical, dont l’expert rend compte ensuite de manière contradictoire, n’est pas le lieu, par l’assistance de l’ensemble des conseils des parties, à une discussion ayant trait à la responsabilité ou encore à des questions de nature juridique. De ce fait, il ne saurait être fait droit à la demande d’assistance de la victime par son avocat lors de l’examen clinique d’une expertise psychiatrique. Ce dernier assiste déjà à l'accueil, à l'exposé à l'anamnèse, au recueil de doléances, à la discussion médico-légale et à la restitution contradictoire faite par l'expert de ses constatations cliniques.

♦ Notification à l’étranger

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-19.012, F-D N° Lexbase : A58310DC : Il résulte des articles 14 N° Lexbase : L1131H4N, 683 N° Lexbase : L6759LE3 et 684 N° Lexbase : L6161LTD du Code de procédure civile, 21 et 23 du Protocole judiciaire entre la France et l'Algérie annexé au décret n° 62-1020, du 29 août 1962 N° Lexbase : L1337NAR, que l'acte destiné à être notifié par le secrétaire d'une juridiction à une personne qui demeure en Algérie, est notifié par la transmission de l'acte au parquet du lieu où se trouve le destinataire. Dans cette hypothèse, l’autorité requise doit effectuer la remise de l’acte à celui-ci. Ensuite, la preuve de la remise ou du refus par le destinataire de l’acte de le recevoir doit être établie.

¨ Ordonnance du juge-commissaire

Cass. com., 26 mars 2025, n° 23-21.958 N° Lexbase : A16070CI : Il résulte de l’article R.621-1 du Code de commerce N° Lexbase : L6127L4P qu’en l’absence de disposition particulière contraire, le recours contre l’ordonnance du juge-commissaire, statuant sur une contestation de la liste des créances, doit être porté devant le tribunal ayant ouvert la procédure collective, et non devant la cour d’appel. Seul le jugement rendu sur ce recours est susceptible d’appel.

♦ Ordonnance sur requête

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-23.285, F-D N° Lexbase : A58530D7 : Viole les articles 145 N° Lexbase : L1497H49 et 493 N° Lexbase : L6608H7U du Code de procédure civile, une cour d’appel qui rétracte une ordonnance rendue sur le fondement de l’article 145, alors que cette dernière ne fait pas état de circonstance justifiant qu’il soit procédé non contradictoirement, et qu’il n’y a pas de démonstration dans la requête que le comportement des parties défenderesses pouvait laisser craindre qu’elles fassent disparaître les preuves, ni de prise en compte d’élément propre à déroger au principe du contradictoire.

♦ Péremption de l’instance

Cass. civ. 2, 20 mars 2025, n° 22-24.544, F-D N° Lexbase : A70690BG : La Cour de cassation juge qu’en procédure orale (Cass. civ. 2, 10 octobre 2024, n° 22-12.882, FP-B N° Lexbase : A441859I), à moins que les parties ne soient tenues d'accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe. Par conséquent, il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l'affaire à une audience, dans le seul but d'interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif.

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-14.662, F-D N° Lexbase : A58920DL et n° 22-23.948, FS-B N° Lexbase : A42160C7 : Il résulte de l'article 386 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2277H44 que la péremption d'instance peut être interrompue par des actes accomplis dans une autre instance, à condition qu'un lien de dépendance direct et nécessaire existe entre les deux instances.

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-20.067, F-D N° Lexbase : A59220DP et n° 22-15.464, FS-B N° Lexbase : A42290CM : La Cour de cassation considère qu’une diligence interruptive de péremption s’entend de l’initiative d’une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l’instance. Elle affirme que ces nouvelles conditions sont appréciées souverainement par le juge.

Cass. civ. 2, 10 avril 2025, n° 23-11.473, F-D N° Lexbase : A95760II : En matière de procédure orale, notamment en matière de contentieux de la Sécurité sociale, les parties n’ont pas à solliciter la fixation d’une audience pour interrompre le délai biennal de péremption, sauf diligence particulière imposée par la juridiction.

♦ Prescription

Cass. civ. 2, 7 mai 2025, n° 23-20.113, F-B N° Lexbase : A22460RM : En principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un seul et même but.

♦ Rapport d’expertise

Cass. civ. 2, 13 mars 2025, n° 23-18.204, F-D N° Lexbase : A2860673 : Aux termes de l’article 16 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1133H4Q, et hormis les cas où la loi en dispose autrement, le juge ne peut fonder exclusivement sa décision sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties.

♦ Référé

Cass. com., 19 mars 2025, n° 22-24.761, F-B N° Lexbase : A501768C : Lorsque le juge est saisi au fond sur renvoi du juge des référés, conformément à l’article 873-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0852H4C, les parties peuvent présenter devant lui des demandes incidentes, additionnelles ou reconventionnelles, qui n'avaient pas été présentées devant le juge des référés.

Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 23-14.133, F-B N° Lexbase : B3032AAK : Il résulte des articles 485 N° Lexbase : L8426IRI, 486 N° Lexbase : L6600H7L, 857 N° Lexbase : L1475I87 et 858 N° Lexbase : L0834H4N du Code de procédure civile, que la procédure de référé devant le tribunal de commerce est régie par les dispositions communes à toutes les juridictions en matière de référé.

♦ Requête en rectification d’une erreur ou omission matérielle

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-21.527, F-B N° Lexbase : A42090CU : Il résulte des articles 14 N° Lexbase : L1131H4N et 462 N° Lexbase : L1217INE du Code de procédure civile, que lorsqu’il statue sans audience sur une requête en rectification d’une erreur ou omission matérielle, le juge, saisi par une partie, doit s’assurer que la requête a été portée à la connaissance des autres parties. Ainsi, viole les textes susvisés le tribunal qui rend une décision alors qu’il ne résulte ni des mentions de cette dernière ni des productions que la requête a été portée à la connaissance de l’autre partie.

♦ Signification

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-18.623, F-D N° Lexbase : A58860DD : Selon l’article 655 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6822H7S, si la signification à personne s’avère impossible, l’acte peut être délivré à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence. Dans ce cas, l’huissier doit relater dans l’acte, les diligences qu’il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire, et les circonstances caractérisant l’impossibilité d’une telle signification. Ainsi, viole l’article 655 du Code de procédure civile, la cour d’appel qui déclare tardif un appel, en raison du fait que l’acte de signification mentionnait que la certitude de l’adresse a été confirmée par le voisinage.

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 23-14.298 N° Lexbase : A42090CU : Lorsqu’un acte de signification a été délivré à l’étude de l’huissier au motif de l’absence de la personne concernée, mais qu’il n’a pas été procédé à d’autres vérifications de l’adresse que la présence du nom sur la boîte aux lettres, cela constitue un vice de forme. 

Cass. civ. 2, 10 avril 2025, n° 23-12.313, F-D N° Lexbase : A95250IM : Lorsqu’à peine de nullité, un acte ne peut être délivré à domicile que si la signification à personne s’avère impossible, cette impossibilité devant être constatée dans l’acte lui-même.

♦ Tierce opposition

Cass. civ. 2, 20 mars 2025, n° 22-24.353, F-B N° Lexbase : A531568D : Un employeur à l’égard duquel la décision de la CPAM sur le refus de prise en charge était définitive, dispose d’un intérêt personnel et actuel à former une tierce opposition à l’encontre d’un arrêt d’appel, qui reconnaît dans les rapports entre la caisse et la victime, le caractère professionnel de la maladie.

♦ Vérification d’un acte sous seing privé

Cass. civ. 2, 13 mars 2025, n° 23-16.755, F-B N° Lexbase : A571764I : Aux termes des articles 285 N° Lexbase : L5570LTH et 789, 5° N° Lexbase : L9730MMC du Code de procédure civile, il appartient à une cour d’appel qui est saisie du principal et d’une dénégation de l’écriture d’un acte sous signature privée demandée incidemment, de vérifier l’acte contesté, quand bien même la demande de vérification n’a pas été présentée au cours de la mise en état.

II. Actualité jurisprudentielle en voies d’exécution

♦ Astreinte

Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-22.416, F-B N° Lexbase : B3030AAH : L’action en liquidation d’une astreinte est soumise au délai de prescription des actions personnelles et mobilières prévu à l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC (Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-22.241, FS-P+B N° Lexbase : A8961Y4N). Lorsqu'une obligation est assortie d'une astreinte fixée par jour de retard, la prescription de l'action en liquidation de cette astreinte ne court pas, de manière distincte, pour chaque jour de retard pendant lequel l'obligation n'a pas été exécutée, mais à compter du jour où l'astreinte a pris effet.

♦ Chèque impayé

Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-15.566, F-B N° Lexbase : B3035AAN : Le juge de l’exécution a le pouvoir de trancher une contestation portant sur la validité du titre exécutoire, délivré en application de l’article L.131-73 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L9263LBP. Dans cette hypothèse, le juge de l’exécution a le pouvoir de statuer sur l'exception tirée de l'absence de cause du chèque.

♦ Juge de l’exécution

Cass. civ. 2, avis, 13 mars 2025, n° 25-70.003, FS-B+R N° Lexbase : A689164Y : Malgré l’abrogation partielle de l’article L.213-6 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L2379M9Y, par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2023-1068 QPC, du 17 novembre 2023 N° Lexbase : A61411ZH), le juge de l’exécution demeure compétent pour connaître de la saisie des rémunérations ainsi que des contestations relatives à des mesures d’exécution forcée mobilières.

Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-22.416, F-B N° Lexbase : B3030AAH : Le juge de l’exécution est compétent pour statuer sur une demande de dommages et intérêts, en raison du défaut d’exécution d’un titre exécutoire.

♦ Mesure conservatoire

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-18.847, F-B N° Lexbase : A42240CG : Viole l’article L.511-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5913IRG, une cour d’appel qui reconnaît l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe, sans examiner la contestation tenant à la prescription applicable et à son point de départ.

♦ Notification du titre exécutoire

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-18.591, F-B N° Lexbase : A42210CC : Il résulte des articles L.211-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5837IRM et de l’article 503 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6620H7C que seul le titre exécutoire en vertu duquel la saisie est pratiquée doit être notifié au débiteur. Dans le cas d’espèce, des époux ont été condamnés devant la Cour de cassation à payer une certaine somme à des créanciers. Au cours de leur procès, seuls l’arrêt d’appel et la décision de la Cour de cassation leur ont été notifiés. La décision de première instance n’a pas été notifiée aux parties adverses. Ensuite, les créanciers ont pratiqué une saisie attribution à l’encontre des débiteurs sur le fondement de l’arrêt de la Cour de cassation. Ces derniers ont alors tenté de contester la validité de la saisie, au motif que la décision de première instance ne leur a pas été notifiée. Or, la Cour de cassation rejette cette argumentation aux motifs que la saisie avait été réalisée au visa de la décision que la Cour avait rendu sur le fond de l’affaire. De ce fait, la décision de première instance n’avait pas à être notifiée. Également, la Cour approuve le raisonnement de la cour d’appel qui a considéré que la saisie était justifiée, et ce, malgré le fait qu’elle visait notamment à obtenir le paiement d’indemnités accordées par le tribunal et le premier arrêt d’appel.

♦ Procès-verbal de constat d’achat

Cass. mixte, 12 mai 2025, n° 22-20.739 N° Lexbase : A73480W3 : L'absence de garanties suffisantes d'indépendance du tiers acheteur à l'égard du requérant n'est pas de nature à entraîner la nullité du constat d'achat. Dans cette hypothèse, le juge doit apprécier si ce défaut d'indépendance affecte la valeur probante du constat.

♦ Saisie-attribution

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-18.531, F-B N° Lexbase : A42250CH : Il résulte de l’article L.211-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5837IRM que le créancier muni d'un titre exécutoire fondant une saisie-attribution peut saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur, mais non celles du débiteur de ce dernier.

♦ Saisie des biens corporels

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-20.142, F-D N° Lexbase : A58670DN : L’omission de la mention du décompte distinct du principal et des intérêts, dans le commandement aux fins de saisie-vente, constitue une irrégularité de forme. Dans cette hypothèse, la nullité du commandement ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire l’invoquant de prouver le grief que lui causait l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.

♦ Saisie immobilière

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-20.194, F-B N° Lexbase : A56290CH : C’est sans excéder ses pouvoirs, qu’un juge de l’exécution peut refuser d’homologuer un projet de distribution qui prévoit sur le prix de vente le prélèvement d'une somme non renseignée au bénéfice d'un créancier qui n'est pas admis à faire valoir ses droits sur le prix de la vente, en application de l'article L. 331-1 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L0434L8L.

♦ Saisie des rémunérations

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-18.591, F-B N° Lexbase : A42210CC : L’erreur portant sur la somme réclamée dans l'acte de saisie, consistant à ce que le créancier a en outre réclamé, dans le décompte, le paiement de sommes dues en vertu d'autres titres qui ne sont pas visés à l'acte, n'est pas une cause de nullité de celui-ci et ne peut donner lieu qu'à la réduction du montant pour lequel la saisie est pratiquée.

♦ Sous-cautionnement

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-11.482, F-B N° Lexbase : A42100CW : Il résulte de l’article L.111-3, 4° du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L3909LKY et de l’article 33, du décret n° 71-941, du 26 novembre 1971 N° Lexbase : C03277BQ, que la formule exécutoire apposée sur un acte de prêt notarié confère force exécutoire à l’engagement de sous-cautionnement au bénéfice de la caution. Pour ce faire, l’acte notarié doit comprendre l’engagement de sous-cautionnement. La caution qui a payé le prêteur en raison de la défaillance de l’emprunteur peut, sur le fondement de ce titre exécutoire, recouvrer sa créance envers la sous-caution, au titre de son action personnelle.

 

III. Actualité normative

Décret n° 2025-257, du 20 mars 2025, portant sur la rétribution au titre de l’aide juridictionnelle des avocats assistant plusieurs parties N° Lexbase : L0059M93 : Publié au journal officiel du 22 mars 2025, ce décret révise la part contributive versée par l’État à l’avocat, ou à l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, prévue par l’article 92, du décret n° 2020-1717, du 28 décembre 2020 N° Lexbase : Z66614XA. Conformément à l’article 2 N° Lexbase : Z73270S4 de ce décret, cette réforme entrera en vigueur le 1er août 2025.

Décret n° 2025-258, du 21 mars 2025, relatif au statut des clercs de commissaires de justice N° Lexbase : L0066M9C : Publié au journal officiel du 22 mars 2025, ce décret détermine le statut des clercs de commissaires de justice, dans le décret n° 2022-949, du 29 juin 2022 N° Lexbase : L2744MYB. Conformément à l’article 6 de ce décret N° Lexbase : Z81495UA, ce dernier est entré en vigueur le 1er avril 2025.

Loi n° 2025-391, du 30 avril 2025, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes N° Lexbase : L4775M9Q : Publiée au journal officiel du 2 mai 2025, cette loi réforme notamment l’action de groupe en introduisant, par exemple, une amende civile d'un montant maximal de 50 000 euros qui peut être prononcée contre le demandeur ou le défendeur à l'instance lorsque celui-ci a, de manière dilatoire ou abusive, fait obstacle à la conclusion d'un accord sur le fondement du jugement ayant ordonné la procédure collective de liquidation des préjudices.

Décret n° 2025-493, du 3 juin 2025, relatif au registre numérique des saisies des rémunérations, à la procédure de saisie des rémunérations et à la formation des commissaires de justice répartiteurs N° Lexbase : L8792M9I : Publié au journal officiel du 5 juin 2025, ce décret encadre la création du registre numérique de saisie des rémunérations du travail, et il entrera en vigueur au même moment que la nouvelle procédure des saisies des rémunérations, c’est-à-dire le 1er juillet 2025.

newsid:492531

Commissaires de justice

[Brèves] L’absence de vérification complémentaire de l’huissier de justice qui délivre un acte de signification à son étude est un vice de forme !

Réf. : Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-21.527, F-B N° Lexbase : A42090CU

Lecture: 3 min

N2094B3X

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 08 Juillet 2025

La Cour de cassation rappelle et précise sa jurisprudence au sujet de l’insuffisance des diligences de l’huissier de justice (V. Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-14.145 N° Lexbase : A10288YQ). Elle considère que lorsqu’un acte de signification a été délivré à l’étude de l’huissier au motif de l’absence de la personne concernée, mais qu’il n’a pas été procédé à d’autres vérifications de l’adresse que la présence du nom sur la boîte aux lettres, cela constitue un vice de forme.


Faits et procédure. Le 13 novembre 2012, le tribunal de grande instance de Fort-de-France, condamne Monsieur [S] [X] à payer une certaine somme à la société NACC. Par requête du 26 janvier 2022, la société NACC a saisi le tribunal aux fins de rectification d’une erreur matérielle affectant le jugement qui a été rendu le 13 novembre 2012. L’erreur portait sur le prénom du débiteur, qui se dénommait non pas Monsieur [S] [X], mais M. [N], [V] [X]. Le tribunal de grande instance de Fort-de-France a rendu un jugement rectificatif le 29 mars 2022. Par un acte du 30 avril 2022, la société NACC a cédé la créance litigieuse à la société B-Squared Investments. M. [N], [V] [X] décide alors d’attaquer cette décision, par une déclaration de pourvoi déposée auprès de la Cour de cassation, le 5 avril 2023.

Recevabilité du pourvoi. Les défenderesses au pourvoi, à savoir les sociétés NACC et B-Squared Investments, affirment que le pourvoi de M. [N], [V] [X] est tardif, car il a été formé par une déclaration du 5 avril 2023, alors que le jugement rectificatif lui a été signifié le 21 juin 2022. Le demandeur au pourvoi conteste quant à lui la validité de cette signification. Dans le cas d’espèce, le procès-verbal de signification a été délivré à l’étude de l’huissier de justice, au  motif de l’absence de la personne concernée, sans qu’il n’ait été procédé à d’autres vérifications de l’adresse que la présence du nom sur la boîte aux lettres.

Solution. La Cour de cassation refuse de déclarer nul l’acte de signification qui a été délivré à l’étude d’huissier. Elle considère que lorsqu’un huissier de justice vérifie l’adresse de la personne visée par l’acte seulement par la présence du nom sur la boîte aux lettres, et sans réaliser d’autres vérifications, cela constitue un vice de forme. Dans cette hypothèse, l’acte de signification encours la nullité selon conditions l’article 114 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1395H4G. Après avoir énoncé la lettre de cet article, la Cour de cassation constate que M. [N], [V] [X] n’allègue aucun grief. De ce fait, les juges du droit considèrent que M. [N], [V] [X] ne peut pas remettre en cause la validité de l’acte de signification. Ainsi, les juges du quai de l’horloge considèrent que le pourvoi de M. [N], [V] [X] est tardif, et donc, irrecevable.

newsid:492094

Commissaires de justice

[Focus] The European Statement of facts: prospects for full cross-border recognition under the aegis of Regulation (EU) 2020/1783

Réf. : Règlement (UE) n° 2020/1783 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2020, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale (obtention des preuves) (refonte) N° Lexbase : L8248LY7

Lecture: 4 min

N2608B3Y

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par Patrick Gielen, General Secretary of the International Union of Judicial Officers (UIHJ), Member of the scientific committee of the journal Lexbase Litigation and Recovery

Le 03 Juillet 2025

Keywords : european statement of facts • cross-border measure of inquiry • competent authority • probative value • e-Codex

Regulation (EU) 2020/1783 modernizes European judicial cooperation in civil matters by facilitating the cross-border collection of evidence. It introduces an expanded definition of the term 'court', allowing Member States to include non-judicial authorities such as commissioners of justice. This opening offers the possibility of recognizing the findings drawn up by the latter as cross-border measures of inquiry with full probative value. However, this recognition depends on the formal notification to the European Commission by the States concerned. Some Member States remain reluctant, citing the lack of jurisdictional delegation. However, the ministerial nature of the commissioners of justice and European case law argue for a broad interpretation. The integration of digital tools such as e-Codex further enhances the security and fluidity of exchanges. The objective is the emergence of a genuine "European Observation", recognized throughout the EU's judicial area.


 

I. Introduction

The European Union, which has been committed for several decades to the consolidation of the European judicial area, is striving to establish effective mechanisms for better judicial cooperation, in the civil and commercial fields. The free flow of evidence, which is essential for the legal security of cross-border exchanges, has gradually developed thanks to various legal instruments. With the adoption of Regulation (EU) 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7, which entered into force on 1st July 2022, the Union aims to take a decisive step forward by streamlining, modernizing and substantially speeding up the procedures for the taking of evidence across borders, thus explicitly paving the way for full recognition of the statement of facts as the preferred means of evidence.

II. Scope of Regulation N° 2020/1783

Regulation 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7 represents a substantial advance compared to the previous Regulation (EC) No 1206/2001 N° Lexbase : L5047GUH by adopting a particularly broad definition of the term 'court'. This definition now covers not only the traditional courts, but also any authority exercising judicial functions, under judicial control or delegation, allowing for an interpretation that is particularly favorable to the inclusion of commissioners of justice. This openness is of strategic importance, as it gives Member States the possibility of formally integrating the Commissioners of Justice into the European system as competent authorities. Thus recognized, the commissioners of justice could intervene more directly, quickly and effectively in the preparation of cross-border findings.

III. The statement of fact as a cross-border investigative measure

The report drawn up by a commissioner of justice is a particularly reliable measure of inquiry, recognized for its authentic, impartial and objective nature in the material establishment of the facts. Regularly used in several European legal systems (Belgium, France, Luxembourg, the Netherlands, Greece, etc.), the report has a high evidentiary value, significantly limiting subsequent legal challenges.

Currently, the European recognition of statement of facts remains complex and cumbersome, often requiring intermediate authorization and multiple interventions without any certainty of recognition. With the entry into force of Regulation 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7, these procedures could be significantly simplified, if Member States formally recognize the status of judicial commissioners as competent authorities, thus ensuring direct and enhanced recognition of these findings before all European courts.

Regulation (EU) No. 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7 paves the way for the modernization and digitalization of this procedure. It now allows Member States to directly recognize commissioners of justice as "competent authorities" or "courts" in the broad sense of the text. Thus, when a court, or a party, wishes to have a report drawn up in another country, a designated commissioner of justice (or equivalent) could intervene quickly, in a legally secure framework, while ensuring the recognition of the report by the courts of the other Member States of the European Union.

IV. Towards a broad interpretation of the term 'court'

Several European Member States, such as Estonia, Slovakia, Hungary and Sweden, have already adopted a broad interpretation of the concept of "court" within the meaning of the EU Regulation.

Indeed, these countries have included non-judicial authorities such as notaries or administrative enforcement authorities in the list of entities authorized to conduct cross-border investigation procedures. This proactive approach could inspire other countries, including Belgium [1], France, the Netherlands [2] or Luxembourg, to explicitly notify the European Commission that their commissioners of justice also fall into this category, as authorities with judicial or quasi-judicial prerogatives.

In accordance with Article 2 of Regulation 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7, each Member State is required to communicate to the European Commission the list of authorities that it officially recognizes as courts for the implementation of the Regulation, thus allowing for full transparency and optimal judicial cooperation within the Union.

V. Resistance in certain Member States and the probative value of the statement of fact

Despite the legal progress made, some Member States are still very cautious about the full recognition of commissioners of justice as judicial or quasi-judicial authorities for reports drawn up at the request of individuals.

These States mainly invoke the absence of formal jurisdictional delegation in these situations. However, this reasoning disregards the genuinely public and ministerial nature of a commissioner of justice, whose acts benefit from a presumption of validity and authenticity. The settled case law of the Court of Justice of the European Union (CJEU) also calls for an autonomous and broad interpretation of European legal concepts, thus facilitating the effective recognition of the statement of fact in the cross-border context [3].

VI. E-Codex: an essential lever for a dematerialized procedure

The full operationalization of the e-Codex system [4] since May 2025 represents a significant step forward for European judicial exchanges, allowing for a secure, fast and fully dematerialized transmission of cross-border statement of facts.

This digital system could substantially simplify current procedures by allowing the commissioners of justice to exchange directly, without systematic recourse to an intermediate court. The widespread use of e-Codex also ensures optimal traceability of acts and enhanced security thanks to the digital signature and authentication mechanisms established at European level.

VII. Conclusion: towards a true "European statement of fact"

The full application of Regulation (EU) No. 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7 represents a unique opportunity to position the statement of fact as a unanimously recognized evidentiary tool within the European Union.

However, this development requires strong and explicit commitment from the Member States. By taking this decisive step, Europe could indeed see the birth of an authentic and effective "European Statement of fact", the keystone of modern, efficient and secure judicial cooperation, adapted to the legal and technological challenges of the twenty-first century.

 

[1] In Belgium, negotiations are currently underway between the National Chamber of Judicial Officers and the Ministry of Justice. It should also be pointed out that some Belgian judicial officers have already received, even before the official communication to the Commission has been made, fact-finding missions from European courts, in the context of the application of Regulation (EU) 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7.

[2] The Ministry of Justice has reportedly agreed that the commissioners of justice (Gerechtsdeurwaarders) should be recognised as the competent authority in accordance with Regulation (EU) No 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7. We now look forward to the official publication of this information by the Commission on the e-Justice portal, which can be accessed [online]

[3] On the need for an autonomous interpretation of concepts of EU law, see, in particular, ECJ, 14 October 1976, Case 32/75, Cristini v. Société nationale des chemins de fer français N° Lexbase : A7037AU8, where the Court recognised the independence of the concept of "social benefits" for reduced transport fares; CJEU, 2 April 2009, aff. C-394/07, Marco Gambazzi v. DaimlerChrysler Canada Inc. N° Lexbase : A3001EEU, which recalls that the concept of a "decision" that may be recognised must be assessed independently of national law, within the framework of Regulation (EC) No 44/2001 (Brussels I); and CJEU, 15 January 2004, case No. C-300/03, Salzmann, which states that the classification of a judgment as 'civil or commercial' is a matter for an autonomous interpretation, in order to ensure that its recognition and enforcement are uniform within the European Union.

[4] See Regulation (EU) 2022/850 of the European Parliament and of the Council of 30 May 2022 N° Lexbase : L2119MDT. This Regulation concerns a computerised system for the cross-border electronic exchange of data in the field of judicial cooperation in civil and criminal matters, and amends Regulation (EU) 2018/1726.

newsid:492608

Commissaires de justice

[Commentaire] Constat d’achat : assouplissement bienvenu du critère de l’indépendance du tiers acheteur

Réf. : Cass. mixte, 12 mai 2025, n° 22-20.739, publié au bulletin N° Lexbase : A73480W3

Lecture: 11 min

N2486B3H

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par Natalie Fricéro, Professeur des Universités (Université Côte d’Azur), membre du Conseil national de la médiation, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature

Le 08 Juillet 2025

Mots-clés : constat d'achat • indépendance du tiers acheteur à l'égard du requérant • garanties • défaut • force probante du constat • appréciation souveraine du juge

À la suite du revirement de jurisprudence consacré par l’arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 12 mai 2025 N° Lexbase : A73480W3, l'absence de garanties suffisantes d'indépendance du tiers acheteur à l'égard du requérant n'est pas de nature à entraîner la nullité du constat d'achat. Dans un tel cas, par exemple si le tiers est le stagiaire du cabinet de l’avocat du requérant, il appartient au juge d'apprécier si, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d'indépendance affecte la valeur probante du constat.


L’arrêt de la Chambre mixte consacre un revirement de jurisprudence qui doit être situé dans le cadre de la fondamentalisation du droit à la preuve et de la force probante particulière attachée au constat de commissaire de justice. Il conditionne toutefois la valeur probante du constat d’achat au respect des principes fondamentaux du droit à la preuve.

I. Le constat d’achat à l’épreuve du droit fondamental à la preuve

En 2016, la société Rimowa a constaté que la société HP Design offrait à la vente, sous la marque « Bill Tornade » exploitée par la société Intersod, une valise reproduisant les caractéristiques originales de la valise en polycarbonate rainuré qu'elle-même commercialise depuis plusieurs années sous le nom de « Limbo multiwheel ». Elle fait constater ces agissements par un commissaire de justice (huissier de justice) les 4 mai et 16 juin 2016, fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon, puis, le 10 novembre 2016, elle assigne les sociétés HP Design et Intersod en contrefaçon et en concurrence déloyale. Dans le cadre du pourvoi, la société Intersod fait grief à l'arrêt de déclarer valable le procès-verbal de constat d'achat du 4 mai 2016 et de la condamner, in solidum avec la société HP Design, à indemniser la société Rimowa au titre d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, alors que le principe de loyauté dans l'administration de la preuve et le droit à un procès équitable commandent que la personne qui assiste l'huissier instrumentaire lors de l'établissement d'un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante. Or, en l’espèce, c’est un stagiaire du cabinet d'avocat de la requérante qui avait assisté le commissaire de justice, ce qui devait entraîner l’annulation du constat sur le fondement des articles 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR et 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D, ensemble le principe de loyauté dans l'administration de la preuve (seul cet aspect sera commenté, non le moyen relatif à la propriété intellectuelle).

L’élaboration de constats est une activité importante mais non monopolistique des commissaires de justice [1] : elle permet au commissaire de justice, commis par justice ou à la requête de particuliers, d’effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Les conditions d’intervention du commissaire de justice diffèrent selon qu’il est ou non commis par le juge. Comme en l’espèce, s’il agit à la requête d’un particulier pour réaliser un « constat d’achat », il n'est pas autorisé à pénétrer dans un lieu privé, même ouvert au public, tel qu'un magasin, pour y recueillir des preuves au bénéfice de son mandant et, en particulier, y faire un achat, sans décliner préalablement sa qualité. La seule solution pour éviter de décliner préalablement son identité, est de demander à un tiers, qui n'a pas la qualité d'officier public, qu'il pénètre dans un tel lieu pour y faire un achat, et, ensuite, relater les faits et gestes de ce tiers qu'il a personnellement constatés, se faire remettre par lui toute marchandise en sa possession à la sortie du magasin, et les documents y afférent, et recueillir toute déclaration de sa part.

En effet, le « constat d’achat » correspond à une situation originale dans laquelle le commissaire de justice n’agit pas directement, il constate la vente d’un produit ou l’engagement d’une prestation de service effectué par un tiers [2]. Cette obligation de recourir à un tiers pour effectuer l’achat est justifiée par le fait que l’achat a lieu dans un magasin qualifié de « lieu privé ouvert au public » (§ n° 8 de l’arrêt N° Lexbase : A73480W3) et que le commissaire de justice ne peut effectuer que des constatations matérielles et non jouer un rôle actif dans l’élaboration de ces constatations.

La question soulevée par le pourvoi concernait la qualité du tiers auteur de l’achat. Par un arrêt du 25 janvier 2017 [3], la Cour de cassation avait transposé une exigence qu’elle avait posée pour le constat établi en matière de saisie-contrefaçon (§12 de l’arrêt de la Chambre mixte N° Lexbase : A73480W3) : le droit à un procès équitable, consacré par l'article 6§1 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR, commande, à peine de nullité des opérations, que, lors de l'établissement d'un tel procès-verbal de constat, l'huissier de justice soit assisté d'un tiers indépendant de la partie requérante, ce que n'est pas le stagiaire du cabinet de l'avocat du requérant. En matière de saisie-contrefaçon, cette condition d’indépendance totale du tiers est particulièrement justifiée par le rôle intrusif de la mesure, qui peut entraîner la révélation d’informations confidentielles, voire de secrets d’affaires du prétendu contrefacteur [4].

Toutefois, s’agissant du constat d’achat, cette exigence n’est plus adaptée aux évolutions qui ont consisté à fondamentaliser le droit à la preuve. Particulièrement, l’arrêt de l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023 [5] qui a consacré la recevabilité conditionnée de preuves déloyales ou illicites, oblige le juge à exercer un contrôle de proportionnalité sur les droits en présence et de s'assurer qu'il existe un juste équilibre entre des droits fondamentaux opposés, en l'occurrence la loyauté des preuves et la propriété intellectuelle.

En outre, elle n’assurait pas la conformité du dispositif à l'article 3 de la Directive (CE) n° 2004/48 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle N° Lexbase : L2091DY4 (transposée aux articles L. 332-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L7035IZL) qui prévoit que les mesures et procédures mises en œuvre par les États membres ne doivent pas être inutilement complexes. Le considérant 20 de la Directive N° Lexbase : L2091DY4 rappelle que la preuve est un élément capital pour l'établissement de l'atteinte à ces droits et qu'il convient de veiller à ce que des moyens de présenter, d'obtenir et de conserver les éléments de preuve existent effectivement.

Elle risquait également d’entraîner des effets pervers [6], portant notamment sur le fait que les difficultés pour le commissaire de justice d’établir un constat risquait de constituer un moyen donné aux contrefacteurs d’échapper aux conséquences de leurs activités illicites [7] !

Un revirement s’imposait pour éviter que le commissaire de justice ne soit obligé de recruter une personne rencontrée dans la rue pour être tiers acheteur, tout en vérifiant l’absence de lien de dépendance, juridique ou économique, vis à vis du mandant, ce que la personne à laquelle est opposé le procès-verbal devait pouvoir vérifier [8]. La pratique consistait parfois à établir un « panel » de tiers acheteurs volontaires pour effectuer ces constats, ce qui avait été validé par la jurisprudence [9].

II. Le constat d’achat à l’épreuve des principes fondamentaux de la preuve

Le revirement de jurisprudence ne consiste pas à autoriser toutes les pratiques. Certes, il modifie la sanction : le constat n’est pas annulé si le tiers acheteur n’est pas indépendant, c’est sa force probante qui est appréciée par le juge. Le droit à la preuve obéit à des principes de procédure fondamentaux et l’activité des commissaires de justice est soumise à des règles professionnelles spécifiques qui permettent au constat d’avoir une force probante particulière.

Le principe demeure celui de l’indépendance du tiers vis-à-vis du commissaire de justice comme du mandant pour asseoir la valeur probante du constat d’achat. Comment prouver cette indépendance ? Le procès-verbal dressé par le commissaire de justice doit identifier nommément la personne ayant acheté le produit ou le service et mentionner que celle-ci a déclaré « ne pas avoir de lien de subordination au regard des requérants, de ses conseils et de l’étude de l’huissier »[10], sans « qu’il soit nécessaire d’y adjoindre la copie d’une pièce d’identité de l’acheteur » [11].

Parce qu’il n’est pas toujours aisé de trouver un tiers sans aucun lien avec le requérant, l’avocat de ce dernier peut proposer que le stagiaire de son cabinet joue ce rôle. C’est là que se situe le revirement de jurisprudence. La Cour de cassation l’admet : « 18. Il y a lieu de juger désormais que l'absence de garanties suffisantes d'indépendance du tiers acheteur à l'égard du requérant n'est pas de nature à entraîner la nullité du constat d'achat. Dans un tel cas, il appartient au juge d'apprécier si, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d'indépendance affecte la valeur probante du constat ».

L’arrêt commenté précise les conditions dans lesquelles le constat produit sa valeur probante en dépit de l’absence d’indépendance du tiers acheteur, qui peuvent être considérées comme le « guide de rédaction du constat d’achat lorsque le tiers n’est pas totalement indépendant du requérant ». Le juge saisi apprécie souverainement le respect de ces conditions et la portée du constat :

  • le principe d’une administration contradictoire de la preuve doit être respecté (CPC, art. 15 N° Lexbase : L1132H4P et 16 N° Lexbase : L1133H4Q), le juge ne pouvant pas refuser d'examiner un constat de commissaire de justice établi à la demande d'une personne, même réalisé non contradictoirement, qui vaut à titre de preuve dès lors qu'il est soumis à la discussion des parties ;
  • aucun stratagème ne doit avoir été mis en place par le commissaire de justice ou le tiers. En l’espèce, cela résultait du procès-verbal de constat d'achat dressé par l'huissier de justice le 4 mai 2016 mentionnant l'identité et la qualité du tiers acheteur, précisant qu'il s'agissait d'un stagiaire au sein du cabinet d'avocats de la société R, partie requérante, laquelle n’avait donc pas été déloyale ni vis-à-vis de son adversaire, ni vis-à-vis du juge. Si les éléments révélaient que le tiers a participé à une mise en scène, le juge n’accorderait aucune valeur probante au constat ;
  • le tiers doit agir en permanence sous le contrôle du commissaire de justice, le défaut d'indépendance de ce tiers n'affectant pas le caractère objectif des constatations mentionnées au procès-verbal. Ceci correspond aux dispositions prévues à l’article 15 de l’arrêté du 27 février 2024 portant approbation des règles professionnelles des commissaires de justice [12] qui prévoient que « le commissaire de justice et le clerc habilité aux constats, tous les deux désignés ci-après le constatant, font preuve de la plus grande rigueur lors de l'établissement des constats. Le constatant effectue lui-même les constatations. Il se rend personnellement sur les lieux du constat. Il ne peut en aucun cas participer à une mise en scène ou un stratagème. Lorsqu'il est assisté par tiers, le constatant conserve la maîtrise intellectuelle des opérations (…) » ;
  • il n’y a pas lieu d’appliquer au tiers les exigences d’impartialité et d’indépendance que la Cour européenne des droits de l’Homme applique aux experts [13], puisque le tiers qui effectue l’achat n’est pas un expert et ne donne aucun avis, son rôle étant limité à pénétrer en un lieu privé ouvert au public pour y effectuer un achat et en remettre l'éventuelle preuve à l'officier public.

Dans ces conditions, qu’il appartient au juge saisi d’apprécier souverainement, les constatations du commissaire de justice retranscrites dans un procès-verbal font foi jusqu'à preuve contraire, le juge appréciant souverainement la force probante des mentions du procès-verbal [14]. Ces règles s’appliquent à l’identique aux clercs habilités à établir des constats à la requête de particuliers [15].

À retenir. - Pour conférer au constat d’achat toute sa force probante, le tiers acheteur doit être indépendant économiquement et juridiquement du commissaire de justice et du requérant. Toutefois, le recours à un tiers qui est lié au requérant n’entraîne pas nécessairement la nullité du constat et le juge apprécie souverainement sa valeur probante.

Des conditions doivent toutefois être remplies, permettant de garantir la loyauté de la preuve : le constat d’achat doit être soumis à la discussion contradictoire des parties, aucun stratagème ne doit avoir été mis en place par le commissaire de justice ou le tiers, le procès-verbal doit mentionner l'identité et la qualité du tiers acheteur et le tiers doit agir en permanence sous le contrôle du commissaire de justice.


[1] Ordonnance n° 45-2592, du 2 novembre 1945, relative au statut des huissiers de justice, art. 1er (abrogé) N° Lexbase : L8061AIE, remplacé par l’ordonnance n° 2016-728, du 2 juin 2016, relative au statut de commissaire de justice, article 1er, II N° Lexbase : L7700MSY : « Les commissaires de justice peuvent en outre : (...) 2° Effectuer, lorsqu'ils sont commis par justice ou à la requête de particuliers, des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu'à preuve contraire (…) », entré en vigueur le 1er juillet 2022

[2] S. Dorol, Le tiers acheteur dans le constat d'achat, Propr. ind. 2015. Étude 17, n° 2 ; V. Vigneau, Les constats d'achat, Procédures 2013. Étude 10 ; v. encore, S. Dorol, S. Racine, X. Louise-Alexandrine, P. Gielen et J.-L. Bourdiec, Droit et pratique du constat d'huissier, 3e éd., LexisNexis, 2022, nos 641 et s., consacrés au constat d’achat ; M.-P. Mourre, Commissaires de justice, in Rép. pr. civ. Dalloz ; Dalloz actualité, 20 mai 2025, obs. C. Bléry

[3] Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-25.210, F-P+B, Bull. civ. I, n° 20 N° Lexbase : A5484TAD

[4] P. Véron, « Le secret dans les procédures juridictionnelles en matière de propriété industrielle », in La propriété industrielle et le secret, Centre Paul Roubier, Litec, 1996, p. 66 et 67.

[5] Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648, publié au bulletin N° Lexbase : A27172AU

[6] V. rapport du conseiller rapporteur, nos 44 et s., et avis de l'avocat général, nos 17 et s.

[7] P. de Candé, « III - Procédures, 1. Saisie-contrefaçon - constat d’achat », Revue Propriétés intellectuelles, avril 2019, n° 71, chron. Droit des dessins et modèles, p. 103 et s.

[8] Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-11.853, F-P+B, Bull. civ. I, n° 83 N° Lexbase : A5310NGR : annulation des opérations de saisie-contrefaçon réalisées par l’huissier de justice avec l'assistance d'un tiers, dont il n’avait pas indiqué les qualités ni les liens de dépendance qu'il pouvait avoir vis-à-vis du requérant, ne mentionnant que ses prénom et nom

[9] CA Paris, 5-1, 30 octobre 2024, n° 22/10977 N° Lexbase : A700363R, v. avis avocat général, n° 18

[10] CA Paris, 5-1, 11 décembre 2024, n° 23/01176 N° Lexbase : A91620MB

[11] CA Lyon, 1re ch. civ. A, 19 novembre 2020, n° 18/00895 N° Lexbase : A115437U

[12] Arrêté du 27 février 2024 portant approbation des règles professionnelles des commissaires de justice, NOR : JUSC2405705A N° Lexbase : L6920MZC, qui comporte en annexe les règles professionnelles.

[13] CEDH, 18 mars 1997, Req. 21947/93, Mantovanelli c/ France, § 36 N° Lexbase : A9451KST.

[14] Ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016, art. 1er N° Lexbase : L7700MSY ; Cass. com., 14 février 2018, n° 16-24.555, F-D N° Lexbase : A7640XDC

[15] Décret n° 2025-258, du 21 mars 2025, relatif au statut des clercs habilités aux constats, JORF 22 mars 2025, Texte 3 N° Lexbase : L0066M9C, qui modifie le décret n° 2022-949, du 29 juin 2022, relatif aux conditions d'exercice des commissaires de justice et aux clercs habilités N° Lexbase : L2744MYB qui peuvent « procéder aux constats établis à la requête des particuliers conformément à l'article 11 de l'ordonnance du 2 juin 2016 » (décret n° 2022-949 du 29 juin 2022, mod. par décret n° 2025-258 du 21 mars 2025, art. 59 N° Lexbase : Z67078XA). L’habilitation impose de remplir des conditions exigeantes de formation et de moralité.

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Commissaires de justice

[Focus] Le Constat européen : perspectives d'une reconnaissance transfrontalière intégrale sous l’égide du règlement (UE) n° 2020/1783

Réf. : Règlement (UE) n° 2020/1783 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2020, relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale (obtention des preuves) (refonte) N° Lexbase : L8248LY7

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par Patrick Gielen, Secrétaire de l’Union Internationale des Huissiers de Justice (UIHJ), Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement

Le 03 Juillet 2025

Mots-clés :  constat d’huissier européen • mesure d’instruction transfrontalière • autorité compétente • valeur probatoire • e-Codex

Le règlement (UE) n° 2020/1783 modernise la coopération judiciaire européenne en matière civile en facilitant la collecte transfrontalière de preuves. Il introduit une définition élargie du terme « juridiction », permettant aux États membres d’inclure des autorités non judiciaires telles que les commissaires de justice. Cette ouverture offre la possibilité de reconnaître les constats établis par ces derniers comme mesures d’instruction transfrontalières bénéficiant d’une pleine valeur probatoire. Toutefois, cette reconnaissance dépend de la notification formelle à la Commission européenne par les États concernés. Certains États membres restent réticents, invoquant l'absence de délégation juridictionnelle. Or, la nature ministérielle des commissaires de justice et la jurisprudence européenne plaident pour une interprétation large. L’intégration d’outils numériques comme e-Codex renforce encore la sécurité et la fluidité des échanges. L’objectif est l’émergence d’un véritable « Constat européen », reconnu dans tout l’espace judiciaire de l’UE.


 

I. Introduction

L’Union européenne, engagée depuis plusieurs décennies dans la consolidation de l'espace judiciaire européen, s’efforce d'établir des mécanismes efficaces favorisant une meilleure coopération judiciaire, en particulier dans les domaines civil et commercial. La libre circulation des preuves, essentielle à la sécurisation juridique des échanges transfrontaliers, s’est progressivement développée grâce à divers instruments juridiques. Avec l’adoption du règlement (UE) n° 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7, entré en vigueur le 1er juillet 2022, l’Union ambitionne de franchir une étape décisive en fluidifiant, modernisant et accélérant substantiellement les procédures d’obtention transfrontalière de preuves, ouvrant ainsi explicitement la voie à une reconnaissance pleine et entière du constat du commissaire de justice comme moyen de preuve privilégié.

II. Portée du règlement n° 2020/1783

Le règlement n° 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7 présente une avancée substantielle par rapport au précédent règlement (CE) n° 1206/2001 N° Lexbase : L5047GUH en adoptant une définition particulièrement élargie du terme « juridiction ». Cette définition couvre désormais non seulement les juridictions classiques, mais également toute autorité exerçant des fonctions judiciaires, sous contrôle ou délégation judiciaire, permettant une interprétation particulièrement favorable à l’inclusion des commissaires de justice. Cette ouverture revêt une importance stratégique, car elle donne aux États membres la possibilité d'intégrer formellement les commissaires de justice dans le dispositif européen comme autorités compétentes. Ainsi reconnus, les commissaires de justice pourraient intervenir de manière plus directe, rapide et efficace dans la réalisation des constats transfrontaliers.

III. Le constat d’huissier comme mesure d'instruction transfrontalière

Le constat établi par un commissaire de justice constitue une mesure d'instruction particulièrement fiable, reconnue pour son caractère authentique, impartial et objectif dans la constatation matérielle des faits. Utilisé régulièrement dans plusieurs systèmes juridiques européens (Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, Grèce, etc.), le constat jouit d’une forte valeur probatoire, limitant significativement les contestations judiciaires ultérieures.

Actuellement, l’exécution de constats transfrontaliers reste complexe et lourde, nécessitant souvent des autorisations intermédiaires et des interventions multiples sans certitude de sa reconnaissance. Avec l’entrée en vigueur du règlement n° 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7, ces procédures pourraient être considérablement simplifiées, à condition que les États membres reconnaissent formellement le statut des commissaires de justice comme autorités compétentes, garantissant ainsi une reconnaissance directe et renforcée de ces constats devant toutes les juridictions européennes.

Le règlement (UE) n° 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7 ouvre la voie à une modernisation et digitalisation de cette procédure. Il permet désormais aux États membres de reconnaître directement les commissaires de justice comme « autorités compétentes » ou « juridictions » au sens large du texte. Ainsi, lorsqu’une juridiction, ou une partie, souhaite faire établir un constat dans un autre pays, un commissaire de justice (ou équivalent) désigné pourrait intervenir rapidement, dans un cadre juridiquement sécurisé, tout en assurant la reconnaissance du constat par les juridictions des autres États membres de l’Union européenne.

IV. Vers une interprétation extensive du terme « juridiction »

Plusieurs États membres européens, tels que l’Estonie, la Slovaquie, la Hongrie et la Suède, ont déjà adopté une interprétation large de la notion de « juridiction » au sens du règlement européen.

En effet, ces pays ont intégré des autorités non judiciaires telles que les notaires ou les autorités administratives de recouvrement forcé dans la liste des entités autorisées à mener des procédures d’instruction transfrontalières. Cette démarche proactive pourrait inspirer d'autres pays, notamment la Belgique [1], la France, les Pays-Bas [2] ou le Luxembourg, à notifier explicitement la Commission européenne que leurs commissaires de justice relèvent également de cette catégorie, en tant qu’autorités détenant des prérogatives judiciaires ou quasi-judiciaires.

Conformément à l’article 2 du règlement n° 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7, chaque État membre est tenu de communiquer à la Commission européenne la liste des autorités qu’il reconnaît officiellement comme juridictions pour la mise en œuvre du règlement, permettant ainsi une transparence totale et une coopération judiciaire optimale au sein de l’Union.

V. Les résistances dans certains États membres et la valeur probatoire du constat

Malgré les progrès juridiques réalisés, certains États membres manifestent encore une prudence marquée quant à la reconnaissance pleine des commissaires de justice comme autorités judiciaires ou quasi-judiciaires pour les constats établis à la demande des particuliers.

Ces États invoquent principalement l’absence de délégation juridictionnelle formelle dans ces situations. Toutefois, ce raisonnement méconnaît la nature authentiquement publique et ministérielle d’un commissaire de justice, dont les actes bénéficient d’une présomption de validité et d'authenticité. La jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) invite d'ailleurs à une interprétation autonome et extensive des notions juridiques européennes, facilitant ainsi la reconnaissance effective du constat d’huissier dans le cadre transfrontalier [3].

VI. E-Codex : levier essentiel pour une procédure dématérialisée

L’opérationnalisation complète du système e-Codex [4] depuis mai 2025 représente une avancée significative pour les échanges judiciaires européens, permettant une transmission sécurisée, rapide et entièrement dématérialisée des constats transfrontaliers.

Ce dispositif numérique pourrait substantiellement alléger les procédures actuelles en permettant aux commissaires de justice d’échanger directement, sans recours systématique à une juridiction intermédiaire. L’usage généralisé de e-Codex assure également une traçabilité optimale des actes et une sécurisation renforcée grâce aux mécanismes de signature numérique et d'authentification établis au niveau européen.

VII. Conclusion : vers un véritable « Constat européen »

La pleine application du règlement (UE) n° 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7 représente une opportunité unique de positionner durablement le constat d’huissier comme un outil de preuve reconnu unanimement au sein de l’Union européenne.

Toutefois, ce développement exige un engagement fort et explicite de la part des États membres. En franchissant cette étape décisive, l’Europe pourrait effectivement voir naître un « Constat européen » authentique et performant, clé de voûte d’une coopération judiciaire moderne, efficace et sécurisée, adaptée aux défis juridiques et technologiques du XXIe siècle.

 

[1] En Belgique, des négociations sont actuellement en cours entre la Chambre nationale des huissiers de justice et le ministère de la Justice. Il convient également de souligner que certains huissiers de justice belges ont déjà reçu, même avant que la communication officielle à la Commission n’ait été effectuée, des missions de constat émanant de juridictions européennes, dans le cadre de l’application du règlement (UE) n° 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7.

[2] Le ministère de la Justice aurait donné son accord pour que les commissaires de justice (Gerechtsdeurwaarders) soient reconnus comme autorité compétente conformément au règlement (UE) n° 2020/1783 N° Lexbase : L8248LY7. Nous attendons désormais avec impatience la publication officielle de cette information par la Commission sur le portail e-Justice, accessible [en ligne]

[3] Sur la nécessité d’une interprétation autonome des notions de droit de l’Union, voir notamment CJCE, 14 octobre 1976, aff. 32/75, Cristini c/ Société nationale des chemins de fer français N° Lexbase : A7037AU8, où la Cour a reconnu l’indépendance de la notion de « prestations sociales » pour les tarifs réduits de transport ; CJUE, 2 avril 2009, aff. C-394/07, Marco Gambazzi c/ DaimlerChrysler Canada Inc. N° Lexbase : A3001EEU, qui rappelle que la notion de « décision » susceptible d’être reconnue doit s’apprécier de manière autonome par rapport au droit national, dans le cadre du Règlement (CE) n° 44/2001 (Bruxelles I) N° Lexbase : L7541A8S ; et CJUE, 15 janvier 2004, aff. C-300/03, Salzmann, qui précise que la qualification d’une décision comme « civile ou commerciale » relève d’une interprétation autonome, afin de garantir l’uniformité de sa reconnaissance et de son exécution au sein de l’Union.

[4] Voir Règlement (UE) n° 2022/850 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2022 N° Lexbase : L2119MDT. Ce règlement concerne un système informatisé pour l'échange électronique transfrontière de données dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile et pénale, et modifie le Règlement (UE) n° 2018/1726.

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Contrats et obligations

[Commentaire] Quelles places pour l’appauvrissement et l’insolvabilité dans l’action paulienne ? Invitation à distinguer selon la nature de l’acte contesté

Réf. : Cass. com., 29 janvier 2025, n° 23-20.836, F-B N° Lexbase : A38986S8

Lecture: 18 min

N2494B3R

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par Claire Séjean-Chazal, Agrégée de droit privé - Université Sorbonne Paris Nord, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement

Le 08 Juillet 2025

Mots-clés : action paulienne • droit de gage général • appauvrissement • insolvabilité • saisie • cession • opposabilité • fraude

L'action paulienne permet de protéger le créancier chirographaire contre les actes frauduleux portant atteinte directe à l’étendue de son droit de gage général, mais aussi contre ceux portant atteinte à sa substance. L’arrêt du 29 janvier 2025 N° Lexbase : A38986S8 offre l’occasion de revenir sur le régime applicable à ces deux catégories d’actes, et de s’interroger sur la place que doivent prendre, pour chacune, les conditions d’appauvrissement et d’insolvabilité, dont la polysémie est parfois source de confusions.


En cas de défaillance de son débiteur, la situation du créancier chirographaire est caractérisée par sa fragilité. Dénué de tout droit privilégié, il ne dispose que des prérogatives offertes par les articles 2284 N° Lexbase : L1112HIZ et 2285 N° Lexbase : L1113HI3 du Code civil. Toutefois, il est exceptionnellement autorisé à s’immiscer dans la gestion du patrimoine de son débiteur, afin de protéger cette garantie minimale de l’exécution de l’obligation qu’est le droit de gage général. À ce titre, l’action paulienne permet au créancier « de faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits » [1]. Le fondement de cette action, héritée du droit romain, est de protéger le créancier contre les actes « qui [le] placeront dans l’impossibilité d’exécuter sa créance, ou tout au moins, rendront une telle exécution plus difficile » [2]. L’article 1341-2 du Code civil N° Lexbase : L0672KZW ne donnant pas de précision quant aux conditions de succès de cette action, celles-ci ont été encadrées par la jurisprudence et la doctrine. Des questionnements demeurent cependant, ainsi qu’en témoigne l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 29 janvier 2025 N° Lexbase : A38986S8.

En l’espèce, une société était débitrice d’honoraires à l’égard de son expert-comptable en raison d’une mission achevée en décembre 2016 – dette confirmée en justice en 2019. Entre-temps, le 15 juin 2018, cette société a cédé son fonds de commerce à une autre, spécialement créée en vue de cette reprise, par le gérant de la débitrice et son épouse. La société débitrice est ensuite placée en liquidation judiciaire. L’expert-comptable, créancier, a alors assigné la nouvelle société, acquéreur du fonds de commerce, ainsi que le gérant et le liquidateur, afin de faire déclarer cette cession inopposable à son égard sur le fondement de l’action paulienne. Le créancier considère que la cession porte atteinte à ses droits, en ce qu’elle remplaçait, dans le patrimoine de son débiteur, un actif facilement saisissable – le fonds de commerce – par un actif plus facile à dissimuler – le prix de cession. Une telle opération de substitution peut constituer un acte répréhensible sur le fondement de l’action paulienne, selon une jurisprudence constante [3], qui a ajouté cette catégorie d’actes aux actes directs d’appauvrissement du débiteur traditionnellement ciblés par l’action paulienne.

Toutefois, la cour d’appel a rejeté la demande du créancier au motif que ce dernier « ne rapportait pas la preuve de l’insolvabilité, au moins apparente, de la société [débitrice] au moment de la cession de son fonds de commerce ». Le pourvoi faisait alors valoir que « l’action paulienne portant sur un acte ayant pour effet de faire échapper un bien aux poursuites des créanciers en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler n’est pas conditionnée à la preuve de l’insolvabilité apparente du débiteur ».

La Cour de cassation devait donc décider si, face à cette catégorie spécifique d’actes défavorables au créancier, il était nécessaire d’apporter, en plus, la preuve de l’insolvabilité du débiteur au moment de l’opération contestée. La Chambre commerciale répond que, dans cette hypothèse, la preuve de l’appauvrissement n’est pas une condition nécessaire au succès de l’action, et qu’en décidant le contraire, la cour d’appel aurait « ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas ».

Cet arrêt a suscité diverses lectures : erreur de plume [4], disparition de la condition d’appauvrissement, disparition de l’insolvabilité du champ de l’action paulienne [5]... Ces différences d’appréciation semblent s’expliquer notamment par la pluralité de définitions et de fonctions attribuées à l’appauvrissement et à l’insolvabilité.

La question posée aux juges étant délimitée temporellement et substantiellement, nous proposons d’examiner la réponse selon les mêmes limites. Pour ce faire, nous commencerons par rappeler le régime de l’action paulienne pour les actes traditionnellement condamnés : ceux portant une atteinte directe à l’étendue du droit de gage général (I), pour ensuite envisager le régime des actes portant une atteinte directe à la substance du droit de gage général [6], comme c’était le cas en l’espèce (II).

I. Les atteintes directes à l’étendue du droit de gage général

Selon la conception classique, héritée du droit romain, l’action paulienne est un moyen de lutter contre l’insolvabilité frauduleusement organisée par le débiteur. Sont ainsi incriminés les actes qui diminuent l’actif du débiteur de manière à faire disparaître l’assiette du droit de poursuite des créanciers. C’est alors l’étendue du droit de gage général qui est protégée par l’action paulienne [7]. Le créancier ne pourra obtenir satisfaction qu’à condition d’avoir démontré l’existence d’un acte frauduleux (A), qui a causé une atteinte réelle à ses droits (B).

A. La fraude

La seule condition prescrite par la loi est que l’acte contesté soit fait « en fraude [des] droits » du créancier. L’actuel article 1341-2 du Code civil [8] N° Lexbase : L0672KZW n’impose de prouver ni l’appauvrissement du débiteur, ni même son insolvabilité, pas plus que ne le faisait l’ancien article 1167 N° Lexbase : L1269ABM. Pour autant, ce sont des conditions classiquement présentées comme nécessaires au succès de l’action, en ce qu’elles permettent de caractériser cette fraude.

En premier lieu, protéger les créanciers contre la diminution de l’assiette de leur droit de poursuite implique d’identifier des actes « d’appauvrissement ». L’expression doit être ici entendue au sens strict « d’acte par lequel le débiteur entame sans contrepartie son patrimoine » [9]. C’est l’appauvrissement au sens comptable, de l’actif du débiteur, qui permet de déterminer l’existence d’une diminution de l’étendue du droit de gage général.

Sont donc concernés au premier chef les actes à titre gratuit. Par définition, il s’agit des actes réalisés « sans attendre ni recevoir de contrepartie » [10]. Mais sont également visés les actes qui, bien que réalisés à titre onéreux, se révèlent lésionnaires. Quoique l’acte prévoie une contrepartie, cette nouvelle valeur entrante ne permet pas de rétablir l’équilibre comptable du patrimoine. À défaut de contrepartie équivalente pour reconstituer l’assiette de son droit de poursuite, le créancier chirographaire, dénué de droit de suite, est indiscutablement éprouvé par la disparition d’un bien de son débiteur.

Toutefois, un acte d’appauvrissement n’est pas répréhensible en lui-même.  Même engagé dans les liens d’une obligation, le débiteur demeure libre de disposer de ses biens, quitte à s’appauvrir [11]. D’autres conditions sont donc nécessaires pour caractériser la « fraude » aux droits du créancier. Un élément intentionnel est évidemment requis : le débiteur doit avoir eu, si ce n’est l’intention, au moins la conscience de nuire à son créancier en passant cet acte.

Mais surtout, l’acte doit avoir causé l’insolvabilité du débiteur. L’insolvabilité est là encore comprise au sens strict, quantitatif, d’impossibilité de payer son passif avec l’actif disponible. Pour caractériser la fraude, la causalité entre l’appauvrissement et l’insolvabilité doit également être directe. Ce point est apprécié d’un point de vue temporel : la jurisprudence exige que l’existence de l’insolvabilité du débiteur soit prouvée à la date de l’acte contesté. Face à la difficulté probatoire que cela peut représenter, la jurisprudence accepte que le créancier ne prouve que l’insolvabilité apparente [12].

Une fois la fraude établie, le succès de l’action du créancier demeure subordonné à la démonstration d’une atteinte réelle à ses droits.

B. L’atteinte

Le créancier doit établir que l’acte a porté atteinte à ses droits, ce que l’on trouve parfois exprimé à travers l’exigence d’un « préjudice » pour le créancier. Le terme ne doit pas être entendu au sens du droit de la responsabilité, car il ne s’agit pas d’octroyer une quelconque indemnisation [13]. En effet, en cas de succès de l’action paulienne, l’acte contesté sera déclaré inopposable au créancier. Cela permettra de réintégrer, dans l’assiette du droit de poursuite du créancier, la valeur frauduleusement exfiltrée.

Cela signifie que le créancier doit démontrer un intérêt à agir au sens de l’article 31 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1169H43. Ce sera le cas si, à la date de la mise en œuvre de l’action par le créancier, l’actif du débiteur demeure insuffisant pour le remplir de ses droits. En effet, si le patrimoine du débiteur, bien que réduit, est suffisant pour le désintéresser au jour de ses poursuites, aucune atteinte aux droits du créancier ne pourra être retenue [14]. Cette position emporte l’adhésion d’une doctrine très majoritaire [15], quoique certains arrêts aient pu faire naître le doute [16].

Face aux actes portant une atteinte directe à l’étendue du droit de gage général, l’insolvabilité – causée par l’acte d’appauvrissement – est à la fois un élément constitutif de la fraude et une condition nécessaire au déclenchement de la sanction [17]. En va-t-il de même pour les actes modifiant la substance du patrimoine ? C’est ce que l’arrêt devait trancher.

II. Les atteintes directes à la substance du droit de gage général

Le champ d’application de l’action paulienne a été étendu en jurisprudence. Il est aujourd’hui admis que peuvent aussi être déclarés inopposables au créancier les actes qui rendent plus complexe l’exercice des droits du créancier [18]. Ces actes se distinguent de ceux de la première catégorie en ce que l’atteinte n’est pas portée directement à l’étendue du droit de gage général, mais à sa substance. L’acte sur lequel la Chambre commerciale devait se prononcer en l’espèce appartient à cette catégorie. Dès lors, les critères de la fraude (A) et de l’atteinte aux droits du créancier (B) peuvent être analysés au prisme des critères précédemment rappelés.

A. La fraude

Conformément aux principes de l’action paulienne, la conscience, pour le débiteur, de nuire aux droits de son créancier est évidemment exigée. En l’espèce, le montage utilisé, impliquant la création d’une société créée spécialement pour la reprise et dirigée par le gérant de la débitrice et sa femme, laissait peu de place au doute sur le caractère intentionnel de l’opération.

Quant à l’élément matériel de la fraude, il peut se manifester de plusieurs façons, qui ont en commun d’opérer une substitution de biens. Les actes visés sont ceux par lesquels le débiteur remplacerait un élément de son patrimoine par un autre, de nature différente, afin de complexifier sciemment la mise en œuvre du droit de poursuite de ses créanciers. La jurisprudence pointe les opérations permettant une modification en faveur d’un bien plus aisé à dissimuler [19] – une somme d’argent en lieu et place d’un bien matériel – ou plus difficile à appréhender – des parts sociales se substituant à un immeuble… C’est alors le contenu de l’assiette du droit de gage général qui est protégé. L’idée sous-jacente est qu’une modification substantielle du patrimoine du débiteur peut également porter atteinte au droit de poursuite du créancier, dont l’exercice pourrait s’en trouver compromis. Dans de tels cas, la fraude ne réside pas dans la diminution de l’actif ; elle est donc caractérisée sans que l’appauvrissement comptable du débiteur n’ait besoin d’être établi.

Pourtant, ce type d’opération est parfois qualifié en doctrine d’acte d’« appauvrissement ». Ce rattachement est fondé parfois sur une compréhension large de l’appauvrissement du débiteur, qui ne se limiterait pas au sens comptable [20], ou sur une appréciation de l’appauvrissement dans la personne du créancier plutôt que dans celle du débiteur [21]. Cette qualification est critiquable, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle est regrettable en ce qu’elle détourne la définition de l’appauvrissement [22]. De plus, elle est inutile : l’article 1341-2 N° Lexbase : L0672KZW ne faisant pas référence à un quelconque appauvrissement, la fraude peut être caractérisée sans lui, et le détour par cette qualification est superflu [23]. Enfin, elle est source de confusion : elle naît le plus souvent de la volonté de transposer le régime lié aux actes d’appauvrissement, ce qui crée des incompréhensions, comme le révèle l’arrêt étudié.

En l’espèce, le débiteur avait procédé à une cession de son fonds de commerce à un prix normal, lui substituant donc une somme d’argent. Étonnamment, la cour d’appel avait estimé que, pour obtenir satisfaction, le créancier aurait dû prouver « l’insolvabilité, au moins apparente, [du débiteur] au moment de la cession ». On ne peut que s’étonner de ce raisonnement : comment un acte à titre onéreux, non déséquilibré, pourrait-il avoir directement causé l’insolvabilité du débiteur ? La Cour de cassation ne pouvait que casser la décision. Ainsi que le rappelle la Chambre commerciale, la preuve « de l’appauvrissement du débiteur » n’est pas requise lorsque la cession est consentie à prix normal. Nous sommes enclins à comprendre cette rédaction de l’arrêt, non pas comme une erreur de plume [24], mais comme un raisonnement a fortiori fondé sur la nature spécifique de l’acte controversé. Un acte à titre onéreux non lésionnaire n’emporte jamais appauvrissement du débiteur au jour de sa conclusion, et là ne réside pas la fraude. A fortiori l’exigence de l’insolvabilité du débiteur au jour de la cession est dénuée de sens. En l’imposant, la cour d’appel ajoutait effectivement « à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas » [25].

L’appauvrissement au jour de la conclusion de l’acte n’est pas requis, car le risque pour le créancier est ailleurs ; ou plutôt, il est postérieur. La réalisation de ce risque permettra de caractériser l’atteinte portée aux droits du créancier, et donc son intérêt à agir.

B. L’atteinte

La substitution de biens est suspecte lorsqu’elle laisse soupçonner la volonté du débiteur de compliquer l’exercice des droits du créancier.

Les actes répréhensibles sont essentiellement ceux qui, en modifiant la consistance du patrimoine, portent en puissance un risque d’atteinte à son étendue [26]. Il en va ainsi, comme en l’espèce, d’une cession au juste prix, dès lors que la somme d’argent remplaçant le bien pourra plus rapidement et aisément être dissimulée que le bien cédé. Si le prix de cession est effectivement dissimulé postérieurement à l’acte, la diminution de l’actif n’est pas causée directement par l’acte contesté, mais elle en sera un effet collatéral, et la manifestation de l’atteinte concrète aux droits du créancier. Dans le même ordre d’idée, la Chambre commerciale a récemment cassé un arrêt d’appel dans lequel les juges du fond refusaient d’admettre l’inopposabilité d’un apport d’immeuble à une société au motif que l’acte n’avait pas causé d’appauvrissement du débiteur puisque l'immeuble, sorti du patrimoine, avait été remplacé par des droits sociaux pour une valeur équivalente. La Cour de cassation lui reproche de ne pas avoir recherché si « la difficulté de négocier les parts sociales et le risque d'inscription d'hypothèques sur l'immeuble du chef de la SCI ne constituaient pas des facteurs de diminution de la valeur du gage du créancier et d'appauvrissement du débiteur » [27], postérieurement donc à l’acte en cause.

Quoique non exigée à la date de l’acte, l’insolvabilité peut être requise au jour du déclenchement de l’action paulienne [28]. En effet, de même que, en cas d’appauvrissement comptable du débiteur le créancier n’a pas lieu de se plaindre si le patrimoine demeure suffisant pour le désintéresser, en cas de substitution de bien, le créancier ne pourra pas invoquer d’atteinte à ses droits s’il peut se payer sur l’actif existant, quand bien même la somme aurait été dissimulée. L’entrave effective au droit du créancier demeure une condition de l’intérêt à agir du créancier [29].

À y regarder de près, cette condition ne semblait pas poser de difficulté en l’espèce. En effet, quoique l’on ne connaisse pas le sort précis de la somme obtenue en contrepartie du fonds de commerce, la société débitrice avait été placée en liquidation judiciaire peu de temps après la cession [30]. L’intérêt à agir du créancier – son « préjudice » – était donc caractérisé en raison de l’insolvabilité du débiteur avérée postérieurement à l’acte incriminé [31]. Ainsi, il est donc possible d’avoir une interprétation stricte de la solution énoncée par la Chambre commerciale [32]. Quoique certains arrêts aient pu engendrer un doute, celui-ci ne nous semble pas agrandir les rangs d’une jurisprudence qui exclurait de manière générale l’insolvabilité du débiteur du régime de l’action paulienne [33].

Cependant, une zone de souplesse demeure : celle des actes modifiant la substance du patrimoine, sans entraîner d’appauvrissement du débiteur, ni créer en germe la possibilité d’organiser plus facilement son insolvabilité. Ce qui est reproché au débiteur est alors de faire entrer dans son patrimoine des biens plus difficiles à appréhender, voire impossibles à saisir. L’exercice des droits du créancier est alors entravé, sans qu’une insolvabilité comptable ne puisse être caractérisée. La difficulté procédurale ainsi créée est-elle suffisante pour justifier l’intérêt à agir du créancier ?

De deux choses l’une. Soit le créancier est titulaire d’un droit spécial sur le bien objet de l’acte, et la jurisprudence est claire : « l’action paulienne peut être accueillie indépendamment de toute exigence d’insolvabilité du débiteur lorsque l’acte critiqué rend frauduleusement inefficace un droit particulier dont est investi le créancier sur des biens particuliers de celui-ci » [34].

Soit le créancier est chirographaire, et l’atteinte aux droits du créancier ne se manifeste pas dans l’insolvabilité comptable du débiteur. Lorsque ce dernier s’est frauduleusement constitué un actif de biens majoritairement insaisissables, il n’est pas insolvable au sens d’une cessation des paiements. Pour autant, l’atteinte portée au droit du créancier de faire exécuter sa créance est du même ordre : il ne peut obtenir paiement grâce à la saisie de l’actif du débiteur. Son intérêt à agir doit être admis. La situation confine à l’insolvabilité, non pas quantitative, mais substantielle [35].

Qu’en est-il enfin lorsque le débiteur s’est frauduleusement constitué un patrimoine composé de biens, non pas insaisissables, mais majoritairement difficiles à appréhender ou liquider ? Il faut admettre que dans de tels cas, l’intention frauduleuse du débiteur est sans doute plus évidente que lorsqu’il a soustrait ses biens aux poursuites des créanciers en faisant profiter autrui de son propre appauvrissement [36]. L’atteinte aux droits du créancier doit également pouvoir être reconnue, malgré l’absence d’insolvabilité quantitative.

En définitive, l’action paulienne ne peut se résumer en une sanction des actes d’appauvrissement entraînant l’insolvabilité du débiteur. Cet arrêt permet de se rappeler que, loin de son héritage romain [37], l’action paulienne n’est pas tant une protection contre l’insolvabilité de son débiteur, mais bien davantage une protection de la force obligatoire de l’obligation [38].


[1] C. civ., art. 1341-2 N° Lexbase : L0672KZW.

[2] L. Sautonie-Laguionie, « Action paulienne », Rép. Civ. Dalloz, n° 1.

[3] Cass. civ. 3, 28 novembre 1973, n° 72-14.443, publié au bulletin N° Lexbase : A3809CKB ; Cass. com., 1er mars 1994, n° 92-15.425, publié au bulletin N° Lexbase : A7015ABG ; Cass. com., 23 mai 2000, n° 96-18.055, inédit au bulletin N° Lexbase : A1542CZ7.

[4] V. F. Buy, « Grand vent pour l’action paulienne exercée contre les actes du débiteur failli », Revue pratique droit des affaires, février 2025, n° RDA100e6 ; C. Revet, « Fraude paulienne : disparition de la condition d’appauvrissement ? », D., 2025, p. 621 ; T. Visciano, JCP E, 2025, 1068 ; L. Vitale.

[5] V. F. Buy, précit.

[6] Rapp. C. Revet, précit., utilisant une terminologie proche d’atteinte à la « consistance », v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, Les obligations, Dalloz, 12ème éd., 2019, p. 1650.

[7] Catégorie identifiée par le Professeur L. Sautonie-Laguionie comme les « actes d’appauvrissement rendant impossible le paiement du créancier », précit, « Action paulienne », Rép. Civ. Dalloz, n° 53 et s.

[8] Issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L7445MSK.

[9] Ass. H. Capitant, G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Puf, coll. Quadrige, 15ème éd., 2024.

[10] C. civ., art. 1107, al. 2 N° Lexbase : L0818KZC.

[11] V. W. Dross, J-Cl. Civil code, Art. 1341-2 - Fasc. unique, maj. sept. 2024, n° 5.

[12] Cass. civ. 1, 5 décembre 1995, n° 94-12.266, Bull. civ. I, n° 443 N° Lexbase : A8033AB7.

[13] V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, Les obligations, Dalloz, 12ème éd., 2019, p. 1645.

[14] Cass. civ. 1, 6 janvier 1987, n° 85-13.988, publié au bulletin, Bull. civ. I, n° 1 N° Lexbase : A6492AAP : « alors que la révocation prévue par le texte susvisé suppose établie l'insolvabilité du débiteur à la date de l'introduction de la demande, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, ainsi que l'y invitaient les conclusions […] si à la date de la demande les biens dont les époux […] restaient propriétaires étaient suffisants pour désintéresser la société créancière, n'a pas donné de base légale à sa décision » ; Cass. civ. 1, 13 janvier 1993, n° 91-11.871, publié au bulletin N° Lexbase : A5809AHM ; Cass. com., 14 novembre 2000, n° 97-12.708, Bull. civ. IV, n° 173 N° Lexbase : A9316AHI ; Cass. civ 1, 12 juin 2001, 99-12.330, inédit au bulletin N° Lexbase : A5959ATU.

[15] V. entre autres W. Dross, précit., n° 74 ; C. Grimaldi, Droit des contrats, droitdescontrats.fr, 2025/2, n° 403 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, Les obligations, p.1659 ; F. Zenati-Castaing, T. Revet, Cours de droit civil – obligations – régime, PUF, 2013, n° 70.

[16] V. not. Cass. civ. 1, 14 février 1995, n° 92-18.886 N° Lexbase : A4397AGX ; Cass. com., 23 mai 2000, 96-21.521, inédit au bulletin N° Lexbase : A0145AUW : « le succès de l'action paulienne n'étant pas subordonné à la preuve de l'insolvabilité [du débiteur], la cour d'appel, qui a constaté que la délibération votée le 26 juillet 1991 avait pour objet de réduire le gage des créanciers en fraude de leurs droits […] a légalement justifié sa décision ».

[17] En ce sens, v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, Les obligations, Dalloz, 12ème éd., 2019, p. 1661.

[18] Catégorie identifiée par le Professeur L. Sautonie-Laguionie comme les « actes rendant plus difficile le paiement du créancier », précit, « Action paulienne », Rép. Civ. Dalloz, n° 56 et s.

[19] V. Cass. com., 1er mars 1994, n° 92-15.425, publié au bulletin N° Lexbase : A7015ABG ; Cass. com., 23 mai 2000, n° 96-18.055, inédit au bulletin N° Lexbase : A1542CZ7.

[20] V. not. M. Cormier, L’essentiel droit des contrats, mars 2025, DC0202u6 ; J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, L. Andreu, V. Forti, Les obligations Le rapport d’obligation, Sirey, 11ème éd., 2024, n° 20 ; T. Visciano, précit. ; L. Vitale, précit.

[21] V. not. J. François, Les obligations Régime général, Economica, 3ème éd., 2013, n° 303 : « la notion d’appauvrissement ne doit pas s’entendre en un sens exclusivement comptable. […] Cette solution est logique, dans la mesure où l’appauvrissement, qui caractérise le préjudice subi par le créancier, doit être apprécié en sa personne » ; H. Barbier, RTDciv. 2025, p. 91.

[22] Rapp. W. Dross, précit., n° 43 et s. qui les classe au titre des « actes n’appauvrissant pas le débiteur ».

[23] En ce sens, v. M. Julienne, Régime général des obligations, Lextenso, 5ème éd., 2024, n° 344.

[24] Contra, v. F. Buy, RPDA, fév. 2025.

[25] En ce sens, v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, op.cit, n° 1594 : « Un critère exclusivement quantitatif [appauvrissement et insolvabilité] eût conduit à exclure du champ d’application de l’action paulienne les actes à titre onéreux conclus à des conditions normales ».

[26] Rapp. C. Revet, précit. p. 622.

[27] Cass. com., 29 mai 2024, n° 22-20.308, F-B N° Lexbase : A84095DS ; v. déjà Cass. civ. 3, 20 décembre 2000, n° 98-19.343 N° Lexbase : A2073AIM.

[28] En ce sens, v. L. Sautonie-Laguionie, précit. n° 57.

[29] En ce sens, v. M. Cormier, précit. ; L. Vitale, précit.

[30] Ce qui peut laisser supposer que les fonds avaient effectivement été dissipés ; v. J.-F. Barbiéri, « Fraude paulienne : substitution d’une somme d’argent au fonds social cédé », BJS203t2.

[31] Dans le même sens, v. Cass. civ. 1, 6 février 2001, n° 98-23.203, inédit au bulletin N° Lexbase : A3733ARP, dans lequel l’insolvabilité de la débitrice est relevée dès les faits.

[32] En ce sens, v. J.-F. Barbiéri, précit. ; T. Visciano, précit.

[33] Contra, v. F. Buy, précit.

[34] Cass. civ. 3, 6 octobre 2004, n° 03-15.392, F-P+B+I N° Lexbase : A5755DDI ; Cass. civ. 1, 8 avril 2009, n° 08-10.024, F-D N° Lexbase : A1067EGM ; Cass. civ. 1, 10 décembre 1974, n° 72-11.223, publié au bulletin N° Lexbase : A9712CGS.

[35] Rappr. W. Dross, précit., n° 39 qui indique qu’il faut « tenir compte des difficultés éventuelles de saisie des biens figurant dans le patrimoine du débiteur, notamment parce qu'ils sont situés à l'étranger, pour apprécier cet état d'insolvabilité ».

[36] V. T. Visciano, précit.

[37] V. L. Sautonie-Laguionie, précit. n° 2.

[38] V. M. Julienne, précit. n° 487 ; L. Sautonie-Laguionie, précit., n° 35 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénédé, op.cit, n°1594 ; L. Vitale, précit.

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Procédure civile

[Dépêches] Magicobus II est arrivé !

Réf. : Décret n° 2025-619, du 8 juillet 2025, portant diverses mesures de simplification de la procédure civile N° Lexbase : L3039NAS

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N2646B3E

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 10 Juillet 2025

Le décret n° 2025-619 du 8 juillet 2025, portant diverses mesures de simplification de la procédure civile, contient des dispositions relatives, d’une part, à la communication par voie électronique et de dématérialisation des procédures, et d’autre part, à des mesures de simplification diverses.

I. Sur la communication par voie électronique et la dématérialisation des procédures

1. Désormais vaut aussi consentement irrévocable du destinataire à l’utilisation de la voie électronique pour les envois, remises et notifications, le dépôt d’une requête numérique via le « Portail du justiciable » ou la consultation sur celui-ci par le justiciable de l’espace relatif à l’instance (art.1) .

Cette disposition entrera en vigueur le 1er novembre 2025 (art. 14).

2. Également, l’article 2 du décret insère un nouvel alinéa au sein de l’article 653 du Code de procédure civile N° Lexbase : L4834IST.

À compter du 1er septembre 2025, le jugement établi numériquement peut être signifié au format papier. Dans ce cadre-là, le commissaire de justice édite une copie du jugement sur support papier et certifie la conformité de cette édition au jugement numérique.

3. Ensuite, lorsque le jugement est établi numériquement, sa notification peut être faite par la transmission d’un exemplaire dont la signature électronique est valide (art. 2).

4. Enfin, l’article 729-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6936H7Z prévoira, que lorsque le greffe numérise ou matérialise les pièces du dossier, il certifie de leur conformité aux originaux.

Les pièces papier remises par les parties leur sont restituées (art. 3).

II. Sur les mesures de simplification diverses

1. De manière très attendue, le décret emporte une modification de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49.

Désormais, la juridiction territorialement compétente pour statuer sur la demande est celle susceptible de connaître l’affaire au fond ou, s’il y a lieu, celle dans le ressort de laquelle la mesure d’instruction doit être exécutée (art. 4).

Lorsque la mesure d’instruction porte sur un immeuble, la juridiction compétente est celle du lieu où est situé l’immeuble (art. 4).

2. Ensuite, l’article 600 du même Code N° Lexbase : L8424IUK est complété par un nouvel alinéa, qui prévoit qu’en cas d’appel du jugement statuant sur le recours en révision, et lorsque ce recours a été formé par citation, l’appelant doit, à peine d’irrecevabilité dénoncer sa déclaration d’appel au ministère public (art. 6).

3. Aussi, l’article 8 du décret prévoit la création d’un article 959-1 du Code de procédure civile.

Grâce à ce dernier, le premier président aura la faculté de renvoyer une affaire relevant de sa compétence à une audience dont il fixe la date, devant la formation collégiale.

4. L’article 10 du décret attribue à la Cour d’appel de Paris, la compétence exclusive pour statuer sur le recours en annulation à l’encontre d’une sentence d’arbitrage international rendue en France.

Cette disposition est applicable à tous les recours introduits depuis le 1er juin 2025 (art. 14).

5. Enfin, un article R. 2313-7 du Code du travail est créé par l’article 11 du décret.

Ce nouvel article confère au tribunal judiciaire, une compétence exclusive pour statuer sur les contestations relatives à la désignation d’un représentant de proximité.

III. Sur l’entrée en vigueur de ce décret

Par principe, le décret entre en vigueur le 1er septembre 2025 et est applicable aux instances en cours à cette date (art. 14).

Les articles 4 et 6 du décret sont applicables aux seules instances introduites et aux seules déclarations d’appel formées à compter du 1er septembre 2025 (art. 14).

 

 

 

 

 

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Procédure civile

[Brèves] Nouvelle sanction pour la saisine d’une Cour d’appel territorialement incompétente !

Réf. : Cass. civ. 2, 3 juillet 2025, n° 22-23.979, FS-B+R N° Lexbase : B7773APL

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N2637B33

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 08 Juillet 2025

La Cour de cassation revient sur sa jurisprudence au sujet de la sanction de la saisine d’une Cour d’appel territorialement incompétente (V. Cass. civ. 2, 25 novembre 2021, n° 20-13.780 N° Lexbase : A50877DR). Elle considère que la saisine d'une cour d'appel territorialement incompétente relève des exceptions d'incompétence et non des fins de non-recevoir.


Faits et procédure. Par une déclaration du 2 février 2021, M. [E] a interjeté appel, devant la Cour d’appel de Paris, d’un jugement d’un Conseil de prud’hommes, notifié le 7 janvier 2021. Le 23 mars 2021, M. [E]  a formé une seconde déclaration d’appel devant la Cour d’appel de Versailles, territorialement compétente. Par une ordonnance du 7 juin 2021, un Conseiller de la mise en état de la Cour d’appel de Paris a déclaré le premier appel irrecevable. Par une ordonnance du 4 avril 2022, qui a été déférée à la Cour d’appel, un Conseiller de la mise en état de la Cour d’appel de Versailles déclare, irrecevable, le second appel. M. [E] décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. S’agissant de l’argumentation de M. [E], le moyen annexé au présent arrêt, a été relevé d’office par la Cour de cassation, sur le fondement des articles 1015 N° Lexbase : L5802L8E et 620 N° Lexbase : L6779H79 du Code de procédure civile. 

Solution. La Cour de cassation procède à un revirement de sa jurisprudence. Après avoir rappelé la lettre des articles L. 311-1 N° Lexbase : L7901HNX et R. 311-3 N° Lexbase : L6510IAD du Code de l’organisation judiciaire, la Cour retrace ses précédentes décisions. Depuis 2009 (Cass. civ. 2, 9 juillet 2009, n° 06-46.220 N° Lexbase : A7198EIG), la Cour considère que lorsqu’une Cour d’appel constate que l'appel d'un jugement a été formé devant une cour dans le ressort de laquelle n'est pas située la juridiction dont émane la décision attaquée, en déduit exactement que l'appel n'est pas recevable. Ensuite, la Cour rappelle le revirement de jurisprudence opérée par sa Chambre commerciale, sur la compétence de la Cour d’appel de Paris, pour statuer sur les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce N° Lexbase : L0496LQG. Auparavant la Chambre commerciale considérait que dans ce cadre-là, la saisine d’une Cour d’appel incompétente était sanctionnée par une fin de non-recevoir (Cass. com., 9 juillet 2009, n° 06-46.220). Désormais, la Chambre commerciale considère que cette situation relève d’une exception de compétence (Cass. com., 29 janvier 2025, n° 23-15.842 N° Lexbase : A38976S7). De ce fait, la deuxième Chambre civile se demande si la règle d'ordre public relative à la compétence territoriale d'une cour d'appel, prévue à l'article R. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire, relève des exceptions d'incompétence ou des fins de non-recevoir. Elle considère que sa jurisprudence de 2009 est une source de complexité pour les praticiens et de restrictions de l’accès au juge d’appel. Désormais, la deuxième Chambre civile considère que la saisine d'une cour d'appel territorialement incompétente n'est pas sanctionnée par une fin de non-recevoir mais relève des exceptions d'incompétence régies par les articles 75 N° Lexbase : L1411LGD à 82-1 du Code de procédure civile. Selon la Cour, ce revirement de jurisprudence tend à favoriser l'accès au juge d'appel en assouplissant le régime des sanctions tout en poursuivant l'objectif d'une bonne administration de la justice.

newsid:492637

Procédure civile

[Dépêches] Le procès-verbal de recherches infructueuses ne peut pas être modifié postérieurement à son établissement !

Réf. : Cass. civ. 2, 12 juin 2025, n° 22-24.741, F-D N° Lexbase : B7699AKD

Lecture: 4 min

N2502B33

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Le 08 Juillet 2025

La Cour de cassation précise sa jurisprudence au sujet de la signification d’un acte (V. Cass. civ. 2, 10 avril 2025, n° 23-12.313 N° Lexbase : A95250IM). Elle considère que, lorsqu’un huissier de justice a dressé un procès-verbal de recherches infructueuses à la dernière adresse connue du destinataire de l’acte, il ne peut pas modifier ce dernier suite à la signification de l’acte à une seconde adresse.


 

Faits et procédure. Par un jugement du 10 octobre 2008, un tribunal de grande instance a condamné solidairement Mme [Y] et M. [M], à payer une certaine somme au titre d’un prêt à la consommation. Une fois la décision entre ses mains, le prêteur fait signifier aux emprunteurs la décision du tribunal. Cependant, l’huissier de justice ne parvient pas à trouver les emprunteurs à l’adresse mentionnée dans le jugement. Ce dernier constate cette situation dans un procès-verbal, conformément à l’article 659 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6831H77. L’huissier procède à des recherches complémentaires, et trouve une seconde adresse au sein de laquelle il parvient à signifier la décision aux emprunteurs. Dans cette situation, l’huissier modifie son premier procès-verbal pour que ce dernier soit « un procès-verbal de recherche fructueuse ». Ensuite, le prêteur a poursuivi l’exécution de ce jugement, en réalisant une saisie des rémunérations du travail à l’encontre de Mme [Y]. Le 16 décembre 2020, Mme [Y] a décidé d’assigner son créancier, devant le juge de l’exécution, aux fins de voir déclarer le jugement non avenu et d’ordonner la mainlevée de la saisie. Une décision de première instance est rendue, puis un appel est interjeté devant la Cour d’appel de Chambéry. Cette dernière statue sur ce recours dans un arrêt du 22 septembre 2022. Ensuite, Mme [Y] décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt d’infirmer le jugement de première instance qui avait déclaré nulle la signification du jugement du 10 octobre 2008, et déclaré en conséquence non avenu ce dernier, faute d’avoir été signifié dans les six mois. Au soutien de son pourvoi, Mme [Y] affirme que la signification doit par principe, être faite à personne. Selon elle, ce n’est que lorsque le destinataire n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connu, que le procès-verbal de recherches infructueuses, établi sur le fondement de l’article 659 du Code de procédure civile peut valoir signification. Tel n’est pas le cas, d’un procès-verbal de recherches fructueuses, établi par un huissier de justice, dont l’objet n’est nullement de délivrer l’acte à son destinataire. Pour déclarer la signification valable, les juges chambériens ont considéré que la signification est intervenue une première fois, le 22 janvier 2009. Au sein de l’acte, l’huissier précise qu’il s’est présenté une première fois à l’adresse mentionnée dans le jugement. Or, Mme [Y] ne résidait plus à cette adresse. Après avoir effectué des recherches, l’huissier a trouvé une seconde adresse, à laquelle il a procédé à la signification. De ce fait, la Cour d’appel a jugé que l’acte d’huissier du 22 janvier 2009, transformé en procès-verbal de recherche fructueuse, valait signification du jugement. En statuant ainsi, Mme [Y] considère que la Cour d’appel a violé notamment les articles 651 N° Lexbase : L6814H7I, 654 N° Lexbase : L6820H7Q et 655 N° Lexbase : L6822H7S du Code de procédure civile.

Solution. La Cour de cassation approuve cette argumentation, au visa des articles 656 N° Lexbase : L6825H7W et 659 du Code de procédure civile. Après avoir rappelé la lettre de ces articles et le raisonnement de la Cour, la Haute juridiction relève que l’acte n’a pas été dressé à la dernière adresse connue du destinataire, conformément à l’article 659 du Code de procédure civile. De ce fait, la Cour considère que l’huissier de justice, ne pouvait pas, après avoir dressé un procès-verbal de recherches infructueuses, modifier cet acte, en procès-verbal de recherches fructueuses. Malgré la découverte d’une seconde adresse, et la signification de l’acte à cette dernière, l’huissier aurait dû respecter les dispositions de l’article 659 du Code de procédure civile, pour la première adresse. Par conséquent, les juges du quai de l’horloge considèrent que la signification est irrégulière.

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Procédure civile

[Brèves] Une assignation délivrée à plusieurs personnes n’impose pas plusieurs enrôlements au greffe !

Réf. : Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-23.066, F-B N° Lexbase : B3039AAS

Lecture: 3 min

N2353B3K

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Le 03 Juillet 2025

La Cour de cassation précise sa jurisprudence au sujet de l’enrôlement d’une assignation. Elle considère qu'une même assignation délivrée à plusieurs personnes n'impose pas plusieurs enrôlements. De ce fait, la remise d’une seule copie de l’assignation au greffe, dans le délai imparti, est régulière.


Faits et procédure. Les 24 et 30 juillet 2020 Mme [C] a assigné la société R. House design, en qualité de maître d'œuvre, son assureur, la société SMA, et la société L'Ebénisterie, en référé expertise sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49. Mme [C] réalise l’enrôlement de son assignation le 30 juillet 2020, en délivrant au greffe de la juridiction qu’une seule copie. Par une ordonnance du 16 février 2021, le juge des référés a rejeté la demande de caducité de l’assignation du 30 juillet 2020, à l’encontre de la société L'Ebénisterie, et a ordonné une expertise. La société L'Ebénisterie décide d’interjeter appel de cette ordonnance. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, statue sur ce recours dans un arrêt du 16 décembre 2021 (CA Aix-en-Provence, 16 décembre 2021, n° 21/05797 N° Lexbase : A48967GG). Ensuite, la société L'Ebénisterie décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt de rejeter la demande de caducité de l’assignation du 30 juillet 2020, et de condamner cette dernière à payer à Mme [C], la somme provisionnelle de 2 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive. Au soutien de son pourvoi, la société L'Ebénisterie affirme que la remise au greffe d'une copie de chaque assignation délivrée, doit avoir lieu sous peine de caducité de l'assignation constatée d'office par ordonnance du juge, ou, à défaut, à la requête d'une partie. En jugeant, au contraire, qu’une même assignation délivrée à plusieurs personnes n’impose pas plusieurs remises au greffe, la société L'Ebénisterie considère que la Cour d’appel a violé l’article 754 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5412L8X.

Solution. La Cour de cassation rejette cette argumentation, en rappelant la lettre de l’article 754 du Code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 N° Lexbase : L1923MYU. La Haute juridiction approuve l’argumentation des juges du fond. Elle considère que c’est à bon droit que ces derniers ont retenu qu'une même assignation délivrée à plusieurs personnes n'impose pas plusieurs enrôlements. De ce fait, la remise de l’assignation de [Mme C] le 30 juillet 2020 était régulière, puisqu’elle a été faite dans le délai imparti. Ainsi, la Cour de cassation rejette le pourvoi de la société L'Ebénisterie.

newsid:492353

Procédure civile

[Brèves] L’interruption de la prescription s’étend entre deux actions lorsqu’elles tendent à un seul et même but !

Réf. : Cass. civ. 2, 7 mai 2025, n° 23-20.113, F-B N° Lexbase : A22460RM

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N2266B3C

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Le 03 Juillet 2025

La Cour de cassation rappelle et précise sa jurisprudence en matière d’interruption de la prescription (V. Cass. civ. 2, 8 juillet 2021, n° 20-12.005 N° Lexbase : A48144YX). Elle affirme dans le cadre d’un litige d’assurance, que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un seul et même but.


Faits et procédure. Mme [X], peintre en lettres dans le bâtiment, a souscrit un contrat de prévoyance garantissant, l’incapacité temporaire de travail et l’invalidité. Le 18 mars 2013 Mme [X] a été victime d’un accident, qu’elle a déclaré à l’assureur et elle a sollicité le bénéfice des garanties prévues au contrat. L'assureur lui a versé 469 jours d'indemnités journalières, du 18 mars 2013 au 30 juin 2014. Le 1er juillet 2014, l’assureur notifie par courrier à Mme [X], un refus de garantie pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2014. Contestant ce refus de garantie, Mme [X] a obtenu, en référé, la désignation d’un expert judiciaire. Après le dépôt du rapport d’expertise, Mme [X] a décidé de contester les conclusions de ce rapport  en assignant au fond l’assureur devant un tribunal judiciaire. Une première décision est rendue, puis un appel est interjeté. En cause d’appel, Mme [X] a sollicité le paiement d'indemnités journalières complémentaires et du capital invalidité prévu au contrat. La Cour d’appel de Paris a statué sur cette affaire, dans un arrêt du 15 février 2023 (CA Paris, pôle 4, chambre 8, 15 février 2023, n° 21/03087 N° Lexbase : A71959DT). Par la suite, Mme [X] a décidé d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi / Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable, car prescrites ses demandes de paiement des indemnités journalières complémentaires et du capital prévu par le contrat. Au soutien de son pourvoi, Mme [X], affirme que l’interruption de la prescription peut s’étendre d’une demande à une autre. Pour ce faire, les actions doivent tendre à l’exécution d’un même contrat d’assurance et à l’indemnisation d’un même sinistre. Pour déclarer irrecevables ses demandes de paiement, la Cour d’appel relève que ces dernières n’ont pas été soumises au premier juge. Les juges du fond considèrent que le point de départ de la prescription des demandes de Mme [X] se situe lors de l’assignation en désignation d’un expert judiciaire. La Cour d’appel affirme que l’assignation au fond n’a pas interrompu le délai de prescription.  Or, Mme [X] souligne qu’il ressort des constatations des juges du fond, que ses actions au fond et en désignation d’un expert judiciaire, tendaient à l’exécution du même contrat et à l’indemnisation d’un même sinistre. De ce fait, Mme [X] considère que l’action relative à la désignation d’un expert avait interrompu la prescription de ces demandes. En déclarant ses demandes prescrites, Mme [X] considère que la Cour d’appel a violé les articles 2241 du Code civil N° Lexbase : L7181IA9 et L.114-2 du Code des assurances N° Lexbase : L9564LGC.

Solution. La Cour de cassation approuve l’argumentation de Mme [X], au visa de l’article 2241 du Code civil. La Haute juridiction considère qu’il résulte de cet article que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un seul et même but. Après avoir rappelé le raisonnement des juges du fond, la Cour souligne qu’il ressort de leurs constatations, que les deux actions successivement engagées tendaient l'une et l'autre à l'indemnisation du même sinistre, en exécution du même contrat d'assurance. De ce fait, les actions avaient le même but, et il en résulte que la prescription avait été interrompue par la demande initiale. Par conséquent, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges parisiens.

newsid:492266

Procédure civile

[Brèves] En cas d’absence de l’intimé la Cour d’appel doit tout même statuer sur le fond de l’affaire !

Réf. : Cass. civ. 2, 12 juin 2025, n° 22-23.359, F-D N° Lexbase : B7888AKD

Lecture: 3 min

N2592B3E

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 03 Juillet 2025

La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence au sujet de l’absence de l’intimé (V. Cass. civ. 2, 25 novembre 2021, n° 20-13.780 N° Lexbase : A50877DR). Elle considère que, lorsque l’intimé est absent, il est tout de même statué sur le fond. Dans ce cas, la Cour d’appel, doit examiner les moyens de l’appelant et les motifs par lesquels le premier juge s’est prononcé.


Faits et procédure. Le 9 novembre 2020, M. [S] a assigné en référé M. [V], aux fins de libération d’une parcelle, d’expulsion sous astreinte, de démolition de constructions et de paiement d’une indemnité d’occupation. Par une ordonnance du 8 février 2022, le juge des référés affirme que M. [V] est occupant sans droit ni titre, a ordonné son expulsion sous astreinte ainsi que la remise en état de la parcelle concernée, sous astreinte, et l’a condamné au paiement d’une indemnité d’occupation. M. [V] décide d’interjeter appel de cette ordonnance. En cause d’appel, M. [S] ne constitue pas d’avocat, et il ne formule pas de prétention. La Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, statue sur le recours de M. [V] dans un arrêt du 6 septembre 2022. Ensuite, M. [S] décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. Le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt de le débouter de l’ensemble de ses demandes dirigées contre M. [V]. Au soutien de son pourvoi, M. [S] affirme que si l’intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond. Dans cette hypothèse M. [S] estime que la Cour d’appel est tenue d’examiner, au vu des moyens d’appel, la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s’est déterminé. Pour débouter M. [S] de ses demandes, les juges du fond ont considéré qu’au regard de son absence en cause d’appel, il ne justifiait ni de son titre de propriété, ni du dommage imminent ou du trouble manifestement illicite que constituerait la présence de M. [V] sur sa parcelle. En statuant ainsi, M. [S] considère que la Cour d’appel n’a pas apprécié la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s’était prononcé, et a violé l’article 472 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6584H7Y.

Solution. La Cour de cassation approuve cette argumentation, au visa des articles 472 et 954 N° Lexbase : L2439MLW du Code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction antérieure au décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 N° Lexbase : L4949MYX. La Cour considère qu’il résulte du premier de ces textes, qu’en appel, si l’intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond, et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l’appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés. Après avoir rappelé la lettre du second article, la Cour souligne que l’intimé qui n’a pas constitué avocat, qui n’a donc pas conclu en cause d’appel, est ainsi réputé s’approprier les motifs du jugement ayant accueilli ses demandes. De ce fait, il appartient à la Cour d’appel d’examiner, au vu des moyens d’appel, la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s’est déterminé. Après avoir rappelé le raisonnement des juges du fond, la Haute juridiction constate que la Cour d’appel n’a pas examiné, au vu des moyens d’appel, la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s’était déterminé. Par conséquent, la juridiction du quai de l’horloge casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 6 septembre 2022 par la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion.

newsid:492592

Procédure civile

[Commentaire] Clair-obscur sur l’interruption du délai de péremption

Réf. : Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-20.067, FS-B N° Lexbase : A42230CE et n° 22-15.464, FS-B N° Lexbase : A42290CM

Lecture: 6 min

N2605B3U

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par Bertrand Jost, Maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord

Le 03 Juillet 2025

Mots-clés : procédure civile • péremption • diligence • définition • pouvoir souverain des juges du fond

La Cour de cassation précise ce qu’est une diligence interruptive du délai de péremption : « l'initiative d'une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l'instance ». Elle laisse aux juges du fond un pouvoir souverain pour vérifier la réunion de ces conditions.


 

1. La péremption est, on le sait, redoutable : constatée sans marge d’appréciation [1] par le juge lorsque deux ans au moins se sont écoulés sans qu’aucune diligence n’ait été accomplie par les parties [2], en violation du devoir que fait peser sur elles l’article 2 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1108H4S, elle entraîne l’extinction de l’instance [3] et rend donc inutiles tous les actes de procédure qui ont été réalisés jusque-là [4] – et, partant, tous les frais engagés, lesquels sont mis à la charge du demandeur initial [5]. Par ailleurs, la péremption survenant en première instance efface rétroactivement l’interruption de la prescription extinctive pour celui qui a introduit l’instance (C. civ., art. 2243 N° Lexbase : L7179IA7), ce qui lui ôte le bénéfice temporel de son action en justice. Survenant en appel ou sur opposition, elle confère automatiquement à la décision attaquée la force de chose jugée [6].

C’est dire que la notion de « diligence » est centrale et mérite d’être clairement définie, afin que les parties ne soient pas prises de court par une péremption qu’elles n’auraient pas anticipée, croyant alimenter l’instance, alors qu’aux yeux du juge elles n’en faisaient rien [7]. La question fait l’objet d’un abondant contentieux ; deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 27 mars 2025, y mettront-ils un terme [8] ? Deux précisions sont apportées : ce qu’est une diligence interruptive de prescription, d’une part (c’est la partie claire des solutions), le contrôle de la Cour de cassation sur cette qualification, d’autre part (c’est la partie obscure).

2. Le clair : la définition prétorienne de la diligence interruptive du délai de péremption. De façon générale, la diligence interruptive du délai de péremption semblait déjà définie comme un acte (au sens large) faisant progresser l’instance (ou l’affaire) [9]. Dans les arrêts commentés, la Cour de cassation joue quelque peu sur les mots en estimant qu’elle a créé l’insécurité en employant des expressions variées, dont les significations seraient subtilement distinctes : « continuer » l’instance serait différent de la « poursuivre », de la « faire avancer » ou « progresser », etc. [10]. La difficulté n’est cependant pas dans des termes dont on peut raisonnablement considérer qu’ils sont en réalité synonymes ; elle est dans ce qu’ils recouvrent. La péremption étant la sanction de l’inertie des parties, une diligence interruptive de péremption ne peut être qu’un acte de leur part manifestant une progression concrète de la procédure, un pas en avant – ce que Roger Perrot appelait une « impulsion processuelle », une « dynamique » [11]. À la nécessaire volonté d’au moins une partie d’avancer (sans laquelle il ne se passerait rien) doit donc s’accoupler une activité utile au procès [12].

Sauf pour les actes qui manifesteraient intrinsèquement une progression (ainsi, sans doute, un dépôt de conclusions nouvelles [13]), il s’ensuit nécessairement une certaine casuistique : deux actes de même nature, réalisés dans deux instances distinctes, n’ont pas nécessairement la même incidence sur la péremption. Ainsi une demande de renvoi [14] : qu’elle soit la première, afin de permettre aux avocats de parfaire leurs conclusions, elle manifeste bien une volonté en action afin de mener au mieux l’affaire à son terme [15] ; qu’on ne la compte plus, et l’on ne voit pas par où l’instance progresse [16]. Cependant, qui dit casuistique dit nécessairement risque de critique de l’appréciation des faits d’espèce par les juges – mais c’est alors l’application du droit qui est examinée et non son état.

Aussi, la définition proposée par la deuxième chambre civile en mars dernier est-elle vraiment nouvelle ? Elle semble, au contraire, très intuitive et très proche de ce que l’on pouvait comprendre de l’état antérieur du droit : « la diligence interruptive du délai de péremption s'entend de l'initiative d'une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l'instance » (n° 15). Volonté et utilité sont, autrement dit, associées explicitement, dans le cadre d’une « initiative ».

Pour claire qu’elle soit, la formule n’est pas à l’abri de toute critique.

  • La notion d’initiative, volontairement impressionniste sans doute, nécessitera peut-être elle-même une définition, tant elle semble accueillante [17].
  • Par ailleurs, volonté et utilité semblent présentées comme deux conditions cumulatives. Or la première est très psychologique, et l’on regretterait que des juges méfiants ou invités à raisonner de la sorte n’aillent sonder les intentions véritables de parties qui, objectivement, contribuent à faire progresser l’instance malgré qu’elles en aient [18]. L’utilité de l’initiative aurait pu suffire à caractériser la diligence ; la référence à la volonté de parvenir à une solution semble superflue.

En revanche, il est appréciable que la résolution du litige soit mise à l’honneur comme objectif de la diligence. D’une part, l’expression est plus explicite que celle de progression de l’instance (au sens strict, faire progresser le procès n’est pas une fin en soi, contrairement à l’obtention d’une solution) ; d’autre part, elle invite à qualifier bien volontiers d’interruptives de péremption les initiatives en faveur d’une transaction entre les parties [19] (mais sans doute faut-il qu’elles ne soient pas instrumentalisées à des fins dilatoires).

Quoi qu’il en soit, les juges du fond ont, dans les espèces présentes, raisonné sans utiliser explicitement ces critères à l’égard des faits qui leur étaient soumis (changement d’avocat dans une espèce [20], demande de réinscription au rôle dans l’autre [21]) : ils ont donc violé les articles 2 N° Lexbase : L1108H4S, 3 N° Lexbase : L1111H4W et 386 N° Lexbase : L2277H44 du Code de procédure civile.

3. L’obscur : un contentieux évacué. Cependant, tout en mettant de l’ordre dans le propos, la Cour de cassation évacue massivement le contentieux de la qualification des diligences interruptives du délai de péremption. Tirant argument de ce que la réunion des conditions précitées dépend « de la nature de l’affaire et de circonstances de fait », la Cour de cassation en abandonne la vérification au pouvoir souverain des juges du fond (n° 15). Aussi, dès lors que ceux-ci se réfèreront bien à la double condition de volonté d’avancer et d’utilité des initiatives à cet égard, ils ne seront soumis à aucun contrôle de qualification. La jurisprudence de la Cour de cassation paraissait-elle trop casuistique et imprévisible ? Nous aurons désormais une jurisprudence très casuistique de la part des seuls juges du fond. Gageons qu’elle ne sera ni moins critiquée, ni moins imprévisible.

 

[5] CPC, art. 393 N° Lexbase : L6494H7N. Il lui revient particulièrement, en effet, de faire progresser l’instance qu’il a lui-même ouverte afin de faire valoir ses droits. 

[7] Encore faut-il que les parties aient effectivement la charge de faire avancer l’instance, ce qui n’est pas le cas lorsque aucune diligence n’est encore ou n’est plus attendue d’eux car la juridiction a la main sur le déroulement du procès. En effet, « si de toute manière, les parties sont impuissantes à faire progresser l'instance par leurs propres moyens parce que ce pouvoir ne leur appartient pas, la péremption d'instance n'a plus de sens » (R. Perrot, note sous quatre arrêts dont Cass. civ. 2, 12 février 2004, n° 01-17.565, FS-P+B N° Lexbase : A2681DBW, RTD civ., 2004.347), et les articles 2 N° Lexbase : L1108H4S et 386 N° Lexbase : L2277H44 du Code de procédure civile n’ont pas à s’appliquer. L’année 2024 a, sur ce point, été riche en revirements ravalant la péremption à sa juste place au nom – notamment – du droit au procès équitable (Cass. civ. 2, 7 mars 2024, n° 21-19.475, FS-B N° Lexbase : A41372SZ, n° 21-19.761, FS-B N° Lexbase : A41302SR, n° 21-20.719, FS-B N° Lexbase : A41312SS, n° 21-23.230, FS-B N° Lexbase : A41362SY : Bull. civ. 2024/3.252 et s., Dalloz actualité, 20 mars 2024, note M. Barba, JCP G, 2024, p. 673, n° 2, obs. L. Veyre ; Cass. civ. 2, 10 octobre 2024, n° 22-12.882, FP-B N° Lexbase : A441859I, Bull. civ. 2024/10.305, Dalloz actualité, 6 novembre 2024, note M. Plissonnier, Procédures 2024/12, comm. n° 270, note S. Amrani-Mekki). Autrement dit, la péremption est de moins en moins « un piège facilitant l’épuration des rôles » (M. Plissonnier, note préc.). Adde encore récemment, Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-21.033, F-D, inédit N° Lexbase : B2325ABQ, dont l’attendu est très général : « en procédure orale, à moins que les parties ne soient tenues d'accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe. Elles n'ont, dès lors, plus de diligences à accomplir en vue de l'audience à laquelle elles sont convoquées par le greffe. »

[8] Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-20.067, FS-B N° Lexbase : A42230CE et n° 22-15.464, FS-B N° Lexbase : A42290CM : Bull. civ. 2025/3.207 (pour le second), Dalloz actualité, 15 avril 2025, note R. Raine, JCP G, 2025.652, n° 2, obs. L. Veyre, Procédures 2025/5, comm. n° 108, note R. Laffly, Gaz. Pal., 2025, n° 14, p. 33, obs. S. Amarani-Mekki.

[9] L. Veyre, Répertoire de procédure civile, Dalloz, v. Péremption d’instance, avril 2025, n° 29 et s. Comp. S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, Dalloz, 8e éd., 2023, n° 1276.

[10] Décisions commentées, n° 12.

[11] R. Perrot, note sous Cass. civ. 3, 20 décembre 1994, n° 92-21.536 N° Lexbase : A7425ABM, RTD civ., 1995, p. 683.

[12] Même dans des décisions où la volonté de poursuivre l’instance était mise à l’honneur dans les motifs de la Cour de cassation, la dimension utile des actes de la partie en cause était sous-jacente. Ainsi, dans l’arrêt cité dans les décisions commentées au n° 13 (Cass. civ. 2, 11 septembre 2003, n° 01-12.331, FS-P+B N° Lexbase : A5208C9R, Bull. civ. 2003.II.211, n° 256, D., 2003, p. 2797, note G. Tapie), une expertise avait duré plusieurs années et l’assureur d’une victime d’incendie invoquait la péremption de l’instance, alors que la victime avait participé aux opérations d’expertise et sollicité des sursis à statuer en attendant le dépôt des rapports. Contrainte d’attendre, que pouvait-elle faire d’autre ? La Cour énonce que ces actes manifestent « la volonté […] de poursuivre l’instance » mais ils ont aussi eu, de toute évidence, une certaine utilité. Au demeurant, un sursis à statuer impliquant une suspension du délai de péremption (CPC, art. 378 N° Lexbase : L2245H4W et 392 N° Lexbase : L3364MIG), en demander un pour d’aussi bonnes raisons que les délais d’expertise semble bien être une diligence interruptive.

[13] À moins qu’elles ne soient totalement farfelues, sans doute, et que leur seule finalité soit d’interrompre la péremption.

[14] Nous reprenons ici un exemple exploité par l’un de nos collègues pour démontrer – à l’inverse – l’incohérence de la jurisprudence (R. Raine, note préc.).  

[15] Cass. civ. 2, 18 janvier 2007, n° 06-11.610, F-D, inédit N° Lexbase : A6291DT8 (le renvoi est demandé pour permettre d’étudier le droit étranger applicable au litige).

[16] Cass. civ. 2, 4 février 2014, n° 12-29.641, F-D, inédit N° Lexbase : A9173MD4 (« plusieurs » renvois, les parties prétendant qu’elles « tentaient » de parvenir à un accord, manifestement sans succès malgré le temps accordé). 

[17] S’il peut sembler acquis qu’il ne s’agira pas forcément d’un acte de procédure au sens strict (L. Veyre, Répertoire de procédure civile, Dalloz, préc., n° 29), on peut s’interroger sur le destinataire de l’initiative : sans doute doit-il s’agir du juge ou de l’une des personnes qu’il a désignées dans le cadre du procès (expert, commissaire de justice, etc.).

[18] Et ce d’autant plus que les qualifications en la matière sont désormais abandonnées au pouvoir souverain des juges du fond (v. infra, n° 3).

[19] V. S. Amrani-Mekki, note préc. ; R. Raine, note préc. Au demeurant, la convocation à une audience de règlement amiable comme la conclusion d’une convention de procédure participative entraînent interruption en vertu de la loi (CPC, art. 369 N° Lexbase : L3363MIE et 392 N° Lexbase : L3364MIG).

[20] Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-20.067, FS-B N° Lexbase : A42230CE.

[21] Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-15.464, FS-B N° Lexbase : A42290CM.

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Procédure civile

[Chronique] Actualité de la procédure civile européenne et internationale (juin 2024 à juin 2025)

Lecture: 1 heure, 53 min

N2609B3Z

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par Sâmi Hazoug – Maître de conférences à l’Université Marie et Louis Pasteur et Sylvie Pierre Maurice –Maître de conférences HDR à l’Université de Strasbourg

Le 07 Juillet 2025

À nouveau support, nouveau format ! Cette chronique est désormais annuelle. S’agissant du volet « CEDH », d’une part, il devient exclusivement axé sur les garanties du procès équitable, en excluant la procédure devant la CEDH ; d’autre part, seuls les arrêts de condamnation émanant de la Grande Chambre ou de la Chambre de la CEDH seront commentés, ainsi que les arrêts majeurs de la Cour de cassation et du Conseil d’État appliquant l’article 6, § 1 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR. Pour cette première chronique nouvelle formule, un focus sera effectué notamment sur le formalisme excessif, les délais raisonnables et le tribunal indépendant et impartial.

Le volet « compétence et exécution » exposera pour sa part principalement les arrêts de la Cour de justice pour le droit européen. Les décisions de la Cour de cassation portant sur le droit international privé commun et conventionnel continueront à être traitées.


 

Sommaire

I. Les garanties du procès équitable (CESDH, art. 6, § 1)

A. Droit à la preuve et procès équitable

  1. Cass soc., 19 mars 2025, n° 23-19.154, FP-B+R

B. Droit au recours effectif

  1. CEDH, 16 janvier 2025, Req. 49526/15, Association confraternelle de la presse judiciaire et autres c/ France

C. Formalisme excessif de la procédure civile française

CEDH, 21 novembre 2024, Req. 72173/17 et 17 autres, Justine c/ France

Cass. civ. 2, 28 novembre 2024, n° 21-13.648, F-B

Cass. civ. 2, 28 novembre 2024, n° 22-16.664, F-B

CEDH, 3 octobre 2024, Req. 33851/23, Sam TM Transports c/ France

Cass. civ. 2, 3 octobre 2024, n° 22-16.223, F-B

D. Droit à un tribunal impartial établi par la loi

Cass civ. 2, 6 février 2025, n° 22-18.078, F-B

CE, 8e et 3e ch. réunies, 5 février 2025, n° 489647

CE, 4e et 1re ch. réunies, 7 mars 2025, n° 491187

E. Délais raisonnables de jugement

CEDH, 3 juin 2025, Req. 20641/20 et 20644/20, Selimi et Krasnići c/ Serbie

CEDH, 3 juin 2025, Req. 3592/17, Zuvić c/ Serbie

CEDH, 27 mai 2025 Req. 39860/19, 38996/20, 6142/22 et 27370/22, ARB SHPK et autres c. Albanie

 II. Compétence et exécution

A. Droit commun

1) Reconnaissance – Exequatur – Adoption – Gestation pour autrui – Ordre public

  1. Cass. civ. 1, 11 décembre 2024, n° 23-15.672, FS-B+R ; Cass. civ. 1, 14 novembre 2024, n° 23-50.016, FS-B+R ; Cass. civ. 1, 2 octobre 2024, n° 22-20.883, FS-B+R

B. Droit conventionnel

1) Convention franco-marocaine du 10 août 1981

Litispendance internationale – Compétence indirecte – Cumul de nationalités

Cass. civ. 1, 5 février 2025, n° 22-22.729, FS‑B+R

C. Droit de l'Union

1) Règlement CE n° 4/2009, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires

Demande de réduction (oui) – Compétences subsidiaires

CJUE, 27 mars 2025, aff. C-67/24, R.K.

2) Règlement CE n° 44/2001, du Conseil du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale

Reconnaissance et exécution – Ordre public de l’État membre requis (oui) – Liberté de la presse

CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-633/22, Real Madrid Club de Fútbol

3) Règlement UE n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d'injonction de payer

Absence de signification ou de notification de l’injonction – Application du droit national (oui) – Annulation de l’injonction (oui)

CJUE, 5 décembre 2024, aff. C-389/23, Bulgarfrukt – Fruchthandels GmbH c/ Oranzherii Gimel II EOOD

4) Règlement UE n° 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu'à l'enlèvement international d'enfants

Autorisation de vente – Mesure liée à la disposition des biens d’un enfant – Règlement Bruxelles II ter (oui) – Règlement Bruxelles I bis (non)

CJUE, 6 mars 2025, aff. C-395/23, E. M. A.

5) Règlement UE n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen

a. Lieu de situation des biens successoraux – Moment décisif – Moment de la saisine (non) – Moment du décès (oui)

CJUE, 7 novembre 2024, aff. C-291/23, LS c/ PL

b. Omission de la renonciation – Approbation judiciaire du refus – Compétence de la juridiction de la résidence habituelle de l’héritière (non)

CJUE, 27 mars 2025, aff. C-57/24, BA

6) Règlement UE n° 1215/2012, du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale

a. Clause attributive de juridiction – Clause asymétrique – Application de l’article 25 (oui) – Validité (oui) – Critères autonomes (oui)

CJUE, 27 février 2025, aff. C-537/23, Società Italiana Lastre SpA (SIL) c/ Agora SARL

b. Clause attributive de juridiction – Clause asymétrique – Déséquilibre – Loi de police (non)

Cass. civ. 2, 2 avril 2025, n° 23-12.384, F-B

c. Compétence – Contrefaçon de brevet (oui) – Annulation du brevet (non) –Voie d’exception

CJUE, 25 février 2025, aff. C-339/22, BSH Hausgeräte GmbH c/ Electrolux AB

d. Compétence en matière d’assurance – Action directe de la personne lésée – Subrogation de l’employeur – État

CJUE, 30 avril 2025, aff. C-536/23, Bundesrepublik Deutschland c/ Mutua Madrileña Automovilista

e. Compétence – Extranéité (oui) – Consommateur – Compétence territoriale (oui)

CJUE, 29 juillet 2024, aff. C-774/22, JX c/ FTI Touristik GmbH

f. Influence d’une procédure pénale – Matière civile et commerciale (non)

CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-494/23, QE c/ DP

g. Matière civile et commerciale – Notion de faillites – Action tendant au paiement d’une créance – Exclusion au titre de l’article 1 (non) – Application du Règlement (CE) n° 1346/2000, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (non)

CJUE, 14 novembre 2024, aff. C-394/22, Oilchart International NV c/ O.W. Bunker (Netherlands) BV, ING Bank NV

h. Matière contractuelle – Contrat de fourniture de service – Logiciel – Lieu d’exécution

CJUE, 28 novembre 2024, aff. C-526/23, VariusSystems digital solutions GmbH c/ GR

i. Matière délictuelle – Entente – Groupe de sociétés – Unité économique (non) – Action en indemnité de la société mère pour un dommage subi par les filiales (non)

CJUE, 4 juillet 2024, aff. C-425/22, MOL Magyar Olaj- és Gázipari Nyrt c/ Mercedes‑Benz Group AG

7) Règlement (UE) n° 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d'insolvabilité

Personne physique – Notion d’établissement – Notion de lieu d’activité principal – Absence de moyen humain et d’actif

CJUE, 19 septembre 2024, aff. C-501/23, DL c/ Land Berlin


I. Les garanties du procès équitable (CESDH, art. 6, § 1)

Pas d’arrêt de Grande Chambre concernant l’article 6, § 1 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR dans ce millésime 2025 mais une condamnation de la France par un arrêt de chambre et beaucoup d’arrêts de la Cour de cassation, contenant, dans leurs visas, le tandem gagnant composé par l’article 6, § 1 de la CEDH, placé en premier, et un article technique du code visé, généralement un article du Code de procédure civile.

A. Droit à la preuve et procès équitable

Cass soc., 19 mars 2025, n° 23-19.154, FP-B+R N° Lexbase : A502568M

Témoignages anonymisés, est-ce une preuve équitable ?

Une fois n’est pas coutume, c’est la Chambre sociale qui convoque l’article 6, § 1 pour justifier une solution processualiste, dans un contexte jurisprudentiel qui accorde la primauté au droit à la preuve (CEDH, 19 septembre 2017, Req. 35289/11, Regner c/ République Tchèque N° Lexbase : A0938WSK ; Cass. soc., 19 avril 2023, n° 21-20.308 N° Lexbase : A02099QS ; Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648 N° Lexbase : A27172AU). La Chambre sociale considère désormais le droit à la preuve comme une composante du droit au procès équitable. La Cour de cassation admet ainsi sous conditions que l’employeur peut produire un constat d’huissier relatant des témoignages anonymisés de salariés et dépourvus d’indices permettant leur identification, afin de prouver des violences au travail imputable à un travailleur. Selon elle, « il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un procès équitable, que si, en principe, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l'identité est néanmoins connue par la partie qui les produit, lorsque sont versés aux débats d'autres éléments aux fins de corroborer ces témoignages et de permettre au juge d'en analyser la crédibilité et la pertinence. En l'absence de tels éléments, il appartient au juge, dans un procès civil, d'apprécier si la production d'un témoignage dont l'identité de son auteur n'est pas portée à la connaissance de celui à qui ce témoignage est opposé, porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le principe d'égalité des armes et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte au principe d'égalité des armes à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

B. Droit au recours effectif

Les techniques de renseignement passées au crible

CEDH, 16 janvier 2025, Req. 49526/15, Association confraternelle de la presse judiciaire et autres c/ France N° Lexbase : A34486UA

C’est une procédure administrative française particulière et assez méconnue des privatistes, la procédure de vérification de l’utilisation des techniques de renseignement, qui est passée au crible de la CESDH. Rappelons que l’État est admis sous certaines conditions à utiliser des techniques de recueil de renseignement destinées à surveiller le territoire national (titre V du livre VIII du Code de la sécurité intérieure), comprenant notamment des techniques d’accès aux métadonnées, différentes catégories d’interceptions de correspondances, et l’utilisation de dispositifs de surveillance plus intrusifs, tels que la captation de paroles et d’images dans un lieu privé ou le recueil de données informatiques. Le dispositif prévoit que toute personne souhaitant vérifier qu’aucune technique de renseignement n’est irrégulièrement mise en œuvre à son égard a la possibilité de présenter une réclamation auprès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) en vertu de l’article L833-4 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L4966KK7, puis, le cas échéant, de former un recours juridictionnel devant le Conseil d’État sur le fondement de l’article L841-1 N° Lexbase : L3836KSU du même code.

Ayant fait l’objet d’un recueil de renseignements, une association a reproché à la législation française, dans sa requête devant la CESDH, de violer le droit au respect de la vie privée, le droit à la liberté d’expression, ainsi que, intéressant cette chronique, le droit à un recours effectif et à un procès équitable. Après avoir longuement étudié le droit administratif français et cette procédure particulière, la Cour européenne des droits de l’Homme la valide en considérant que la Commission est bien un « organe indépendant de l’exécutif », certes caractérisée par une procédure « dérogatoire au droit commun en ce qu’elle aménage le principe du contradictoire de manière à concilier les exigences du procès équitable et la préservation du secret de la défense nationale » mais comportant « des garanties procédurales solides ». Aussi, il appartenait aux requérants de saisir d’abord les juridictions nationales de ce recours. À défaut, leur requête est irrecevable pour défaut d’épuisement des recours internes (art. 35, § 1 de la CESDH N° Lexbase : L4770AQQ).

C. Formalisme excessif de la procédure civile française

CEDH, 21 novembre 2024, Req. 72173/17 et 17 autres, Justine c/ France N° Lexbase : A12331XX

Cass. civ. 2, 28 novembre 2024, n° 21-13.648, F-B N° Lexbase : A29386KZ  

Cass. civ. 2, 28 novembre 2024, n° 22-16.664, F-B N° Lexbase : A29446KA

CEDH, 3 octobre 2024, Req 33851/23, Sam TM Transports c/ France N° Lexbase : B6764AL4

Cass. civ. 2, 3 octobre 2024, F-B, n° 22-16.223 N° Lexbase : A936557Y

Deux condamnations de la France mais pas trois !

La retentissante condamnation de la France par la CEDH dans l’affaire « Lucas » (CEDH, 9 juin 2022, Req. 15567/20, Xavier Lucas c/ France N° Lexbase : A07327Z7 : S. Hazoug, S. Pierre Maurice, Chronique de procédure civile européenne et internationale (janvier à juin 2022), Lexbase Droit privé, juillet 2022, n° 914 N° Lexbase : N2202BZL) a été suivie par une autre condamnation de la France, toujours pour formalisme excessif (CEDH, 21 novembre 2024, Req. 72173/17 et 17 autres, Justine c/ France N° Lexbase : A12331XX). Penchée sur les règles procédurales françaises en cassation, la Cour européenne déclare que le fait de déclarer irrecevable le pourvoi en cassation entaché d’une erreur, qui a été sans incidence sur la procédure et ultérieurement rectifiée sur demande du greffe avant la désignation d’un conseiller rapporteur, sur le fondement d’une interprétation particulièrement stricte des règles de procédure, constitue une violation du droit d’accès à un tribunal. Il s’agissait d’un litige procédural arrivé en phase de cassation, pour lequel les règles de recevabilité des articles 978 N° Lexbase : L7856I4Q et 979 N° Lexbase : L5800L8C avaient été déclarées non respectées. On rappelle que l’avocat doit déposer un mémoire ampliatif exposant les arguments de son client et une copie des décisions de première instance et d’appel. Or, l’avocat avait fourni par mégarde une copie d’une décision qui n’était pas le jugement de l’affaire. L’article 979 N° Lexbase : L5800L8C dispose alors : « Si les décisions ne sont pas transmises dans le délai imparti, l’irrecevabilité du pourvoi est prononcée d’office. Si l’une ou les deux décisions sont transmises de manière incomplète ou entachée d’erreur matérielle, la Cour de cassation informe l’avocat du défendeur de l’erreur et fixe un délai pour la corriger ». Le greffe de la Cour de cassation demande à l’avocat de lui adresser la décision de première instance pertinente en application de l’alinéa 2 et celui-ci s’exécute d’emblée. Le conseiller rapporteur mentionne alors dans son rapport que « la procédure [paraissait] régulière et en état d’être jugée » (pt. 14) mais il est remplacé, et la Cour décide collégialement de déclarer le pourvoi irrecevable, qualifiant l’erreur de transmission d’omission, entrainant le relevé d’office de l’irrecevabilité (al. 1) et excluant donc la qualification de « transmission incomplète », susceptible d’être régularisée (al. 2). Se référant à une circulaire du 12 novembre 2014, la CEDH relève que l’alinéa 2 de l’article 979 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5800L8C a été précisément instauré pour éviter des irrecevabilités disproportionnées en cas d’erreurs ou « de défaut de remise de certaines pièces (copies de décisions) » (pts. 46 et 20). La Cour européenne conclut que la Cour de cassation a appliqué la règle procédurale de manière excessivement rigoureuse, sans que cela ne soit nécessaire pour atteindre les buts légitimes poursuivis.

Une troisième condamnation a été évitée de justesse par le Gouvernement français, qui a sagement préféré négocier avec le requérant et lui accorder une satisfaction équitable (CEDH, 3 octobre 2024, Req n° 33851/23 N° Lexbase : B6764AL4). C’est donc une décision de radiation de la CEDH, qui semble avoir clos la saga jurisprudentielle sur l’annexe à la déclaration d’appel (Sur cette épopée, v. Cass. civ. 2, avis, 8 juillet 2022, FS-B, no 22-70.005, FS-B N° Lexbase : A72698AH ; Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, no 21-16.804, FS-B N° Lexbase : A646887P ; Cass. civ. 2, 26 octobre 2023, no 22-16.185, F-B N° Lexbase : A42781P7). Tout part d’arrêts de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui, face à des chefs critiqués des jugements qui ne figuraient pas dans le corps même des déclarations d’appel mais dans la seule annexe à la déclaration d’appel, avaient jugé que l’article 901 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2382MLS ne permettait pas de joindre une annexe à une déclaration d’appel. Les conseillers d’appel avaient dès lors considéré qu’ils n’avaient pas été valablement saisis d’une demande. L’appelant ainsi évincé a saisi la Cour de cassation, qui, dans un arrêt du 8 juin 2023, avait rejeté le pourvoi. Il s’est alors dirigé vers la CEDH, où la procédure n’est pas allée jusqu’à son terme puisque, après l’échec d’un Règlement amiable, le gouvernement français a proposé de prononcer une déclaration unilatérale en vue de régler les questions soulevées par le grief avancé par la société requérante et a invité la Cour à rayer la requête du rôle, conformément à l’article 37 de la Convention européenne N° Lexbase : L4772AQS, ce qu’elle a fait dans cette décision. Le gouvernement français a ainsi reconnu qu’« en jugeant que l’effet dévolutif des appels formés par la requérante n’avait pu opérer alors que l’intégralité des actes d’appel permettait de comprendre quels étaient les chefs de jugement critiqués, les juridictions internes ont fait preuve d’un formalisme excessif constituant une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge garanti par l’article 6 § 1 de la Convention ».

Depuis l’affaire Lucas, la Cour de cassation « fait la chasse » au formalisme excessif [1] et n’a de cesse de scruter en ce sens les décisions prises en applications du Code de procédure civile, particulièrement dans la procédure d’appel et de cassation. C’est ainsi que dans un arrêt du 12 décembre 2024 N° Lexbase : A30226MU, la deuxième chambre civile a censuré une cour d’appel pour formalisme excessif concernant la procédure d’assignation à jour fixe en appel. En l’espèce, après avoir été autorisé judiciairement à le faire, l’appelant assigne les intimés au jour fixé et joint à son assignation une copie non signée de l’ordonnance autorisant l’appel à jour fixe. L’intimé relève cette carence par une fin de non-recevoir, qui est accueillie par la cour d’appel. L’appelant se pourvoit en cassation et, au visa des articles 85, alinéa 2 N° Lexbase : L1423LGS, et 920, alinéas 1 et 2 N° Lexbase : L6857LEP, du Code de procédure civile, et de l’article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, la Cour de cassation fait droit au pourvoi. Elle énonce au § 11 que « saisie d’une fin de non-recevoir soulevée par l’intimé tirée de ce que la copie de l’ordonnance jointe à l’assignation n’est pas signée, la cour d’appel est tenue de vérifier sa concordance par rapport à l’exemplaire de cette ordonnance signée et datée qui doit figurer au dossier de la procédure en vertu de l’article 918 du Code de procédure civile. C’est seulement à défaut d’intégrité de la copie de l’ordonnance jointe à l’assignation que la sanction de l’irrecevabilité est encourue et toute autre interprétation relèverait d’un formalisme excessif ».

Dans un arrêt en date du 28 novembre 2024 N° Lexbase : A29446KA rendu au double visa des articles 6, § 1 de la CEDH N° Lexbase : L7558AIR et 954 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2439MLW, la deuxième chambre refuse de faire application de ce dernier article, propre à la procédure d’appel. Le défaut de renvoi dans les conclusions aux pièces produites ne doit pas pénaliser le justiciable par un refus du juge d’examiner les pièces. La Cour note en effet que cette formalité n'est assortie d'aucune sanction et que les pièces étaient régulièrement versées aux débats et clairement identifiées. Le juge avait donc l’obligation de statuer malgré cette omission.

Dans un autre arrêt du même jour, (Cass. civ. 2, 28 novembre 2024, n° 21-13.648, F-B N° Lexbase : A29386KZ), elle s’était déjà prononcée sur la recevabilité de l’appel lorsqu’une requête aux fins d’autorisation d’assigner à jour fixe avait été déposée sur support papier devant le premier président de la cour d’appel. La Cour retient que l’article 2 de l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel N° Lexbase : Z99935SQ est applicable, non seulement aux procédures devant la cour d’appel, mais également devant son premier président, mais que sa méconnaissance ne saurait avoir pour effet de rendre l’appel irrecevable, une telle conséquence étant disproportionnée au regard du but poursuivi. A encore été censuré pour formalisme excessif l’arrêt d’appel qui confirme le jugement aux seuls motifs que le dispositif des conclusions de l’appelant, contenant une demande de réformation du jugement, s’adresse en réalité au tribunal et que la Cour s’est considérée comme saisie d’aucune demande (Cass. civ. 2, 3 octobre 2024, n° 22-16.223, F-B N° Lexbase : A936557Y).

D. Droit à un tribunal impartial établi par la loi

Impartialité objective de la juridiction judiciaire

Cass. civ. 2, 6 février 2025, n° 22-18.078, F-B N° Lexbase : A60576TI

Un juge des enfants menant une procédure d’assistance éducative est jugé partial par une des parties, qui sollicite alors sa récusation. Selon l’article 344 du CPC N° Lexbase : L6749LEP, sa requête est portée devant le premier président de la cour d’appel dont dépend le juge. La requête étant rejetée, la partie se pourvoit en cassation en alléguant d’un défaut de partialité du juge des enfants en soutenant que certains éléments de la procédure démontrent une inimitié notoire du juge (cause reconnue à l’article L111-6 du COJ N° Lexbase : L2516LBS). La Cour de cassation démonte point par point les allégations de l’auteur du pourvoi. Ainsi, un comportement personnel constitutif d'une violation par la juge de son devoir d'impartialité objective ne peut être déduit :

  • de la mention sur la convocation adressée à l’auteur du pourvoi, d'un objet différent de celui effectivement retenu à l'audience ;
  • pas davantage que la présence des services de police à l'audience, imposée pour des motifs de sécurité des personnes ;
  • de l’audition d’un témoin… « Ces éléments ne suffisent pas car l’impartialité du juge reste le principe selon la CESDH. » (CEDH, Gde Ch., 15 octobre 2009, Req. 17056/06, Micallef c/ Malte [GC], 2009, § 94 N° Lexbase : A4138IRP, jusqu’à preuve du contraire…

Impartialité fonctionnelle ou objective de la juridiction administrative

CE, 8e et 3e ch. réunies, 5 février 2025, n° 489647 N° Lexbase : A62066TZ

L’arrêt énonce de façon classique que le principe d’impartialité n’interdit pas à un magistrat ayant statué en tant que membre d’une formation collégiale de jugement sur la légalité d’une décision administrative, de statuer ultérieurement sur une demande indemnitaire fondée sur la responsabilité pour faute de la puissance publique à raison de l’illégalité de cette même décision.

CE, 4e et 1re ch. réunies, 7 mars 2025, n° 491187 N° Lexbase : A663063X

Deux acquis de la jurisprudence de la CEDH sont ici appliqués par le Conseil d’État, afin de conclure à l’absence de violation de l’article 6, § 1 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR. Les litiges administratifs intègrent la matière civile, notion autonome, pour autant que leur issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé ou la protection de droits patrimoniaux. C’est le cas notamment en matière disciplinaire, comme dans notre arrêt. La jurisprudence administrative doit donc se conformer aux garanties du procès équitable, notamment à l’impératif d’impartialité. Le Conseil d’État le rappelle d’ailleurs ici dans la première partie de sa motivation : « Les principes généraux de procédure applicables dans un État de droit exigent indépendance et impartialité de celui qui doit juger ». On sait également que ces mêmes garanties s’appliquent à tout tribunal (autre notion autonome), entendu de façon fonctionnelle et non formelle, et ciblant toute entité ayant un pouvoir de statuer avec plénitude de juridiction. Il en est ainsi en l’espèce de la Chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires, régie au I. de l'article L. 242-8 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L9980KDY.

Ensuite, le Conseil d’État distingue les problèmes d’impartialité et de défaut de composition impaire de la Chambre. En substance, il retient que si la Chambre nationale de discipline des vétérinaires doit en principe siéger à cinq membres, elle peut, pour préserver le principe d’impartialité, siéger dans une formation incomplète. À défaut, elle doit transmettre l’affaire au Conseil d’État.

E. Délais raisonnables de jugement

CEDH, 3 juin 2025, Req. 20641/20 et 20644/20, Selimi et Krasnići c/ Serbie [en ligne],

CEDH, 3 juin 2025, Req. 3592/17, Zuvić c/ Serbie [en ligne]

Dans cette fournée, la Serbie est condamnée deux fois pour la lenteur de ses procédures judiciaires et administratives. On y apprend en substance que l’histoire compliquée de la Serbie, avec, notamment, le placement du Kosovo sous administration internationale (affaire Selimi et Krasnići), ou la mise en place difficile d’une réforme judiciaire supprimant une juridiction devant lequel un requérant était partie (affaire Zuvić c/ Serbie) n’excuse pas l’État serbe de mettre en place des procédures permettant de conduire à une solution juridictionnelle rapide, notamment pour traiter les recours administratifs et judiciaires contre le non-paiement des pensions (première espèce).

CEDH, 27 mai 2025 Req. 39860/19, 38996/20, 6142/22 et 27370/22, ARB SHPK et autres c. Albanie [en ligne]

Un autre arrêt condamnant l’Albanie illustre le raisonnement classique in concreto et in globo de la CESDH et l’application de ses facteurs d’appréciation du retard. Un des requérants avait engagé une procédure en 2016 devant la cour d’appel de Tirana afin de contester la décision de ne pas lui octroyer une pension de mineur en même temps que sa pension de retraite. La procédure durant, il avait saisi la Cour constitutionnelle albanaise trois ans après en se plaignant d’une durée excessive de la procédure, et la Cour constitutionnelle lui avait donné raison et avait ordonné à la Cour suprême d’examiner son pourvoi en cassation dans un délai de six mois. Le tribunal de district de Tirana lui avait accordé des dommages et intérêts à cet égard, mais ce jugement n’a pas été exécuté et l’affaire n’est toujours pas réglée, plus de huit ans après son engagement. Observant que les retards ne sont pas imputables au requérant et que l’affaire ne présente aucune complexité particulière, ni en fait ni en droit, la Cour conclut que la durée globale de la procédure, huit ans et onze mois, est jugée excessive.

S. P.-M.

II. Compétence et exécution

A. Droit commun

1) Reconnaissance – Exequatur – Adoption – Gestation pour autrui – Ordre public

Cass. civ. 1, 11 décembre 2024, no 23-15.672, FS-B+R N° Lexbase : A15266MH ; Cass. civ. 1, 14 novembre 2024, n° 23-50.016, FS-B+R N° Lexbase : A54346GD ; Cass. civ. 1, 2 octobre 2024, n° 22-20.883, FS-B+R N° Lexbase : A7775574 

Ces trois arrêts, publiés tant au Bulletin qu’au rapport annuel, viennent parfaire la construction prétorienne en droit international privé de la famille dont l’analyse détaillée dépasserait le cadre de cette chronique [2]. Il y a toutefois lieu d’en faire état en se limitant à la seule question du contrôle de conformité à l’ordre public international procédural. D’ailleurs dans la notice au rapport relative à l’arrêt du 11 décembre 2024, est opéré le rapprochement avec les deux autres décisions, même s’il s’agissait pour l’un de l’adoption d’un enfant déjà né, et de l’aboutissement d’un projet parental à travers une gestation pour autrui pour les deux autres.

La demande d’exequatur du jugement étranger d’adoption s’étant heurtée à un refus pour défaut de motivation, il convenait de fixer le régime du contrôle. Fallait-il en admettre la spécificité, l’absence de gestation pour autrui conduisant à ne pas aligner les exigences, ou, au contraire, en consacrer l’unicité en raison de l’identité de problèmes juridiques posés gravitant en grande partie autour de la protection de l’enfant et de celle des personnes vulnérables ? C’est la seconde option qui est retenue. La Cour pose qu’« en matière d'adoption, le juge de l'exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d'équivalent qui lui sont fournis, de connaître les circonstances de l'adoption et de s'assurer qu'il a été constaté que ses parents ou ses représentants légaux y ont consenti dans son principe comme dans ses effets ». La motivation, qui peut être complétée, relevant de l’ordre public procédural, est une exigence préalable. À travers les éléments apportés, le juge français pourra vérifier les conditions de l’ordre public de fond, dont le consentement. Plus exactement, ce n’est pas la motivation en soi qui relève de l’ordre public procédural, mais bien la possibilité qu’elle offre de s’assurer de la conformité de la décision rendue à l’ordre public de fond. En l’espèce, la décision ne contenait aucune motivation relative au consentement et le requérant n’avait pas souhaité apporter les compléments demandés. Le juge n’ayant pas été mis en mesure d'exercer son contrôle, l'exequatur ne pouvait être accordé.

La même exigence fondera le rejet des pourvois dans les deux autres arrêts. Dans celui du 2 octobre N° Lexbase : A7775574, l’impossibilité de vérification aboutit au refus d’exequatur. La solution inverse est consacrée dans la décision du 14 novembre qui tranche également la question de l’admission d’une adoption en l’absence de tout lien biologique avec l’enfant. Au terme d’une motivation détaillée et pleinement convaincante, la Cour pose que « l'ordre public international français ne saurait faire obstacle à l'exequatur d'une décision établissant la filiation d'un enfant né à l'étranger à l'issue d'un processus de gestation pour autrui à l'égard d'un parent qui n'aurait pas de lien biologique avec l'enfant ». Les précisions contenues dans la décision étrangère permettaient de s’assurer de sa conformité aux exigences du droit français, les juges du fond ayant considéré que l’établissement d’un lien de filiation avec un parent d’intention ne caractérisait pas une fraude à la loi. Le pourvoi formé par le Procureur général près la Cour d'appel de Paris est conséquemment rejeté sur ce point.

B. Droit conventionnel

1) Convention franco-marocaine du 10 août 1981, relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire

Litispendance internationale – Compétence indirecte – Cumul de nationalités

Cass. civ. 1, 5 février 2025, n° 22-22.729, FS-B+R N° Lexbase : A60586TK

Voilà un arrêt important, ce dont atteste d’ailleurs sa publication au Bulletin, mais aussi au rapport annuel, revêtu d’une portée allant au-delà de la seule convention franco-marocaine mise en œuvre. En l’espèce, deux personnes de nationalités française et marocaine se sont mariées au Maroc. Quelques années plus tard, l’épouse assigna son conjoint en divorce devant le juge aux affaires familiales français. L’époux souleva alors une exception de litispendance, faisant état du dépôt par ses soins d’une requête en divorce devant un tribunal marocain. L’arrêt d’appel considèrera qu’il n’y avait pas lieu de surseoir à statuer. Au soutien du pourvoi, un moyen à plusieurs branches est avancé, seules la deuxième et la troisième retiendront l’attention. L’une et l’autre invoquent une violation de l’article 11 de la Convention franco‑marocaine du 10 août 1981 N° Lexbase : L1202NAR.

Ce texte pose qu’« au sens de l'alinéa a) de l'article 16 de la convention d'aide mutuelle judiciaire et d'exequatur des jugements du 5 octobre 1957 N° Lexbase : L1338NAS, la dissolution du mariage peut être prononcée par les juridictions de celui des deux États sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun.

Toutefois, au cas où les époux ont tous deux la nationalité de l'un des deux États, les juridictions de cet État peuvent être également compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de l'introduction de l'action judiciaire.

Si une action judiciaire a été introduite devant une juridiction de l'un des deux États, et si une nouvelle action entre les mêmes parties et ayant le même objet est portée devant le tribunal de l'autre État, la juridiction saisie en second lieu doit surseoir à statuer. »

Concrètement, il s’agissait de savoir si le juge français devait vérifier la compétence indirecte du juge marocain, et auquel cas si la seule nationalité marocaine pouvait être retenue. Ce qui suppose de fixer à titre préalable le régime de cette exception omis par l’article 11 invoqué N° Lexbase : L1202NAR. La question de la compétence du juge marocain ne se pose en effet que si cette vérification relève, comme en droit commun de la litispendance internationale, de la recevabilité de l’exception. Faute de quoi, le juge n’avait non seulement pas à y procéder, mais sa décision aurait encouru la cassation pour avoir fondé le rejet de l’exception sur l’incompétence du juge marocain.

La Cour de cassation va soumettre cette exception au régime de la litispendance internationale de droit commun en énonçant que « l'accueil de l'exception conventionnelle de litispendance internationale prévue au troisième alinéa de ce texte n'est exclu que si la décision à intervenir du juge marocain, également compétent et préalablement saisi, n'est pas susceptible d'être reconnue en France. Au nombre des conditions de cette reconnaissance, que le juge français doit vérifier avant de surseoir à statuer, figure la compétence indirecte du juge marocain, telle qu'elle est définie aux premier et deuxième alinéas de ce texte. » (§ 6). Il y a bien lieu de s’assurer de la compétence indirecte, soit de l’existence de liens suffisants avec le for étranger, pour surseoir à statuer. Cela n’exclut pas le constat de sa saisine, sans aller jusqu’à s’assurer qu’elle procède de l’application des règles de compétence du juge étranger, au moment de l’accueil de l’exception. Il peut suffire de relever la saisine d’une juridiction étrangère a priori compétente lorsque la litispendance est soulevée, faute de quoi elle n’existerait pas. La vérification de la compétence indirecte se fera au moment de l’analyse de son bien-fondé. Ce qui, dans le champ d’application de la convention, sera opéré par référence aux alinéas premier et deuxième de l’article 11 N° Lexbase : L1202NAR. Ce dernier admet la compétence du for de la nationalité commune. Qu’en est-il en cas de pluralité de nationalités ? C’est la délicate question de la prééminence de la nationalité du for saisi, le juge français en l’occurrence, qui reçoit ici une réponse claire et bienvenue.

Le principe de primauté de la nationalité du for saisi, admis tant en matière de conflits de lois que de compétences [3] avait déjà été battu en brèche dans l’espace européen. Saisie par la Cour de cassation française, notamment de la question de savoir s’il fallait, en appliquant le Règlement Bruxelles II bis N° Lexbase : L0159DYK, faire prévaloir, dans le cas où les époux possèdent à la fois la nationalité de l’État du juge saisi et la nationalité d’un autre État membre de l’Union européenne, la nationalité de juge saisi, dans des circonstances où ne pouvait jouer l’interdiction de contrôle de la compétence de la juridiction d’origine, la Cour de justice en a nettement posé l’interdiction. Elle ira jusqu’à considérer que la nationalité étrangère peut constituer un critère de rattachement suffisant avec la juridiction étrangère. Ainsi a‑t‑elle énoncé que « l’article 3, paragraphe 1, sous b), du Règlement n° 2201/2003 s’oppose à ce que la compétence des juridictions de l’un de ces États membres soit écartée au motif que le demandeur ne présente pas d’autres liens de rattachement avec cet État. Au contraire, les juridictions des États membres dont les époux possèdent la nationalité sont compétentes en vertu de cette disposition, ces derniers pouvant saisir, selon leur choix, la juridiction de l’État membre devant laquelle le litige sera porté » (CJCE, arrêt du 16 juillet 2009, aff. C-168/08, Laszlo Hadadi (Hadady) c/ Csilla Marta Mesko, épouse Hadadi (Hadady), pt. 58 N° Lexbase : A9691EIR).

Plus récemment, dans le champ d’application de la Convention franco-marocaine, à l’occasion d’un divorce entre une épouse marocaine et un époux franco-marocain prononcé au Maroc, la Cour de cassation a considéré que « les deux époux ayant la nationalité marocaine, le mari pouvait saisir la juridiction marocaine d'une demande en divorce en application de l'article 11 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 » [4]. La nationalité étrangère commune des parties était efficiente, même si l’une d’elles était également française. Dans ces conditions, comme le relève Madame la conseillère référendaire Daniel dans son rapport très détaillé [5], y a-t-il une raison d’adopter une solution différente lorsque les époux ont tous deux la double nationalité franco-marocaine ? On ne voit guère ce qui aurait pu justifier une application distributive.

L’uniformisation est consacrée de façon heureuse : la nationalité étrangère commune fonde valablement la compétence indirecte du juge étranger. La Cour prend soin de ne pas viser la convention franco-marocaine, érigeant ainsi sa solution en principe applicable en droit international privé commun et conventionnel. Elle énonce ainsi que « cette compétence indirecte est établie lorsque les époux ont tous deux la nationalité marocaine, peu important qu'ils aient également la nationalité française, dès lors que le principe suivant lequel, en cas de cumul de nationalités, la nationalité française est seule prise en considération par les tribunaux français, n'a pas lieu d'être appliqué dans l'examen de la compétence indirecte du juge étranger ». Le sujet est dès lors, du moins en matière de compétence indirecte qui ne se limite pas à la litispendance, clos.

C. Droit de l'Union

1) Règlement (CE) n° 4/2009, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et la coopération en matière d'obligations alimentaires

Demande de réduction (oui) – Compétences subsidiaires

CJUE, 27 mars 2025, aff. C-67/24, R.K. N° Lexbase : A19140CU

Pour l’essentiel, la question reformulée par la Cour tendait à savoir si une demande de modification d’une décision concernant des obligations alimentaires, visant à réduire le montant d’une pension alimentaire ou à la suppression d’obligations alimentaires, introduite par le débiteur contre les créanciers ayant leur résidence habituelle dans un État tiers autre qu’un État partie à la convention de La Haye de 2007, relève, au même titre qu’une demande tendant à l’obtention d’une telle décision, du champ d’application du Règlement N° Lexbase : L5102ICX. Pour y répondre, la Cour rappelle qu’à la lumière du considérant 15, la circonstance qu’un défendeur a sa résidence habituelle dans un État tiers n’est pas de nature à exclure l’application des règles communautaires de compétence, alors que l’article 1er pose l’application du texte « aux obligations alimentaires » sans aucune distinction entre celles tendant à l’octroi ou l’augmentation introduite par des créanciers et celles modificatives ayant pour objet leur réduction ou leur suppression, qui seraient introduites par les débiteurs (pt. 34).

Elle relève également que si le Règlement distingue entre les créanciers et les débiteurs, il n’en utilise pas moins la notion de « défendeur » sans alors différencier le créancier du débiteur. Elle précise que le visa par l’article 8 de la situation d’une demande de modification d’une décision rendue dans un État membre ou dans un État partie à la convention de La Haye de 2007 N° Lexbase : L4845KY4 où le créancier a sa résidence habituelle, ne permet pas de conclure à l’inapplication du Règlement si la décision a été rendue par un État tiers (pt. 42). La compétence sera bien à déterminer en application du Règlement, y compris si la demande tend à la réduction ou à la suppression d’obligations fixées par une décision rendue par un État tiers, le Canada en l’occurrence.

Entrent alors en jeu les règles de compétences et plus précisément celles de compétences subsidiaires, les enfants de nationalités bulgare et canadienne étaient domiciliés au Canada, ainsi que leur mère de nationalité uniquement canadienne. Le père et ex-époux, de nationalité bulgare, s’était installé en Bulgarie après le divorce. La comparution volontaire n’était pas à envisager, les actes envoyés à l’adresse apparaissant dans le dossier n’ayant pu parvenir aux destinataires qui ne s’étaient pas manifestés. Dans une telle hypothèse d’absence de compétence du for d’un État membre au Règlement ou à la convention de Lugano, du 30 octobre 2007, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale N° Lexbase : L2559I8B, l’article 6 prévoit celle des juridictions de l’État membre de la nationalité commune des parties. Or les enfants, potentiels défendeurs, en avaient deux. La Cour précise qu’il n’y a aucun renvoi au droit des États membres pour définir la portée de la notion de « nationalité commune ». Façon élégante de poser son caractère autonome. Elle relève ensuite qu’aucune distinction n’est faite par le texte selon qu’une personne possède une ou plusieurs nationalités. La seule condition posée est le partage d’une nationalité commune entre demandeur et défendeur. Ce qui conduit à la compétence des juridictions bulgares, mais uniquement pour l’action portant sur la pension versée aux enfants.

Restait alors à s’intéresser au forum necessitas prévu par l’article 7. La Cour en rappelle d’abord le caractère exceptionnel, puis les quatre conditions cumulatives :

  • la juridiction saisie doit constater qu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3 à 6 du Règlement ;
  • le litige dont elle est saisie doit avoir un lien étroit avec un État tiers ;
  • la procédure en cause ne peut raisonnablement être introduite ou conduite dans cet État tiers ou s’y révèle impossible ;
  • le litige doit aussi présenter un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie.

Tout en précisant qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si ces conditions sont satisfaites, la Cour en expose la mise en œuvre.

Il sera à tout le moins douteux de considérer qu’une action dirigée devant les juridictions canadiennes contre l’ex-épouse ne pourrait être introduite ou se heurterait à un déni de justice.

2) Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 - Bruxelles I

Reconnaissance et exécution – Ordre public de l’État membre requis (oui) – Liberté de la presse

CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-633/22, Real Madrid Club de Fútbol N° Lexbase : A051458K

Sur saisine de la Cour de cassation française, cet important arrêt rendu en Grande Chambre consacre une solution qui vaut sous l’empire d’autres outils communautaires et notamment le Règlement Bruxelles I bis. La richesse des arguments développés exclut une analyse détaillée. Il est cependant permis de s’en tenir à l’essentiel. En l’espèce, un journaliste et un journal français avaient été condamnés en Espagne en raison d’un article publié affirmant que le Real Madrid et le Fútbol Club Barcelona avaient recouru aux services d’un instigateur d’un réseau de dopage dans le milieu du cyclisme. Le caractère exécutoire de l’arrêt de la Cour suprême espagnole est reconnu par deux décisions de première instance françaises infirmées en appel pour contrariété à l’ordre public international français. Divers motifs venaient au soutien de la décision, dont certains pouvaient clairement prêter le flanc à la critique. Pourvoi est formé et c’est une autre analyse qui est opérée. La Cour de cassation, juridiction de renvoi, va s’interroger sur la compatibilité de la reconnaissance du caractère exécutoire de la condamnation à des sommes conséquentes avec la jurisprudence de la Cour européenne sanctionnant les condamnations dissuasives attentatoires à la liberté d’expression.

La réserve de l’ordre public du for saisi de l’article 34 énoncé, ainsi que son caractère exceptionnel, la Cour de justice s’intéresse à la protection de la liberté d’expression. À ce titre, elle rappelle sa consécration par l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne N° Lexbase : L0230LGM. L’interprétation de ce texte doit tenir compte des droits correspondants garantis par l’article 10 de la CESDH N° Lexbase : L4743AQQ, tels qu’interprétés par la CEDH, en tant que « seuil de protection minimale » (pt. 52, CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-280/21, P.I. c/ Migracijos departamentas, pt. 29 et réf. citées). Or, au titre de la jurisprudence de la CEDH, les interprétations auxquelles est soumise la liberté d’expression doivent être strictes. Il y a ainsi lieu de considérer qu’un montant de dommages-intérêts d’une ampleur imprévisible ou élevée par rapport aux sommes allouées dans des affaires de diffamation comparables est de nature à avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté de la presse (CEDH, 7 décembre 2010, Req. 39324/07, Público – Comunicação Social, S.A. et autres c/ Portugal, § 55 N° Lexbase : A1047GN4, ainsi que CEDH, 15 juin 2017, Req. 28199/15, Independent Newspapers (Ireland) Limited c/ Irlande, § 84 et 85 [en ligne]). Le caractère modeste de la somme n’exclut pas son caractère dissuasif, les moyens de la personne condamnée servira d’étalon de mesure (CEDH, 15 février 2005, Req. 68416/01, Steel et Morris c/ Royaume-Uni, § 96 N° Lexbase : A7030DGH). Pour précision, la Cour d’appel de Paris avait estimé que les condamnations au paiement d’un montant de 300 000 euros à titre principal et d’un montant de 90 000 euros au titre des intérêts et des frais concerneraient une personne physique ainsi que la société éditrice d’un journal et représenteraient 50 % de la perte nette et 6 % du montant des disponibilités de cette société. 

Il doit être également tenu compte des autres sanctions infligées, telles que la publication d’un démenti, opérée en l’espèce.

La Cour en déduit que l’exécution d’un tel jugement, si elle a pour effet une violation manifeste des droits et libertés consacrés, doit être refusée. Il reviendra à la cour de renvoi de s’assurer de cette violation selon la méthode posée par la Cour de justice. La comparaison entre les sommes allouées et celles qui l’auraient été dans le pays du for pour caractériser la disproportion est à opérer, sans être toutefois suffisante (pt. 70). Le contrôle des appréciations de fond est en revanche exclu. La révision au fond reste bannie… du moins formellement. La Cour rappelle cette interdiction (pt. 71) et pose que « l’exécution d’un jugement condamnant une société éditrice d’un journal et l’un de ses journalistes au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi par un club sportif et l’un des membres de son équipe médicale en raison d’une atteinte à leur réputation du fait d’une information les concernant publiée par ce journal doit être refusée pour autant qu’elle aurait pour effet une violation manifeste de la liberté de la presse, telle que consacrée à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux et, ainsi, une atteinte à l’ordre public de l’État membre requis ». Le refus imposé n’est aucunement modulé. Ce serait la reconnaissance de l’intégralité de la décision qui devrait être atteinte.

Dans le corps de l’arrêt apparaît cependant une précision d’importance : « Dans l’hypothèse où elle constaterait l’existence d’une violation manifeste de la liberté de la presse, cette juridiction devrait limiter le refus d’exécution desdites décisions à la partie manifestement disproportionnée, dans l’État membre requis, des dommages-intérêts alloués ». Il y a bien lieu à limitation à la seule part « manifestement excessive ». Comment pourrait‑elle être déterminée autrement qu’en jugeant, du moins dans son for intérieur, ce qui aurait dû être attribué ; soit considérer, d’une façon ou d’une autre, que ce qu’aurait fait le juge saisi aurait conduit à une condamnation proportionnée et non dissuasive ? En somme, il s’agit bien de juger, mais uniquement pour apprécier et non pour « réviser », même si cela conduit à moduler la condamnation prononcée par le juge étranger. On comprend les difficultés à assurer l’équilibre entre des exigences et des impératifs parfois contradictoires, la chose méritait toutefois d’être soulignée. Le résultat échappera toutefois à toute critique si la pesée de la proportionnalité se fait au niveau des motifs et que la reconnaissance partielle, on se gardera de parler de « modification », se fait au titre de la compatibilité à l’ordre public. Si le droit est un art, le juge qui en maîtrise les subtilités est nécessairement un artiste.

3) Règlement (UE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d'injonction de payer

Absence de signification ou de notification de l’injonction – Application du droit national (oui) – Annulation de l’injonction (oui)

CJUE, 5 décembre 2024, aff. C-389/23, Bulgarfrukt – Fruchthandels GmbH c/ Oranzherii Gimel II EOOD N° Lexbase : A15906LH

Faute de notification d’une injonction de payer déclarée exécutoire, le juge national peut‑il en déclarer l’annulation au titre de son droit national ? C’est en substance la question posée par un tribunal allemand. En dépit de sa relative simplicité, la réponse donnée sera particulièrement détaillée. L’article 26 du Règlement N° Lexbase : L1426IRA précise que toute question procédurale non expressément réglée par le présent Règlement est régie par le droit national. Or le texte est muet quant aux éventuelles voies de recours qui s’offrent au défendeur lorsque ce n’est qu’après la déclaration de force exécutoire de l’injonction qu’il s’avère qu’elle n’a pas été « signifiée ou notifiée ou ne l’a pas été de manière conforme aux normes minimales énoncées aux articles 13 à 15 ». Ces questions procédurales seront dès lors régies par le droit national (pt. 41, et déjà arrêt du 4 septembre 2014, aff. C-119/13 et C-120/13, Eco cosmetics GmbH & Co. KG c/ Virginie Laetitia Barbara Dupuy, pts. 46 et 47 N° Lexbase : A0167MW4).

Concernant la conformité de la notification, c’est le Règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (" signification ou notification des actes "), et abrogeant le règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil N° Lexbase : L4841H3P qui entre en jeu. La Cour avait jugé que l’omission de joindre le formulaire type ne saurait entraîner la nullité de l’acte à signifier ou à notifier, ni de la procédure de signification ou de notification (CJUE, 6 septembre 2018, aff. C-21/17, Catlin Europe SE c/ O.K. Trans Praha spol. s r.o. , pt. 49 N° Lexbase : A3733X3N ; arrêt du 2 mars 2017, aff. C-354/15, Andrew Marcus Henderson c/ Novo Banco SA , pt. 57 N° Lexbase : A1951TQC et réf. citées). Conséquemment, une réglementation nationale ne saurait prévoir la nullité de l’acte ou de la procédure en cas d’omission du formulaire (arrêt Henderson préc., pt. 62 N° Lexbase : A1951TQC). En l’espèce, si la nullité était bien prévue, elle l’était au titre du défaut de notification de l’injonction et non pas de l’omission d’un document. Ce qui conduit la Cour à distinguer les deux hypothèses (pt. 55). La seconde doit conduire à une régularisation et non à une annulation, solution qui n’est pas transposable au premier cas envisagé. Dès lors, l’annulation prononcée par application du droit national du juge saisi ne contrevient pas au Règlement (pt. 56).

4) Règlement (UE) n° 2019/1111 du Conseil du 25 juin du Conseil du 25 juin 2019, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu'à l'enlèvement international d'enfants

Autorisation de vente – Mesure liée à la disposition des biens d’un enfant – Règlement Bruxelles II ter (oui) – Règlement Bruxelles I bis (non)

CJUE, 6 mars 2025, aff. C-395/23, E. M. A. N° Lexbase : A444563Z

Le droit bulgare impose une autorisation judiciaire de l’acte de disposition du bien immobilier d’un mineur. En l’espèce, il s’agissait de biens situés en Bulgarie de deux enfants mineurs de nationalité russe, dont la résidence habituelle était en Allemagne. La compétence de la juridiction bulgare sera discutée et au titre de sa question, la juridiction de renvoi s’interrogera sur l’application de pas moins de quatre outils différents, dont trois seulement retiendront l’attention. En effet, la recherche de la compétence dans le Règlement « Rome I » N° Lexbase : L7493IAR, dont la juridiction de renvoi ne doutait pas de son inapplication, n’avait pas de sens. Son évacuation se fera à titre liminaire. Les deux questions pertinentes portaient pour l’une sur le rattachement de la question à l’un des deux règlements de Bruxelles applicables (II ter N° Lexbase : L9432LQE ou I bis N° Lexbase : L9189IUU) et l’autre sur la prise en compte d’un traité bilatéral conclu entre la Bulgarie et la Russie antérieurement à l’adhésion bulgare.

Certes une vente peut-elle relever de la matière civile ou commerciale et attraire l’autorisation judiciaire requise dans son giron. La matière de l’acte juridique concerné par l’autorisation n’est toutefois pas déterminante : cette autorisation constitue une mesure de protection de l’enfant liée à l’administration de ses biens. À ce titre, une telle procédure se rapportant directement à la capacité du mineur, relève du seul Règlement Bruxelles II ter N° Lexbase : L9432LQE (pt. 25, et déjà CJUE, 3 octobre 2013, aff. C‑386/12, Siegfried János Schneider, pt. 26 N° Lexbase : A1794KME ; CJUE, 6 octobre 2015, aff. C‑404/14, Marie Matouaková, pts. 28 et 29 N° Lexbase : A7249NSB). La solution, qui ne faisait aucun doute, n’appelle aucun commentaire complémentaire. Il en est de même de l’entrée en jeu d’un traité bilatéral conclu avec un État tiers avant adhésion. La Cour reformule la question posée, après en avoir admis la recevabilité, afin de donner une réponse utile au juge national. Elle rappelle que l’article 351 du TFUE N° Lexbase : L2675IPR permet des dérogations à l’application de n’importe quelle disposition du droit de l’Union, qu’il s’agisse de droit primaire ou de droit dérivé (pt. 46). Ce toutefois à la double condition qu’il s’agisse d’une convention conclue antérieurement à l’entrée en vigueur des traités de l’Union dans l’État membre concerné et que l’État tiers concerné en tire des droits dont il peut exiger le respect par cet État membre (pt. 47 et réf. citées). Elle expose ensuite la méthode à respecter pour cette vérification. Il n’y a là aussi guère de nouveauté. L’intérêt de la question résidait en réalité ailleurs. L’incertitude du juge bulgare procédait de l’absence de ce traité dans le chapitre VIII du Règlement N° Lexbase : L9432LQE, ce qui explique la mise en œuvre du principe général de l’article 351 qui vaudra dans toute situation similaire.

5) Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen

a. Lieu de situation des biens successoraux – Moment décisif – Moment de la saisine (non) – Moment du décès (oui)

CJUE, 7 novembre 2024, aff. C-291/23, LS c/ PL N° Lexbase : A89316EI

L’article 10 N° Lexbase : L8525ITW autorise une compétence subsidiaire en posant que « Lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où :

  1. le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès ; ou, à défaut
  2. le défunt avait sa résidence habituelle antérieure dans cet État membre, pour autant que, au moment de la saisine de la juridiction, il ne se soit pas écoulé plus de cinq ans depuis le changement de cette résidence habituelle. »

Cette compétence est tributaire de la situation des « biens successoraux » sans autre précision. La chose ne manqua pas de faire l’objet d’interprétations divergentes dans cette affaire opposant les héritiers d’un de cujus ayant les nationalités allemande et égyptienne, ayant vécu en Allemagne et étant décédé en Égypte. La juridiction allemande saisit la Cour de la question de savoir à quel moment il faut se placer pour apprécier la condition relative à la présence de biens successoraux dans l’État membre de la juridiction saisie. En l’occurrence, à la date du décès, le compte du défunt localisé auprès d’une banque allemande, en tant que bien successoral, présentait un solde positif. Mais il était liquidé à la date de l’introduction du recours.

La Cour confirme l’absence de précision dans le texte. Elle relève toutefois la référence faite à l’article 10§1, a), au moment du « décès », ainsi que sous le b) à la résidence habituelle « antérieure » (comprendre « au décès »). Elle considère justement que les objectifs de prévisibilité et de sécurité seraient compromis si la compétence juridictionnelle était susceptible de dépendre de « circonstances postérieures au décès, telles que la liquidation ou le transfert vers un autre État membre des biens successoraux postérieurement au décès » (pt. 25). Il en résulte logiquement qu’il y a lieu de vérifier si des biens de la succession sont situés dans l’État membre de la juridiction saisie au moment du décès et non au moment de la saisine.

b. Omission de la renonciation – Approbation judiciaire du refus – Compétence de la juridiction de la résidence habituelle de l’héritière (non)

CJUE, 27 mars 2025, aff. C-57/24, BA N° Lexbase : A19130CT

Outre la compétence générale attribuée par l’article 4 à la juridiction de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle pour connaître de l’ensemble de la succession, le Règlement N° Lexbase : L8525ITW pose d’autres compétences, notamment celle de l’article 13 dont la portée reçoit une utile précision. Ce texte prévoit la compétence des juridictions de l'État membre de la résidence habituelle de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut renoncer à une succession, un legs ou une réserve héréditaire, pour « recevoir » ce type de déclarations lorsque, en vertu de la loi de cet État membre, elles peuvent être faites devant une juridiction.

Le droit polonais consacre une possibilité de renonciation qui n’avait pas eu lieu dans les délais impartis en raison d’une erreur dans la computation des délais. Or l’article 1019 du Code civil polonais précise que :

« Si la déclaration concernant l’acceptation de la succession ou la renonciation à celle‑ci est faite par erreur ou à la suite d’une menace, s’appliquent à celle-ci les dispositions relatives aux vices affectant toute déclaration de volonté avec les modifications suivantes :

1) le refus de se voir appliquer les effets juridiques de la déclaration doit avoir lieu devant une juridiction ;

2) l’héritier doit simultanément déclarer si et comment il accepte la succession ou renonce à celle-ci. »

En vertu du paragraphe 2 de l’article 1019 du Code civil, l’héritier qui n’a pas fait de déclaration concernant l’acceptation de la succession ou la renonciation à celle-ci dans le délai imparti en raison d’une erreur ou d’une menace affectant cette déclaration peut éviter les conséquences juridiques du non-respect de ce délai si les conditions prévues au paragraphe 1 de cet article sont remplies.

Conformément à l’article 1019, paragraphe 3, du Code civil, le refus de se voir appliquer les effets juridiques d’une déclaration concernant l’acceptation de la succession ou la renonciation à celle-ci doit être approuvé par une juridiction ».

L’héritière mineure renonçante avait saisi la juridiction de sa résidence habituelle en invoquant son refus de se voir appliquer les effets juridiques de la déclaration puisque l’absence de renonciation dans les délais vaut acceptation de la succession sous bénéfice d’inventaire. Sa demande est rejetée. La cour d’appel saisie posera la question de savoir si la compétence fondée sur l’article 13 pourrait s’étendre à un tel acte qui, rappelons‑le, nécessite une approbation de la juridiction.

La solution qui pourrait sembler sévère s’autorise pleinement de la lettre du texte. La Cour renvoie à l’arrêt Oberle (CJUE, 21 juin 2018, aff. C-20/17, Vincent Pierre Oberle N° Lexbase : A4894XTG) en lui faisant dire ce qu’il ne disait pas (pt. 31). Dans la décision visée, elle n’avait fait que rappeler le contenu du texte en ces termes : « Concernant l’analyse du contexte dans lequel s’inscrit ladite disposition, il ressort de l’article 13 du Règlement no 650/2012 que, outre la juridiction compétente pour statuer sur la succession au titre de ce Règlement, les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut faire une déclaration concernant l’acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire ou la renonciation à ceux-ci, ou une déclaration visant à limiter la responsabilité de la personne concernée à l’égard des dettes de la succession, sont compétentes pour recevoir ces déclarations » (pt. 41). La précision selon laquelle ces juridictions seraient compétentes uniquement pour « recevoir des déclarations » est donc à mettre au crédit de l’arrêt sous commentaire.

Elle retient également, et ce seul fondement suffit à pleinement justifier la solution, que l’approbation s’entend d’une décision juridictionnelle. Ce qui se distingue d’un acte de simple réception, seul visé à l’article 13 (pt. 37) N° Lexbase : L8525ITW. La juridiction du domicile de l’héritier ne pouvait être saisie d’une telle action. C’est dire que la « compétence juridictionnelle » de l’article 13 N° Lexbase : L8525ITW se limite au seul acte réceptif qui est logiquement non juridictionnel [6]. Cela ne doit pas pour autant selon nous exclure une éventuelle qualification gracieuse de la procédure en question, serait‑elle considérée comme relevant de l’activité juridictionnelle selon d’autres critères.

La Cour prend soin de tenir compte de sa jurisprudence établie qui aurait pu conduire à la solution inverse (pt. 38). Elle avait en effet déjà considéré que la compétence posée par l’article 13 « vise à simplifier les démarches des héritiers et des légataires en dérogeant aux règles de compétences énoncées aux articles 4 à 11 de ce Règlement ». Cela, au demeurant, résulte du considérant 32 du même Règlement posant qu’une telle compétence dérogatoire a été consacrée afin de « faciliter la vie des héritiers et légataires résidant habituellement dans un autre État membre que celui dans lequel la succession est ou sera réglée ». Elle considère toutefois que la compétence consacrée par l’article 13 N° Lexbase : L8525ITW a une portée limitée qui ne saurait s’étendre à des mesures allant au-delà de la simple réception « telle que l’adoption d’une décision ou l’ouverture d’une autre procédure » (pt. 40). Il ne s’agit donc pas de revenir sur le caractère favorable de cette disposition, mais simplement d’en délimiter l’exact champ d’application.

6) Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale

a. Clause attributive de juridiction – Clause asymétrique – Application de l’article 25 (oui) – Validité (oui) – Critères autonomes (oui)

CJUE, 27 février 2025, aff. C-537/23, Società Italiana Lastre SpA (SIL) c/ Agora SARL N° Lexbase : A51206ZN

La clause attributive de juridiction asymétrique est valable sous certaines conditions. Telle est la réponse apportée par la Cour de justice saisie par la Cour de cassation française dans le cadre d’un litige relativement banal. En l’espèce un contrat de fourniture de panneaux comportait une telle clause ainsi libellée « « [l]a compétence du tribunal de Brescia [(Italie)] s’appliquera à tout litige qui surgirait du présent contrat ou qui aurait un rapport avec ce dernier [SIL] se réserv[ant] la faculté de procéder à l’égard de l’acheteur devant un autre tribunal compétent en Italie ou à l’étranger ». Après avoir constaté des irrégularités dans l’exécution de l’ouvrage en cause, les maîtres d’ouvrage ont assigné notamment leur cocontractant en responsabilité et en indemnisation devant le tribunal de grande instance de Rennes. Le maître d’œuvre appela son cocontractant, la société SIL, en garantie. Sur le fondement de la convention attributive de juridiction en cause, SIL s’est opposée à cette demande en soulevant une exception d’incompétence internationale de la juridiction française. L’exception est rejetée en première instance, la décision est confirmée en appel au motif que la convention attributive de juridiction en cause était illicite, dans la mesure où elle donnait à SIL un plus grand choix de juridictions à saisir qu’à Agora, sans préciser les éléments objectifs sur lesquels les parties s’étaient mises d’accord pour identifier la juridiction qui pouvait être saisie, de telle sorte qu’elle offrait à SIL un choix discrétionnaire qui était contraire à l’objectif de prévisibilité auquel les clauses attributives de juridiction devraient satisfaire. Pourvoi est formé au soutien duquel est soutenue une violation de l’article 25, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU, dès lors que la validité d’une convention attributive de juridiction devrait être appréciée au regard du droit de l’État membre dont les juridictions sont désignées en vertu de celle-ci, en l’occurrence, au regard du droit italien, et non pas du droit français.

Trois questions sont posées à la Cour de justice. Deux seulement recevront une réponse. D’une part, l’imprécision et le caractère déséquilibré de la clause doivent‑ils être tranchés au regard de règles autonomes tirées de l’article 25 N° Lexbase : L9189IUU ou s’agit-il d’un problème de validité de fond qui appelle l’application du droit de l’État membre désigné par la clause ? D’autre part, si cette question relève de l’article 25 N° Lexbase : L9189IUU, une clause qui n’autorise une partie à saisir qu’un seul tribunal, alors qu’elle permet à l’autre de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente selon le droit commun, doit ou ne doit pas recevoir application.

Concernant l’imprécision, la Cour recherche si la notion est appréhendée par l’outil européen qui aurait alors à la régir. Elle relève que sous l’empire de la Convention, et la solution est transposable au Règlement N° Lexbase : L9189IUU, il avait été jugé que le texte comportait une exigence de précision à laquelle doit satisfaire la clause (CJCE, 9 novembre 2000, aff. C-387/98, Coreck Maritime GmbH c/ Handelsveem BV et autres, pt. 17 N° Lexbase : A0290AWN « Cette règle, justifiée par le fait que la convention vise à faciliter la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires, comporte ainsi une exigence de précision à laquelle doit satisfaire la clause attributive de juridiction »). Ce texte, article 17 dans l’arrêt visé N° Lexbase : A0290AWN et 25 du Règlement N° Lexbase : L9189IUU, pose que les parties « sont convenues », ce qui implique une certaine précision. Par ailleurs, la précision participe de la réalisation des objectifs de prévisibilité, de transparence et de sécurité (pt. 46). Par conséquent, l’exigence de précision de la clause doit être examinée à l’aune de critères autonomes découlant de l’article 25 N° Lexbase : L9189IUU. Il ne s’agit pas d’une nullité de fond à trancher en application des droits nationaux.

Il en sera de même de l’appréciation du caractère équilibré. Afin de parvenir à cette conclusion, la Cour rappelle que le Règlement N° Lexbase : L9189IUU connaît des clauses déséquilibrées en matière de contrats d’assurance, de consommation et de travail. La partie faible jouit d’un choix qui est refusé à son cocontractant. Elle en déduit qu’en ces matières, l’article 25 N° Lexbase : L9189IUU, lu en combinaison avec les articles 15, 19 et 23, règle les cas dans lesquels une convention attributive de juridiction déséquilibrée est valide (pt. 50). Le déséquilibre d’une telle clause est donc connu du texte, ce qui conduit à l’attraction de toutes celles qui relèvent du champ d’application du Règlement N° Lexbase : L9189IUU. Cet aspect tranché, il convenait alors de préciser les critères de validité. Pour la précision, ce sont évidemment la prévisibilité, la transparence et la sécurité juridique qui sont mobilisées : une clause précise est une clause permettant de déterminer la juridiction compétente. Or cela ne saurait être assuré que par la mise en œuvre du Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU ou la convention de Lugano II N° Lexbase : L2559I8B. Il est en effet considéré qu’une clause autorisant la désignation d’une juridiction d’un État non-membre, pourrait nécessiter la mise en œuvre de règles de droit international privé de pays tiers. En somme, la liberté contractuelle est de mise, tant qu’elle ne conduit pas au jeu de règles d’États tiers… Sous cette limite, le déséquilibre ne remet pas en cause la validité de la clause comportant des éléments objectifs suffisamment précis, sauf si elle méconnaît des interdictions du Règlement N° Lexbase : L9189IUU. L’octroi de plus de droits à une partie qu’à une autre n’est pas en soi une cause de nullité de l’accord attributif de compétence qui voit son régime fort utilement clarifié.

b. Clause attributive de juridiction – Clause asymétrique – Déséquilibre – Loi de police (non)

Clause attributive de juridiction encore, insérée cette fois dans les conditions générales d'utilisation d’un compte Instagram ouvert à titre professionnel. Celle‑ci prévoyait la compétence des tribunaux irlandais en cas de litige se rapportant à l'accès ou l'utilisation du service à des fins professionnelles ou commerciales. Invoquant le piratage de son compte, la demanderesse assigna devant un tribunal français la société Meta platforms qui ne manqua pas de soulever une exception d’incompétence. La compétence des juridictions françaises sera rejetée en appel. Pourvoi est formé au titre duquel est invoquée une violation de l’article 1171 du Code civil N° Lexbase : L1981LKL qui constituerait une loi de police. Mais de façon surprenante c’est la seule méconnaissance du Règlement Rome I N° Lexbase : L7493IAR qui est allégué. Le pourvoi est en effet ainsi formulé « en vertu de l'article 1171 du Code civil (…) ; que cette règle de droit interne constitue une loi de police au sens de l'article 9.1 du Règlement (CE) nº 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), qui concerne de surcroît en l'espèce directement la validité d'une clause attributive de compétence, de sorte qu'il appartient au juge français d'apprécier la légalité de cette clause au regard de cette règle et d'apprécier en conséquence si la clause attributive de compétence n'introduit pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Sans surprise aucune, le rejet est prononcé sur cet aspect. L’article 1, § 2, e) pose en effet l’exclusion de ces conventions de son champ d’application des conventions d’élection de for (« 2. Sont exclus du champ d'application du présent Règlement : e) les conventions d'arbitrage et d'élection de for »). Le fondement avait, il est vrai, été invoqué avec un certain succès à hauteur d’appel. Les magistrats du second degré, tout en le rejetant, en avait admis la recevabilité. La chose n’avait pas manqué d’être critiquée [7], ce qui, il est vrai, ne pouvait permettre d’alléguer devant la Cour de cassation la violation d’un texte non invoqué devant les juges du fond.

La première chambre civile se réfère pourtant, et fort utilement au demeurant, à l’article 25 du Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU, assurant une meilleure compréhension de la portée du rejet. Elle en rappelle le contenu et précise qu’il ne comporte pas de réserve des lois de police. Il n’y avait dès lors pas lieu de se prononcer sur la qualification de la règle posée à l’article 1171 du Code civil N° Lexbase : L1981LKL. Ce qu’elle s’abstient d’ailleurs de faire puisque cette qualité était indifférente. La méconnaissance de cette règle de droit interne était dès lors inopérante. La Cour de justice avait par ailleurs consacré deux mois avant l’autonomie du déséquilibre des clauses attributives de compétence [8]. Le jeu perturbateur de lois de police interne n’aurait guère eu de chance d’être admis par elle. La solution s’entend donc parfaitement.

Ce à l’inverse de la mise en œuvre de l’article 25 N° Lexbase : L9189IUU en cette espèce, qu’explique peut-être des éléments factuels non rapportés dans l’arrêt. La clause conférait en l’occurrence compétence aux juridictions irlandaises. Certes l’article 25 ne réserve pas le mécanisme des lois de police. Il est tout aussi vrai qu’il renvoie au droit de la juridiction désignée pour vérifier les conditions de validité de fond de la clause. Mais cela suppose que pour connaître de leur différend les parties aient convenu d’une juridiction d’un État membre. Conclure, comme le fait la Cour de cassation, à l’exclusion de l’application de l’article 1171 du Code civil N° Lexbase : L1981LKL et l'appréciation de la validité de cette clause au regard du droit irlandais, suppose qu’il s’agisse de celui d’un État membre. Il n’est probablement pas inutile de se souvenir que le régime général du Règlement N° Lexbase : L9189IUU est inapplicable si la clause désigne le tribunal d’un État tiers (CJCE, 9 novembre 2000, aff. C-387/98, Coreck Maritime GmbH c/ Handelsveem BV et autres N° Lexbase : A0290AWN : « Un tribunal situé sur le territoire d'un État contractant doit, s'il vient à être saisi en dépit d'une telle clause attributive de juridiction, apprécier la validité de celle-ci en fonction du droit applicable, en ce compris les règles de conflits de lois, au lieu où il siège » (pt. 19) ». Lorsque la clause ne désigne pas la juridiction d’un État membre, sa validité n’a pas à être vérifiée à l’aune du droit de la juridiction désignée. En une telle hypothèse, la clause relèvera exclusivement du droit international privé commun du seul juge saisi, soit, en l’espèce, le droit français, qui pourrait voir dans la prohibition du déséquilibre une loi de police. L’impérativité de l’article 1171 du Code civil N° Lexbase : L1981LKL est donc loin d’être devenue une question sans intérêt.

c. Compétence – Contrefaçon de brevet (oui) – Annulation du brevet (non) –Voie d’exception

Cet arrêt, déjà signalé [9], mérite l’attention à plus d’un titre. Le litige, comme souvent, n’avait rien de particulier. Titulaire d’un brevet européen validé dans différents pays européens, dont la Suède, mais aussi en Turquie, donnant lieu à la délivrance de brevets nationaux relevant de ces États, une société introduisit contre une autre une action en contrefaçon de toutes les parties nationales du brevet européen. Devant la juridiction suédoise saisie, la défenderesse excipa de l’irrecevabilité des demandes relatives aux contrefaçons des parties nationales autres que la suédoise. Elle soutenait à cette fin, de façon classique, la nullité des brevets étrangers et en déduisait assez habilement l’incompétence du for saisi pour connaître de la nullité. L’action en contrefaçon était, selon elle, un litige en matière de validité des brevets au sens de l’article 24 du Règlement N° Lexbase : L9189IUU puisqu’elle en était indissociable. Le tribunal saisi se déclara incompétent et appel fut interjeté devant la cour d’appel, juridiction de renvoi, posant trois questions ainsi libellées :

« 1) L’article 24, point 4, du [Règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété en ce sens que la formulation “en matière d’inscription ou de validité des brevets, [...] que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception” signifie qu’une juridiction nationale qui, en application de l’article 4, paragraphe 1, dudit Règlement, s’est déclarée compétente pour connaître d’un litige en matière de contrefaçon de brevet n’est plus compétente pour statuer sur la question de la contrefaçon si une exception [de nullité] du brevet en cause est soulevée, ou bien cette disposition doit-elle être interprétée en ce sens que la juridiction nationale est incompétente seulement pour connaître de l’exception [de nullité] ?

2) La réponse à la première question dépend-elle de l’existence, en droit national, de dispositions [semblables] à celles de l’article 61, deuxième alinéa, de la [loi sur les brevets], qui exigent que, pour que l’exception [de nullité] soulevée dans le cadre d’une action en contrefaçon soit recevable, il faut que le défendeur introduise un recours en [nullité] distinct ?

3) L’article 24, point 4, du [Règlement Bruxelles I bis] doit-il être interprété comme s’appliquant à l’égard d’une juridiction d’un [État] tiers, c’est-à-dire, en l’espèce, comme conférant également une compétence exclusive à une juridiction turque sur la partie du brevet européen validée en Turquie ? ».

La deuxième question est immédiatement évacuée au titre de l’autonomie des notions du droit de l’Union. Les droits nationaux ne peuvent interférer sur leur interprétation. Ce sont donc la première et troisième questions qui font l’objet de réponses très détaillées données après le rappel, non moins classique, de la prise en compte non seulement des termes, mais également du contexte et des objectifs poursuivis, ainsi que l’objectif de continuité de l’interprétation des dispositions européennes.

Il convient de rappeler que l’article 24 N° Lexbase : L9189IUU consacre une compétence exclusive en matière d’inscription et de validité de brevet que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception. Il en résulte, que la juridiction saisie au titre de l’article 4 N° Lexbase : L9189IUU d’une action en contrefaçon ne saurait prononcer, même à titre incident, la nullité du brevet. Elle doit se déclarer incompétente s’agissant de la validité du titre, faute de quoi il serait du pouvoir des parties de contourner cette exception en étendant les débats devant la juridiction du domicile du défendeur à une contestation de la validité du titre (CJCE, 13 juillet 2006, aff. C‑4/03, GAT, pts. 27 et 31 N° Lexbase : A4759DQC). Incompétente sur ce volet, la juridiction saisie valablement pour connaître de la contrefaçon peut-elle se prononcer sur cet aspect alors qu’elle est subordonnée à la validité discutée ? La Cour avait déjà eu l’occasion de préciser que la compétence sur une telle action n’est pas stérilisée par la nécessité de procéder à une analyse approfondie de la protection conférée par un brevet (CJCE, 15 novembre 1983, aff. C-288/82, Ferdinand M.J.J. Duijnstee c/ Lodewijk Goderbauer, pts. 23, 24, 25 et 26 N° Lexbase : A8617AUP ; CJUE, 8 septembre 2022, aff. C‑399/21, IRnova, pts. 46, 47 et 48 N° Lexbase : A24008HD). Mais dans ces espèces, seule la titularité du titre était débattue, et non sa validité. Reste que la notion de « litige en matière de validité des brevets » doit être interprétée de manière stricte (CJCE, 15 novembre 1983, préc., pt. 23 N° Lexbase : A8617AUP, CJUE, 8 septembre 2022, préc., pt. 39 et réf. citées N° Lexbase : A24008HD). Une telle restriction permet, comme l’a relevé M. l’avocat général Emiliou [10], une lecture étroite de l’arrêt GAT qui assure une concentration du contentieux de la contrefaçon en permettant à la juridiction saisie de connaître de son entièreté, suggestion consacrée par la Cour (pt. 49).

En somme, il y a lieu de retenir que l’introduction d’une contestation sur la validité du titre ne fait pas obstacle à une décision relative à la contrefaçon. Le for du défendeur pourra, et même devra, se prononcer à ce sujet, y compris si la contrefaçon porte sur des titres nationaux relevant d’autres États. En revanche, il ne pourra connaître de la validité du titre, ce qui doit être correctement compris. Le juge devra en réalité s’y intéresser si la nullité du brevet est soulevée car il lui faut se prononcer sur ce moyen dont dépend le bien-fondé, voire la recevabilité de la demande portant sur la contrefaçon. Il ne le fera cependant qu’à titre préalable et non pas principal. Rapporté à notre méthode d’élaboration des décisions, la validité sera vérifiée au niveau des motifs, seul endroit au demeurant où le juge tranche en réalité et qui se voit dénier l’autorité de la chose jugée, et non dans le dispositif qui se limitera au rejet de « l’exception » opposée ou à celui de la demande principale. Tel sera le cas si la nullité est invoquée comme moyen de défense au fond : sans se prononcer sur la validité, le juge devra bien l’apprécier. Il en fera de même s’il s’agit d’une demande reconventionnelle. Mais alors, il devra relever son incompétence sur ce seul aspect. Il lui est loisible de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision sur la nullité alléguée. La même solution est-elle à retenir lorsque la juridiction qui aurait à connaître de ce contentieux n’est pas celle d’un État membre ? Autrement dit, une compétence exclusive doit-elle lui être reconnue ou faut-il admettre la compétence de la juridiction du domicile du défendeur ?

La Cour avait déjà eu l’occasion d’exclure dans une telle hypothèse l’application de l’article 24 N° Lexbase : L9189IUU (CJUE, 8 septembre 2022, préc., pt. 35 N° Lexbase : A24008HD). Elle le précise présentement en posant que ce texte « ne s’applique pas à une juridiction d’un État tiers et, par conséquent, ne confère aucune compétence, exclusive ou non, à une telle juridiction en ce qui concerne l’appréciation de la validité d’un brevet délivré ou validé dans cet État » (pt. 57). Pour autant, il n’appartiendra pas à la juridiction saisie de se prononcer. Certes l’article 4 N° Lexbase : L9189IUU à l’énonciation large pourrait le permettre, mais l’impérialisme conquérant ne serait d’aucune utilité, puisque seule la juridiction de l’État concerné pourrait valablement emporter modification des registres nationaux en ce qui concerne l’existence ou le contenu du brevet. C’est ce qui conduit la Cour à limiter ce qu’aurait pu autoriser l’article 4 N° Lexbase : L9189IUU (pt. 61) en rappelant la réserve des accords interétatiques posant une compétence exclusive pour connaître des litiges relatifs à la validité des brevets. En l’occurrence aucune convention de ce genre ne semblait exister, ce qui conduit, de façon heureuse, la Cour, à retenir un autre fondement. C’est au titre du principe de non-ingérence dans des affaires relevant essentiellement de la compétence nationale d’un autre État que la juridiction compétente par application de l’article 4 N° Lexbase : L9189IUU ne pourra se prononcer sur la question de la validité du titre dont elle serait saisie à titre incident (pt. 71 à 76). Ce qui vaut a fortiori si elle l’est à titre principal.

 

d. Compétence en matière d’assurance – Action directe de la personne lésée – Subrogation de l’employeur – État

CJUE, 30 avril 2025, aff. C-536/23, Bundesrepublik Deutschland c/ Mutua Madrileña Automovilista N° Lexbase : A18710QD

L’employeur subrogé dans les droits d’une victime peut‑il se prévaloir de l’option de compétence offerte à cette dernière ? La réponse, trompeuse, procéderait d’évidence : subrogé, il bénéficierait des mêmes droits. Ce serait en réalité méconnaître la construction quelque peu complexe en la matière. Ici, et la précision est d’importance, l’employeur était la République fédérale d’Allemagne, qui avait assigné une compagnie d’assurance espagnole, ayant son siège en Espagne, devant une juridiction allemande qui déclina sa compétence au motif que la demanderesse ne pouvait bénéficier des règles de compétence spéciales en matière d’assurance prévues aux articles 11 et 13 du Règlement N° Lexbase : L9189IUU. La cour d’appel saisie renvoya la question à la Cour de justice, dont la décision, sous couvert d’un simple rappel de la solution dégagée dans son arrêt MMA IARD N° Lexbase : A01422I4, apporte d’utiles précisions de nature à repenser l’ensemble de l’architecture.

En s’en tenant au cœur de la question, la possibilité pour un État, fut-il subrogé, de se prévaloir d’un mécanisme protecteur d’une partie faible, est loin d’être évidente. On sait, ce qui est d’ailleurs rapporté dans l’arrêt, qu’il n’y a pas lieu de rechercher au cas par cas si la personne lésée au sens de l’article 13 N° Lexbase : L9189IUU est une partie faible, pour pouvoir bénéficier de la protection de l’article 11 N° Lexbase : L9189IUU (CJUE, 21 octobre 2021, aff. C-393/20, T. B. et D. c/ G. I. A/S, pts. 40 à 42 N° Lexbase : A54797A8). Or, il a été jugé qu’un professionnel du secteur des assurances ne pouvait jouir du mécanisme de l’article 13 N° Lexbase : L9189IUU, y compris s’il ne s’agit que d’une activité occasionnelle (arrêt du 31 janvier 2018, aff. C-106/17, Pawel Hofsoe c/ LVM Landwirtschaftlicher Versicherungsverein Münster AG, pts. 41 à 43 et 47 et réf. citées N° Lexbase : A9474XBI ; CJUE, 20 mai 2021, aff. C-913/19, CNP spólka z ograniczona odpowiedzialnoscia c/ Gefion Insurance A/S, pts. 40 à 43 N° Lexbase : A25494S9). La même solution a été retenue pour un organisme de sécurité sociale (CJCE, 17 septembre 2009, aff. C-347/08, Vorarlberger Gebietskrankenkasse c/ WGV-Schwäbische Allgemeine Versicherungs AG, pts. 41 à 43 N° Lexbase : A0083ELN). L’exclusion se fonde dans ces cas sur le fait que le cessionnaire ou le subrogé n’est pas une partie économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que l’assurance adverse. Mais l’application du critère de faiblesse économique ou d’inexpérience juridique aurait nécessairement dû conduire à l’exclusion de l’action d’un État subrogé dans les droits d’une victime fonctionnaire. Tel n’est pas le cas. Ce qui permet de douter de la pertinence de la clef de répartition qui pourrait plutôt être recherchée dans la qualité de substitué volontaire, en ce qu’il serait un professionnel du secteur, ou « accidentel », comme l’est un employeur.

En effet, il avait déjà été jugé qu’un employeur subrogé dans les droits à réparation de son employé peut, en tant que personne ayant subi un dommage, et quelles que soient sa taille et sa forme juridique, y compris s’il s’agit d’une personne publique, profiter de l’option de compétence CJUE, 20 juillet 2017, aff. C-340/16, Landeskrankenanstalten-Betriebsgesellschaft - KABEG c/ Mutuelles du Mans assurances - MMA IARD SA, pts. 35 et 36 N° Lexbase : A2114WNM), car « la notion de “partie plus faible” a une acception plus large en matière d’assurances qu’en matière de contrats conclus par les consommateurs ou en matière de contrats individuels de travail » (même arrêt, pt. 32 N° Lexbase : A2114WNM). Dès lors, l’option de compétence ne pouvait que bénéficier à l’État subrogé. S’il était utile de réduire le champ de l’article 11 N° Lexbase : L9189IUU en excluant les professionnels du secteur, le sacrifice de la logique même d’une substitution était-elle indispensable ? Le subrogé ou le cessionnaire se trouve en lieu et place de la victime, sa qualité propre est indifférente puisqu’il exerce le droit d’autrui. Or la prise en compte de la qualité de l’exerçant conduit à y voir une faculté qui lui est personnellement offerte ou déniée. D’ailleurs, ce n’est qu’ainsi que peut se comprendre la précision apportée en matière de détermination de la juridiction compétente.

La Cour pose en effet que dès lors que le subrogé est le seul à pouvoir se prévaloir des droits à réparation résultant de la subrogation, il n’est pas nécessaire de lui imposer de saisir la juridiction du domicile de son employé. C’est donc celle du domicile du subrogé qui pourra être valablement saisi. Ce qui en l’espèce s’entendait, par application de l’article 63 N° Lexbase : L9189IUU, de celle du lieu du siège de l’entité administrative employant le fonctionnaire. La Cour considère que c’est elle qui a subi le préjudice lié à l’absence de ce dernier durant son incapacité de travail. À ce titre, il est vrai qu’elle est une personne « lésée » au sens de l’article 13 N° Lexbase : L9189IUU, sauf qu’il s’agissait de l’action de l’employé, transmise par subrogation, et non celle propre de l’employeur. À l’élaboration d’une action d’un nouveau genre, une autre explication peut être préférée. L’option de compétence serait détachée de l’action transmise car elle constituerait un avantage purement personnel au subrogeant. Il serait alors parfaitement cohérent de ne l’ouvrir au subrogé que s’il répond personnellement aux conditions posées.

e. Compétence – Extranéité (oui) – Consommateur – Compétence territoriale (oui)

CJUE, 29 juillet 2024, aff. C-774/22, JX c/ FTI Touristik GmbH N° Lexbase : A15395UK

L’apport essentiel de cette décision réside dans la clarification qu’elle apporterait dans la notion d’extranéité, dont elle retient une acception qui pourrait être trop large en définitive. En l’espèce, le litige opposait un consommateur domicilié en Allemagne avec son cocontractant organisateur de voyages ayant son siège en Allemagne. Le voyage devait se dérouler dans un État tiers. Considérant qu’il n’avait pas été suffisamment informé sur les conditions d’entrée et sur les visas nécessaires, l’infortuné client introduisit une action en réparation du dommage subi et saisit la juridiction de son domicile qui ne pouvait être compétente que par application de l’article 18 du Règlement N° Lexbase : L9189IUU. Les règles de procédure civile allemande désignaient celle du siège social du défendeur. La question est alors posée à la Cour de savoir si cet article régit la compétence territoriale outre l’internationale. Ce qui suppose qu’il s’applique.

Le premier aspect de la question n’appelle pas de longs développements. L’article 18, § 1 N° Lexbase : L9189IUU régit la compétence internationale. Le deuxième paragraphe vise bien pour sa part « les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur » : la juridiction du domicile du consommateur est celle spécialement désignée pour connaître du litige. La question préalable est en revanche plus complexe. Le litige opposait deux personnes domiciliées sur le même territoire au titre de l’inexécution d’un contrat conclu entre elles sur ce même territoire, seule la destination du voyage pouvait revêtir les atours d’un élément d’extranéité. Or, la mise en œuvre de l’outil européen nécessite un tel élément (CJCE, 1er mars 2005, aff. C-281/02, Andrew Owusu c/ N. B. Jackson, pt. 25 N° Lexbase : A1771DH3 ; CJUE, 8 septembre 2022, aff. C-399/21, IRnova, pt. 27 et pour la continuité de l’exigence pt. 29 N° Lexbase : A24008HD). Un élément d’extranéité existe lorsque la situation du litige concerné est de nature à soulever des questions relatives à la détermination de la compétence des juridictions dans l’ordre international (arrêt du 8 février 2024, aff. C-566/22, Inkreal s.r.o. c/ Dúha reality s.r.o., pt. 22 et réf. citées N° Lexbase : A91522K8).

La Cour considère qu’un litige afférent à des obligations contractuelles supposées être exécutées dans un autre État que celui dans lequel les parties sont domiciliées est de nature à soulever des questions relatives à la détermination de la compétence des juridictions dans l’ordre international (pt. 30), indépendamment de la nature précise de ces problèmes (pt. 34) N° Lexbase : L9189IUU. On relèvera le caractère objectif de l’appréciation, puisqu’il n’est pas requis de s’assurer de l’existence d’un véritable conflit de juridictions, sa seule éventualité suffit. Cette approche large n’est-elle pas excessive ? Dans d’autres affaires elles aussi relatives à des voyages, l’objet de la prestation se trouvait à l’étranger. Par exemple, dans l’affaire Owusu N° Lexbase : A1771DH3, le client gravement accidenté en Jamaïque avait engagé la responsabilité contractuelle du voyagiste domicilié sur le même territoire que lui. En effet, le contrat conclu assurait de l’accès à une plage privée sûre. De même, dans l’affaire Pammer, les prestations sur place ne correspondaient pas au descriptif (CJUE, 7 décembre 2010, aff. C-585/08, Peter Pammer c/ Reederei Karl Schlüter GmbH & Co. KG N° Lexbase : A4957GMK) ou encore dans l’affaire Hôtel Alpenhof (CJUE, 7 décembre 2010, aff. C-144/09, Peter Pammer c/ Reederei Karl Schlüter GmbH & Co. KG N° Lexbase : A4957GMK). Or ici, si elle a pu produire ses effets à l’étranger, l’inexécution de l’obligation d’information s’est réalisée en Allemagne, où elle aurait dû être délivrée. On peine à déceler ne serait-ce qu’un risque de conflit de juridictions dans une telle hypothèse. L’acception large de l’extranéité a pour corollaire l’extension des situations internationales et la réduction des nationales, les premières absorbant des litiges qui auraient pu relever des secondes. Pour l’heure, il reste permis de considérer qu’un désaccord avec le primeur de son quartier au sujet de l’achat de fruits exotiques devra être tranché par un juge désigné par le Code de procédure civile N° Lexbase : L1106H4Q. Espérons qu’il en sera encore ainsi demain, sauf à vider une partie du droit national de sa substance sans raison.

Par ailleurs, et en cela il doit être salué, cet arrêt abandonne le lien qui avait pu être fait entre le Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU et le Règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d'injonction de payer N° Lexbase : L1426IRA (CJUE, 7 mai 2020, aff. C-267/19, Parking d.o.o. c/ Sawal d.o.o. et C-323/19 N° Lexbase : A26033LY ; CJUE, 3 juin 2021, aff. C-280/20, ZN c/ Generalno konsulstvo na Republika Bulgaria v grad Valensia, Kralstvo Ispania, N° Lexbase : A29824UY et Inkreal précN° Lexbase : A91522K8). La notion d’extranéité requise pour la mise en œuvre du premier ne se limite pas aux litiges « transfrontaliers » que vise le second. Elle est plus large et un élément d’extranéité peut être caractérisé même en l’absence de litige transfrontalier (pts. 35, 36 et 37) N° Lexbase : L9189IUU.

 

f. Influence d’une procédure pénale – Matière civile et commerciale (non)

CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-494/23, QE c/ DP N° Lexbase : A810058I

C’est une belle mise en œuvre de critères antérieurement dégagés pour la délimitation de la notion de « matière civile et commerciale » qui est offerte par cette décision. On sait de longue date que la seule implication d’une autorité publique est impuissante à faire échapper la question à cette matière. La particularité résidait en l’espèce dans la soumission de la procédure initiée aux règles de procédure civile, tchèques en l’occurrence. Dans le cadre d’une confiscation ou d’une saisie pénale, ce droit prévoit la restitution à la personne dont le droit n’est pas contesté, et la mise sous séquestre en cas de doute. Cette remise suppose l’accord des intéressés qui peut faire défaut en cas de prétentions concurrentes. C’est alors dans le cadre d’une instance civile que la question est tranchée, un jugement définitif pouvant se substituer au consentement.

Tel est le cadre de la question soumise à la Cour de justice. Les juridictions tchèques avaient décliné leur compétence en première instance et en appel au titre de l’article 26 du Règlement N° Lexbase : L9189IUU. La Cour suprême saisie d’un pourvoi va soumettre la question de l’application de ce texte. Elle considère qu’elle pourrait être retenue, notamment en raison de la nature civile de la procédure. Toutefois, elle émet un doute procédant du caractère incident de cette instance qui ne s’envisage qu’à l’occasion d’une mise sous séquestre fondée sur l’exercice de prérogatives de puissance publique.

La Cour de justice va alors procéder en trois temps pour conclure à l’exclusion d’une telle action de la notion de « matière civile et commerciale ». D’abord, elle va classiquement rappeler la continuité des interprétations des différents instruments européens lorsque les dispositions sont équivalentes. Elle en fera de même s’agissant de l’autonomie de la notion étudiée qui doit être interprétée en se référant aux objectifs et au système du Règlement N° Lexbase : L9189IUU, ainsi qu’aux principes généraux se dégageant de l’ensemble des ordres juridiques nationaux.

Puisque l’implication d’une autorité publique ne peut à elle seule exclure la qualification de « matière civile et commerciale », la Cour rappelle également la distinction devenue classique entre les actes accomplis jure gestionis et les activités rattachées au jure imperii. Ainsi, il avait déjà été jugé que la procédure de mainlevée d’une saisie-arrêt portant sur la fourniture de carburant pour les besoins d’une opération militaire, relève de la notion de « matière civile et commerciale » dès lors que la finalité publique de certaines activités ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour qualifier ces activités comme étant accomplies jure imperii (CJUE, 3 septembre 2020, aff. C-186/19, Supreme Site Services GmbH, spéc. pts. 65 et 66 N° Lexbase : A70313S9 ; v. déjà CJUE, 7 mai 2020, aff. C‑641/18, LG e.a. c/ Rina SpA, pt. 41 N° Lexbase : A26053L3 et arrêt du 21 avril 1993, C‑172/91, Volker Sonntag c/ Hans Waidmann, Elisabeth Waidmann et Stefan Waidmann, pts. 21 et 22 N° Lexbase : A0133AWT). À ce titre, la procédure entamée aurait pu relever de la matière civile et commerciale puisque le rapport entre les parties au litige ne révélait aucune prérogative de puissance publique.

La Cour rappelle cependant l’alternative de mise : « Afin de déterminer si une matière relève ou non de la notion de “matière civile et commerciale”, au sens de l’article 1, paragraphe 1, du Règlement no 1215/2012 N° Lexbase : L9189IUU, et par voie de conséquence du champ d’application de ce Règlement, il y a lieu d’identifier le rapport juridique existant entre les parties au litige et l’objet de celui-ci, ou, alternativement, d’examiner le fondement et les modalités d’exercice de l’action intentée » (pt. 32, et déjà CJUE, 6 octobre 2021, aff. C-581/20, TOTO SpA - Costruzioni Generali, pt. 36 N° Lexbase : A949048Y ; CJUE, 22 décembre 2022, aff. C-98/22, Eurelec Trading SCRL, pt. 23 N° Lexbase : A9107843 ; CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-73/19, Movic BV, pt. 37 et réf. citées N° Lexbase : A57073RS). Même s’il appartient à la juridiction de renvoi de procéder à cette vérification selon la Cour, elle apporte des « précisions susceptibles d’être prises en considération » (pt. 33), vidant de sa substance cette réserve de pouvoir du juge national.

C’est à la mise en œuvre des critères énoncés qu’elle procède enfin. L’action permettant de remplacer l’accord d’une personne a un fondement lié à la saisie par des autorités répressives dans le cadre d’une procédure pénale constituant une émanation caractéristique de la puissance publique (pts. 36, 37 et 38). L’analyse convainc. En revanche, l’affirmation selon laquelle il en serait de même de l’objet de cette action qui tend pourtant à trancher un conflit entre justiciables, laisse quelque peu dubitatif (pt. 37). Peu importe en réalité, puisque le critère du fondement se suffit à lui‑même.

Rattachée à la procédure pénale, l’action en remplacement du consentement se trouve dans sa dépendance. En résulte l’inapplicabilité du Règlement, le caractère civil de la procédure étant sans pertinence (pt. 44, v. déjà CJCE, 15 février 2007, aff. C-292/05, Eirini Lechouritou c/ Dimosio tis Omospondiakis Dimokratias tis Germanias, pt. 41 N° Lexbase : A1867DUP, où il est retenu que « le fait que le demandeur agit sur la base d’une prétention qui a sa source dans un acte de puissance publique suffit pour que son action soit considérée, quelle que soit la nature de la procédure que lui ouvre à ces fins le droit national, comme exclue du champ d’application de la convention de Bruxelles […] La circonstance que le recours introduit devant la juridiction de renvoi est présenté comme revêtant un caractère civil en tant qu’il vise à obtenir la réparation pécuniaire du préjudice matériel et moral causé aux requérants au principal est en conséquence dépourvue de toute pertinence », et arrêt du 6 décembre 1980, aff. C-814/79, État néerlandais c/ Reinhold Rüffer, pts. 13 et 15 N° Lexbase : A7322AHN). L’exclusion en dépit du caractère civil de l’action mérite, même si la solution n’est pas nouvelle, d’être gardée à l’esprit.

g. Matière civile et commerciale – Notion de faillites – Action tendant au paiement d’une créance – Exclusion au titre de l’article 1 (non) – Application du Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (non)

CJUE, 14 novembre 2024, aff. C-394/22, Oilchart International NV c/ O.W. Bunker (Netherlands) BV N° Lexbase : A87846GG

Par cet arrêt pédagogique, la Cour expose l’articulation entre le Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU et le Règlement insolvabilité no 1346/2000 N° Lexbase : L6914AUM aujourd’hui abrogé, mais la solution vaut sous l’empire du nouveau Règlement n° 2015/848 N° Lexbase : L7603I84. L’article 1 du premier de ces textes N° Lexbase : L9189IUU exclut de son application les « faillites, concordats et autres procédures analogues » qui relèvent du Règlement insolvabilité au titre de son article 3 N° Lexbase : L6914AUM. L’espèce ayant donné lieu à la saisine de la Cour est presque caricaturale. Sans entrer dans le détail, une action est introduite devant le tribunal de commerce d’Anvers en paiement d’une facture impayée. Or le débiteur avait été déclaré en faillite plusieurs mois avant par le tribunal de Rotterdam. Ce que n’ignorait pas le créancier qui avait produit sa créance à la procédure et s’était abstenu d’en faire état. L’action était présentée dans la citation comme une simple créance, sans mention de la faillite intervenue. Le tribunal saisi se déclara compétent et déclara la demande irrecevable. La Cour d’appel d’Anvers saisie à son tour se tourna vers la Cour de justice pour savoir si une telle action relevait de l’exclusion posée par l’article 1er du Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU et auquel cas si le droit néerlandais était compatible avec les dispositions du Règlement insolvabilité N° Lexbase : L6914AUM.

La complémentarité des deux outils est depuis longtemps consacrée par la Cour : les actions exclues au titre de l’article 1er du Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU en ce qu’elles relèveraient des « faillites, concordat et autres procédures analogues », entrent dans le champ d’application du Règlement insolvabilité N° Lexbase : L6914AUM. L’application des textes doit en effet permettre d’éviter tout vide juridique (CJUE, 6 février 2019, aff. C-535/17, NK c/ BNP Paribas Fortis NV, pt. 24 N° Lexbase : A6755YW4 ; CJUE, 18 septembre 2019, aff. C-47/18, Stephan Riel, pt. 33 N° Lexbase : A6978ZNR et arrêt du 20 décembre 2017, aff. C-649/16, Peter Valach c/ Waldviertler Sparkasse Bank AG, pt. 24 et réf. citées N° Lexbase : A2542W8N). Quelles actions sont exclues du champ du Règlement Bruxelles I bis ? Celles qui dérivent directement d’une procédure d’insolvabilité et, les conditions sont cumulatives, qui s’y insèrent étroitement. Elles relèvent par voie de conséquence du Règlement insolvabilité N° Lexbase : L6914AUM (pt. 34 et déjà CJUE, 6 février 2019, préc., pt. 26 N° Lexbase : A6755YW4 et CJUE, 18 septembre 2019, préc., pt. 34 et réf. citées N° Lexbase : A6978ZNR). Il faut donc vérifier si l’action en paiement répond à ces critères.

Pour savoir si une action découle directement d’une procédure d’insolvabilité, il convient de s’intéresser à son fondement juridique. Il faut vérifier à ce titre si le droit ou l’obligation qui lui sert de base trouve sa source dans le droit commun ou dans des règles dérogatoires du droit de l’insolvabilité (pt. 37 et déjà CJUE, 6 février 2019, préc., pt. 28 N° Lexbase : A6755YW4 ; CJUE, 18 septembre 2019, préc., pt. 34 N° Lexbase : A6978ZNR et CJUE, 4 décembre 2019, aff. C-493/18, Tiger SCI, pts. 25 à 28 et réf. citées N° Lexbase : A7489Z47). Une action qui ne trouve pas son fondement dans le droit de l’insolvabilité peut alors relever de la matière civile et commerciale, et inversement. Ainsi, l’action mettant en cause une cession de parts sociales effectuées dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité dès lors qu’elle procède de l’exercice par le syndic d’une prérogative qu’il tire spécifiquement de dispositions du droit national régissant l’insolvabilité, échappe au Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU (CJCE, 2 juillet 2009, aff. C-111/08, SCT Industri AB i likvidation c/ Alpenblume AB, pt. 28 N° Lexbase : A5497EIG). De même en est-il de l’action en constatation de l’existence d’une créance aux fins de son enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité (CJUE, 18 septembre 2019, préc., pts. 37 et 38 N° Lexbase : A6978ZNR). Or l’action en paiement trouvait son fondement dans l’exécution d’obligations contractuelles indépendantes de règles spécifiques relevant d’une procédure d’insolvabilité. D’ailleurs, une telle action peut être introduite en dehors de toute procédure d’insolvabilité (pt. 44). Et l’ouverture d’une telle procédure ne modifie aucunement le fondement de l’action exercée. À ce titre, une telle action relève du Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU.

Quant au lien entre l’action et la procédure d’insolvabilité, c’est son intensité qui est déterminante (arrêt du 20 décembre 2017, préc., pt. 27 et réf. citées et CJUE, 6 février 2019, préc., pt. 30 N° Lexbase : A6755YW4). En l’espèce, l’existence d’un lien était indiscutable : la créance objet de l’action était celle déclarée dans la procédure d’insolvabilité. La Cour considère cependant que cette seule identité n’est pas suffisante pour faire relever l’action de l’exclusion de l’article 1 (pt. 49). C’est bien le Règlement Bruxelles I bis N° Lexbase : L9189IUU qui déterminera la compétence.

h. Matière contractuelle – Contrat de fourniture de service – Logiciel – Lieu d’exécution

CJUE, 28 novembre 2024, aff. C-526/23, VariusSystems digital solutions GmbH c/ GR N° Lexbase : B9785AHU

Question technique d’informatique et faits atypiques : une société ayant son siège en Autriche développe un logiciel pour une autre en Allemagne. Le contrat, dont la validité n’est pas discutée, est conclu oralement. Les parties n’avaient convenu ni d’une juridiction compétente, ni d’un lieu d’exécution précis. Le développeur saisit la juridiction autrichienne, considérant que, bien que le logiciel ait été adapté pour être utilisé en Allemagne, les travaux ont été réalisés à Vienne. Bien évidemment, la partie allemande contesta en soutenant que le service fourni consistait exclusivement en l’utilisation de ce logiciel en Allemagne. Le tribunal de première instance déclina sa compétence et sa décision fut confirmée en appel. Le pourvoi qui y fait suite, offrira l’occasion du renvoi. Concrètement, la question était de savoir si le « lieu d’exécution » de l’article 7, paragraphe 1, b N° Lexbase : L9189IUU), s’entend du lieu de programmation, soit celui de la création et de la conception intellectuelle, ou de celui de l’utilisation par le client.

La Cour répond assez rapidement en considérant, à l’instar de ce qui avait été exposé par la Commission, que la conception et la programmation d’un logiciel ne constituent pas l’obligation caractéristique d’un tel contrat, dès lors que le service n’est effectivement fourni qu’au moment où le logiciel est opérationnel. Ce ne serait qu’à partir du moment où le logiciel est susceptible d’être utilisé que le service est fourni. La solution vaut indépendamment du point de savoir si le développeur a dû se conformer aux spécifications du droit de l’État membre du domicile du client. Les parties s’opposaient en l’occurrence sur la portée de ces spécifications, dont la clarification relève du fond. Or la détermination du lieu d’exécution ne saurait dépendre de critères propres à l’examen au fond (pts. 21, 22, 23 et 24 N° Lexbase : L9189IUU). À l’appui de cette exclusion, la Cour rappelle la solution dégagée dans son arrêt Obala i lučice d.o.o. (CJUE, 25 mars 2021, aff. C-307/19, Obala i lucice d.o.o. c/ NLB Leasing d.o.o. N° Lexbase : A69674MY). Mais dans cette décision elle avait justement retenu que « [l]’argument invoqué (…) selon lequel la partie défenderesse à l’exécution n’aurait pas librement consenti à une obligation, dans la mesure où, en l’occurrence, le véhicule en cause au principal a été stationné sur la place de parking concernée non pas par cette partie elle-même mais par le preneur du leasing, n’est pas de nature à remettre en cause la nature contractuelle de l’action au principal. En effet, cet argument concerne l’examen au fond qu’une juridiction est tenue d’effectuer après avoir statué sur sa compétence ». Le consentement à l’obligation relève bien de l’examen du fond. La question de la soumission du logiciel aux exigences du droit allemand n’était en revanche aucunement discutée. Peut-être, on l’ignore, l’était celle de la portée de ses exigences. Ce qui ne remettait aucunement en cause son application dont la constatation, rappelons‑le, n’appelait aucun examen au fond. L’exclusion de ce critère pouvait éventuellement s’entendre. Elle aurait toutefois été mieux comprise si une justification plus convaincante avait été proposée.

Quant à l’exclusion du lieu de la conception et de la programmation comme celui de l’exécution de la prestation, alors que c’est à ce lieu qu’on songe naturellement, il faut se reporter aux conclusions de l’avocat général pour en comprendre la raison. Au titre des différents arguments présentés au soutien de l’exclusion, M. de La Tour [11] suggère d’écarter l’analyse d’auteurs considérant que « l’obligation caractéristique d’un contrat de fourniture de services en ligne ne peut être que celle du téléversement (“upload” en langue anglaise) par le fournisseur de contenus numériques, au motif que la localisation de cette fourniture ne peut dépendre de l’intervention du client » (§ 41 N° Lexbase : A69674MY). Il expose une précision technique éclairante : « la prestation d’une société de services informatiques peut intervenir à différentes étapes, en totalité ou en partie : celle du développement du logiciel (ou phase de création), celle du déploiement (ou phase de mise en service pour le client) et celle de l’exploitation (ou phase de garantie du bon fonctionnement) » (§ 43 N° Lexbase : A69674MY). C’est le déploiement qui constituerait l’étape fondamentale, l’autorisant d’accéder à la qualification d’obligation caractéristique de la prestation, à l’exclusion des conception et programmation. L’analyse est identique à celle proposée par la Commission. C’est à partir du déploiement que le logiciel peut être utilisé, après avoir été testé, et que sa qualité peut être contrôlée. « Cette opération est exécutée au lieu où l’utilisateur a accès au logiciel » (§ 44 N° Lexbase : A69674MY).

Ici des connaissances informatiques plus étendues que celles du soussigné sont requises. Il reste cependant possible de s’interroger sur un point. Le texte mis en œuvre pose que « le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est [celui où] les services ont été ou auraient dû être fournis ». Quel est lieu du déploiement ? Il ne s’agissait pas d’un déploiement sur site, mais, logiquement pour un contrat de « fourniture en ligne d’un logiciel », d’un déploiement en ligne. La mise en service, entendue comme la possibilité pour le client d’accéder, ne se fait pas alors chez ce dernier. Il le fera en revanche normalement de son établissement. Le développeur déploie et maintient une version du logiciel, le plus souvent sur ses propres serveurs. Le client y accède en se connectant. Techniquement, il ne déploie rien. Le service n’est‑il pas alors fourni par le développeur lorsqu’il permet au client d’accéder ? Sa prestation a bien été fournie indépendamment de la connexion effective du client. Elle l’a alors été depuis sa société. Auquel cas, avec les réserves qu’appelle le caractère technique du sujet, c’est bien la juridiction autrichienne qui aurait été compétente puisque le déploiement, soit la possibilité d’utiliser le logiciel, aurait eu lieu à partir de l’Autriche.

Là également ce n’est pas tant la solution qui interroge que l’économie d’explications convaincantes. À tout prendre, il eut peut-être été préférable de reprendre la proposition de la cour de renvoi selon laquelle les juridictions du lieu où le logiciel est utilisé seraient mieux placées pour trancher les questions de fond relatives à l’exécution du contrat en raison de la proximité des faits et des preuves. En somme, une si belle question inédite méritait probablement mieux qu’une motivation qui confine à l’affirmation.

i. Matière délictuelle – Entente – Groupe de sociétés – Unité économique (non) – Action en indemnité de la société mère pour un dommage subi par les filiales (non)

CJUE, 4 juillet 2024, aff. C-425/22, MOL Magyar Olaj- és Gázipari Nyrt. c/ Mercedes-Benz Group AG N° Lexbase : A36755NG

L’unité économique au sein d’un groupe de sociétés permet-elle à une société mère d’agir en réparation du préjudice subi par ses filiales en saisissant la juridiction de son siège social ? Non répond la Cour de justice dans cette décision rendu sur renvoi de la Cour d’appel de Budapest. Le litige trouvait sa source dans une entente entre Mercedes-Benz Group et d’autres constructeurs, constatée par la Commission. Les filiales de la demanderesse avaient acheté ou pris à crédit-bail plusieurs camions pendant la durée de l’infraction. La société mère a alors agi devant la juridiction de son siège social en se prévalant de la notion d’unité économique du groupe, faisant valoir que son siège social, en tant que centre des intérêts patrimoniaux du groupe, est le lieu où s’est produit le fait dommageable au sens de l’article 7, § 2 du Règlement. La bonne compréhension de l’argumentation soutenue appelle des précisions de fond et de procédure.

En matière de concurrence, la Cour a considéré que le terme « entreprise » qui apparaît dans les articles 101 N° Lexbase : L2398IPI et 102 N° Lexbase : L2399IPK du TFUE peut concerner le groupe considéré dans sa totalité, destinataire unique des règles du droit de la concurrence indépendamment des structures juridiques adoptées et de leur indépendance juridique (CJUE, 27 avril 2017, , aff. C-516/15, Akzo Nobel NV c/ Commission européenne, pts. 47, 48 et 49 et réf. citées N° Lexbase : A8171WAU). L’unité retenue de « l’entreprise » conduit à admettre qu’elle entraîne de plein droit une responsabilité solidaire entre les entités qui composent l’unité économique au moment de la commission de l’infraction (CJUE, 6 octobre 2021, aff. C-882/19 P, Sumal SL c/ Mercedes Benz Trucks España SL, pt. 44 et réf. citées N° Lexbase : A9493484). La réparation pourra dès lors être supportée par une filiale pour les agissements de la société mère et inversement. D’ailleurs, la circonstance aggravante de récidive pourra être retenue à l’égard de la société mère, alors même que cette dernière n’a pas fait l’objet de poursuites antérieures. Il suffira de constater l’existence d’une première infraction résultant du comportement d’une société filiale avec laquelle cette société mère impliquée dans la seconde infraction formait, déjà au moment de la première infraction, une seule « entreprise » au sens de l’article 101 du TFUE N° Lexbase : L2398IPI (CJUE, 5 mars 2015, aff. C-93/13 P et C-123/13 p, Commission européenne c/ Versalis SpA, anciennement Polimeri Europa SpA, pt. 91 N° Lexbase : A6834NC4). L’action peut conséquemment être dirigée indifféremment contre l’un des membres de l’entreprise.

En est‑il de même lorsque l’entreprise est victime du manquement et n’en est pas auteur ? Auquel cas, le lieu du siège social de la société mère devrait être considéré comme étant le « lieu de la matérialisation du dommage », aux fins de l’application de l’article 7, § 2 du Règlement no 1215/2012 N° Lexbase : L9189IUU, même si le dommage direct a été exclusivement subi par les filiales de cette société. Cela lui aurait permis de valablement saisir la juridiction de son siège comme celle du lieu où le dommage s’est matérialisé ; juridiction le mieux à même de connaître de cette question (CJUE, 21 mai 2015, aff. C-352/13, Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA c/ Akzo Nobel NV, pts. 52 et 53 N° Lexbase : A2385NI8). C’est cette inversion qui est rejetée en l’occurrence.

Au soutien de sa solution la Cour relève que l’argumentation ne s’autorise pas de sa jurisprudence. Elle considère ensuite qu’une telle solution serait en contradiction avec les principes sous-jacents à la règle de compétence de l’article 7, § 2 du Règlement N° Lexbase : L9189IUU, à savoir aux objectifs de proximité et de prévisibilité des règles de compétence, et de cohérence entre le for et la loi applicable. Elle pose enfin que la possibilité de demander réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence n’est pas entravée par l’inapplicabilité de la théorie de l’unité économique pour la détermination du « lieu de la matérialisation du dommage » aux fins de l’application de l’article 7, § 2, du Règlement (pt. 37) N° Lexbase : L9189IUU.

La Cour apporte encore une utile précision sur un autre point, répondant ainsi au souhait de la Commission rapportée dans les riches conclusions de son avocat général [12]. Dans son arrêt Volvo, la Cour avait ouvert une option en se référant au « marché affecté ». Elle avait ainsi énoncé que la juridiction compétente peut être « au sein du marché affecté par des arrangements collusoires sur la fixation et l’augmentation des prix de biens (…) soit la juridiction dans le ressort de laquelle l’entreprise s’estimant lésée a acheté les biens affectés par lesdits arrangements, soit, en cas d’achats effectués par cette entreprise dans plusieurs lieux, la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège social de celle-ci » (CJUE, 15 juillet 2021, aff. C-30/20, RH c/ Volvo, pt. 43 N° Lexbase : A01934Z8). Limitation qui n’apparaissait pas pour la juridiction du siège social de la victime, ce qui nourrissait l’incertitude lorsqu’elle se situait en dehors de ce marché. Or sa compétence serait contraire notamment aux principes de proximité et de prévisibilité du for. La Cour exclut cette possibilité en posant la compétence au « sein du marché affecté par des arrangements collusoires sur la fixation et l’augmentation des prix de biens » soit de la juridiction dans le ressort de laquelle l’entreprise s’estimant lésée a acheté les biens affectés par lesdits arrangements, soit, en cas d’achats effectués par cette entreprise dans plusieurs lieux, celle de la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège social de celle-ci (pt. 43). L’action en réparation ne pourra pour sa part être introduite que par la société victime du manquement.

Pour autant, les saisines de plusieurs juridictions n’est pas une fatalité. Le caractère optionnel des compétences tirées de l’article 7 N° Lexbase : L9189IUU, autorise un retour à celle posée par l’article 4 N° Lexbase : L9189IUU, soit celle du domicile du défendeur. Ce dernier pourra être celui de la seule société mère au titre de l’unité économique qui jouerait alors. Quant à la pluralité d’instances, une jonction probablement opportune en neutraliserait les inconvénients.

7) Règlement (UE) n° 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d'insolvabilité

Personne physique – Notion d’établissement – Notion de lieu d’activité principal – Absence de moyen humain et d’actif

CJUE, 19 septembre 2024, aff. C-501/23, DL c/ Land Berlin N° Lexbase : A97975ZU

Voilà un débiteur friand d’internationalité : à la date de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, il était domicilié à Berlin, à Monaco, à Los Angeles et sur l’île de Saint-Barthélemy. Il était le président du conseil de surveillance d’une société de droit allemand, dont le siège social se situait à Mayence. Ses actifs étaient constitués d’avoirs en banque à Monaco ainsi que de participations dans des sociétés de droit monégasque qui détenaient des avoirs, un dépôt de titres et des participations dans des sociétés en Allemagne. Qu’importe en définitive car cela était sans rapport avec les questions posées par la juridiction allemande portant sur les rapports entre les articles 2 et 3 du Règlement N° Lexbase : L7603I84.

Le premier pose, du moins dans la version française, en son point 10 cette définition : « “établissement”, tout lieu d'opérations où un débiteur exerce ou a exercé au cours de la période de trois mois précédant la demande d'ouverture de la procédure d'insolvabilité principale, de façon non transitoire, une activité économique avec des moyens humains et des actifs ». Pour sa part, le second régissant la compétence précise « 1. Les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité (ci-après dénommée “procédure d'insolvabilité principale”). Le centre des intérêts principaux correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers […] Pour une personne physique exerçant une profession libérale ou toute autre activité d'indépendant, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve du contraire, être le lieu d'activité principal de l'intéressé. Cette présomption ne s'applique que si le lieu d'activité principal de la personne physique n'a pas été transféré dans un autre État membre au cours des trois mois précédant la demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité ».

La distinction entre « établissement » et « lieu d’activité principal » n’est pas aussi nette dans la version allemande, les deux termes utilisés ayant une certaine proximité linguistique. Cela avait conduit la juridiction allemande à demander si l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du Règlement N° Lexbase : L7603I84 doit être interprété en ce sens que la notion de « lieu d’activité principal » d’une personne physique exerçant une profession libérale ou une autre activité d’indépendant, au sens de cette disposition, correspond à la notion d’« établissement » définie à l’article 2, point 10, de ce Règlement N° Lexbase : L7603I84. Ce volet intéressera probablement assez peu le lecteur français, raison pour laquelle la réponse donnée ne sera pas détaillée. La Cour rappelle l’exigence d’interprétation uniforme d’une disposition du droit de l’Union et la méthode pour y parvenir (pt. 34), avant de poser l’absence d’identité entre les deux notions.

La deuxième question retiendra en revanche un peu plus l’attention. Il s’était agi de savoir si l’article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, doit être interprété en ce sens que, s’agissant d’une personne physique exerçant une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, il peut être présumé, jusqu’à preuve du contraire, que le centre des intérêts principaux de cette personne se situe au lieu d’activité principal de ladite personne, alors même que cette activité ne nécessite aucun moyen humain ou aucun actif. À titre liminaire, précisons que l’exercice d’une profession libérale par le débiteur, quoique contestée a été admise. En effet, la présomption de pertinence du cadre factuel défini par le juge national et sous sa responsabilité, n’est pas renversée par la simple contestation de certains faits par une partie. La Cour refuse de vérifier leur exactitude (pt. 25, CJUE, 2 septembre 2016, aff. C-113/15, Breitsamer und Ulrich GmbH & Co. KG, pt. 33 N° Lexbase : A0241R4P ; CJCE, 5 décembre 2006, aff. C-94/04 et C-202/04, Federico Cipolla c/ Rosaria Portolese, épouse Fazari, pt. 25 et réf. citées N° Lexbase : A7978DSB).

La présomption simple posée par l’article 3 N° Lexbase : L7603I84, au titre de laquelle le centre des intérêts principaux est celui du lieu d'activité principal de l'intéressé, n’est pas dans la dépendance de la définition donnée à l’article 2 N° Lexbase : L7603I84. Ainsi, le seul fait que la profession libérale ou l’activité d’indépendant ne nécessite aucun actif ou aucun moyen humain ne suffit pas à la renverser. Ces éléments ne sont pour autant pas indifférents. La localisation d’actifs ou la mise en œuvre de moyens humains constituent des critères objectifs à prendre en compte pour la détermination du lieu de gestion habituelle des intérêts (pt. 50) N° Lexbase : L7603I84. La présomption ne pourra toutefois être renversée qu’au terme d’une appréciation globale d’un ensemble de critères objectifs et vérifiables par des tiers (pt. 50). En somme, il y a lieu pour la juridiction compétente d’en tenir compte sans qu’ils ne soient déterminants. Leur absence ne peut empêcher la localisation du lieu d’activité principal. Ici la Cour reprend l’argument de la Commission relevant que par sa nature même, la profession libérale ou l’activité indépendante est susceptible d’être exercée sans actif ou moyens humains. La coordination des textes est ainsi assurée, tout en préservant l’autonomie de l’article 3 N° Lexbase : L7603I84.

S. H.

 

[1] Selon les termes de S. Amrani-Mekki, Formalisme excessif – Confirmation de la chasse au formalisme excessif par la CEDH et la Cour de cassation, Procédures n° 1, janvier 2025, comm. 2.

[2] V. not. S. Clavel, D., 2025, p. 915, Chron. Droit international privé, mars 2024 - février 2025, S. Clavel et F. Jault‑Seseke, II-A, 3 et réf. citées, ainsi que les rapports, avis, communiqués et notices disponibles sur le site de la Cour de cassation.

[3] V. par ex. dans la mise en œuvre de conventions franco-algériennes, Cass. civ. 1, 16 mars 1999, no 97-12.401 N° Lexbase : A6958CH8 : « Mais attendu qu'en cas de cumul de nationalités, la nationalité française est seule prise en considération par les tribunaux français […] ».

[4] Cass. civ. 1, 23 février 2011, n10-14.760, F-P+B+I N° Lexbase : A4671GXB.

[5] Cour de cassation, 5 février 2025 Cour de cassation Pourvoi n° 22-22.729, courdecassation.fr [en ligne]

[6] Sur les difficultés à définir les notions de « juridiction », de « statuer » et de « décision » que comporte ce Règlement, v. les très intéressantes conclusions de M. l’avocat général Szpunar sur l’arrêt Oberle : InfoCuria Jurisprudence, Conclusions de l’avocat général M. Maciej Szpunar présentées le 22 février 2018 : Affaire C‑20/17 Vincent Pierre Oberle, curia.europa.eu [en ligne]

[7] V. les observations de Mme Ancel sur l’arrêt d’appel, M.-É. Ancel, CCE 2024/1. Chron. 1, n° 8.

[8] CJUE, 27 février 2025, aff. C-537/23, supra N° Lexbase : A51206ZN

[9] Ch. Alleaume (co-dir.), D.  Martin (co-dir.) et S. Hazoug, Chronique de droit de la propriété intellectuelle et du numérique (février 2024 – mars 2025), RJ com., 30 avril 2025.

[10] Conclusions de M. l’avocat général N. Emiliou, du 22 février 2024, spéc. pt. 77 qui, de façon éclairante, considère que « La lecture “étroite” de l’arrêt GAT fait significativement mieux sur tous les aspects examinés ci-dessus. Le principe demeure que les règles générales du Règlement Bruxelles I bis régissent la procédure en contrefaçon. Comme telle, la compétence est prévisible et certaine pour le titulaire du brevet. S’il engage la procédure en dehors de l’État d’enregistrement et que le supposé contrefacteur soulève une exception d’invalidité, les juridictions saisies ne perdent pas leur compétence pour connaître de l’action. Ces juridictions ne peuvent « simplement » pas se prononcer sur la validité du(des) brevet(s) en question qui, en vertu de la règle exceptionnelle prévue à l’article 24, point 4, de ce Règlement ne peut être tranchée que par les juridictions […] de l’État d’enregistrement. En outre, en cas de violation « pluriétatique » d’un brevet européen, cette lecture permet la concentration partielle des demandes devant un seul for. Seule la validité du brevet, si elle est contestée, devrait être déterminée dans les différents États pour lesquels il a été délivré. » InfoCuria Jurisprudence, Conclusions de l’avocat général M. Nicholas Emiliou présentées le 22 février 2024 : Affaire C‑339/22 BSH Hausgeräte GmbH contre Electrolux AB, curia.europa.eu [en ligne]

[11] InfoCuria Jurisprudence, Conclusions de l’avocat général M. Jean Richard de La Tour présentées le 5 septembre 2024 : Affaire C‑526/23 VariusSystems digital solutions GmbH contre GR Inhaberin B & G, curia.europa.eu [en ligne]

[12] InfoCuria Jurisprudence, Conclusion de l’avocat général M. Nicholas Emiliou, présentées le 8 février 2024 : affaire C-425/22 MOL Magyar Olaj- és Gázipari Nyrt. contre Mercedes-Benz Group AG, curia.europa.eu [en ligne] (§ 47)

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Procédure civile

[Brèves] Nouvelle définition de l’acte qui constitue une diligence interruptive de péremption !

Réf. : Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-15.464, FS-B N° Lexbase : A42290CM

Lecture: 4 min

N1983B3T

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Le 08 Juillet 2025

La Cour de cassation clarifie sa jurisprudence sur la définition de l’acte qui constitue une diligence interruptive de péremption. Désormais, elle considère que cet acte s’entend de l’initiative d’une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l’instance. Elle affirme que ces nouvelles conditions sont appréciées souverainement par le juge.


Faits et procédure. Un bail a été conclu entre une association et une société. Le 22 octobre 2014, l’association décide d’assigner une première fois la société, en paiement de sommes du fait d’équipement défectueux. Le 22 décembre 2014 la société est assignée une seconde fois par l’association, en raison du départ contraint de cette dernière. Les deux procédures ont été jointes par un juge de la mise en état, le 6 avril 2016. Ensuite, le juge de la mise en état a ordonné la radiation de la procédure du rôle du tribunal, le 9 octobre 2019. L’affaire a été réinscrite le 3 juin 2020 par l’association. Dans une ordonnance du 9 juillet 2021, le juge de la mise en état a débouté la société de sa demande tendant à voir constater la péremption de l’instance et à déclarer l’instance éteinte. La société décide alors d’interjeter appel sur cette décision, devant la cour d’appel de Paris. Cette dernière statue sur ce recours, dans un arrêt du 23 février 2022 (CA Paris, pôle 5, chambre 3, 23 février 2022, n° 21/15643 N° Lexbase : A77537NH). L’association décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt d’infirmer l’ordonnance rendue le 9 juillet 2021 par le juge de la mise en état, et de juger que l’instance était périmée et de constater son extinction. Au soutien de son pourvoi, l’association affirme que constitue une diligence interruptive tout acte qui manifeste la volonté d’une partie de continuer l’instance. De ce fait, le courrier envoyé au juge par le conseil d’une partie, pour l’informer de l’échec de la tentative de médiation, et lui demander de rétablir l’affaire au rôle et de convoquer les parties à une prochaine audience, manifeste la volonté de cette partie de continuer l’instance. Or, la cour d’appel considère que le courrier adressé au juge par le conseil de l’association, dans lequel il est demandé le rétablissement de l’affaire, ne constitue pas une diligence interruptive de péremption. Les juges du fond considèrent que ce courrier ne fait pas progresser l’instance, et que cette dernière s’est trouvée périmée le 3 juillet 2020. En statuant ainsi, alors que ce courrier manifestait la volonté de continuer l’instance et constituait une diligence interruptive de péremption, l’association considère que la cour d’appel a violé l’article 386 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2277H44.

Solution. Au visa des articles 2 N° Lexbase : L1108H4S, 3 N° Lexbase : L1111H4W et 386 du Code de procédure civile, la Cour de cassation approuve l’argumentation de l’association. Après avoir rappelé la lettre de ces articles, la Haute juridiction considère qu’il résulte de ces textes qu’il appartient aux parties, sauf lorsque la direction de l’instance leur échappe, d’accomplir les actes sous les charges qui leur incombent pour éviter la péremption de l’instance. De ce fait, le juge saisi par une partie d’un incident de péremption ou qui se saisit d’office de cet incident doit rechercher si la péremption est acquise ou non, au regard des diligences accomplies. Après avoir rappelé sa jurisprudence sur la définition de l’acte qui constitue une diligence interruptive de péremption, la cour constate que certaines décisions mettent l’accent sur la volonté des parties manifestée par l’acte, alors que d’autres sont fondées sur la nature intrinsèque de l’acte. Au regard de cette confusion dans sa jurisprudence, la cour décide de clarifier cette dernière. Désormais, elle considère que la diligence interruptive du délai de péremption s’entend de l’initiative d’une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l’instance. La Haute juridiction affirme que ces nouvelles conditions dépendent de la nature de l’affaire et de circonstances de fait, et elles sont appréciées souverainement par le juge du fond. Ainsi, les juges du droit considèrent que la cour d’appel a statué par des motifs impropres à caractériser l’absence de diligences interruptives de péremption. Par conséquent, l’arrêt de la cour d’appel de Paris est cassé et annulé en toutes ses dispositions.

newsid:491983

Procédure civile

[Brèves] La déclaration d’appel qui sollicite la confirmation partielle du jugement et son infirmation pour le « surplus » est valide !

Réf. : Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-21.602, F-B N° Lexbase : A42310CP

Lecture: 3 min

N2036B3S

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Le 08 Juillet 2025

La Cour de cassation précise que la déclaration d’appel qui énumère les chefs de jugement dont il est demandé la confirmation, et qui sollicite l’infirmation de la décision pour le « surplus » est valide. Dans cette hypothèse, les juges du droit considèrent que si la déclaration précise son objet, alors il se déduit de cette dernière l’énumération des chefs de jugement critiqués.


Faits et procédure. Le 18 février 2020, M. [S] interjette appel à l’encontre d’un jugement qui a été rendu par un Conseil de prud’hommes, et qui a accueilli partiellement ses demandes dirigées contre les sociétés Dassault systèmes et Keonys. La cour d’appel de Versailles statue sur ce recours, dans un arrêt du 23 juin 2022 (CA Versailles, 23 juin 2022, n° 20/00457 N° Lexbase : A640078K). Par la suite, M. [S] décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. Le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt de juger qu’au vu de sa déclaration d’appel, l’effet dévolutif n’avait pas opéré et, en conséquence, de dire que la Cour d’appel n’avait pas été saisie d’un recours à l’encontre du jugement prud’homal.  Au soutien de son pourvoi, M. [S] affirme que si la déclaration d’appel mentionne « appel total », qu’elle ne vise aucun chef de jugement, et qu’aucune régularisation n’est réalisée dans le délai de conclusion de l’appelant, alors, la Cour d’appel doit constater l’absence d’effet dévolutif et déduire qu’elle n’est saisie d’aucune demande. Dans le cas d’espèce, la déclaration d’appel ne mentionne pas « appel total », mais elle énumérait expressément les chefs de jugement dont il était demandé la confirmation. A contrario, il était demandé à la Cour d’appel d’infirmer le jugement de première instance « pour le surplus ». Dans cette situation, M. [S] considère que sa déclaration d’appel était limitée aux chefs de jugement expressément critiqués, et qu’elle traduisait sa volonté explicite de circonscrire les chefs de jugement dont il demandait l’infirmation. Or, les juges versaillais ne sont pas de cet avis, puisqu’ils considèrent que la déclaration d’appel était imprécise et qu’elle n’emportait pas d’effet dévolutif. Les juges du fond affirment que la demande de M. [S] qui tend à l’infirmation de la décision pour le « surplus », ne satisfait pas à l’exigence de citer les chefs de jugement expressément critiqués. En statuant ainsi, M. [S] considère que la Cour d’appel a violé les articles 562 et 901 du Code de procédure civile.

Solution. Au visa des articles 562 N° Lexbase : L2381MLR et 901, 4° N° Lexbase : L2382MLS du Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L9786MXQ, la Cour de cassation approuve l’argumentation de M. [S]. Après avoir rappelé la lettre de ces articles, et le raisonnement des juges du fond, la Haute juridiction constate que la déclaration d’appel de M. [S] précisait son objet. De ce fait, les juges du droit considèrent que de cet acte, il se déduisait nécessairement l’énumération des chefs de jugement critiqués.

newsid:492036

Procédure civile

[Brèves] L’acte de signification à domicile doit constater l’impossibilité de signifier l’acte à personne !

Réf. : Cass. civ. 2, 10 avril 2025, n° 23-12.313, F-D N° Lexbase : A95250IM

Lecture: 3 min

N2141B3P

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Le 08 Juillet 2025

La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence au sujet de la signification d’un acte à domicile (V. Cass. civ. 2, 30 juin 1993, n° 91-21.216 N° Lexbase : A5939ABL). Elle considère qu'à peine de nullité, un acte ne peut être délivré à domicile que si la signification à personne s’avère impossible, cette impossibilité devant être constatée dans l’acte lui-même.


Faits et procédure. L’URSSAF a décerné à l’encontre de M. B une contrainte, qui lui a été signifiée le 25 avril 2018. La signification à la personne même du destinataire s’est avérée impossible, car M. B était absent à l’adresse qui avait été communiquée à l’huissier instrumentaire, et que la personne présente refusait de prendre le pli. Le 22 novembre 2018, le cotisant formule une opposition devant un tribunal des affaires de sécurité sociale. Une décision de première instance est rendue, puis un appel est interjeté devant la cour d’appel de Pau. Cette dernière statue sur ce recours, dans un arrêt du 5 mai 2022. Le cotisant décide alors d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. Le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt de déclarer son opposition irrecevable. Selon lui, il résulte des articles 655 N° Lexbase : L6822H7S et 656 N° Lexbase : L6825H7W du Code de procédure civile, que la signification à domicile par un huissier, n’est possible que s’il a été effectué toutes les diligences pour que l'acte puisse être signifié à personne, et qu'elles soient demeurées infructueuses. Dans cette hypothèse, M. B considère que l’huissier doit impérativement mentionner les circonstances caractérisant l’impossibilité de la signification à personne. Les juges palois constatent que l’huissier instrumentaire a mentionné le domicile du destinataire, lequel n’est pas contesté par le cotisant, et a précisé les raisons qui ont rendu impossible la signification à la personne même du destinataire. Dans le cas d’espèce, il s’agit du fait que M. B n’était pas présent à l’adresse indiquée par l’URSSAF, et que la personne présente refusait de prendre le pli. La cour d’appel relève également que M. B ne justifie pas que l’adresse à laquelle la signification a été faite, ne serait pas la sienne, d’autant que les éléments qu’il produit lui-même mentionnent cette même adresse. De ce fait, la cour d’appel constate que l’acte de signification faisait état de l’intervention de l’huissier au domicile supposé du destinataire où il ne l’a pas trouvé. Au vu de ces éléments, les juges palois déclarent irrecevable l’opposition du cotisant.   En statuant ainsi, sans rechercher si l’acte en question précisait les diligences que l'huissier devait procéder pour s'assurer de l'impossibilité d'une signification à personne, M. B considère que la cour d’appel a violé les articles 655 et 656 du Code de procédure civile.

Solution. La Cour de cassation approuve l’argumentation du cotisant, au visa des articles 655, 656, 658 N° Lexbase : L6829H73 et 693 N° Lexbase : L6490MGH du Code de procédure civile. Les juges du droit considèrent qu’il résulte de ces textes qu’un acte ne peut, à peine de nullité, être délivré à domicile que si la signification à personne s’avère impossible, cette impossibilité devant être constatée dans l’acte lui-même. Après avoir rappelé le raisonnement des juges du fond, les juges du quai de l’horloge considèrent que la cour d’appel aurait dû rechercher, si les mentions figurant dans l’acte lui-même étaient propres à justifier du domicile de l’intéressé, et d’une impossibilité de le signifier à personne.

newsid:492141

Procédure civile

[Brèves] Pas besoin de solliciter la fixation de l’affaire à une audience pour interrompre le délai de péremption dans une procédure orale !

Réf. : Cass. civ. 2, 10 avril 2025, n° 23-11.473, F-D N° Lexbase : A95760II

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N2173B3U

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Le 08 Juillet 2025

La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence en matière de péremption d’instance dans les procédures orales, notamment en matière de contentieux de la sécurité sociale (v. Cass. civ. 2, 9 janvier 2025, n° 22-18.726 N° Lexbase : A25096QY). Elle réaffirme que dans ces procédures, sauf diligence particulière imposée par la juridiction, les parties n’ont pas à solliciter la fixation d’une audience pour interrompre le délai biennal de péremption.


Faits et procédure. L’URSSAF a procédé une à inscription de privilège et a notifié onze mises en demeure, puis décerné six contraintes à l’égard d’une société. Cette dernière décide alors de saisir un tribunal des affaires de sécurité sociale, pour contester l’inscription et les mises en demeure. Par la suite, la société décide de formuler une opposition à l’encontre des contraintes qui ont été émises à son égard. Une décision de première instance est rendue, puis l’URSSAF interjette appel de cette décision le 07 octobre 2019 devant les juges parisiens. La Cour d’appel de Paris statue sur ce recours, dans un arrêt du 2 décembre 2022 (CA Paris, pôle 6, chambre 12, 2 décembre" 2022, n° 19/10080 N° Lexbase : A21478Y8). Ensuite, la société décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt de dire n’y avoir lieu à péremption. La société considère que la péremption d’instance, est prononcée uniquement lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. Elle considère qu’une telle règle vise à assurer une bonne administration de la justice, et elle ne porte pas atteinte au droit d’accès au juge, lequel n’est pas absolu et se prête à des limitations. Or, la société souligne dans son pourvoi que l’URSSAF a interjeté appel de cette décision le 7 octobre 2019 et qu’à l’audience du 21 avril 2022, elle n’avait pas conclu. De plus, l’URSSAF n’est pas à l’origine de cette audience. La société précise également, que lors de l’audience du 21 avril 2022, la Cour avait demandé à l’URSSAF de conclure pour le 30 mai 2022. Or, cette dernière a déposé son jeu de conclusions le 2 septembre 2022. Pour rejeter le moyen tiré de la péremption de l’instance, la Cour d’appel considère que lorsque la procédure est orale, les parties n’ont pas d’autres diligences à accomplir que de demander la fixation de l’affaire. La convocation de l’adversaire est une diligence qui appartient au greffe. Dans cette hypothèse, les juges du fond affirment que la direction de la procédure échappe aux parties. De ce fait, les juges parisiens considèrent que le délai de péremption de l’instance n’a pas commencé à courir avant la date de la première audience fixée par le greffe. Dans le cas d’espèce, la date de la première audience fixée est le 21 avril 2022, puis l’affaire a été plaidée au 20 octobre 2022. Par conséquent, les juges d’appel considèrent qu’il n’y a pas de péremption d’instance. En statuant ainsi, la société considère que la Cour d’appel a notamment violé l’article 386 du Code de procédure civile.

Solution. La Cour de cassation rejette le pourvoi de la société, sur le fondement des articles 386 et 946 du Code de procédure civile, et L.142-1 N° Lexbase : L1769LZK et R.142-11 N° Lexbase : L6655LMG du Code de la Sécurité sociale, ainsi qu’au regard de sa jurisprudence récente en matière de péremption (Cass. civ. 2, 10 octobre 2024, n° 22-12.882 N° Lexbase : A441859I et n° 22-20.384 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 111963392, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 2, 10-10-2024, n\u00b0 22-20.384, FP-B, Cassation", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A441359C"}}). Les juges du droit ont considéré qu’il ne peut être imposé aux parties, dans le cadre d’une procédure orale, de solliciter la fixation de l’affaire à une audience, dans le seul but d’interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif. Après avoir rappelé le raisonnement des juges du fond, la Cour de cassation considère que ces derniers ont exactement déduit qu’aucune péremption ne saurait être retenue.

newsid:492173

Procédure d'appel

[Brèves] La déclaration d’appel qui n’a pas été communiquée par RPVA peut être régularisée par un second appel !

Réf. : Cass. civ. 2, 30 avril 2025, n° 22-20.064, F-B N° Lexbase : A15810QM

Lecture: 3 min

N2219B3L

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Le 06 Mai 2025

La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence en matière d’irrecevabilité de la déclaration d’appel (v. Cass. civ. 2, 1er octobre 2020, n° 19-11.490, FS-P+B+I N° Lexbase : A49893WP). Elle affirme qu’une déclaration d’appel irrégulière, faute d’avoir été communiquée par RPVA, qui fait encourir une irrecevabilité à l’appel, n’empêche pas l’appelant de former un second appel, sous réserve de l’expiration du délai d’appel, et tant que le premier appel n’a pas été déclaré irrecevable.


 

Faits et procédure. Mme [U] a interjeté appel le 4 décembre 2020, à l’encontre d’un jugement rendu le 12 novembre 2020 par un tribunal judiciaire, dans un litige l’opposant à M. [T]. Cette déclaration d’appel, n’a pas été déposée par l’intermédiaire du RPVA. Le 18 décembre 2020, elle dépose une seconde déclaration d’appel via le RPVA, et contre le même jugement ainsi que contre la même partie intimée. Par une ordonnance du 30 décembre 2020, le conseiller de la mise en état déclare irrecevable l’appel formulé par Mme [U] le 4 décembre 2020. Par une seconde ordonnance, du 29 juin 2021, le conseiller de la mise en état déclare irrecevable l’appel formulé par Mme [U] le 18 décembre 2020. Mme [U] décide alors de déférer cette dernière décision à la cour d’appel, qui a statué sur ce recours, dans un arrêt du 18 novembre 2021. Par la suite, Mme [U] décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir, l’appel formulé le 18 décembre 2020. Au soutien de son pourvoi, Mme [U] affirme que le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt. De ce fait, elle considère que la saisine d’une cour d’appel, qui est susceptible d’être déclarée irrecevable, n’interdit pas à son auteur de former un second appel, avant l’expiration du délai, et tant que le premier appel n’a pas été déclaré irrecevable ou caduc. Les juges du fond ont relevé que l’irrecevabilité ou la caducité du premier appel n’avait pas encore été constatée, lorsque le second a été formulé le 18 décembre 2020. De ce fait, la cour d’appel considère que ce second appel est irrecevable faute pour l’appelante de démontrer un intérêt à interjeter appel. En statuant ainsi, Mme [U] estime que la cour d’appel a violé les articles 546 N° Lexbase : L6697H78 et 911-1 N° Lexbase : L7243LEY du Code de procédure civile.

Solution. La Cour de cassation approuve l’argumentation de Mme [U] aux visas des articles 546 et 911-1 du Code de procédure civile. Après avoir rappelé la lettre du premier de ces textes, la Cour considère qu’une déclaration d’appel irrégulière, faute d’avoir été communiquée par RPVA, qui fait encourir une irrecevabilité à l’appel, n’interdit pas à l’appelant de former un second appel. Toutefois, la Haute juridiction précise que cette solution est envisageable, sous réserve de l’absence d’expiration du délai d’appel, et tant que le premier appel n’a pas été déclaré irrecevable. Après avoir rappelé le raisonnement de la cour d’appel, les juges du droit estiment que le premier appel, qui n’a pas été transmis par RPVA, était irrégulier. De ce fait, les juges du Quai de l’horloge estiment que la cour d’appel aurait dû constater que le second appel, transmis par RPVA dans le délai d’appel, et avant le prononcé de l’irrecevabilité du premier était recevable. Par conséquent, la Cour de cassation casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel.

newsid:492219

Procédure d'appel

[Brèves] L’obligation jurisprudentielle de solliciter l’infirmation ou l’annulation du jugement dans les conclusions n’est pas d’application immédiate !

Réf. : Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-22.868, F-B N° Lexbase : B3029AAG

Lecture: 1 min

N2339B3Z

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 03 Juillet 2025

La Cour de cassation précise sa jurisprudence du 17 septembre 2020 au sujet du dispositif des conclusions (V. Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626 N° Lexbase : A88313TA).  Elle considère que lorsqu’une instance a été introduite par une déclaration d'appel antérieure à cette jurisprudence, la règle de procédure nouvelle énoncée pour la première fois par cette dernière ne peut recevoir application, quand bien même la saisine de la juridiction de renvoi serait postérieure au 17 janvier 2020.


Faits et procédure. Par un arrêt du 16 juin 2016, la société AZ Concept a été condamnée à payer diverses sommes à M. et Mme [W]. Cette société a été dissoute le 21 juillet 2013, et M. [V] a été désigné en qualité de liquidateur amiable. Par la suite, la société a été placée en liquidation judiciaire le 28 mars 2017.  Reprochant à M. [V] plusieurs fautes, M. et Mme [W] ont recherché sa responsabilité et demandé sa condamnation au paiement des sommes dues par la société. Une décision de première instance est rendue le 15 janvier 2018 puis un arrêt d’appel est rendu sur cette affaire, le 29 novembre 2019. Cet arrêt est cassé par une décision de la Cour de cassation du 14 avril 2021. Suite à cette décision, l’affaire a été renvoyée à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui statue sur cette dernière le 22 septembre 2022. M. et Mme [W] décident d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. Les demandeurs au pourvoi font grief à l’arrêt de confirmer le jugement du 15 janvier 2018.  M. et Mme [W] affirment qu’est interdite l’application immédiate d’une règle de procédure résultant d'une interprétation nouvelle des articles 542 N° Lexbase : L7230LEI et 954 N° Lexbase : L2439MLW du Code de procédure civile. Les demandeurs au pourvoi affirment que cette application immédiate est interdite lorsqu’elle intervient lors d’une instance introduite par une déclaration d'appel antérieure à sa formulation, et lorsqu’elle a été expressément exclue par la Cour de cassation. Les juges du fond ont considéré qu’il résultait des dispositions combinées des articles 542 et 954 du Code de procédure civile qu'à défaut de demande de réformation du jugement déféré, la cour d'appel ne pouvait que le confirmer. Les juges du fond soulignent que ces dispositions applicables depuis le 1er septembre 2017, avaient été rappelées par l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020. Or, M. et Mme [W] soulignent que cette saisine est antérieure à celle de la Cour d’appel de renvoi, qu’ils ont réalisé le 19 mai 2021. En statuant ainsi, sans rechercher si la date de la déclaration d’appel n’était pas antérieure à l’arrêt du 17 septembre 2020, M. et Mme [W] considèrent que la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 542 et 954 du Code de procédure civile.

Solution. La Cour de cassation approuve l’argumentation de M. et Mme [W], au visa des articles 542, 631 [LXB=] et 954 du Code de procédure civile, et de l’article 6§1 de la ConvEDH. La Cour rappelle sa jurisprudence du 17 septembre 2020 (V. Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626).  Depuis cette dernière, elle considère qu’il résulte des articles 542 et 954 du Code de procédure civile, que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer ce dernier. Cependant, la Haute juridiction précise les conditions d’application de cette nouvelle règle de procédure. Tout d’abord, la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation n'est pas une déclaration d'appel et n'introduit pas une nouvelle instance, mais entraîne la poursuite de l'instance d'appel initiale. Dans cette hypothèse, c’est la même instance d’appel qui reprend et se poursuit devant la Cour d’appel de renvoi. En conséquence, lorsque cette instance a été introduite par une déclaration d'appel antérieure à l'arrêt du 17 septembre 2020, la règle de procédure nouvelle énoncée pour la première fois par cet arrêt ne peut recevoir application, quand bien même la déclaration de saisine serait postérieure au 17 septembre 2020. Après avoir rappelé le raisonnement des juges du fond, la Cour relève que l’application de cette jurisprudence n’était pas prévisible pour M. et Mme [W], qui ont relevé appel le 1er mars 2018. En appliquant cette jurisprudence, la Cour considère que les juges du fond ont privé M. et Mme [W] de leur droit à un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR. Ainsi, l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence est cassé en toutes ses dispositions par la Cour de cassation.

newsid:492339

Voies d'exécution

[Brèves] Le stagiaire de l’avocat du requérant peut assister l’huissier de justice pour réaliser un procès-verbal de constat d’achat !

Réf. : Chbre mixte, 12 mai 2025, n° 22-20.739 N° Lexbase : A73480W3

Lecture: 4 min

N2297B3H

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 03 Juillet 2025

La Cour de cassation révise sa jurisprudence au sujet de l’indépendance du tiers qui assiste l’huissier pour un procès-verbal de constat d’achat (V. Cass. civ. 1, 6 juillet 2000, n° 97-22.430 N° Lexbase : A9056AGI). Elle considère que l'absence de garanties suffisantes d'indépendance du tiers acheteur à l'égard du requérant, n'est pas de nature à entraîner la nullité du constat d'achat. Dans cette hypothèse, le juge doit apprécier si ce défaut d'indépendance affecte la valeur probante du constat.


Faits et procédure. En 2016, la société Rimowa a constaté que la société HP Design offrait à la vente sous une marque, exploitée par la société Intersod, une valise reproduisant les caractéristiques originales de la valise en polycarbonate rainuré qu'elle-même commercialise depuis plusieurs années. La société Rimowa a fait constater les agissements de la société HP Design, par un huissier de justice, puis a fait procéder à des saisies-contrefaçons. Lors de la réalisation du procès-verbal de constat, la personne qui assistait l’huissier de justice, et qui a pénétré seule dans le magasin avant de ressortir avec l’objet litigieux, était un stagiaire du cabinet de l’avocat de la requérante. À la suite de ces opérations, la société Rimowa a assigné les sociétés responsables de la commercialisation de cette valise, en contrefaçon. Une décision de première instance est rendue, puis un appel est interjeté par-devant la Cour d’appel de Paris. Les juges parisiens ont statué sur ce recours, dans un arrêt du 6 avril 2022 (CA Paris, pôle 5, chambre 1, 6 avril 2022, n° 20/17307 N° Lexbase : A02247TH). Par la suite, la société Intersod décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt de déclarer valable le procès-verbal de constat d’achat du 4 mai 2016 et de la condamner à indemniser la société Rimowa au titre d’actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. La société expose que le  principe de loyauté dans l'administration de la preuve, et le droit à un procès équitable commandent que la personne qui assiste l'huissier instrumentaire lors de l'établissement d'un procès-verbal de constat, soit indépendante de la partie requérante. Dans l’hypothèse où le tiers ne satisfait pas à cette condition d’indépendance, le procès-verbal de constat est nul, sans qu’il soit nécessaire de caractériser l’existence d’un stratagème imputable à la partie requérante. Pour rejeter la demande d’annulation du procès-verbal, les juges du fond considèrent que la circonstance que la personne assistant l’huissier et qui a pénétré seule dans le magasin avant de ressortir avec l’objet litigieux, soit un stagiaire du cabinet d’avocat de la requérante est indifférente. La Cour d’appel considère que la demanderesse au pourvoi ne parvient pas à démontrer l’existence d’un stratagème déloyal, et qu’il est clairement mentionné dans le procès-verbal la qualité de ce stagiaire. En statuant ainsi, la société Intersod considère que la Cour d’appel a violé les articles 6 § 1 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR et 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D.

Solution. La Cour de cassation rejette l’argumentation de la société Intersod. Auparavant, la Haute juridiction considérait que le droit à un procès équitable commande à peine de nullité, que lors de l'établissement d'un procès-verbal de constat d’achat, l'huissier de justice soit assisté d'un tiers indépendant de la partie requérante, ce que n'est pas le stagiaire du cabinet de l'avocat du requérant (V. Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-25.210 N° Lexbase : A5484TAD). De ce fait, la Cour de cassation avait transposé au constat d’achat ce qu’elle énonce pour la saisie-contrefaçon (V. Cass. civ. 2, 2 décembre 1997, n° 95-17.029 N° Lexbase : A0582ACK). Or, compte tenu des divergences d’application parmi les juges du fond et les critiques de la doctrine, la Cour de cassation décide de revoir sa jurisprudence. Désormais, elle considère que l'absence de garanties suffisantes d'indépendance du tiers acheteur à l'égard du requérant n'est pas de nature à entraîner la nullité du constat d'achat. Dans un tel cas, il appartient au juge d'apprécier si, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d'indépendance affecte la valeur probante du constat. Au final, après avoir rappelé le raisonnement des juges du fond, la Cour de cassation considère que c’est à bon droit que la Cour d’appel a refusé d’annuler le procès-verbal au seul motif de l’absence d’indépendance du tiers acheteur.

newsid:492297

Voies d'exécution

[Brèves] La nouvelle procédure de saisie des rémunérations est précisée par un nouveau décret !

Réf. : Décret n° 2025-493 du 3 juin 2025, relatif au registre numérique des saisies des rémunérations, à la procédure de saisie des rémunérations et à la formation des commissaires de justice répartiteurs N° Lexbase : L8792M9I

Lecture: 3 min

N2450B37

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 03 Juillet 2025

Ce décret entrera en vigueur le 1er juillet 2025 (art. 12), et il contient des dispositions relatives au registre numérique des saisies des rémunérations, à la procédure de saisie des rémunérations et à la formation des commissaires de justice répartiteurs.


 

I. Sur le registre numérique des saisies des rémunérations

Il ressort du décret que ce registre est tenu par la chambre nationale des commissaires de justice, et il a pour finalité d’assurer le suivi des procédures de saisies des rémunérations (art. 1).

Au sein de ce registre, les données suivantes sont inscrites (art. 2) :

a) Les données d'identification du débiteur ;
b) Les données d'identification de l'employeur ;
c) Les données d'identification du créancier ;
d) Les données d'identification du commissaire de justice répartiteur ;
e) Les données d'identification du commissaire de justice chargé de l'exécution ;
f) Les données permettant d'identifier les créances, actes, formalités, décisions, titres, cessions et incidents se rattachant aux procédures de saisie des rémunérations et dont l'inscription est prévue par le Code des procédures civiles d'exécution ou par les dispositions transitoires de l'article 6 du décret n° 2025-125 du 12 février 2025 N° Lexbase : L2044MYD ;
g) Les données relatives aux procédures de paiement direct ;
h) Les données permettant d'assurer la traçabilité des accès et actions des acteurs de la saisie des rémunérations.


La liste des données mentionnées par l’article 2 de ce décret sera précisée par un arrêté du Garde des Sceaux.

L’ensemble des informations relatives à la procédure de saisie des rémunérations pourront être inscrites, modifiées et supprimées par le commissaire de justice saisissant ou répartiteur.

Ces actions pourront aussi être réalisées par la chambre nationale des commissaires de justice, pour les données qui permettent d’identifier les commissaires de justice répartiteurs (art. 3).

Ce registre est consultable par tout commissaire de justice, chargé de l’exécution d’un titre exécutoire, mais aussi par la chambre nationale des commissaires de justice, pour la tenue et la transmission des données statistiques (art. 4).

Les opérations de création, de consultation, de modification et de suppression font l'objet d'un enregistrement comportant l'identification de l'auteur, la date, l'heure et la nature de l'opération dans le traitement (art. 8).

Les données mentionnées dans ce registre sont conservées jusqu’à la radiation de la procédure de saisie des rémunérations dudit registre et dans la limite d’une durée maximale de 10 ans (art. 5).

Si cette radiation n’intervient pas dans ce délai, le commissaire de justice devra renouveler ou non l’inscription de la saisie dans le registre (art. 5).

Pour l’ensemble des personnes mentionnées dans la liste des données présente dans le registre, les droits d’accès, de rectification et de limitation s’exercent auprès de la chambre nationale des commissaires de justice (art. 7).

II. Sur les dispositions relatives à la procédure de saisie des rémunérations

Le décret opère des modifications de forme dans le Code des procédures civiles d’exécution, afin d’intégrer le registre numérique des saisies des rémunérations (art. 9 et 10).

Le décret permet aussi de corriger des erreurs de référence d’article, qui étaient présentes dans le décret n° 2025-125 du 12 février 2025.

III. Sur les dispositions relatives à la formation des commissaires de justice répartiteurs

Il ressort de l’article 11 de ce décret que la durée de la formation des commissaires de justice répartiteurs est de 12 heures.

Cette dernière porte sur le calcul de la quotité saisissable des rémunérations, la procédure de saisie des rémunérations et la répartition des sommes saisies dans le cadre de la procédure (art. 11).

Enfin, la chambre nationale des commissaires de justice dresse et tient à jour la liste des commissaires de justice qui ont accompli cette formation (art. 11).

Cette liste sera publiée sur le registre numérique des saisies des rémunérations par la chambre nationale (art. 11).

newsid:492450

Voies d'exécution

[Focus] La saisie des rémunérations déjudiciarisée et l’obstacle de la recherche des informations

Lecture: 16 min

N2606B3W

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par Jérémie Bouveret, Commissaire de justice associé

Le 03 Juillet 2025

Mots-clés : saisie des rémunérations • recherche des informations • commissaire de justice • loi « Béteille » • registre numérique des saisies des rémunérations

La réforme de la saisie des rémunérations qui entre en vigueur le 1er juillet 2025 est incontestablement une avancée, pour les justiciables, les commissaires de justice, et les services judiciaires. Toutefois, ce vent de modernité se trouve ralenti par l’inertie en matière de recherche des informations. Il s’avère donc nécessaire d’accompagner cette réforme d’une autre réforme d’ampleur concernant la course à l’information en matière de procédure civile d’exécution.


 

Le 1er juillet 2025 marquera un tournant pour la profession des commissaires de justice. Cette profession, qui a connu des changements importants ces dernières années, notamment sa création par la fusion des professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, va subir une réforme d’une procédure vieille de près de 35 ans, qui n’avait que rarement été dépoussiérée.

À cette date, la procédure, qui nécessitait jusqu’à présent une validation par un juge, sera entièrement gérée par la profession : de la délivrance de l’acte à la répartition des fonds, en passant par la gestion d’un fichier centralisant toutes les procédures en cours, le registre numérique des saisies des rémunérations.

Les commissaires de justice et leurs collaborateurs suivent actuellement une formation obligatoire pour tous ceux qui souhaitent exercer la fonction de répartiteur [1]. Cette formation est essentielle pour maîtriser cette nouvelle procédure. Car, c’est bien d’une procédure « nouvelle » qu’il faut parler tant les changements sont importants et vont bouleverser les règles jusqu’alors établies. Ce bouleversement touche toutes les strates de la profession : la Chambre nationale des commissaires de justice, les instances représentatives que sont les Chambres régionales de commissaires de justice, les offices et leurs collaborateurs, mais également l’instance judiciaire puisque greffiers et magistrats n’interviendront désormais qu’en cas de contestation de la procédure.

Cette réforme, souhaitée de longue date par la profession, a enfin vu le jour. Il s’agissait de la dernière procédure d’exécution mobilière qui nécessitait un contrôle a priori du juge. Elle témoigne d’une confiance envers la profession à laquelle on reconnaît :

  • sa capacité à trouver des accords entre les parties en créant au cœur de la procédure un procès-verbal d’accord (CPC exéc., art. R212-1-5 N° Lexbase : L4071MSLet R212-1-6 N° Lexbase : L4072MSM) ;
  • sa capacité à créer, et gérer un registre numérique des saisies des rémunérations ;
  • son rôle central au sein des procédures civiles d’exécution, en confiant de façon exclusive aux commissaires de justice le rôle de mandataire à la procédure et en mettant fin à la possibilité pour les créanciers de réaliser eux-mêmes une procédure civile d’exécution.

Cette réforme témoigne du rôle que doit jouer la profession dans la déjudiciarisation de certaines procédures, et qui a été récemment réaffirmé par le rapport de la mission d'urgence relative à la déjudiciarisation (proposition numéro 20) [2].

Toutefois, cette réforme ne peut être efficace et efficiente que si en parallèle le commissaire de justice peut disposer d’informations fiables, récentes et recoupées sur l’identité du débiteur et sur celle de son employeur. Or, force est de constater qu’en l’état actuel de la législation, cette recherche d’information se heurte à des obstacles.

I. La nécessité de réformer la recherche des informations pour améliorer la procédure de saisie des rémunérations

Avant d’envisager la nécessaire réforme de la recherche des informations (B), il est nécessaire d’exposer l’état actuel de la recherche des informations et les critiques qu’elle suscite (A).

A. État actuel de la recherche des informations

Il est important de rappeler que la recherche des informations en matière de procédure d’exécution a connu une avancée significative, grâce à la loi n° 2010-1609, du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires N° Lexbase : L6393MSL, dite loi « Béteille ». Depuis cette loi, les commissaires de justice – porteurs d’un titre exécutoire – peuvent interroger certains organismes étatiques pour obtenir des informations sur leur débiteur. La différence avec les dispositions antérieures réside dans le fait que cette interrogation est directe, et ne passe plus par l’intermédiaire du procureur de la République.

Mais force est de constater que cette loi, tout aussi salutaire qu’elle fût, n’a pas donné tous les moyens nécessaires pour une efficacité accrue et qu’elle est désormais en partie obsolète pour permettre une mise en œuvre rapide et efficace des procédures, dont la nouvelle procédure de saisie des rémunérations.

Tout d’abord, cette loi n’a pas imposé de délai de traitement ou de réponse aux organismes interrogés par les commissaires de justice. En l’absence de délai, aucune sanction pour l’absence de réponse n’est envisageable. Les commissaires de justice sont donc tributaires du bon vouloir des organismes et de leur propre organisation. Il existe ainsi une grande disparité de réponses en fonction des organismes interrogés, mais également au sein d’une même administration entre les différents départements ou régions. L’égalité de traitement n’est donc pas la même pour tous. On peut aussi regretter qu’aucun annuaire n’ait été mis à la disposition des professionnels pour connaître, sans avoir à effectuer de fastidieuses recherches, les coordonnées des services compétents au sein de chaque administration pour répondre. Le commissaire de justice de Bordeaux n’a pas forcément connaissance de l’adresse e-mail dédiée pour l’envoi de sa requête à une caisse d’allocations familiales de l’Est de la France.

Ensuite, cette loi a omis de proposer ou d’imposer un mode de saisine. Aujourd’hui, certaines administrations souhaitent que soient remplis des formulaires, des tableaux, pour pouvoir répondre, là où le texte n’impose aucune forme. D’autres souhaitent des requêtes par voie postale, quand les e-mails ont pour la plupart du temps été choisis comme mode privilégié des échanges.

Ajoutons que la liste des administrations est beaucoup trop restrictive, et qu’aujourd’hui l’accès à d’autres fichiers devrait être ouvert par les textes : opérateurs de téléphonie, services d’énergie (gaz, électricité), services des eaux (qui ne détiennent en réalité qu’une délégation de service public) … En interrogeant tous ces tiers susceptibles de détenir des informations concernant le débiteur, l’efficacité des procédures d’exécution serait augmentée.

B. Améliorer les textes existants

L’amélioration de la recherche des informations ne peut passer que par la voie de modifications des textes sur lesquels elle repose. Il existe des textes propres à cette recherche (1), mais également de nouveaux textes issus de la réforme de la procédure de saisie des rémunérations (2).

1) Améliorer les textes relatifs à la recherche des informations

La première solution pour augmenter la vitesse de réponse serait donc d’avoir un traitement par un service unique au sein de chaque administration (ou organisme privé qui pourrait être interrogé en cas de modification des textes). Il est certain que les finances publiques trouveraient à y gagner et que les délais de réponse seraient raccourcis par le fait que des agents ne soient affectés qu’à cette tâche et s’y consacrent pleinement.

La deuxième solution serait une interrogation comme en matière de Ficoba ou de service d’immatriculation des véhicules par l’utilisation de l’EDI. En cette matière, une demande est envoyée électroniquement et un retour électronique est fait, dans un délai de quelques jours.

La troisième solution, celle qui se rapprocherait de certains de nos confrères de pays européens, serait un accès direct aux informations. À l’instar des autorisations accordées aux agents de l’État, pour le recouvrement de leurs propres créances ou des créances alimentaires par exemple. Il existe à ce titre une vraie inégalité entre les moyens mis à disposition des commissaires de justice pour les créances « privées » et les agents de l’État chargés de l’exécution pour les créances publiques. Toutefois, si les autorités ne semblent pas encore ouvertes à cet accès direct, notamment pour des raisons de sécurité informatique, la gestion du registre numérique des saisies par la profession des commissaires de justice devrait plaider en ce sens. Il est donc indispensable que cette gestion soit une réussite ! L’ouverture du fichier immobilier à la profession d’ici 2028, prouve que la profession peut obtenir des avancées en la matière.

Cette réforme de la recherche des informations fait l’objet d’un travail de la part de la Chambre nationale des commissaires de justice [3],et il est certain qu’en concourant au succès de cette nouvelle procédure, chaque commissaire de justice donnera le gage d’une profession exemplaire et digne d’avoir accès plus rapidement et plus facilement aux informations nécessaires à l’exercice de son ministère.

2) Améliorer les textes relatifs à la nouvelle procédure de saisie des rémunérations

En matière de saisie des rémunérations, la procédure et ses effets n’étant pas assurés, il est probable que – comme à l’heure actuelle – des tiers saisis ne répondent pas ou n’effectuent pas les versements au commissaire de justice répartiteur. Dans le cas où, dès la mise en œuvre de la procédure, le tiers saisi ne s’exécute pas, il sera possible pour le ou les créancier(s) poursuivant(s) de saisir le juge de l’exécution pour faire condamner ledit tiers saisi. Les condamnations prononcées pourront être une amende civile, des dommages et intérêts, et surtout la condamnation au paiement des sommes qu’aurait dû verser le tiers [4]. Or, comment connaître et estimer ces sommes sans avoir obtenu de réponse de sa part ? Les différents commissaires de justice ne le pourront pas. Toutefois, il a été prévu que le juge de l’exécution puisse obtenir ces informations en s’adressant « aux organismes fiscaux et sociaux dans les conditions prévues aux articles L. 152-1 et L. 152-2 pour obtenir les informations relatives au montant de la rémunération perçue par le débiteur ainsi que sur la composition de sa famille. » [5]

Si ce texte est extrêmement louable, puisqu’il va permettre de déterminer les sommes dues et donc la condamnation la plus juste – il introduit un nouveau pouvoir pour le juge, là où l’ancien article R3252-28 du Code du travail N° Lexbase : L4468IAQ ne lui donnait aucune possibilité en ce sens – il interroge. En effet, il renvoie aux articles L152-1 N° Lexbase : L1721MAY et L152-2 N° Lexbase : L9502I73 du Code des procédures civiles d’exécution. Or, ces articles sont ceux fondant les recherches d’informations des commissaires de justice.

On offre donc au juge la possibilité de connaître des informations auquel le commissaire de justice n’a pas accès, tout en lui imposant d’agir comme un commissaire de justice. Pourquoi ne pas avoir choisi d’offrir aux commissaires de justice cette possibilité lors de leurs recherches d’informations ? Les tribunaux ne pourraient-ils pas se passer de cette charge, à plus forte raison quand l’objectif de la réforme était de les décharger au maximum des affres de la procédure de saisie des rémunérations ? Il suffirait en effet que les commissaires de justice recueillent ces informations, une fois qu’ils y seraient légalement autorisés, pour pouvoir soumettre leurs demandes de condamnation au juge, fondées sur les réponses obtenues.

La question se poserait alors de savoir dans quel texte serait introduite cette possibilité, et donc de la temporalité de cette demande.

Ainsi, soit il conviendrait de modifier l’article R212-1-42, alinéa 3 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L4108MSX en précisant que le commissaire de justice en charge de l’exécution (celui représentant le créancier) puisse effectuer cette demande dès lors que le répartiteur l’informe de l’absence de versement ou de l’absence de réponse du tiers saisi, soit il conviendrait d’ajouter cette possibilité de connaître les informations relatives au montant de la rémunération perçue par le débiteur ainsi qu’à la composition de sa famille aux articles L152-1 N° Lexbase : L1721MAY et L152-2 N° Lexbase : L9502I73 du Code des procédures civiles d’exécution.

Dans la première hypothèse, cette recherche serait un complément ouvert seulement aux créanciers en charge d’une procédure de saisie des rémunérations en cours et à la condition cumulative que le tiers saisi n’ait pas répondu ou pas versé les sommes dues. Dans la seconde hypothèse, tous les créanciers porteurs d’un titre exécutoire pourraient connaître cette information. Il faut plaider pour cette seconde solution. En effet, l’instauration d’un registre numérique des saisies des rémunérations au cœur de la procédure de saisie des rémunérations prouve que cette procédure se veut et se doit d’être efficace. Ce registre permet aux commissaires de justice de juger de l’opportunité de la procédure et de ses chances de réussite. Or, si en amont, avant même la mise en place de la saisie, et alors que le registre numérique pourrait être vierge, le commissaire de justice pouvait connaître la quotité saisissable du débiteur, son choix serait encore facilité.

Il serait donc indispensable de modifier le texte à peine paru et d’ouvrir aux commissaires de justice des droits à la recherche des informations qui sont désormais accordés aux juges.

La Chambre nationale des commissaires de justice travaille actuellement à l’amélioration de la recherche des informations [6], et la profession ne peut que soutenir ce travail indispensable pour ne plus être concurrencée, en matière de recouvrement, avec des sociétés et organismes qui se procurent des informations en dehors de tout cadre légal.

II. La nécessité de créer de nouvelles possibilités de recherche des informations pour améliorer la procédure de saisie des rémunérations

Améliorer les dispositions en vigueur pour les adapter à la réalité des besoins est une solution, mais créer de nouvelles dispositions en est une autre, qui lui est complémentaire. Ces dispositions nouvelles pourraient ainsi conduire à créer des textes permettant d’interroger les employeurs (A), de faciliter l’accès à l’état civil (B), et de créer un registre numérique des éléments de solvabilité d’un débiteur (C).

A. Créer un texte permettant d’interroger les employeurs

Il est très étrange que depuis la loi « Béteille » N° Lexbase : L6393MSL, et jusqu’à la réforme actuelle de la procédure de saisie des rémunérations, personne n’ait pensé qu’il serait utile d’instaurer un texte permettant d’interroger un employeur en vue d’une procédure de saisie des rémunérations. S’il est possible d’interroger de nombreux organismes (CPAM, CAF, DDFIP…) pour connaître l’employeur déclaré et connu de leurs services, ces informations ne sont pas toujours exactes et actualisées. Pour éviter des procédures infructueuses et faire le succès de cette nouvelle procédure, une possibilité d’interrogation préalable à l’acte aurait permis de s’assurer de la réalité du lien entre le débiteur et le tiers saisi.

Aujourd’hui, seuls les organismes étatiques qui fournissent une rémunération à un débiteur (agent de la fonction publique) peuvent en réalité être interrogés par la loi Béteille (France Travail, CARSAT…) puisqu’ils entrent dans le champ de l’article L152-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L1721MAY.

Ajoutons qu’un tel texte permettrait également de s’assurer que l’employé du tiers saisi est bien le débiteur poursuivi ressortant sur le RNS. En effet, il se peut que le commissaire de justice n’ait pas l’identité complète du débiteur (nom d’usage, date et lieu de naissance…) et que sa consultation au RNS fasse ressortir plusieurs résultats « approchants ». S’il avait le droit d’interroger l’employeur, le commissaire de justice s’assurerait de ne pas faire une saisie, mais bien une intervention !

B. Faciliter l’accès à l’état civil

Avant d’engager la procédure de saisie des rémunérations, le commissaire de justice doit s’assurer de l’identité exacte du débiteur et d’éviter toute homonymie, afin de prévenir la découverte au jour de la saisie chez l’employeur d’une procédure déjà en cours, et doit pouvoir accéder facilement à ces informations. Or, il conviendrait – et la doctrine plaide en ce sens [7]  –de faciliter l’accès à un « état civil numérique » via le Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP). Ce besoin est d’autant plus grand que, face à la facilité avec laquelle un individu peut désormais changer de nom, une vérification constante au cours de la vie d’un dossier doit pouvoir être réalisée.

C. Créer un registre numérique des éléments de solvabilité d’un débiteur

Pour une efficacité totale des procédures d’exécution, il conviendrait désormais de plaider pour la création d’un fichier permettant de croiser les informations. Un fichier sur lequel les informations concernant la situation patrimoniale et la solvabilité d’un débiteur (employeur, comptes bancaires, véhicules…), et obtenues auprès d’organismes seraient listées et datées tant que des procédures d’exécution sont en cours. Cette solution limiterait les interrogations multiples et trop fréquentes pour les mêmes individus, et permettrait de recouper des informations.

Ce registre, qui semblait être impossible il y a encore quelques années, pourrait voir le jour à deux conditions : une volonté de défendre sa création et la bonne gestion du registre national des saisies.

En effet, le registre numérique des saisies des rémunérations n’est-il pas les prémices de ce fichier ? Ce nouveau registre contiendra non seulement des informations sur la procédure des rémunérations, mais constituera une source d’informations pour juger de l’efficacité possible de la saisie (montant des autres dettes, présences d’autres saisies, d’incidents tels que les saisies administratives, paiement direct…) Chaque commissaire de justice qui souhaitera engager une procédure sera alors utilement renseigné, et, s’il estime avoir des informations plus récentes et plus pertinentes (employeurs supplémentaires, nouvel employeur…), pourra venir ajouter sa pierre à l’édifice, pour garantir le succès des procédures, au plus près du patrimoine du débiteur.

 Ce registre va au-delà de celui déjà existant des sûretés mobilières.

Lors du dixième anniversaire du Code des procédures civiles d’exécution, la doctrine plaidait pour « une vision centralisée » de la recherche des informations [8]. La procédure de saisie des rémunérations est peut-être l'éclosion de cette nouvelle vision. Mais un tel registre centralisé ne verra le jour qu’à deux conditions :

  • la première est une volonté de défendre un tel projet et appartient aux représentants de la profession et aux autorités ;
  • la seconde repose sur l’ensemble de la profession : la réussite de la gestion et de l’utilisation du registre numérique des saisies des rémunérations. 
 

[1] Décret n° 2025-493 du 3 juin 2025 relatif au registre numérique des saisies des rémunérations, à la procédure de saisie des rémunérations et à la formation des commissaires de justice répartiteurs, art. 11 à 13 N° Lexbase : L8792M9I.

[2] R. Schwartz, N. Escaut, F. Agostini, P. Bougy, L. Gautier et T. Savy, Rapport : Mission d’urgence relative à la déjudiciarisation, ministère de la Justice, mars 2025 [en ligne].

[3] Chambre nationale des commissaires de justice, Vœux de la Chambre nationale des commissaires de justice pour 2025, commissaire-justice.fr, 31 janvier 2025 [en ligne].

[4] CPC exéc., art. L212-14 N° Lexbase : L3531MKY.

[5] CPC exéc., art. R212-1-42, alinéa 3 N° Lexbase : L4108MSX.

[6] Chambre nationale des commissaires de justice, Vœux de la Chambre nationale des commissaires de justice pour 2025, commissaire-justice.fr, 31 janvier 2025, précités.

[7] M. Mallet, Quand le débiteur change d’identité, LinkedIn, 22 avril 2025 [en ligne].

[8] S. Dorol, Les impasses de la recherche d’informations, in Le 10e anniversaire du Code des procédures civiles d'exécution, LexisNexis, septembre 2023.

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Voies d'exécution

[Brèves] La seule mention du nom du destinataire d’un acte sur la boîte aux lettres n’est pas de nature à établir la réalité de son domicile !

Réf. : Cass. civ. 2, 12 juin 2025, n° 22-24.741, F-D N° Lexbase : B7699AKD

Lecture: 4 min

N2506B39

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 03 Juillet 2025

La Cour de cassation précise sa jurisprudence au sujet de la signification d’un acte (V. Cass. civ. 2, 10 avril 2025, n° 23-12.313 N° Lexbase : A95250IM). Elle considère que la seule mention dans l’acte de signification, que le nom du destinataire de l’acte figure sur la boîte aux lettres, n’est pas de nature à établir, en l’absence de mention d’autres diligences, la réalité du domicile du destinataire.


Faits et procédure. Par un jugement du 10 octobre 2008, un tribunal de grande instance a condamné solidairement Mme [Y] et M. [M], à payer une certaine somme au titre d’un prêt à la consommation. Une fois la décision entre ses mains, le prêteur fait signifier aux emprunteurs la décision du tribunal. Cependant, l’huissier de justice ne parvient pas à trouver les emprunteurs à l’adresse mentionnée dans le jugement. Ce dernier constate cette situation dans un procès-verbal de recherches infructueuses.  L’huissier procède à des recherches complémentaires, et trouve une seconde adresse au sein de laquelle il parvient à signifier la décision aux emprunteurs. Pour établir la réalité du domicile des emprunteurs à cette nouvelle adresse, l’huissier se contente de vérifier la présence du nom de ces derniers sur la boîte aux lettres. Ensuite, le prêteur a poursuivi l’exécution de ce jugement, en réalisant une saisie des rémunérations du travail à l’encontre de Mme [Y]. Le 16 décembre 2020, Mme [Y] a décidé d’assigner son créancier, devant le juge de l’exécution, aux fins de voir déclarer le jugement non avenu et d’ordonner la mainlevée de la saisie. Une décision de première instance est rendue, puis un appel est interjeté devant la Cour d’appel de Chambéry. Cette dernière statue sur ce recours dans un arrêt du 22 septembre 2022 (CA Chambéry, 22 septembre 2022, n° 21/02298 N° Lexbase : A31748L7). Ensuite, Mme [Y] décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt d’infirmer le jugement de première instance qui avait déclaré nulle la signification du jugement du 10 octobre 2008, et déclaré en conséquence non avenu ce dernier, faute d’avoir été signifié dans les six mois. Au soutien de son pourvoi, Mme [Y] affirme que si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l’acte, et s’il résulte des vérifications faites par l’huissier, que le destinataire demeure bien à l’adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Mme [Y] affirme que la seule mention dans l’acte de l’huissier, que le nom du destinataire figure sur la boîte aux lettres, n’est pas de nature à établir, en l’absence de mention d’autres diligences, la réalité du domicile du destinataire. Mme [Y] considère que la simple mention de son nom sur la boîte aux lettres n’est pas de nature à établir la réalité de son domicile. Pour déclarer la signification régulière, la Cour d’appel constate que cette dernière est intervenue une seconde fois, à l’adresse découverte, par un acte au sein duquel l’huissier a mentionné les diligences réalisées. En statuant ainsi, Mme [Y] considère que la Cour d’appel a violé les articles 655 N° Lexbase : L6822H7S et 656 N° Lexbase : L6825H7W du Code de procédure civile.

Solution. La Cour de cassation approuve cette argumentation, au visa de l’article 656 du Code de procédure civile. Elle considère qu’il résulte de cet article, que si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l’acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. De ce fait, la Haute juridiction considère que la seule mention dans l’acte de signification, que le nom du destinataire de l’acte figure sur la boîte aux lettres, n’est pas de nature à établir, en l’absence de mention d’autres diligences, la réalité du domicile du destinataire. Après avoir rappelé le raisonnement des juges du fond, la Cour de cassation constate que l’huissier a réalisé une seule vérification pour établir la réalité du domicile de Mme [Y]. En l’espèce, la vérification correspond au nom de Mme [Y] qui apparaît sur la boîte aux lettres. Par conséquent, la Cour considère que cette signification est irrégulière, et elle casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry.

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Voies d'exécution

[Brèves] La prescription de l’action en liquidation d’astreinte court à compter du jour où l’astreinte a pris effet !

Réf. : Cass. civ. 2, 22 mai 2025, n° 22-22.416, F-B N° Lexbase : B3030AAH

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N2407B3K

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 03 Juillet 2025

La Cour de cassation précise sa jurisprudence au sujet du délai de prescription de l’action en liquidation d’astreinte (V. Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-22.241 N° Lexbase : A8961Y4N). Elle considère que la prescription de l’action ne court pas, de manière distincte, pour chaque jour de retard pendant lequel l'obligation n'a pas été exécutée, mais à compter du jour où l'astreinte a pris effet.


Faits et procédure. En 2003, une Cour d’appel condamne les sociétés Batimap et Sodega à régulariser un acte de vente, avec la société Paru portant sur des terrains et des immeubles, sous astreinte d’un certain montant par jour de retard, à compter de la première convocation du notaire. Par acte du 19 janvier 2021, la société Paru a assigné la société Batimap devant le juge de l’exécution, aux fins de liquidation de l’astreinte et d’allocation de dommages et intérêts pour le préjudice subi, en raison du défaut de signature de l’acte de vente, pour la période de mars 2013 à janvier 2016. Suite à la décision rendue par le juge de l’exécution, un appel est interjeté. La Cour d’appel de Basse-Terre statue sur ce recours, dans un arrêt du 25 juillet 2022. Ensuite, la société Paru décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt d’infirmer en toutes ses dispositions la décision de première instance et de déclarer irrecevable sa demande de liquidation d’astreinte. Au soutien de son pourvoi, la société Paru affirme que la dette d’astreinte de la société Batimap est née le 26 mars 2013, date à laquelle la société a été convoquée pour la signature de l’acte de vente. La demanderesse au pourvoi affirme que cette dette s’est consolidée le 27 janvier 2016, date à laquelle la société Batimap a régularisé la vente. La société Paru considère que la prescription quinquennale de l’action en liquidation d’astreinte n’a pas un point de départ unique, mais autant de points de départ que de jours compris entre le 26 mars 2015 et le 27 janvier 2016. Dès lors, la société Paru estime que pour déterminer si son action était prescrite, il convenait de se placer à la date de l’assignation, soit au 19 janvier 2021, et de remonter 5 années en arrière. Or, les juges du fond ont retenu que la prescription de l’action en liquidation d’astreinte à un point de départ unique. Pour ces derniers, le point de départ de la prescription est situé au 26 février 2013, date de la lettre portant convocation de la société Batimap par le notaire. En retenant que le délai de prescription quinquennale de l’action en liquidation d’astreinte expirait le 26 février 2018, la société Paru considère que la Cour d’appel a violé l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC.

Solution. La Cour de cassation rejette cette argumentation, en rappelant sa jurisprudence (V. Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-22.241), au sein de laquelle elle considère que l’action en liquidation d’astreinte est soumise au délai de prescription prévu par l’article 2224 du Code civil. Après avoir rappelé la lettre de l’article R. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2179ITU, la Haute juridiction considère qu’une condamnation assortie d’une astreinte confère à son bénéficiaire une action en liquidation de cette astreinte, à l’issue de laquelle celui-ci est susceptible de disposer d’une créance de somme d’argent. La Cour considère que cette condamnation n’octroie à pas à son bénéficiaire une action en paiement des sommes payables par années ou à des termes périodiques. Par conséquent, la Cour affirme que le délai de prescription de l’action en liquidation d’astreinte court à compter du jour où l’astreinte a pris effet. Ainsi, la Cour approuve l’argumentation des juges du fond et rejette le moyen de la société Paru.

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