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N0487B3G
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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contenitieux et recouvrement
Le 02 Octobre 2024
Dans le cadre de notre série d'entretiens avec des personnalités clés du domaine judiciaire, Sylvian Dorol a recueilli les propos de Laura Chesnel, commissaire de justice, au sujet du prix de la prospective 2024.
Sylvian Dorol (SD) : Quel a été le travail récompensé par le prix de la prospective 2024 ?
Laura Chesnel (LC) : Ce travail a été présenté lors de la première biennale des commissaires de justice, qui s'est tenue à Strasbourg le 28 juin 2024. Le thème central était de réfléchir à l'avenir de notre profession. La question essentielle qui animait nos discussions était : quel modèle économique pour les commissaires de justice dans un monde en pleine digitalisation ? Comme toutes les professions, nous devons relever le défi d'adapter notre métier et de le digitaliser afin de rester pertinents.
L'équipe qui a remporté le prix a axé son travail sur la notion de signification personnalisée. Nous avons exploré cette signification sous plusieurs angles.
Tout d’abord, nous avons tous pu constater que notre société se digitalise de plus en plus : tout ou presque demande désormais une connexion internet et un smartphone : pensons à l’envoi de codes SMS pour valider un paiement, pour recevoir une livraison…
Le format papier commence à être refusé par les administrations : pensons par exemple aux déclarations d’impôts sur le revenu qui, sauf exception, se font exclusivement en ligne. De même, les démarches « zéro papier » dans les entreprises et les administrations sont de plus en plus nombreuses.
Il y a donc un véritable enjeu lié au développement d’une signification dématérialisée, mais également un enjeu lié à la compréhension même de nos actes : la signification doit aussi se simplifier pour être accessible et compréhensible du plus grand nombre.
Nous avons constaté qu’en tant que commissaires de justice ou clercs assermentés, lorsque nous rencontrons les destinataires des actes, nous sommes en mesure de répondre à leurs interrogations, leurs demandes de précisions ou d’explications concernant une tournure de phrase ou un mot particulier. Beaucoup d'entre eux n'ont pas de formation juridique et peuvent ne pas comprendre des termes comme "assignation" ou "signification". En remplaçant "assignation" par "convocation en justice", nous avons pu rendre les choses plus claires.
Lorsque nous ne rencontrons pas les destinataires de nos actes, nous laissons alors un avis de passage. Ces destinataires découvrent, dans leur boîte aux lettres, cet avis les invitant à venir retirer l’assignation, ou tout autre acte les concernant à l’étude.
Souvent, ces destinataires n'osent pas appeler l’Etude pour obtenir des renseignements, ce qui les empêche de récupérer leurs actes, ne sachant pas à quoi s’attendre.
Nous envisageons d'implémenter un QR Code sur les avis de passage et les actes, renvoyant à de courtes vidéos explicatives. Ces vidéos seraient accessibles aux personnes ayant des difficultés à comprendre le français, avec des sous-titres dans les langues principales et un doublage en langue des signes. Par exemple, une vidéo expliquerait qu'une assignation est une convocation devant un juge. Elle indiquerait l'importance de bien lire cette assignation, les modalités de présentation devant le tribunal et les conditions de représentation.
Ces vidéos seraient concises et claires, utilisant un vocabulaire générique, afin de préserver la précision juridique de nos actes sans les simplifier à l'extrême.
Nous étions quatre dans mon groupe de travail : Gwenaëlle Prenelle, Mélanie Marir, Anthony Pochon et moi-même. Tous les trois sont basés au sein de la Cour d’Appel de Nancy. Pour illustrer ce fossé dans la compréhension, par les justiciables, de notre jargon juridique, ils ont réalisé un micro-trottoir diffusé lors de la biennale, interrogeant des personnes sur leur compréhension des termes « assignation », « interjeter appel » ou encore « constituer avocat ». La majorité des réponses étaient négatives, alors qu'elles étaient positives pour « convocation en justice », « faire appel » et « prendre un avocat ». Cela met en évidence un réel problème de compréhension qu'il nous faut résoudre.
Le deuxième axe de notre réflexion portait sur l’accessibilité, tant sur le plan de la compréhension que sur les dimensions visuelle et auditive. Nous avons constaté qu'en France, les problèmes de vue commencent à se manifester dès l'âge de cinquante ans. Ainsi, il peut être difficile pour certaines personnes de lire des documents en police 10. Nous avons donc envisagé d'ajouter une fonction de zoom sur nos actes, afin d'augmenter la taille de la police pour les rendre plus lisibles, en passant par exemple à une police 14 pour les personnes âgées.
Selon la date de naissance du destinataire de l’acte, lors de l’édition de nos actes, ceux-ci passeraient alors automatiquement en police de taille 14, par exemple.
Nous avons également abordé la question de l'illectronisme, qui concerne un grand nombre de personnes en France. Ce phénomène devrait s’atténuer avec le temps, à mesure que les générations plus âgées, qui n'ont pas suivi les évolutions technologiques, s’éteindront.
Une dernière piste que nous avons envisagée est l'accès à des services comme France Connect. Actuellement, ce service est utilisé par environ 35 millions de Français, ce qui représente plus de la moitié de la population. France Connect constitue une ressource précieuse en matière d'informations à jour, notamment concernant les adresses, les dates de naissance et les coordonnées. Cela nous permettrait d'accéder à une base de données fiable. Bien sûr, nous devrons respecter les normes de la CNIL et les obligations liées au RGPD. En tant qu'officiers publics et ministériels, nous sommes des tiers de confiance et devrions pouvoir obtenir un accès à ces plateformes.
Auparavant, la chambre nationale avait créé une plateforme pour l'identité numérique, qui n'a pas fonctionné et que peu de confrères connaissent : il s’agissait d’IDCERT. Si nous envisagions un service via France Connect pour donner un consentement à la signification dématérialisée, nous pourrions offrir une option où le commissaire de justice pourrait choisir d'éditer un acte pour une signification électronique ou en version papier. Évidemment, certaines actions, comme les saisies-ventes, nécessiteront toujours une présence physique.
SD : Pensez-vous que ce travail aboutira à une réforme ou, du moins, en inspirera une ? Si ce n'est pas le cas, pour quelles raisons ?
LC : Nous envisageons effectivement une réforme, notamment pour l'implémentation d'un QR code, ce qui nécessiterait une modification de l'arrêté du 21 mars 2023, qui fixe les normes de présentation des actes. Cela dit, il s'agirait davantage d'une modification de forme que de fond. En revanche, une véritable réforme porterait sur notre accès à des services comme France Connect, tout en veillant à respecter les droits des personnes et les obligations relatives à la CNIL et au RGPD.
Il est crucial d'améliorer notre accès à des informations actualisées, car les réquisitions détaillées, souvent longues à traiter, peuvent se révéler obsolètes au moment de leur réponse. L'accès à des données fiables faciliterait les échanges avec les justiciables et l'avancement des dossiers, contribuant ainsi à une meilleure signification et exécution.
SD : Avez-vous échangé avec d'autres professionnels du droit pour mutualiser cette idée ?
LC : Oui, quelques professeurs de droit se sont montrés intéressés par cette approche, accueillant l'idée de faciliter la compréhension des termes juridiques pour les justiciables. Cette question de l'accessibilité à la justice fait écho à leur mission d'informer et d'éduquer. J'ai également discuté avec des avocats de Tours qui s'interrogeaient sur le prix de la prospective. Je pense que cela peut engendrer une dynamique positive, en particulier chez certaines classes d'âge.
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par Pauline Varo et Marie Bichet, cofondatrices associées de PRÉPA CdJ & FORMATION CdJ
Le 27 Septembre 2024
De l’étude à la formation : comment s’est fait le virage vers la formation des commissaires de justice ?
PRÉPA CdJ et FORMATION CdJ, c’est tout d’abord l’histoire d’une rencontre en 2008 : nous nous sommes rencontrées sur les bancs de l’ENP, quand nous étions élèves huissiers.
Une amitié naît, et une confiance mutuelle.
Après l’obtention de notre examen professionnel, Marie part exercer en région lilloise et Pauline dans la région de Toulouse.
Pour nous deux, ces années d’exercice ne seront pas sans défis, mais elle seront très formatrices et passionnantes. Marie a à cœur de former stagiaires et collaborateurs, et Pauline intègre l’ENP en 2011 pour former à son tour les élèves huissiers.
Une passion commune naît alors : la formation, avec l’envie d’accompagner, de transmettre, d’échanger, de partager nos expériences, et notre enthousiasme pour cette profession que nous aimons exercer.
Les années passent et nos chemins se recroisent en 2018.
Nous renouons rapidement un lien solide et nous avons la même envie : s’investir encore plus dans la formation des futures générations de commissaires de justice, et en particulier en accompagnant les candidats aux examens de la profession pour les aider à surmonter les difficultés auxquelles nous avions été confrontées et que nous avions résolues seules.
Les mois passent et nos réflexions respectives mûrissent : en décembre 2019 c’est décidé ! Nous créerons la première classe préparatoire à l’examen professionnel d’huissier de justice et à l’examen d’accès à la formation de commissaire de justice.
La tâche est ambitieuse et l’investissement considérable. Malgré la période de confinement qui nous contraint à jongler entre vie professionnelle et responsabilités familiales, notre motivation à développer notre projet reste intacte.
Nous partons de zéro et il faut tout créer : une société, des statuts, un site internet, une plateforme de formation, des programmes de formation, des outils, une organisation … et bien sûr des cours à construire !
Nous ouvrons le 15 juillet 2020 pour accueillir les premiers candidats à l’examen d’accès à la formation de commissaire de justice. En septembre 2020, nous proposons les premiers stages intensifs de préparation à l’examen professionnel d’huissier de justice.
Nous construisons tout à deux, nous nous consultons pour la moindre décision, et nous nous rendons rapidement compte que nous sommes toujours d’accord ! L’organisation est facile car nous sommes complémentaires. Notre engagement et notre vision sont identiques, notre association fonctionne bien.
Petit à petit nous réussissons à nous entourer et à construire une équipe avec des personnes en qui nous avons confiance. Une équipe impliquée et professionnelle.
Rapidement des études nous sollicitent pour former leurs collaborateurs. Nous voilà dans un autre projet passionnant ! Notre objectif est de fournir des enseignements de haute qualité et de concevoir des formations concrètes et opérationnelles, spécialement adaptées pour ce public. Notre expertise du métier et notre expérience en matière de formation sont des atouts majeurs pour y parvenir.
C’est ainsi qu’en 2022 est créé FORMATION CdJ, la formation continue pour les collaborateurs des commissaires de justice et les titulaires.
Nous pouvons dire aujourd’hui que nous avons acquis la confiance des élèves, de la profession et des confrères. Et, c’est pour nous une réussite.
Gérer notre organisme de formation est une constante remise en question pour améliorer notre accompagnement et nos formations. C’est énormément de travail et parfois de pression. Mais nous sommes épanouies dans nos rôles, toujours animées par cette envie d’accompagner et de transmettre, tout en veillant à maintenir notre équilibre entre vies professionnelle et personnelle.
Si la robe de commissaire de justice reste accrochée, c’est avec un autre habit que nous intervenons dorénavant. Former est une mission tout aussi noble que d’exercer, et c’est avec passion que nous avons embrassé ce nouveau chapitre.
Pour aller plus loin : vous pouvez visualiser l'interview de Pauline Varo et Marie Bichet pour la chronique Lexbase « Les Métiers du droit »[en ligne] |
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Réf. : URSSAF, communiqué du 11 septembre 2024
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par Laïla Bedja
Le 27 Septembre 2024
► Dans un communiqué du 11 septembre 2024 diffusé sur son site internet, l’URSSAF a indiqué un renforcement du partenariat avec les commissaires de justice pour améliorer la collecte des cotisations et contributions sociales. Elle a annoncé une nouvelle convention partenariale qui marque une étape clé dans le renforcement du pilotage de la performance du recouvrement forcé des cotisations et contributions sociales.
Le nouveau partenariat entrera en vigueur le 1er janvier 2025, avec pour objectif de contribuer à la performance de la collecte des cotisations et contributions sociales, en veillant à adapter les actions et procédures en fonction des situations spécifiques des entreprises et personnes physiques débitrices.
À cette date, l'Urssaf et les commissaires de justice conventionnés adapteront les procédures de recouvrement, en fonction du profil socio-économique des usagers, permettant ainsi un accompagnement plus personnalisé. Une vigilance accrue sera appliquée dans la lutte contre le travail dissimulé. Les entreprises tentant d'organiser leur insolvabilité seront assignées plus rapidement en liquidation judiciaire, afin de garantir une saine concurrence entre les acteurs économiques. Enfin, l’engagement du recouvrement forcé s’accompagnera de la possibilité pour les commissaires de justice d’accorder des facilités de paiement ou pour l’Urssaf d’accorder des délais.
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Réf. : Décret n° 2024-874, du 14 août 2024, relatif à l’exercice en société de la profession de commissaire de justice N° Lexbase : L3123MNY
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N0346B39
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par Perrine Cathalo
Le 27 Septembre 2024
► Publié au Journal officiel du 17 août 2024, le décret n° 2024-874 du 14 août 2024 définit les modalités d'exercice sous forme de société civile professionnelle ou sous forme de société d'exercice libéral de la profession de commissaire de justice. Il fixe également les règles des sociétés en participation et des sociétés de participations financières de profession libérale de commissaire de justice.
En février 2023, l’ordonnance n° 2023-77 N° Lexbase : L7738MGP est intervenue pour pallier la diversité des textes applicables et la juxtaposition des régimes applicables à l’exercice en société des professions libérales réglementées pour consacrer un dispositif législatif unique, sécuriser le cadre juridique applicable et faciliter le développement et le financement des structures d’exercice (v. B. Brignon, Lexbase Affaires, mars 2023, n° 750 N° Lexbase : N4734BZD).
Désormais, le décret reprend principalement à droit constant le décret n° 2022-950 du 29 juin 2022 relatif à certaines sociétés constituées pour l'exercice de la profession de commissaire de justice N° Lexbase : L2736MDP. Il insère les nouveautés introduites par l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées.
Pour les sociétés civiles professionnelles (SCP)
Les dispositions du décret du 29 juin 2022 sont reprises avec quelques nouveautés :
Pour les sociétés en participation (SEP)
Les dispositions du décret du 29 juin 2022 sont reprises avec une nouveauté : la définition des mesures d’application de la constitution des SEP entre personnes physiques ou morales.
Pour les sociétés d’exercice libéral (SEL)
Les dispositions du décret du 29 juin 2022 sont reprises avec quelques nouveautés :
Pour les sociétés de participations financières de profession libérale (SPFPL)
Les dispositions du décret du 29 juin 2022 sont reprises avec quelques nouveautés :
Dispositions applicables dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle
Les dispositions du décret du 29 juin 2022 sont reprises à droit constant.
Dispositions applicables à Saint-Pierre-et-Miquelon
Les dispositions du décret n° 2022-950 du 29 juin 2022 sont reprises à droit constant.
Le décret n° 2024-874 est entré en vigueur le 1er septembre 2024. Toutefois, à compter de cette date, les sociétés de commissaire de justice disposent d’un délai d’un an pour se mettre en conformité avec les exigences du décret, à l’exception des nouvelles obligations de remontée d’informations qui s’imposent immédiatement.
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N0453B38
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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contenitieux et recouvrement
Le 27 Septembre 2024
Mots-clés : constat • nuisances • constatations • procès-verbal • drone • enregistrement déloyal
La revue Lexbase Contentieux et Recouvrement vous propose de retrouver la septième chronique portant sur le thème du constat et illustrée par les plus récentes décisions jurisprudentielles sous la forme d’un contenu original rédigé par Sylvian Dorol, correspondant également à l’évolution du Bulletin d’informations de VENEZIA, édité en partenariat avec les éditions juridiques Lexbase.
I. Avis du commissaire de justice
Un procès-verbal de constat est la relation de faits qu’a connus personnellement le commissaire de justice. Il est connu qu’il reçoit force probante à condition que l’officier public et ministériel fasse état des faits de manière objective et sans en tirer de conclusion. Mais qu’en est-il de l’avis ?
La cour d’appel de Bordeaux a eu à répondre à cette interrogation. Après avoir rappelé que l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 N° Lexbase : L8061AIE disposait que les huissiers de justice pouvaient être commis en justice pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter, elle insiste sur le fait que ce texte a été abrogé et remplacé par l'article 1er, II, 2° de l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 N° Lexbase : L4070K8A. Puis, elle édicte sa réponse : « Si la lecture du procès-verbal de constat dressé par Me [T] le 11 avril 2018 démontre que l'officier ministériel formule parfois des considérations subjectives, en indiquant que les consorts [Ab]-[E] se sont illégalement accaparés la parcelle n°[Cadastre 5], celles-ci ne seront tout simplement pas retenues par la cour sans pour autant que ses autres constatations objectives doivent également être écartées ».
En d’autres termes, et pour user d’une formule triviale, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Appliqué au constat, les juges considèrent que le procès-verbal de constat est une enveloppe, au sein de laquelle seules les constatations réalisées conformément aux exigences du législateur reçoivent force probante. Les considérations personnelles, même si elles ne doivent pas figurer au procès-verbal, ne reçoivent pas force probante et ne sont pas pris en considération par les magistrats. Il est cependant dommage que ce soit aux magistrats de rappeler aux commissaires de justice la portée de leurs actes.
II. Drone
Un drone, ça sert à quoi ? À plein de choses, dont à offrir un point de vue original au commissaire de justice constatant. Il peut constituer également la clé de voûte d’une stratégie probatoire originale comme en témoigne l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 4 juillet 2024.
En l’espèce, un propriétaire dispose d’un appartement avec vue sur mer. Un ensemble immobilier se construit devant, mais la vue est préservée grâce à une clause au terme de laquelle « que chaque propriétaire, ou locataire ... doit, à la première réquisition d'un autre propriétaire, faire élaguer ou couper les arbres se trouvant sur sa propriété et pouvant gêner ou nuire tant à l'ensoleillement qu'à la vue du terrain du plaignant ». Bien évidemment arrive ce qui devait arriver : un palmier pousse et obère la vue sur mer de la plaignante, comme il ressort d’un constat d’huissier qu’elle produit aux débats. Au terme de ce procès-verbal, le palmier est en effet dans l’axe de la vue sur mer. La partie adverse soutient cependant que le palmier n’occulte pas toute la vue, mais est seulement dans le champ de vision. Afin de le prouver, et parce qu’il était impossible d’accéder à l’appartement de la partie adverse, l’appelant recourt à un commissaire de justice équipé d’un drone, permettant de s’élever à hauteur de l’appartement et photographier la vue litigieuse.
Même si, finalement, l’appelant ne remporte pas, il faut retenir de cette décision une illustration de l’utilisation du drone dans un contentieux, autre que prendre de simples vues aériennes…
III. Enregistrement déloyal
Un salarié a déclaré avoir été victime de violences verbales et physiques commises par son employeur. La victime a saisi la même juridiction d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Les deux instances ont été jointes.
Afin de prouver les faits, le salarié produit un enregistrement de l’altercation et sa retranscription par un commissaire de justice. La cour d’appel approuve la production de cet enregistrement et admis la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle et reconnu la faute inexcusable de l’employeur.
La Cour de cassation valide ce type de preuve en relevant que deux conditions sont réunies en l’espèce :
- caractère indispensable de la preuve ;
- caractère proportionné au but poursuivi
C’est là une confirmation de l’arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023 (Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648 N° Lexbase : A27172AU) qui consacrait la recevabilité des preuves obtenues déloyalement.
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N9967BZ8
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par Patrick Gielen, Huissier de Justice (Belgique), Secrétaire Union Internationale des Huissiers de Justice
Le 26 Septembre 2024
Date : 2 décembre 2024 (8h30 - 17h30)
Lieu : Strasbourg, Palais de l’Europe – Conseil de l’Europe
Thème : Intelligence artificielle, droits humains et exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale : quelles garanties pour les justiciables ?
Le 2 décembre 2024, le prestigieux Palais de l’Europe à Strasbourg accueillera, après une première édition en 2014 et une deuxième en 2019, le 3e Forum mondial sur l’exécution, un événement incontournable pour les professionnels du droit, les experts en intelligence artificielle (IA) et les défenseurs des droits humains. Cette édition mettra en lumière les interactions cruciales entre l’IA, les droits humains et l’exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale.
Ce forum réunira des experts de renommée mondiale, des praticiens du droit, des universitaires, et des représentants d'organisations internationales pour discuter des avancées technologiques et des défis éthiques posés par l'utilisation croissante de l'IA dans le domaine juridique.
Cet événement donnera lieu à la parution d'un dossier spécial au sein de la présente revue.
Un événement unique pour aborder des enjeux cruciaux
L’intelligence artificielle révolutionne de nombreux secteurs, et la justice ne fait pas exception. Si l’IA offre des opportunités pour améliorer l’efficacité des procédures judiciaires et l’exécution des décisions, elle soulève également des questions complexes en matière de droits humains, de transparence et de régulation. Ce forum est conçu pour examiner ces enjeux sous divers angles et proposer des solutions innovantes, afin de garantir la protection des justiciables dans un cadre juridique de plus en plus automatisé.
Un programme riche et varié
Le programme de la journée (v. ci-dessous) comprendra des présentations de haut niveau sur les avancées récentes de l'IA dans le domaine de la justice, des tables rondes sur les implications de l'IA dans les procédures civiles et commerciales, ainsi que des discussions sur les enjeux éthiques et les régulations nécessaires à la protection des droits humains.
Un rendez-vous incontournable pour les professionnels du droit et de la technologie
Que vous soyez commissaire de justice, juge, avocat, universitaire, représentant d’une organisation internationale, ou expert en technologies juridiques, ce forum représente une occasion unique de vous informer, de débattre et de réseauter avec des professionnels partageant vos préoccupations et vos intérêts.
Un cadre prestigieux pour des débats de haut niveau
Organisé au Palais de l’Europe, siège du Conseil de l’Europe, ce forum bénéficie d’un cadre symbolique et prestigieux. Les participants auront l’opportunité d’échanger leurs points de vue dans un environnement propice à la réflexion et à la collaboration internationale.
Inscrivez-vous dès maintenant !
Ne manquez pas cette opportunité exceptionnelle de participer à un événement qui façonnera l’avenir de la justice à l’ère de l’intelligence artificielle. Rejoignez-nous le 2 décembre 2024 au Palais de l’Europe à Strasbourg pour une journée de discussions enrichissantes et de perspectives nouvelles sur l’exécution des décisions de justice et la protection des droits des justiciables.
Frais d’inscription : 100 euros (attention : places limitées).
Inscrivez-vous en cliquant ici
Informations : p.gielen@uihj.com
Programme de la journée
09h30 – 09h35 : Présentation du thème du 3e Forum mondial sur l’exécution
- Patrick Gielen, Secrétaire de l’UIHJ
Première partie : l’IA dans le domaine de la justice
09h35 - 10h30 : Intelligence artificielle en droit civil et commercial : état des lieux
- Marek Świerczyński, Professeur de droit (Pologne), membre du Conseil consultatif de la CEPEJ sur l'intelligence artificielle (AIAB)
- Jeannette Verspui, Cheffe du Département de la stratégie au Conseil de la Justice, juge principal au tribunal de district de Gelderland (Pays-Bas), membre adjoint de la CEPEJ, membre du CEPEJ-GT-CYBERJUST
- Jacques Bühler, Secrétaire général adjoint du Tribunal fédéral suisse, membre de la CEPEJ et du Réseau européen de cyberjustice de la CEPEJ
- Samia Chakri, Directrice de la modernisation et des systèmes d’information au ministère de la Justice du Maroc
10h30 - 11h00 : Pause-café
11h00 - 13h00 : Droits humains, éthique et régulation dans l'utilisation de l'IA
- Kristian Bartholin, Chef de l'Unité - Développement numérique CA
- Laura Jugel, Bureau européen de l’IA, Commission européenne
- Matthieu Quiniou, Maître de conférences à l'Université Paris 8 (France) dans le domaine des technologies de l'information et de la communication, avocat au barreau de Paris, membre de l’AIAB
- Maria-Giuliana Civinini, Présidente du CEPEJ-GT-CYBERJUST,
- Stefanie Otte, Présidente de la Cour d’appel de Celle (Allemagne)
- Marc Schmitz, Président de l’UIHJ (Belgique)
13h00 - 14h15 : Déjeuner libre
Seconde partie : l’IA dans la procédure d’exécution
14h15 - 15h45 : Applications pratiques de l'IA dans le procès et l'exécution
- Guillaume Payan, Professeur à l’université de Toulon (France), membre du Conseil scientifique de l’UIHJ
- Sylvian Dorol, Commissaire de justice (France), expert UIHJ
- Dovilė Satkauskienė, Directrice de la Chambre nationale des huissiers de justice de Lituanie
- Carlos Calvo, Trésorier adjoint de l’UIHJ (Luxembourg)
- Patrick Gielen, Secrétaire de l’UIHJ (Belgique)
15h45 - 16h15 : Pause-café
16h15 - 17h15 : Perspectives de l’IA
- Ana Arabuli, Bureau national de l’exécution de Géorgie (NBE)
- Paulo Duarte Pinto, OSAE (Portugal)
- Pierre Iglesias, Membre CNCJ (France)
17h15 : Propos conclusifs
- Natalie Fricero, Professeur des universités (France), membre du Conseil scientifique de l’UIHJ
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Réf. : Décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées N° Lexbase : L9340MMU
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par Étienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, Directeur scientifique de l’ouvrage Lexbase « Procédure civile », Directeur scientifique de la revue Lexbase Droit privé
Le 26 Septembre 2024
Mots-clés : procédure civile • Magicobus • fins de non-recevoir • juge de la mise en état • tribunal judiciaire • audience de règlement amiable • ARA • pensions alimentaires • commissaire de justice
Annoncé depuis le début de l’année, le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées amorce une nouvelle politique de réforme de la chancellerie. Son contenu touche de nombreux aspects de la procédure civile, et de la vie des professions judiciaires. Sur la méthode, il consacre une nouvelle manière d’appréhender la réforme de la procédure civile, que la chancellerie a maladroitement intitulée « Magicobus ».
I. La méthode « Magicobus » : le début d’une ère nouvelle ?
Le terme « Magicobus » n’est ni un sigle mystérieux ni une référence savante. Il s’agit d’un emprunt à l’univers populaire de la saga Harry Potter. Dans l’esprit, et surtout dans la communication de la chancellerie, il désigne une façon particulière de réformer la procédure civile. Dans la circulaire de présentation du décret [1], le directeur des affaires civiles et du sceau évoque de façon générale une « nouvelle méthode « Magicobus » qui se caractérise par deux grands traits : d’une part les modifications adoptées par le décret sont issues de remontées des juridictions ou des professions judiciaires ; d’autre part, le rythme des réformes devient continu, puisque la chancellerie a annoncé son intention de publier un décret tous les semestres [2]. Les décrets « Magicobus » sont ainsi décrits par la direction des affaires civiles et du sceau comme des « vecteurs réglementaires ». On doit ici comprendre que ces textes sont conçus comme des véhicules particuliers de réforme, qui sont publiés à échéances régulières et qui portent des modifications de procédures civiles souhaitées par la profession (et non pas voulues par le pouvoir politique). La référence au « bus » qui satisfait les besoins de ses usagers est ainsi mieux comprise, même si ce bus n’a rien de magique. L’expression « Magicobus » est ainsi maladroite et se prête à toute sorte de jeux de mots dans les commentaires doctrinaux, ce qui éloigne ces textes réglementaires de leur véritable objectif.
Car l’objectif est ici essentiel. Cette nouvelle méthode de réglementation acte de façon implicite l’échec de la réforme de la procédure civile depuis le début des années 2000. Cet échec se décline dans les trois grands pans de la matière : l’appel, la première instance et l’amiable. Les gouvernements successifs ont échoué à accélérer et à améliorer la procédure devant la cour d’appel, laquelle n’a jamais atteint son objectif de réduction des délais. La procédure devant le tribunal judiciaire, issue de la fusion de certaines juridictions civiles, n’a pas non plus apporté les simplifications attendues. Les questions de compétence qui avaient présidé à cette fusion sont plus complexes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient avant et l’institution judiciaire a maintenu l’instruction devant le juge de la mise en état comme la voie principale contrairement aux vœux de la chancellerie qui souhaitait transformer profondément l’orientation des affaires et leur mise en état. Enfin, l’amiable, qui a donné lieu à un nombre impressionnant de lois et décrets, ne s’est pas imposé comme un mode ordinaire de règlement des litiges. Quels que soient les efforts déployés, la chancellerie a échoué à insuffler cette culture du règlement non juridictionnel du litige.
Les grandes réformes du 21e siècle n’ont pas modifié en profondeur la procédure civile. Dans cette matière, la politique du ministère de la Justice a rencontré une forte résistance, qui pourrait s’expliquer par le fait que les grandes réformes de la matière ont été initiées par le haut. La nouvelle méthode réglementaire est donc différente. Il ne s’agit plus de penser une nouvelle procédure civile, mais de corriger les défaillances ou les lacunes de la procédure actuelle. Pour identifier ces dysfonctionnements, les services du ministère se mettent à l’écoute de la pratique professionnelle. La physionomie de la réforme en est profondément bouleversée. D’une part, le nouveau texte (et ceux à venir) ont vocation à réformer par petites touches de très nombreux domaines de la procédure civile. D’autre part, ces modifications s’opèrent à flux tendu. L’idée est ici de traiter avec régularité et rapidité tous les défauts qui sont identifiés et dénoncés sur le terrain.
Si on peut reprocher à la chancellerie de manquer d’idées [3], il faut reconnaître que cette méthode présente de nombreux avantages. En premier lieu, elle ne bouleverse pas la manière de conduire le procès et garantit une certaine forme de stabilité. En deuxième lieu, elle vise à éviter que le stock de défaillances s’accumule dans les textes au fil des grandes réformes. En troisième lieu, elle est mieux reçue par les milieux professionnels qui en sont à l’initiative.
S’il est difficile de présenter ce décret « Magicobus 1 » dans un plan structuré, on peut tout de même considérer que le décret aborde des questions qui touchent au droit commun procédural et d’autres, qui concernent les procédures spéciales.
II. Les questions de droit commun procédural abordées par le décret
A. Le traitement des fins de non-recevoir en première instance
C'est la partie la plus importante du décret du 3 juillet 2024. Il s’agit là d’une réorganisation du régime des fins de non-recevoir qui avait été entièrement réécrit en 2019. Cet aspect du décret fait l’objet d’un commentaire spécifique auquel nous renvoyons [4]. Nous présentons ici les principales innovations et ce que cela va changer dans la pratique des fins de non-recevoir en procédure écrite.
En 2019, le pouvoir réglementaire a confié au juge de la mise en état la compétence de statuer sur les fins de non-recevoir. Il s’agissait de permettre le règlement de toutes les questions purement procédurales au stade de la mise en état afin que la formation de jugement ne se prononce que sur le fond du dossier. Il s’agissait également d’éviter qu’une action irrecevable (par exemple, prescrite) fasse l’objet d’un traitement procédural complet jusqu’à la juridiction du fond. L’intention était bonne, mais elle a conduit à un alourdissement de la charge de travail au stade de l’instruction du dossier. Certaines fins de non-recevoir étaient soulevées tardivement (à la fin de l’instruction) et certaines parties utilisaient l’appel immédiat comme une arme pour retarder la procédure. Les modifications visent donc à permettre au juge de la mise en état (JME) de mettre en œuvre sa compétence de façon plus efficace.
1/ Le JME peut renvoyer l’examen de la fin de non-recevoir à la formation de jugement, non seulement en raison de la complexité de l’affaire, mais également de l’état d’avancement de l’instruction (CPC, art. 789 al. 8 N° Lexbase : L9730MMC). Concrètement, cela signifie que lorsqu’une partie tente de prolonger l’instruction en soulevant une fin de non-recevoir alors que l’affaire est en état d’être jugée et que l’instruction est sur le point d’être close, le JME n’est pas tenu de statuer. La procédure suit son cours et la demande sera traitée en même temps que le fond du dossier. Les parties devront donc reprendre cette prétention dans leurs conclusions récapitulatives. La décision du JME est une mesure d’administration judiciaire dont un avis est donné aux avocats.
2/ L’appel immédiat de la décision du JME sur les fins de non-recevoir a aussi posé des difficultés, car il était utilisé par certains plaideurs de façon dilatoire. Désormais l’appel immédiat est réservé aux exceptions de nullité, incidents d’instance et fins de non-recevoir qui mettent fin à l’instance. Dans ces situations, l’appel immédiat se comprend logiquement. À l’inverse, s’il n’est pas mis fin à l’instance, l’appel de la décision du JME est différé (avec le jugement sur le fond CPC, art. 785 al. 6 N° Lexbase : L3371MIP). Ici, la réforme ne touche pas seulement les fins de non-recevoir, mais également les exceptions de nullité. Par ailleurs, l’appel sur les fins de non-recevoir sera traité selon la procédure ordinaire devant le conseiller de la mise en état et non plus, comme c’était le cas depuis 2020, selon la procédure à bref délai (CPC, art. 906 N° Lexbase : L7238LES).
3/ La fin de non-recevoir peut s’accompagner d’une question de fond. Par exemple, pour savoir quel est le délai de prescription de l’action, il faut déterminer auparavant quelle est la nature de cette action, question qui relève du fond. Depuis la réforme de 2019, le JME détient la compétence pour statuer sur cette question de fond. Cette compétence est maintenue, mais elle est transférée à l’article 125, alinéa 3, du Code de procédure civile N° Lexbase : L9729MMB, dans les dispositions communes à toutes les juridictions. Désormais, tout juge saisi d’une fin de non-recevoir peut trancher la question de fond préalable. Dans le texte initial de 2019, les parties pouvaient s’opposer à ce que le juge tranche la question de fond lorsque l’affaire ne relevait pas de la compétence du juge unique. Cette mention est supprimée de l’article 789 du Code de procédure civile, mais ce pouvoir d’opposition semble maintenu. Selon la circulaire c’est directement l’article L. 212-1 CPC (qui définit les matières relevant de la collégialité), qui permet aux parties de s’opposer à ce que le JME tranche une question de fond. Par ailleurs, de façon un peu radicale, la circulaire prétend que « le système de navette entre le juge de la mise en état et la formation de jugement est supprimé ». La navette a effectivement été supprimée de l’article 789 du Code de procédure civile, mais si la question de fond échappe au JME, car elle relève de la formation collégiale, rien ne précise quelle est la procédure à suivre. La question se pose alors de savoir si le juge doit refuser de statuer sur la fin de non-recevoir et renvoyer à la formation de jugement, ou s’il doit saisir le tribunal pour avoir une réponse sur la question de fond, avant de reprendre le dossier pour statuer sur la fin de non-recevoir. Sur ce point, la simplification a surtout provoqué un flou qui sera peut-être corrigé dans un prochain décret semestriel.
4/ La circulaire apporte une précision pédagogique sur un dernier point, qui concerne la date d’apparition de la fin de non-recevoir. Ce point fait l’objet d’une harmonisation introduite à l’article 802 du Code de procédure civile N° Lexbase : L3376MIU. Cette disposition prévoit que les fins de non-recevoir, ainsi que les exceptions de procédure, incidents d’instances et demandes formées en application de l’article 47 CPC (dépaysement de l’affaire) qui sont révélés après la clôture de l’instruction sont recevables et peuvent faire l’objet de nouvelles conclusions. La circulaire va plus loin en distinguant deux types de situations. Lorsqu’une fin de non-recevoir est révélée avant la clôture, elle doit être soulevée avant l’ordonnance de clôture devant le juge de la mise en état à peine d’irrecevabilité. En revanche, lorsque l’irrecevabilité est révélée après la clôture, la demande peut faire l’objet de nouvelles conclusions. Il faut alors à nouveau distinguer deux situations. Le JME est compétent pour statuer sur cette fin de non-recevoir jusqu’à l’ouverture des débats ou la date fixée pour le dépôt des dossiers. Après cette date, c’est la formation de jugement qui doit statuer sur cette fin de non-recevoir (CPC, art. 799 in fine N° Lexbase : L3373MIR).
Pour bien comprendre ce nouveau régime des fins de non-recevoir, il conviendra de lire attentivement la circulaire d’application, car le décret a certainement modifié de nombreux points, mais en supprimant et en déplaçant plusieurs alinéas, il n’a pas fait preuve d’une grande clarté. C’est là un des inconvénients de cette méthode : elle est difficilement lisible.
B. L’extension du champ d’application de l’audience de règlement amiable
L’audience de règlement amiable a été créée il y a un an par le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 N° Lexbase : L3217MIY. Cette création avait une vocation expérimentale, puisque cette procédure de règlement amiable du litige avec l’aide d’un juge était initialement réservée au tribunal judiciaire.
Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de bilan statistique de cette procédure amiable, mais dans leur rapport au garde des Sceaux, publié au mois de juin dernier, les ambassadeurs de l’amiable évoquent « un vrai succès en marche » en indiquant notamment que l’ARA (l’audience de règlement amiable) a été appliquée de façon générale dans les juridictions notamment par son introduction dans les ordonnances de roulement [5]. La phase expérimentale étant en quelque sorte achevée, le rapport des ambassadeurs évoque le projet d’extension à la matière commerciale, mais également à la cour d’appel.
Cette étape d’extension débute ainsi avec le décret du 3 juillet, qui concerne les différentes juridictions statuant en matière commerciale. La possibilité de convoquer les parties à une audience de règlement amiable est désormais offerte :
- au président du tribunal judiciaire statuant comme juge des loyers commerciaux ;
- au tribunal de commerce
- au juge chargé d’instruire l’affaire du tribunal de commerce ;
- au président de ce tribunal statuant en référé, de même qu’au président de la chambre commerciale des tribunaux judiciaires d’Alsace-Moselle statuant en référé.
Cette ouverture de l’ARA à la matière commerciale traduit aussi un changement de conception de son domaine d’application. Ainsi, la circulaire d’application du 17 octobre 2023 prévoyait que l’ARA était ouverte uniquement dans les procédures écrites ordinaires et dans les procédures de référé devant le tribunal judiciaire. Cette limitation n’était pas inscrite dans le décret, mais la circulaire la justifiait par le fait qu’en procédure écrite « les justiciables ont rarement accès directement au juge ». Avec l’extension à la matière commerciale, l’ARA fait son introduction dans les procédures orales. La justification avancée par le ministère ne tient plus réellement et rien ne s’oppose vraiment à introduire l’ARA dans la procédure sans représentation obligatoire. Cette question n’est pourtant pas évoquée. En pratique, dans ces procédures, l’amiable relève des conciliateurs de justice et non du juge.
La méthode d’introduction de l’ARA au sein des juridictions judiciaires est particulière. En principe, il n’existe aucun obstacle à ce que l’ARA soit applicable à toutes les juridictions, mais sa mise en place nécessite un travail administratif au sein des juridictions qui nécessite que l’institution soit prête à accueillir cette procédure. Il est nécessaire de l’insérer dans l’ordonnance de roulement et, plus encore, de former les juges à s’approprier cette technique nouvelle de résolution des litiges. C’est probablement la raison pour laquelle seule la matière commerciale est concernée par le décret du 3 juillet. Il n’en reste pas moins que l’ARA constitue aujourd’hui, dans l’esprit de la chancellerie, un outil majeur de sa politique de l’amiable.
III. Les procédures particulières modifiées par le décret
En droit de la famille, lorsqu’un couple se sépare et qu’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants est décidée, le versement de cette pension alimentaire peut passer par l’intermédiation financière d’un organisme public. Cet organisme est chargé de percevoir la pension alimentaire auprès du débiteur et de la payer au créancier. La charge du recouvrement de la pension repose donc sur l’organisme. Cette procédure est aménagée à l’article 1074-4 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9741MMQ, qui est légèrement retouché par le décret.
En particulier, lorsque la séparation des parents est prononcée par un juge, le greffe doit transmettre un « extrait exécutoire » à l’organisme d’intermédiation. Le décret précise que cet extrait « reproduit l'en-tête et le dispositif du jugement. », qu’il est certifié conforme à la minute par le greffe et revêtue de la formule exécutoire.
Le décret aménage aussi la procédure dans l’hypothèse où le domicile du débiteur de la pension est inconnu. Le parent créancier qui doit alors signifier la décision de justice. Le greffe, quant à lui, doit transmettre à l’organisme débiteur l’extrait exécutoire dans les sept jours du prononcé du jugement.
Enfin, le décret précise que la signification au débiteur de la pension, par l’organisme d’intermédiation de l’extrait de la décision de justice, ou de la copie de la convention homologuée par le juge, ne fait pas courir les délais pour exercer les voies de recours.
Cette procédure figure dans le Code de la santé publique. Ce texte prévoit que le directeur de l’établissement où se déroule cette mesure doit transmettre au greffe des informations et des pièces nécessaires à l’audition du patient par le juge des libertés et de la détention qui contrôle cette mesure (CSP, art. R. 3211-33-1 N° Lexbase : L1444MCH). Le délai de transmission au greffe est raccourci. Il passe de 10h à 6h afin de faciliter le travail de préparation de l’audition par le greffe, puisque le juge est tenu de statuer dans un délai de vingt-quatre heures (CSP, art. R. 3211-39 N° Lexbase : L1449MCN).
La simplification profite ici au ministère public, lequel est dispensé d’assister à l’audience lorsqu’il est partie principale, à moins que le juge n’en fasse la demande (CPC, art. 1226 N° Lexbase : L3109LW3). Il s’agit là d’une dérogation à la règle plus générale de l’article 431 du Code de procédure civile N° Lexbase : L3109LW3 selon laquelle le ministère public est tenu d’assister aux audiences dans les cas où il est partie principale.
La circulaire ne s’explique pas sur cette simplification, mais la raison semble évidente. Dans le contentieux de la protection, lorsque le procureur de la République agit en tant que partie principale, il s’agit généralement de pallier la défaillance des proches ou de répondre à une alerte d’un organisme médico-social (hôpital, assistant(e) social(e)). Le procureur peut également requérir un médecin pour obtenir un certificat médical. Le rôle du ministère public consiste donc à initier une procédure, à aider à réunir les pièces du dossier, mais ce dernier peut ensuite laisser au juge des tutelles le soin de choisir et d’adopter la mesure de protection la plus adaptée.
La procédure de saisine pour avis de la Cour de cassation est adaptée aux procédures urgentes. Par principe, le juge qui sollicite l’avis de la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu’à la réception de l’avis. Cette procédure n’est toutefois pas adaptée, chaque fois que le juge doit se prononcer dans l’urgence. L’obligation de surseoir à statuer est incompatible avec le délai imposé au juge pour trancher le litige. En pratique, cela empêche le juge d’obtenir un avis, alors même que la position de la Cour de cassation pourrait présenter une utilité pour les contentieux à venir.
L’article 1031-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2676K8M est ainsi modifié en prévoyant qu’il n’est pas sursis à statuer si le juge doit se prononcer dans un délai n’excédant pas trois mois ou dans l’urgence. Le sursis à statuer peut alors s’imposer devant la cour d’appel, sauf si cette dernière est elle-même obligée de respecter le délai imposé au premier juge. L’avis de la Cour de cassation risque d’intervenir après la décision de justice, ce qui peut constituer une difficulté si la décision est définitive. La procédure est donc davantage conçue comme une saisine pour l’avenir.
Les commissaires de justice peuvent exercer certaines activités accessoires. Ils peuvent être administrateurs d’immeuble, agents d’assurances ou médiateurs (décret n° 2021-1625 du 10 décembre 2021, art. 29 N° Lexbase : Z76251TP). Le décret du 3 juillet ajoute une nouvelle activité accessoire : intermédiaire immobilier en vue de la vente d’un bien dont ils assurent l’administration (s’ils ont reçu un mandat écrit du propriétaire) ;
On signale également qu’un autre décret n° 2024-659 du 2 juillet 2024 N° Lexbase : L9050MM7 relatif au contrôle des comptes de gestion leur permet d’exercer en tant que professionnel qualifié chargé de la vérification et de l'approbation des comptes de gestion de majeurs protégés.
La dernière retouche concerne la composition des juridictions disciplinaires des officiers ministériels, dont les membres sont nommés par arrêté du ministre de la Justice. Désormais, les magistrats et magistrats honoraires ne sont plus « proposés », mais « désignés » par les chefs de cour (décret n° 2022-900 du 17 juin 2022 relatif à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels, art. 29 N° Lexbase : L1594MDE).
IV. La péremption d’instance : la grande absente du décret
Au regard de ces différentes modifications, on comprend que l’ambition de ce premier décret dit « Magicobus » est finalement assez modeste. Si le régime des fins de non-recevoir est sensiblement modifié, pour le reste, les retouches sont très limitées. Il s’agit moins d’un texte de réforme, que d’un texte d’ajustements.
On peut ainsi regretter que certaines modifications ou clarifications majeures soient ignorées. Il en est ainsi de la péremption d’instance, qui a donné lieu à un important revirement de jurisprudence en mars 2024 [6], et pour laquelle de nombreux acteurs appellent à une clarification plus générale dans le Code de procédure civile [7]. Il s’agit en particulier d’introduire une règle selon laquelle le délai ne court pas à l’égard d’une partie qui n’a plus de diligence à accomplir.
À son origine, le projet de décret prévoyait une réforme timide du régime de la péremption, mais les arrêts du 7 mars 2014 ont conduit, soit à reporter, soit à renoncer à cette modification. Toutefois, ces arrêts se sont prononcés sur la péremption durant l’instance d’appel et il n’est pas possible de savoir si la solution sera appliquée telle quelle en première instance.
Il devient donc nécessaire d’introduire dans le Code de procédure civile une nouvelle règle selon laquelle la péremption ne court pas à l’égard de la partie qui a accompli toutes les diligences procédurales qui lui sont imposées. Une telle règle générale dispenserait ainsi les parties de demander au juge la fixation d’une date de clôture ou d’audience dans le seul but de voir le délai de péremption interrompu.
Sur cette question, il faudra donc attendre la fin de l’année 2024 et le décret du second semestre pour savoir si la chancellerie s’est saisie de cette question.
V. Entrée en vigueur
Le décret entre en vigueur le 1er septembre 2024 est, par principe, il est applicable aux procédures en cours.
Quelques aménagements sont prévus :
- la suppression de l’appel à bref délai de l’article 906 (ancien article 905 5° N° Lexbase : L3386MIA) pour les fins de non-recevoir est applicable aux appels introduits après le 1er septembre ;
- le nouveau délai dans la procédure de contrôle d’une mesure d’isolement est applicable aux saisines du juge postérieures au 1er septembre ;
- le pouvoir de désignation des magistrats dans les instances disciplinaires des officiers ministériels est entré en vigueur le lendemain de la publication du décret.
[2] M. Lartigue, La DACS, cheville ouvrière du volet civil du plan pour la justice, Gaz. Pal., 30 juillet 2024, n° 26, p. 5. ; Direction des affaires civiles et du sceau, Rapport d’activité 2023, p. 3.
[3] Cf. par ex. M. Barba, Magique procédure civile, Dalloz, 2024, p. 961.
[4] C. Bouland, Décret « Magicobus 1 » et traitement des fins de non-recevoir : le législateur joue-t-il aux apprentis sorciers ?, Lexbase Droit privé, septembre 2024, n° 994 N° Lexbase : N0193B3K.
[6] A. Martinez-Ohayon, Péremption d’instance en appel : la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence !, Lexbase Droit privé, mars 2024, n° 977 N° Lexbase : N8676BZD - Y. Ratineau, Péremption d’instance : faut-il vraiment se réjouir du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation ?, Lexbase Droit privé, mars 2024, n° 979 N° Lexbase : N8845BZM.
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Réf. : Décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées N° Lexbase : L9340MMU
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par Clint Bouland, Docteur en droit privé et sciences criminelles, Qualifié aux fonctions de maître de conférences
Le 11 Septembre 2024
Mots-clés : procédure civile • fins de non-recevoir • juge de la mise en état • tribunal judiciaire • compétence exclusive • compétence partagée • incidents de mise en état • avocats
Digne d’une véritable saga (à succès ?), le traitement des fins de non-recevoir dans les litiges relevant de la compétence du tribunal judiciaire a connu moult rebondissements ces dernières années. Initialement confié à la connaissance du seul tribunal, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile est venu bouleverser cette logique, en rendant le juge de la mise en état, lorsqu’il est saisi, seul compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir à l’exclusion de toute autre formation du tribunal. Source de difficultés pratiques et de lourdeurs procédurales, ce changement de paradigme, pourtant justifié par une volonté de simplification et de rationalisation du temps de l’instance, s’est avéré assez largement contreproductif et les critiques des praticiens n’ont pas tardé à se faire entendre, reprochant en substance au législateur de jouer aux apprentis sorciers. Prenant acte de ces difficultés, ce dernier a récemment lancé son plus beau sort « Reparo », en adoptant le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 1 ». Est désormais prévue, en certaines circonstances, ce qui pourrait s’apparenter à une compétence partagée du juge de la mise en état et de la formation de jugement du tribunal pour statuer sur ces fins de non-recevoir.
Il est des sagas qui parviennent aisément à nous tenir en haleine, sans jamais nous lasser, et ce malgré la récurrence de leurs épisodes. Serait-ce le cas de ce que l’on pourrait désormais nommer le « cycle des fins de non-recevoir » ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que la question de leur traitement, dans les litiges relevant de la compétence du tribunal judiciaire, a pu faire couler beaucoup d’encre, tant de la part du législateur (l’auteur) que de la doctrine et des praticiens (les critiques). En outre, s’il nous est permis de filer davantage la métaphore, force est de constater que ce « cycle » respecte scrupuleusement le schéma narratif classique commun à tout bon récit.
La situation initiale présente ainsi l’existence de règles procédurales simples, faisant de la formation de jugement du tribunal, de grande instance à l’époque, la seule compétente pour statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par les parties au litige.
L’élément perturbateur survient cependant par l’adoption du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3, venu bouleverser cette logique bien établie. Outre la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance en tribunaux judiciaires, est désormais consacrée par l’article 789 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9322LTG la compétence exclusive du juge de la mise en état (JME) en matière de traitement des fins de non-recevoir, à l’exclusion de toute autre formation, sauf exceptions relativement rares en pratique.
Or, comme nous le rappelle l’adage, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et si ce changement de paradigme était justifié par la volonté du législateur de simplifier et de rationaliser le temps de la procédure, en permettant au JME de statuer en amont sur une fin de non-recevoir susceptible d’entraîner l’extinction de l’instance, de nombreux effets pervers non anticipés se sont vite révélés. La multiplication des incidents de mise en état, l’allongement des délais d’audiencement devant le JME et plus généralement l’accroissement des délais de traitement des dossiers, ou bien encore le risque accru pour les avocats de voir leur responsabilité civile professionnelle engagée dans l’hypothèse où une fin de non-recevoir n’aurait pas été soulevée à temps, sont autant de péripéties auxquelles se sont vus confrontés les praticiens. Le principe de la compétence exclusive du JME dans le traitement des fins de non-recevoir a ainsi pu être assez largement critiqué et le succès de la réforme, sur cette question, n’a pas été au rendez-vous.
Ayant entendu les doléances des principaux concernés, le législateur a récemment lancé son plus beau sort « Reparo », en adoptant le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 1 » N° Lexbase : L9340MMU, qui entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2024. Celui-ci permet notamment au JME, saisi d’une ou de plusieurs fins de non-recevoir, de renvoyer ces questions à la formation de jugement lorsque leur complexité ou l’état d’avancement de l’instruction le justifie, laissant le soin au tribunal de statuer tant sur l’irrecevabilité des demandes que sur le fond du dossier, à l’issue de la phase de mise en état. Par ce décret « Magicobus 1 », c’est donc une voie de compromis qui est recherchée en matière de fin de non-recevoir, entre les acquis de la réforme de la procédure civile du 11 décembre 2019 d’une part, et une réponse idoine aux problèmes pratiques soulevés par cette dernière d’autre part. Serait-ce là l’élément de résolution tant attendu ?
À l’instar d’Harry Potter devant son chaudron, c’est par voie d’expérimentations que le législateur semble procéder : d’une compétence exclusive de la formation de jugement du tribunal à une compétence exclusive du JME pour connaître des fins de non-recevoir (I.), le décret « Magicobus 1 » consacre désormais, en certaines circonstances, ce qui pourrait s’apparenter à une compétence partagée entre ces deux acteurs (II.).
I. La situation ante décret « Magicobus 1 » : la compétence exclusive du Juge de la mise en état dans le traitement des fins de non-recevoir
Opérant une réforme d’ampleur de la procédure civile, le décret du 11 décembre 2019 a notamment bouleversé le traitement des fins de non-recevoir. Jusqu’alors confié au tribunal dans sa formation de jugement, le juge de la mise en état, dans le cas où celui-ci serait saisi, se voit désormais doté d’une compétence exclusive en la matière (A). Bien que justifié par des impératifs de célérité et de rationalisation de la procédure, ce changement de paradigme a vite montré ses limites, voire même s’est avéré contreproductif, faisant regretter le système antérieur aux praticiens (B).
A. Le principe de la compétence exclusive du juge de la mise en état
Définies comme tout moyen tendant à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir [1], les fins de non-recevoir se voyaient initialement confiées à la compétence exclusive de la formation de jugement du tribunal de grande instance.
En effet, si l’ancien article 771 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9313LT4 réservait un domaine de compétence propre au JME, il ne touchait mot des fins de non-recevoir. Retenant le caractère exhaustif de la liste énumérée par ledit article, la jurisprudence à fort logiquement pu en déduire d’une part que, sauf dispositions spécifiques, le JME n’était pas compétent pour en connaître [2], et d’autre part que les incidents mettant fin à l’instance visés par l’alinéa 2 de l’article 771 précité ne les comprenaient pas davantage [3].
Cette jurisprudence constante et bien établie a cependant été renversée par l’adoption du décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Véritable changement de paradigme en la matière, le traitement des fins de non-recevoir fut alors transféré, en vertu de l’article 789 du Code de procédure civile, à la compétence du seul JME lorsque la demande était présentée postérieurement à sa désignation.
Une exception, expressément prévue, subsistait cependant : lorsque le traitement de la fin de non-recevoir nécessitait que soit préalablement tranchée une question de fond [4]. En cette hypothèse, il était prévu que le JME connaisse de ces deux sujets. Cependant, en cas d’opposition des parties, il était tenu de renvoyer l’affaire devant la formation de jugement, laquelle devait statuer non seulement sur la question de fond préalable, mais également sur la fin de non-recevoir soulevée, sans que l’instruction ne soit close. Ce renvoi pouvait en outre être ordonné d’office par le JME s’il l’estimait nécessaire. Certaines questions pratiques ont toutefois échappé à la vigilance du législateur, ce dernier ayant par exemple omis de se prononcer sur les recours ouverts à l’encontre des décisions rendues par la formation de jugement statuant après renvoi du JME, non prévus par l’ancien article 795 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8605LYD. La doctrine était divisée sur le sujet, certains auteurs concluant en l’absence de recours possibles, d’autres en l’inclusion implicite de ces décisions de la formation de jugement dans le champ de l’article 795 [5]. Moins d’un an après l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure civile, le législateur apportait finalement un correctif via le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 N° Lexbase : Z7419194, prévoyant expressément la possibilité d’un appel portant non seulement sur la fin de non-recevoir et sur la question de fond tranchées par la formation de jugement sur renvoi du JME.
Célérité, économies et rationalisation, tels étaient les maîtres-mots ayant guidé l’élaboration de la réforme. Célérité tout d’abord, car en consacrant la compétence du JME en lieu et place de la formation de jugement, le législateur visait un traitement rapide, dès le stade de l'instruction, d'un dossier qui en tout état de cause avait vocation à mourir dans l’œuf en raison de l'existence d’une fin de non-recevoir mettant fin à l’instance. Économies ensuite, car ce faisant on évitait aux parties des frais de procédure inutiles, conséquence du maintien en vie artificielle du litige jusqu’à la saisine de la formation de jugement. Rationalisation enfin, car l’intervention du JME avait désormais pour effet de purger le dossier de l'ensemble des moyens susceptibles d’entraîner l’irrecevabilité des demandes de l’une ou l’autre des parties : débarrassée de ce contentieux, la formation de jugement pouvait ainsi ne s’attacher qu’à l’analyse du fond du litige. Ce d’autant plus que l’article 789 du Code de procédure civile prévoyait expressément, à titre de sanction, l'irrecevabilité des demandes formulées sur le fondement d’une fin de non-recevoir soulevée tardivement devant la formation de jugement, après dessaisissement du JME.
B. Les conséquences de la compétence exclusive du juge de la mise en état
Malgré ces louables intentions, nul besoin d’avoir suivi les cours de divination du Professeur Trelawney pour anticiper les conséquences pratiques indésirables résultant de ce transfert de compétence vers le JME. Des auteurs ont d’ailleurs très vite alerté sur ces effets pervers [6].
Par un effet de vase communicant des plus logiques, ce que la formation de jugement du tribunal perd en contentieux, le Juge de la mise en état le gagne. Certes, l’intervention en amont du JME supposait que ce contentieux soit traité plus rapidement, mais tel n’a pourtant pas été le cas, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le principe même de l’exclusivité de la compétence du JME, combiné à la sanction de l’irrecevabilité des demandes qui seraient formulées tardivement une fois celui-ci dessaisi, entraîne un accroissement mécanique de ce contentieux au stade de la mise en état. Il est en effet dans l’intérêt des parties de multiplier les demandes afin de s’assurer de n’omettre aucun fondement susceptible d’entraîner l’extinction de l’instance. La réelle menace pesant sur l’avocat, qui se manifeste par le risque de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée en cas d’omission, l’incite également à l’excès de zèle. Plus rarement, c’est à dessein et dans une stratégie dilatoire que certains conseils multiplient les demandes distinctes, qu’ils peuvent en outre soulever peu avant la fin de l’instruction, retardant de plusieurs mois, voire années, le traitement du dossier sur le fond.
En résulte alors une large augmentation des incidents de mise en état portant sur des fins de non-recevoir : le JME ne se voit pas confier un volume de contentieux identique à celui que devait traiter la formation de jugement du tribunal, mais bien supérieur.
Cet accroissement des demandes entraîne nécessairement une augmentation des délais d’audiencement devant le JME, étant par ailleurs précisé que le nombre de juges de la mise en état est variable d’une juridiction à l’autre, mais en tout état de cause inférieur au nombre de magistrats susceptibles de composer la formation de jugement pour connaître du fond du litige. Pour faire face à cet afflux massif de contentieux tout en conservant des délais de traitement « raisonnables », certaines juridictions n’ont alors eu d’autre choix que de confier des fonctions de JME à des magistrats qui jusqu’alors en étaient dépourvus, augmentant ainsi significativement leur charge de travail déjà conséquente ainsi que celle du greffe.
La plupart des dossiers sont alors plaidés deux fois, voire davantage selon le nombre d’incidents soulevés durant la phase d'instruction : devant le JME, puis devant la formation de jugement dans l’hypothèse, de loin la plus fréquente, où la fin de non-recevoir soulevée n’aurait pas permis de mettre fin à l’instance.
Ces délais de traitement, déjà conséquents, sont en outre rallongés en cas d’appel formé par une partie devant le conseiller de la mise en état (CME) contre l’ordonnance rendue par le JME. Un sursis à statuer s’impose alors dans l’attente de la décision du CME. Comble de la complexité procédurale, il est parfois possible d’assister à un véritable « saucissonnage » du litige, en cas d’appel formé à l’encontre d’une décision de la formation de jugement qui se serait prononcée à la fois sur une fin de non-recevoir et sur une question de fond préalable après renvoi par le JME, conformément aux dispositions de l’article 795 du Code de procédure civile tel qu’il résulte du décret du 27 novembre 2020. Litige qui aura vocation à revenir devant le JME de la juridiction du premier degré dans l’hypothèse, fréquente, où l’appel devant le CME n’aurait pas permis de mettre fin à l’instance.
Force est donc de reconnaître qu’aucun des objectifs avancés en 2019 n’a été atteint. Le contentieux relatif au traitement des fins de non-recevoir s’est largement multiplié, entraînant un accroissement conséquent des délais ; celui-ci s’est accompagné d’une augmentation du coût de la procédure pour les parties, directement fonction de la multiplication des audiences devant le JME et, le cas échéant, devant le CME ; la complexité du circuit procédural constitue enfin un obstacle à l’objectif de rationalisation voulu par le législateur.
II. La situation post décret « Magicobus 1 » : vers une compétence partagée du juge de la mise en état et de la formation de jugement dans le traitement des fins de non-recevoir ?
Conscient des difficultés précédemment exposées, le législateur est récemment intervenu en adoptant le décret du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 1 ». Ce dernier a vocation, selon les dires de la Chancellerie [7], à corriger les conséquences indésirables rencontrées depuis la réforme de la procédure civile, tout en conservant ses apports essentiels, à savoir la rationalisation du traitement des fins de non-recevoir et le principe de l’intervention en amont du JME. C’est uniquement lorsque cette intervention sera susceptible d’être source de lourdeurs et de ralentissements procéduraux qu’un renvoi vers la formation de jugement sera envisageable, sous certaines conditions. Serait-ce donc là la formule magique tant attendue par les praticiens ? Il convient, pour répondre à cette question, de s’intéresser plus précisément aux apports de ce décret (A) ainsi qu’à sa portée pratique (B).
A. Les apports du décret « Magicobus 1 »
Pour les quelques « moldus » qui seraient restés étrangers aux aventures du célèbre sorcier à lunettes rondes, le Magicobus est, dans l’œuvre de J.K. Rowling, un moyen de transport magique apparaissant aux sorciers en perdition, à leur demande, afin de les conduire à bon port en moins de cinq minutes. Par ce surnom abracadabrant et non dépourvu d’humour de « méthode Magicobus », la Chancellerie entend permettre aux praticiens de lui faire remonter diverses problématiques pratiques qu’ils sont amenés à rencontrer, afin d’y remédier en procédant à des modifications ciblées des dispositions de procédure civile, par l’adoption de décrets à intervalles réguliers. Si cette méthode traduit à n’en pas douter une véritable prise en compte bienvenue des difficultés de terrain, certains auteurs ont également pu porter un regard assez critique sur la façon de procéder [8].
Ainsi, par ce décret « Magicobus 1 », le législateur souhaite apporter une solution aux difficultés rencontrées dans le traitement des fins de non-recevoir, tout en conservant l’esprit ayant guidé l’adoption de la réforme de la procédure civile de 2019.
Pour ce faire, le nouvel article 789 du Code de procédure civile autorise un renvoi à la formation de jugement, par le JME, dans deux hypothèses : lorsque la complexité de l’affaire ou lorsque l’état d’avancement de l’instruction le justifie. Il appartiendra alors aux parties ayant soulevé la fin de non-recevoir devant le JME de reprendre ce moyen dans les conclusions qui seront adressées à la formation de jugement. Cette dernière se chargera d’examiner la fin de non-recevoir renvoyée, préalablement à l’étude du fond du dossier. Un tel renvoi peut donc répondre, en théorie, à deux objectifs distincts, mais convergents : éviter qu’un contentieux trop complexe, supposant la collégialité, ne surcharge le rôle du JME, ou bien encore éviter le ralentissement de la procédure résultant d’une fin de non-recevoir soulevée peu avant la fin de l’instruction.
Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une véritable compétence partagée du JME et de la formation de jugement pour traiter les fins de non-recevoir, puisque celles-ci restent par principe dévolues au seul JME [9], sauf décision de renvoi de ce dernier dans les cas spécifiquement mentionnés. Par ailleurs, est conservée la sanction de l’irrecevabilité de la demande lorsqu’elle est soulevée tardivement par les parties, après dessaisissement du JME [10].
Il convient toutefois de noter que la possibilité désormais offerte au JME de renvoyer la fin de non-recevoir devant la formation de jugement ne s’impose nullement à lui. Il conserve par ailleurs, pour le cas où il n’userait pas de cette faculté, sa compétence pour connaître d’une question de fond préalable nécessaire au traitement de la fin de non-recevoir. Seulement, le fondement textuel de cette compétence se voit transféré de l’ancien article 789 du Code de procédure civile au nouvel article 125 du même code N° Lexbase : L1421H4E. Sont en outre supprimées les dispositions spécifiques consacrant la possibilité, pour les parties, de s’opposer à ce que le JME connaisse d’une telle question de fond préalable, en lieu et place de la formation de jugement. Le législateur a en effet estimé que les dispositions prévues à ce titre par l’ancien article 789 faisaient double emploi avec celles résultant déjà de l’article L. 212-1 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7728LPW, pouvant aboutir au même résultat [11].
Autre apport essentiel et largement sollicité par les praticiens, le nouvel article 795 du Code de procédure civile tel qu’issu du décret du 3 juillet 2024 supprime la possibilité pour les parties de former immédiatement appel des ordonnances rendues par le JME statuant sur une fin de non-recevoir, exception faite de celles qui auraient effectivement mis fin à l’instance. Désormais et en cas de rejet de la fin de non-recevoir invoquée, seul l’appel différé sera ouvert, après décision rendue sur le fond du litige par la formation de jugement.
B. La portée du décret « Magicobus 1 »
Il est permis d’espérer que le décret du 3 juillet 2024 permettra de corriger bon nombre des effets indésirables issus de la réforme de la procédure civile de 2019. Nul doute que les praticiens directement concernés par ces questions accueilleront, pour la majorité d’entre eux, ces dispositions avec soulagement. La Commission texte du Conseil national des barreaux avait d’ailleurs d’ores et déjà pu, le 2 février 2024, émettre un avis favorable à l’égard des dispositions relatives aux fins de non-recevoir alors contenues dans le projet de décret [12].
Si le législateur ne fait assurément pas pleinement machine arrière, cette faculté désormais offerte au JME de renvoyer ces fins de non-recevoir devant la formation de jugement à l’issue de l’instruction, par simple mention au dossier, assurera une certaine souplesse dans le traitement des litiges, permettant d’apporter une réponse proportionnée et adaptée à la particularité de chaque dossier, à la condition que les magistrats s’en saisissent.
À ce propos, et à s’en tenir au texte, si un tel renvoi ne semble possible que lorsque la complexité de la fin de non-recevoir soulevée ou lorsque l’état d’avancement de l’instruction le justifie, le nouvel article 789 du Code de procédure civile prend cependant utilement le soin de préciser que cette décision de renvoi constitue une mesure d’administration judiciaire, par conséquent insusceptible de recours conformément aux dispositions de l’article 537 du même codeN° Lexbase : L6687H7S. Le JME disposera donc d’une appréciation souveraine pour déterminer l’opportunité d’un tel renvoi, eu égard aux conditions posées. Bien utilisé, ce nouvel article 789 pourrait par conséquent constituer un outil efficace dans la gestion des flux et stocks des dossiers d'une chambre.
La suppression des appels immédiats des ordonnances rendues par le JME, pour le cas où ce dernier aurait conservé sa compétence et en cas de rejet de la demande, permettra par ailleurs de fluidifier le traitement du contentieux. Le risque d’enlisement ou bien encore de « saucissonnage » des dossiers au stade de l’instruction s’en trouve alors largement réduit.
En ce sens, même si le chemin aura été semé d’embûches et en grande partie parcouru à tâtons, il y a des raisons de penser que le décret « Magicobus 1 » pourrait finalement approcher les objectifs de célérité, d’économies et de rationalisation que la réforme de 2019 n’avait pas permis d’atteindre.
Reste cependant une ombre au tableau, conséquence insoluble de la volonté du législateur de ne pas trahir l’esprit de cette dernière. En effet, si le décret « Magicobus 1 » permet de corriger certaines des conséquences malheureuses de la réforme de la procédure civile, il ne supprime pas leur principale cause, à savoir le principe même de la compétence exclusive du JME en matière de fin de non-recevoir à l’égard des parties. Comme vu précédemment, ces dernières et leurs conseils sont toujours tenus de les soulever au stade de l’instruction du dossier, sous peine d’irrecevabilité. Ils restent donc tout autant incités à multiplier les demandes devant le JME par voie de conclusions d’incident, et non par conclusions au fond. Pèse par ailleurs toujours sur l’avocat la menace de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée en cas d’omission malheureuse d’une fin de non-recevoir. C’est sans doute là le prix à payer du compromis voulu par le législateur.
Pour aller plus loin : lire le commentaire du Professeur Etienne Vergès, Décret « Magicobus 1 » : la réforme de la procédure civile en flux tendu, Lexbase Droit privé, septembre 2024, n° 994 N° Lexbase : N0195B3M ; |
[1] CPC, art. 122 N° Lexbase : L1414H47.
[2] Cass., avis, 13 février 2012, n° 11-00.008 N° Lexbase : A1097IXW ; Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 10-10.044, FS-P+B+I N° Lexbase : A3238G73, RTD Civ., 2011, n° 2 p. 382, note P. Théry ; RCDIP, 2011, n° 3 p. 716, note H. Gaudemet-Tallon.
[3] Cass., avis, 13 novembre 2006, n° 06-00.012 N° Lexbase : A1096IXU, Gaz. Pal., 2009, n° 46 p. 7, note E. Raskin ; RTD, Civ., 2007, n° 1 p. 177, note R. Perrot.
[4] Ainsi en va-t-il, par exemple, lorsque la question de la prescription nécessite au préalable, pour pouvoir être tranchée, qu’il soit statué sur la nature de l’obligation litigieuse ou de l’acte juridique qui lui a donné naissance.
[5] M. Barba, Nouvelles retouches de l'appel civil ou le syndrome de la réforme permanente. À propos du décret numéro 2020-1452 du 27 novembre 2020, D., 2021, n° 1 p. 39 ; S. Amrani-Mekki, Décret n° 2020-1452 réformant (encore !) la procédure civile, JCP G., 2020, n° 51 p. 2252.
[6] Ch. De Haas, La réforme de la dévolution des fins de non-recevoir ou l'échec annoncé d'une volonté de simplification, Communication - Commerce Électronique, 2020, n° 10 p. 12.
[7] V. not. la circulaire de présentation du décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 dit « Magicobus 1 » portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées [en ligne].
[8] M. Barba, Magique procédure civile, D., 2024, n° 20 p. 961.
[9] Comme continue à le rappeler le nouvel article 789 du Code de procédure civile.
[10] Sauf exceptions mentionnées à l’al. 4 du nouvel article 802 du Code de procédure civile.
[11] COJ, art. L. 212-1 : Le tribunal judiciaire statue en formation collégiale, sous réserve des exceptions tenant à l'objet du litige ou à la nature des questions à juger.
[12] Simplification de la procédure civile en première instance : les mesures prévues dans le projet de décret Magicobus 1, Gaz. Pal., 2024, n° 5.
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 26 Septembre 2024
La revue Lexbase Contentieux et recouvrement vous propose de retrouver dans un plan thématique, une sélection des décisions (I.), qui ont fait l’actualité de la procédure civile de juin à septembre 2024, ainsi que toute l’actualité normative (II.), classées par thèmes et mots-clés, pour vous permettre une lecture fluide et pertinente des évolutions récentes.
I.Actualité jurisprudentielle
♦ Anonymat
Cass. civ. 1, 5 juin 2024, n° 23-12.525, FS-B N° Lexbase : A14525GU : l'identité d'une plaignante, souhaitant rester anonyme, ne peut être révélée que si cette information contribue à nourrir le débat d'intérêt général. Dès lors, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6565H7B, selon lequel tout jugement doit être motivé, et que le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs, en ne répondant pas aux conclusions d’une plaignante, victime d’un viol, qui ne souhaitait pas la médiatisation de son affaire à la différence des victimes s'inscrivant dans les mouvements #balancetonporc et #metoo, mais voulant saisir la justice d’une plainte en conservant l’anonymat.
♦ Mesures d’instruction in futurum
Cass. civ. 2, 13 juin 2024, n° 22-10.321, F-B N° Lexbase : A78855HI : constituent des mesures légalement admissibles, des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge, de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant est proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. Il ne peut refuser d'ordonner une mesure d'instruction au motif que le demandeur ne rapporte pas la preuve de faits que cette mesure a pour objet d'établir.
Cass. com., 11 septembre 2024, n° 22-24.160, F-B N° Lexbase : A53505YS : viole l'article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 une cour d'appel qui ordonne, sur le fondement de ce texte, une mesure d'instruction ne visant, en réalité, qu'à fournir aux actionnaires minoritaires demandeurs des informations sur des opérations de gestion, relevant comme telles du mécanisme prévu à l'article L. 225-231 du Code de commerce N° Lexbase : L2194LYW, et non à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.
par Perrine Cathalo
♦Fin de non-recevoir
Cass. civ. 2, 4 juillet 2024, n° 21-21.968, F-B N° Lexbase : A68285MT : la fin de non-recevoir fondée sur la prescription de l'action, soulevée par l'intimé à l'occasion de l'appel d'un jugement ayant condamné en paiement les appelants, constitue un moyen de défense à l'appel principal, qui n'a pas à faire l'objet d'un appel incident.
par Yannick Ratineau
Cass. civ. 2, 4 juillet 2024, n° 21-20.694, FS-B N° Lexbase : A68345M3 : si, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 N° Lexbase : L7036LEC et 908 N° Lexbase : L2401MLI à 910 N° Lexbase : L2403MLL du Code de procédure civile, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, tel n’est pas le cas d’une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée de plusieurs transactions qui ne constitue pas une prétention sur le fond, mais un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir.
par Yannick Ratineau
Cass. civ. 2, 12 septembre 2024, n° 21-14.946, F-B N° Lexbase : A77035YX : la clause de conciliation préalable stipulée dans un contrat constitue une fin de non-recevoir s’imposant au juge lorsque les parties l’invoquent.
♦ Procédure d’appel à bref délai
Cass. civ. 2, 13 juin 2024, n° 22-13.648, F-B [LXB= A78945HT] : dans les procédures fixées selon les dispositions de l’article 905 du Code de procédure civile N° Lexbase : L3386MIA, les dispositions de l’article 908 N° Lexbase : L7239LET du même code ne sont pas applicables. Dès lors, est censuré, l’arrêt d’appel retenant l'absence d'application de l'article 908 du Code de procédure civile, dans une procédure fixée selon les dispositions de l'article 905 du même code, à la condition que la fixation de l'affaire à bref délai intervienne dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel, revenant à ajouter à la loi une condition qu’elle ne comporte pas.
♦ Demandes nouvelles en cause d’appel
Cass. soc., 18 septembre 2024, n° 22-17.737, F-B N° Lexbase : A97355ZL : la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse présentée par un salarié pour la première fois en cause d’appel au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité tend aux mêmes fins que celle, soumise aux premiers juges, qui visait à obtenir l’indemnisation de la rupture du contrat de travail par l’employeur pour manquement à l’obligation de reclassement ; partant la demande doit être déclarée recevable (troisième moyen) ;
Il appartient aux juges du fond de rechercher eux-mêmes, dans le cadre d’une demande d’indemnité spéciale de licenciement, si l’inaptitude avait au moins partiellement pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle et si l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement (sixième moyen).
par Laïla Bedja
♦ Effet dévolutif
Cass. civ. 2, 12 septembre 2024, n° 22-13.810 N° Lexbase : A76975YQ : lorsque l’appel tend à l’annulation d’une ordonnance de mise en état ayant rejeté une demande de sursis à statuer, la cour d’appel est saisie de l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel ; elle est ainsi tenue de statuer sur le fond, quelle que soit sa décision sur la nullité.
♦ Opposition
Cass. civ. 2, 4 juillet 2024, n° 22-14.681, F-B N° Lexbase : A68375M8 : il résulte d’une lecture combinée des articles 576 [LXB=L6731H7G], 914 N° Lexbase : L2415MLZ, et 916 N° Lexbase : L2426MLG du Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL, que le conseiller de la mise en état n'est pas compétent pour statuer sur la recevabilité de l'opposition formée contre un arrêt rendu par défaut par une cour d'appel ; il en résulte que la cour d'appel, qui, sur déféré, confirme l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré irrecevable l'opposition formée par une partie contre un arrêt rendu par défaut, consacre l'excès de pouvoir ainsi commis et viole les textes susvisés.
par Yannick Ratineau
Cass. civ. 2, 4 juillet 2024, n° 21-25.801, F-B N° Lexbase : A68275MS : Il résulte des articles 2 et 4 de la loi du 31 décembre 1903 relative à la vente de certains objets abandonnés N° Lexbase : Z80685RR, que le propriétaire peut former opposition à l'ordonnance sur requête ordonnant la vente publique du bien à la demande du professionnel, lorsqu'il n'aura pas été entendu dans les conditions prévues à l'article 2 de la loi précitée, l'opposition ayant pour seul objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées ; dès lors, la cour d'appel, qui a constaté que l'ordonnance du juge avait été rendue après un débat contradictoire tenu à l'audience au cours de laquelle le propriétaire avait comparu et développé ses moyens de défense, en a exactement déduit que son opposition à l'encontre de cette décision était irrecevable.
♦ Recours en révision
Cass. civ. 2, 4 juillet 2024, n° 22-13.575, F-B N° Lexbase : A68385M9 : en matière de recours en révision, il résulte des articles 424 N° Lexbase : L7262LEP et 600 N° Lexbase : L8424IUK du Code de procédure civile que le ministère public n'est pas partie principale, mais partie jointe, de sorte que les dispositions de l'article 978 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7856I4Q ne s'appliquant pas, la déchéance du pourvoi, faute de signification du mémoire ampliatif au procureur général de la cour d'appel, n'est pas encourue ;
La condition de recevabilité du recours en révision, tenant à l'existence d'un jugement passé en force de chose jugée, s'apprécie au jour de l'introduction de ce recours ;
Lorsqu'un recours en révision a été formé prématurément contre une décision rendue en matière familiale, objet d'un pourvoi suspensif en application des articles 1086 et 1087 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1543H4W, ce texte n'interdit pas à son auteur de former un second recours en révision contre la même décision, après désistement de son pourvoi, sans que la partie ait à invoquer une nouvelle cause de révision tant que le premier recours en révision n'a pas été examiné ou déclaré irrecevable.
par Yannick Ratineau
♦ Concentration des moyens et juridiction étrangère
Cass. civ. 2, 4 juillet 2024, n° 19-23.298, F-B N° Lexbase : A85945I7 : si la règle prétorienne de concentration des moyens impose au demandeur à une action en paiement de présenter, dès l'instance initiale, l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à justifier sa demande, il n'y a pas lieu d'étendre le champ de cette règle lorsque l'instance initiale se déroule devant une juridiction étrangère, son application étant de nature à porter une atteinte excessive au droit d'accès au juge en ce qu'elle n'est pas, dans ce contexte, suffisamment prévisible et accessible.
par Yannick Ratineau
♦ Signification
Cass. civ. 2, 12 septembre 2024, n° 22-13.949, F-B N° Lexbase : A77005YT : la signification des actes de procédure à une personne morale est valide lorsqu'elle est faite à l’adresse de son siège social non contesté, même si celui-ci se situe dans une pépinière d’entreprises et ne correspond pas au lieu d'exploitation de l’activité ; l'huissier de justice n'a pas l'obligation de rechercher un autre lieu de signification.
♦ Secret professionnel / notaire
Cass. civ. 2, 12 septembre 2024, n° 22-14.609, F-B N° Lexbase : A76985YR : le notaire ne peut délivrer expédition ni donner connaissance des actes qu'il a établis à d'autres personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit, sauf néanmoins l'exécution des lois et règlements sur le droit d'enregistrement et de ceux relatifs aux actes soumis à une publication, sans une ordonnance du président du tribunal judiciaire ; une ordonnance du président du tribunal judiciaire est nécessaire dans ce cas, lequel doit statuer après avoir entendu ou appelé le demandeur et le dépositaire.
II. Actualité normative
Décret n° 2024-622 du 26 juin 2024 relatif au transfert à titre provisoire d'une juridiction et modifiant l'article R. 124-1 du Code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L7799MMS : publié au Journal officiel du 28 juin 2024, prévoit l’extension de la période maximale durant laquelle tout ou partie des services d'une juridiction peut être transféré à titre provisoire dans une autre commune du ressort de la même cour d'appel, lorsque la continuité du service de la justice ne peut plus être assurée au sein du bâtiment où siège la juridiction dans des conditions offrant les garanties nécessaires au maintien de la sécurité des personnes et des biens.
par Anne-Lise Lonné-Clément
Décret n° 2024-673, du 3 juillet 2024, portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées N° Lexbase : L9340MMU : a été publié au Journal officiel du 5 juillet 2024, le décret n° 2024-673, du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 2024-1 », qui met en œuvre le plan d'action pour la justice sous l'angle des mesures de simplification de la procédure civile ; il porte également sur les règles statutaires des commissaires de justice et la désignation des magistrats siégeant au sein des juridictions disciplinaires des officiers ministériels.
Pour aller plus loin : lire : E. Vergès, Décret « Magicobus 1 » : la réforme de la procédure civile en flux tenduN° Lexbase : N0195B3M ; C. Bouland, Décret « Magicobus 1 » et traitement des fins de non-recevoir : le législateur joue-t-il aux apprentis sorciers ? N° Lexbase : N0193B3K Lexbase Droit privé, septembre 2024, n° 994. |
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Réf. : INFO959, Le traitement des fins de non-recevoir devant le tribunal judiciaire à compter du 1er septembre 2024, Procédures N° Lexbase : X5900CRX
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N0361B3R
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par Charles Simon, avocat au Barreau de Paris, administrateur de l’Association des avocats et praticiens des procédures et de l’exécution (AAPPE) et de Droit & Procédure
Le 26 Septembre 2024
Pour accéder à l'infographie, INFO959, Le traitement des fins de non-recevoir devant le Tribunal judiciaire à compter du 1er septembre 2024, Procédures N° Lexbase : X5900CRX.
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Réf. : Cass. civ. 2, avis, 11 juillet 2024, n° 24-70.001, FS-B N° Lexbase : A44075PW
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N0387B3Q
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par Bertrand Jost, Docteur en droit, Maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord
Le 26 Septembre 2024
Mots-clés : autorité de chose jugée • clauses abusives • juge de l’exécution • contrôle • réputé non-écrit
Lorsque l’exécution forcée d’une obligation conventionnelle est fondée sur une décision de justice, le juge de l’exécution peut tout de même contrôler le caractère abusif des clauses du contrat si le premier juge ne l’a pas fait. Il peut, donc, réputer ces clauses non-écrites. Il lui reviendra ensuite, sans modifier ni annuler le titre exécutoire, de recalculer le montant que le créancier a droit d’obtenir.
1. On se souvient que le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris avait, le 11 janvier 2024, saisi la Cour de cassation pour avis, afin de savoir s’il lui était permis de contrôler les clauses abusives contenues dans le titre exécutoire juridictionnel fondant les poursuites et, le cas échéant, comment procéder [1]. Six mois plus tard [2], la réponse au premier volet de la question ne provoque guère la surprise : la Cour de cassation sacrifie de nouveau l’autorité de chose jugée sur l’autel de la protection du consommateur et du droit communautaire (I.). Quant à la réponse au second volet, elle a un goût d’expédient (II.).
I. La permission du contrôle
2. Rappelons les termes du problème. L’exécution forcée d’une obligation conventionnelle est sollicitée sur le fondement d’une décision de justice – laquelle sert de titre exécutoire – et les difficultés corrélatives entraînent la saisine du juge de l’exécution ; le caractère abusif de certaines clauses du contrat n’a pas été soulevé dans le cadre du premier procès [3].
Le titre exécutoire juridictionnel est revêtu de l’autorité de la chose jugée dont on sait qu’elle interdit – pour d’évidentes raisons de sécurité juridique – de juger de nouveau une affaire déjà tranchée, sous réserve de l’exercice des voies de recours disponibles.
La chose jugée couvre aujourd’hui un vaste périmètre, en raison de l’exigence de concentration des moyens qui pèse aussi bien sur le demandeur que le défendeur, et qui signifie que ce dernier est tenu présenter l’ensemble de ses moyens de défense dès la première instance [4]. Or peut-on douter qu’invoquer le caractère abusif d’une clause afin de faire obstacle en tout ou partie aux prétentions du demandeur soit une défense au fond [5] ? Il s’ensuit que cette question, même non traitée, devrait être couverte par l’autorité de chose jugée.
Par ailleurs, le juge de l’exécution n’est pas un juge habilité à réformer ou annuler quelque décision judiciaire que ce soit via les voies de recours les plus communes. Il est, par conséquent et en principe, lié par l’autorité de chose jugée qui assortit le titre exécutoire présenté devant lui.
En bonne orthodoxie, donc, si le juge de l’exécution estimait qu’une clause du contrat justifiant les poursuites était abusive, il n’y devrait rien pouvoir faire : pour le débiteur, il serait trop tard.
Toutefois, l’ambition du droit communautaire, qui entend bénéficier d’une effectivité toute particulière, perturbe depuis quelque temps le schéma exposé ci-dessus. À plusieurs reprises déjà, la Cour de justice a estimé que l’autorité de chose jugée ne peut pas faire obstacle à l’application du droit de l’Union en matière de clauses abusives [6]. Les considérations de fond débordent sur les considérations procédurales, et font planer le spectre de procès réitérés.
3. Sans en faire mystère, la Cour de cassation s’aligne sur la position de la Cour de justice, comme elle l’avait déjà fait [7]. Ite, missa est : le juge de l’exécution peut réputer non écrite la clause dans le dispositif de sa décision (n° 17).
II. Les répercussions du contrôle
4. À ce stade, cependant, la contradiction entre un tel jugement et le titre exécutoire n’est pas encore flagrante. Par hypothèse, après tout, la question du caractère abusif de la clause n’a pas été encore tranchée, quoiqu’elle relève du périmètre de la chose déjà jugée.
Toutefois, l’éviction de la clause entraînera sans doute une modification des droits du créancier (sinon, pourquoi la demander ?) fixés dans le titre exécutoire. Or l’article R. 232-1 alinéa 2 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2358ITI interdit au juge de l’exécution de modifier le titre exécutoire juridictionnel [8]. Comment faire ?
Tout simplement, en n’explicitant rien : c’est ce que la Cour de cassation vient préciser dans cet avis. Le juge de l’exécution ne modifiera pas le titre exécutoire formellement puisqu’il n’en a pas le droit, mais il calculera de nouveau le montant de la créance dont l’exécution est poursuivie, le titre exécutoire étant « privé d’effet en tant qu’il applique la clause abusive réputée non écrite » (n°30). Si cela réduit à néant les sommes dues au créancier, la mainlevée de la voie d’exécution contestée devra être ordonnée (n° 31).
La Cour de cassation aurait pu inviter les juges du fond à procéder à un contrôle de conventionnalité, qui leur aurait permis d’écarter ce texte au nom du principe d’effectivité des normes européennes. La voie choisie est plus discrète, sans doute.
Le résultat, en revanche, ne varie pas : l’autorité de la décision servant de titre exécutoire est sérieusement amputée et, avec elle, la sécurité juridique à laquelle le créancier était en droit de prétendre, notamment face à un débiteur qui n’a pas usé en temps utile des voies de recours qui lui étaient offertes et dont il était informé. La fiabilité des titres exécutoires revêtus de l’autorité de la chose jugée est désormais plus qu’incertaine, lorsque l’obligation sous-jacente est issue d’un contrat entre professionnel, d’une part, et consommateur ou non-professionnel, d’autre part.
5. Plusieurs des critiques qui peuvent être adressées à une telle solution ont déjà été formulées [9] et nous voudrions plutôt, par conséquent, nous attarder sur l’esprit du raisonnement de la Cour de cassation.
Celui-ci est essentiellement imprégné de hiérarchie des normes : en témoignent le « préambule » (n° 5) des motifs de l’avis, qui cite l’arrêt Simmenthal de la Cour de justice (le juge national doit « appliquer intégralement le droit communautaire » [10] et a le pouvoir d’écarter [11] toute règle qui l’en empêcherait – ici, l’autorité de chose jugée), les très nombreuses références à la jurisprudence supranationale et à son autorité supérieure [12], certaines formules tout à fait remarquables (« la jurisprudence de la CJUE n'impose pas au juge de l'exécution d'indiquer dans le dispositif de sa décision un chef de dispositif réputant la clause non écrite [;] elle ne le prohibe pas non plus ») [13]. C’est dire que la Cour de cassation semble avoir uniquement cherché à articuler les solutions françaises avec les exigences européennes, et s’être souciée avant tout de ne pas dépasser des limites qui lui auraient été assignées.
Seule comptant la pyramide des normes, les valeurs mises en cause par le débat sont occultées ou négligées. On ne peut que regretter que l’occasion n’ait pas été saisie d’engager la discussion par une forme de résistance à l’approche de la Cour de justice, comme le font parfois les cours d’appel envers la Cour de cassation. Discussion sur le périmètre de la chose jugée, par exemple (n’est-il pas trop large ?), ou sur le juste équilibre entre protection substantielle des consommateurs et stabilité offerte par les règles de procédure [14], ou encore sur l’acceptabilité sociale d’une multiplication des planches de salut au profit d’une seule catégorie d’acteurs économiques. Par où l’on voit ce qu’un raisonnement exclusivement mené en termes de hiérarchie normative peut sembler appauvrissant [15], lorsqu’il donne à croire que la question des axiomes est laissée à l’appréciation d’autorités lointaines dont on se refuse à discuter les conclusions.
À retenir :
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[1] TJ Paris, 11 janvier 2024, n° 20/81791 N° Lexbase : A32602D4, note C. Hélaine, Examen des clauses abusives lors d’une procédure civile d’exécution : applications pratiques, Dalloz actualité janvier 2024 ; JCPN, 2024.225, obs. J. Lasserre Capdeville ; B. Jost, Le juge de l’exécution et les clauses abusives contenues dans le titre exécutoire, Lexbase Contentieux et recouvrement, mars 2024, n° 5 N° Lexbase : N8752BZ8.
[2] Cass. avis, 11 juillet 2024, n° 24-70.001, FS-B N° Lexbase : A44075PW, à paraître (non publié dans le Bulletin de juillet 2024).
[3] Si le caractère abusif de la clause a été déjà étudié, le juge de l’exécution ne peut réitérer. Sur ce point, v. B. Jost, note précitée, n° 11.
[4] Cass. com., 20 février 2007, n° 05-18.322 N° Lexbase : A4129DUH, Bull. civ. 2007.IV.52, n° 49, Procédures 2007/6, comm. n° 128, note R. Perrot.
[5] Il est bien question de faire rejeter la prétention de l’adversaire comme non justifiée, après examen au fond du droit (CPC, art. 71 N° Lexbase : L1286H4E), sans demander un avantage supplémentaire qui caractériserait une demande reconventionnelle (CPC, art. 64 N° Lexbase : L1267H4P). Comp., en matière de nullité : Ass. Plén., 22 avril 2011, n° 09-16.008 N° Lexbase : A1066HP8, Bull. civ. AP 2011.22, n° 4, D. 2011.1870, note O. Deshayes et Y-M. Laithier, RTD civ. 2011.795, obs. P. Théry.
[6] Par exemple : CJUE, 17 mai 2022, aff. C-693/19 et C-831/19, SPV Projekt 1503 Srl c/ YB, N° Lexbase : A16667XY, D. 2022.1162, obs. G. Poissonnier, D. 2023.616, obs. E. Poillot, D. 2023.1282, obs. J-D. Pellier (n° 50 et s., spéc. n° 68).
[7] Notamment : Cass. civ. 2, 13 avril 2023, n° 21-14.540, FS-B+R N° Lexbase : A02289P7, Bull. civ. 2023/4, p. 186, 199, 233, D. 2023.1282, obs. J-D. Pellier, RTD civ. 2023.730, obs. N. Cayrol.
[8] CPCEx, art. R. 232-1 alinéa 2 N° Lexbase : L2358ITI « Le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution. ».
[9] B. Jost, note précitée, n° 11 et s.
[10] CJCE, 9 mars 1978, aff. C-106/77, Administration des finances de l’Etat c. Société anonyme Simmenthal N° Lexbase : A5639AUE, n° 21.
[11] Même arrêt, n° 22.
[12] Avis étudié, n° 6-10, n° 14, n° 18-24, n° 29.
[13] Avis étudié, n° 15.
[14] La Cour de justice de l’Union n’a-t-elle pas énoncé elle-même qu’il « importe de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée » ? « En effet, […] en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour l’exercice de ces recours ne puissent plus être remises en cause » (CJUE, 17 mai 2022, aff. C-693/19 et C-831/19, SPV Projekt 1503 Srl c/ YB, N° Lexbase : A16667XY, n° 57, précité).
[15] Comp. B. Beignier, Hiérarchie des normes et hiérarchie des valeurs ; Les principes généraux du droit et la procédure civile, Mélanges Catala, Litec, 2001, p. 153.
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Réf. : CA Paris, 1, 10, 20 juin 2024, n° 23/15899 N° Lexbase : A62325LE
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par Jérémie Bouveret, Commissaire de justice associé
Le 02 Octobre 2024
Mots-clés : fauteuil roulant • expulsion • sort des meubles • difficultés d’exécution • personnes handicapées • inventaire
Cet arrêt est venu statuer sur le sort des objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades, présents lors des opérations d’expulsion, qui n’ont pas été retirés, pour leur accorder une protection particulière.
Le praticien qu’est le commissaire de justice doit parfois s’interroger lors de ses opérations d’exécution sur la nature des meubles et sur la protection légale dont ils pourraient bénéficier. Ainsi, en matière d’exécution mobilières, il n’est pas rare qu’un meuble suscite le questionnement quant à sa saisissabilité, la plupart du temps sur le fondement de son caractère nécessaire à la vie du débiteur.
Lorsqu’il se trouve sur des opérations d’expulsion, le commissaire de justice qui doit inventorier les biens, doit également indiquer s’ils ont une valeur marchande, il décide donc du sort des meubles et parfois la frontière entre le statut de meuble et de déchets est poreuse. Mais, jusqu’à présent, la pratique de l'expulsion n'avait pas fait l'objet de décision sur le sort des meubles qui relève du statut des biens indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades.
Il faut très certainement attribuer ce manque de décisions judiciaires :
La décision rendue le 20 juin 2024 par la cour d’appel de Paris est donc une rareté jurisprudentielle. Cette juridiction a, en effet, dû s’intéresser au sort particulier qui peut être réservé à des fauteuils roulants qui se sont trouvés dans l’inventaire du commissaire de justice lors de ses opérations d’expulsion.
Alors que l’inventaire du commissaire de justice en matière d’expulsion a été l’objet de nombreuses jurisprudences relatives à son exhaustivité [1], la présence d’un, et en l’espèce de deux fauteuils roulants, au cours des opérations d’expulsion semble être une première jurisprudentielle.
Pour comprendre l’intérêt de cette décision, un rappel des faits est nécessaire.
Tout à débuter en juillet 2022, lorsqu’un bailleur, après avoir fait procéder à l’expulsion d’une de ses locataires, a vu cette dernière contester l’absence de valeur marchande de certains biens mentionnés dans l’inventaire contenu dans le procès-verbal d’expulsion dressé par le commissaire de justice. Parmi ses biens se trouvaient notamment deux fauteuils roulants.
Le bailleur après l’expulsion avait lui entrepris de faire vider les lieux pour des raisons de salubrité, et de déplacer les meubles dans un garde-meubles. À ce stade, une réflexion s’impose sur le choix du procès-verbal de constat. On peut trouver étonnant qu’il n’ait pas été dressé un procès-verbal de déménagement, qui est la suite logique de la procédure d’expulsion, et qui constitue un véritable acte d’exécution [2], en lieu et place d’un procès-verbal de constat.
Le juge de l’exécution, « en application des dispositions des articles L. 433-1 N° Lexbase : L5909IRB et L. 433-2 N° Lexbase : L7311LPH du Code des procédures civiles d'exécution » a rejeté la demande du bailleur à être autorisé à détruire les biens.
Le bailleur a donc fait appel de la décision et la cour d’appel de Paris a dû se prononcer le 20 juin 2024, sur le sort des meubles non retirés par l’expulsée, parmi lesquelles les fauteuils roulants inventoriés par le commissaire de justice.
C’est donc près de deux ans après l’expulsion, qu’elle a déclaré comme étant abandonnés les biens présents dans le logement au jour de l’expulsion, et ensuite déménagés dans un garde-meubles, et en conséquence qu’ils soient mis à la décharge publique. Elle a toutefois émis une réserve concernant les objets ayant un caractère nécessaire à l’expulsé en raison de son état de santé, parmi lesquels un fauteuil roulant.
Cet arrêt mérite donc d’être connu, puisqu’il pourrait impacter la pratique de l’expulsion au-delà des seules situations dans lesquelles se trouve un fauteuil roulant. Cette décision vient en effet, d’une part rappeler qu’aucun bien n’est indestructible s’il n’a pas de valeur marchande (I.), mais il vient toutefois ajouter un critère – celui de l’état de santé de l’expulsé – pour faire naitre un sursis à la destruction d’un bien (II.).
I. La confirmation que les biens indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades ne sont pas « indestructibles »
Il est indispensable de rappeler qu’il n’existe aucune disposition particulière en matière d’expulsion concernant les objets ayant une fonction médicale (A), avant d’expliciter le seul critère imposé par les textes, en matière d’expulsion, pour statuer sur leur sort (B).
A. L’absence de dispositions protectrices accordées aux biens nécessaires à la santé de l’expulsé
L’arrêt de la cour d’appel de Paris n’a pas fait état des dispositions protectrices attachées notamment à un fauteuil roulant dans d’autres matières.
Le législateur a en effet accordé aux biens indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades une protection – l’insaisissabilité - pour les écarter des procédures d’exécution ou conservatoire mobilière (saisie-vente, et saisie conservatoire) [3]. Il s’agit là d’une protection absolue, alors que le même article confère à d’autres objets « seulement » nécessaires à la vie et au travail du débiteur une protection relative, en permettant sous certaines conditions de mettre fin à l’insaisissabilité.
La justification, s’il en fallait une, pour expliquer cette protection particulière, est celle de l’humanité élémentaire due à chaque individu.
La protection attachée à ces objets n’a d’ailleurs pas toujours été aussi forte. Elle a été renforcée par l'article 42 du décret n°92-755 du 31 juillet 1992 N° Lexbase : L9125AG3, aujourd'hui intégrée dans le code des procédures civiles d'exécution [4], pour appliquer une jurisprudence interdisant de pratiquer une saisie sur des objets qui font partie intégrante de la personne humaine, à savoir des prothèses dentaires [5]. À partir de ce texte, ces objets ne pouvaient plus être saisis pour le paiement de leur prix par le fabricant, le vendeur ou le prêteur de deniers.
Mais, le législateur n’a pas fait état d’une quelconque protection, lorsqu’il se trouve dans les objets listés par le commissaire de justice lors d’une procédure d’expulsion, et qu’ils n’ont pas été retirés par l’expulsé. En la matière, aucun texte n’offre au moindre objet de protection, si ce n’est les documents personnels qui doivent être conservés deux ans, quand tous les autres meubles doivent être retirés dans un délai de deux mois.
S’agit-il là d’un oubli des textes ? Le législateur aurait-il considéré comme inconcevable que de tels objets qui sont qualifiés « d’indispensables » et donc vitaux pour la partie expulsée ne soient pas retirés, et même emportés immédiatement, lors d’une procédure d’expulsion ? Ou simplement a-t-il refusé de leur donner une place particulière au sein des meubles présents lors d’une expulsion et leur conférer le même sort qu’à tous les autres : la vente aux enchères publiques ou la destruction en fonction de leur valeur marchande.
En tout état de cause, il convient de constater qu’aucune disposition ne permet d’offrir en matière d’expulsion aux biens indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades un caractère indestructible. Il n’existe donc aucune obligation légale pour le bailleur et par conséquent le commissaire de justice de leur réserver un sort différent des autres meubles. L’arrêt ne fait d’ailleurs aucunement référence à l’article L. 112-2, 7o du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5801IRB pour retenir une solution et n’opère pas, à juste raison, de parallèle avec les procédures d’exécution mobilière pour leur offrir une protection.
La décision n’est ainsi fondée que sur les seuls textes relatifs à la procédure d’expulsion, lesquels fixent un seul critère pour décider du sort des meubles : leur valeur marchande.
B. La valeur marchande des meubles comme seul critère légal fixant le sort des meubles
Le critère retenu par la cour d’appel pour autoriser le bailleur à procéder à la mise en « décharge » d’un bien est naturellement l’absence de valeur marchande du bien. Le premier juge avait refusé de déclarer abandonné les biens en en conséquence d’autoriser leur destruction. La cour rappelle que s’ils n’ont pas de valeur marchande, et qu’ils n’ont pas été retirés dans le délai de deux mois, ils sont donc déclarés abandonnés et le bailleur est libre de les déposer à la décharge publique.
C’est donc la valeur marchande qui est le seul critère légal pour fixer le sort d’un meuble.
Il convient de rappeler que depuis le 1er janvier 2020 [6], le caractère de valeur marchande ou non d’un meuble est apprécié par le commissaire de justice dans l’inventaire qu’il dresse lors des opérations d’expulsion. Auparavant, le sort des meubles non retiré était soumis systématiquement au juge de l’exécution, puisque le procès-verbal d’expulsion contenait une assignation devant ce juge pour qu’il décide de leur sort. En réformant la procédure, le législateur a témoigné sa confiance au commissaire de justice dans sa capacité à juger de la valeur marchande d’un bien.
Dans sa décision, la cour d’appel a entendu confirmer la définition entre valeur et valeur marchande. Ainsi, le commissaire de justice doit dans l’inventaire de son procès-verbal d’expulsion indiquer si un bien a une valeur marchande, et non pas s’il a une valeur. Il n’appartient en effet pas au commissaire de justice de procéder à l’estimation de la valeur de l’objet, et ce même si le rapprochement des commissaires-priseurs judiciaires et des huissiers de justice pourrait lui donner de telles compétences, voire une telle envie. En matière d’expulsion, il n’y a point de prisée. La valeur marchande correspond ainsi « au produit que l’on peut espérer d’une vente des biens, une fois les frais de vente aux enchères publiques déduite ». Elle se distingue de la valeur.
Le commissaire de justice qui en l’espèce a indiqué sur son procès-verbal, comme le relève l’arrêt, la valeur de « 0 euro » a indiqué pour l’ensemble des biens une valeur, mais pas une valeur marchande. La distinction ne semble pas immédiate, mais donner un prix à un objet ne revient pas à juger d'une valeur marchande. Le commissaire de justice doit donc se contenter d’indiquer dans son inventaire dans la colonne de la valeur marchande « oui ou non ». Il s’évitera ainsi bien des motifs de contestation inutiles.
La cour d’appel a assimilé ce prix à zéro à une absence de valeur marchande.
C’est donc en raison de l’absence de valeur marchande que les juges ont autorisé la destruction des biens. Mais, face à l’absence de dispositions, les juges ont entendu réserver un sort particulier aux biens nécessaires à la santé de l’expulsé et ont créé un nouveau critère d’appréciation.
II. La possibilité pour le juge d’accorder une protection temporaire aux objets nécessaires à la santé de l’expulsé
Les juges ne disposant pas de textes pour offrir une protection particulière à un bien nécessaire à la santé de l’expulsé, et par conséquent soumis comme tous les autres meubles, au contrôle de sa seule valeur marchande pour statuer sur son sort, ils ont introduit un critère permettant d’accorder une protection temporaire à ce type de biens (A). Les conséquences de ce nouveau critère d’appréciation sont multiples (B).
A. L’état de santé de l’expulsé comme nouveau critère à prendre en considération pour un sursis à la destruction
L’arrêt du 20 juin 2024 a, certes, offert une protection à des objets ayant par essence un caractère nécessairement médical (1), mais il l’a accordé, de façon plus étrange, à d’autres objets ayant une fonction plus commune (2).
1) L’application du critère à des objets ayant par nature une fonction « médicale »
La cour d’appel a retenu qu’« au regard de l'état de santé présenté » par la locataire expulsée le fauteuil roulant qui lui appartenait devait échapper à la destruction immédiate. En effet, en l’absence de textes protégeant ces biens en matière d’expulsion, les juges après avoir constaté qu’il n’avait pas de valeur marchande, ont tenu compte de l’état de santé de la locataire expulsée pour accorder un sursis avant la destruction.
Les juges ont donc sur le même fondement d’humanité élémentaire qui rend insaisissable un fauteuil roulant établi le caractère « temporairement indestructible » de ce bien. Rappelons que l’action du commissaire de justice est soumise à cette condition d’humanité, et qu’elle figure dans son code de déontologie. [7]
Cette protection doit naturellement être étendue aux biens ayant un caractère médical qui appartiendraient à des personnes résidant avec l’expulsé, si l’état de santé de ces individus le nécessite.
L’arrêt relève également que cet état de santé n’a pas été contesté par le bailleur. Toutefois, il n’est pas explicite sur les éléments de preuve de cet état qui ont été retenus pour affirmer que l’expulsé se trouvait dans une situation médicale nécessitant la mise à disposition des biens ayant un caractère médical. L’ancienne locataire n’avait d’ailleurs présenté aucune défense en appel. Ce sont donc certainement des éléments présentés en première instance qui ont permis ce constat. Mais, là encore, une nouvelle question apparait. En cas de contestation, le juge doit-il tenir compte de l’état de santé de l’expulsé au jour de l’audience où au jour de l’expulsion. Il n’est pas impossible qu’une personne souffrante au jour de l’expulsion ne le soit plus au jour de l’audience. Et par conséquent, le critère de l’état de santé disparaitrait. A contrario, une personne bien portante le jour de l’expulsion pourrait contester, si son état de santé venait à décliner après les opérations d’expulsion.
La charge de la preuve de cet état de santé, et le moment auquel il doit être pris en compte devront donc à l’avenir être précisés. En effet, une telle preuve sera très difficile à apporter pour le bailleur qui n’est pas en mesure de faire réaliser un examen médical à l’expulsé. Il faut que pèse sur celui qui prétend que son état de santé nécessite un sursis à la destruction, d’en apporter la preuve.
La solution retenue par la cour d’appel ne résout pas une situation pratique qui n’est pas rare, lorsqu’un locataire expulsé se trouve être bien portant, mais qu’il possède des fauteuils roulants simplement « stockés » à son domicile. Il est en effet courant de trouver lors des opérations d’expulsion, des objets stockés au domicile, mais qui ne sont plus utilisés ou qui sont détournés de leurs fonctions première.
On constatera d’ailleurs, alors que l’inventaire fait état de deux fauteuils, que la cour d’appel n’a entendu autoriser la remise que d’un seul des deux. L’expulsé dans sa requête initiale devant le juge de l’exécution avait pourtant souhaité récupérer les deux fauteuils.
Certes l’un était d’après le procès-verbal de constat dressé lors des opérations d’enlèvement des biens « recouverts d’immondices », mais on peut s’interroger sur l’exclusion de ce second fauteuil du « sauvetage » effectuée par la décision de la cour d’appel. La cour d’appel a-t-elle tiré comme conséquence de l’état d’insalubrité du fauteuil qu’il ne remplissait plus sa mission sanitaire première ? Ou a-t-elle considérait qu’un seul fauteuil était nécessaire à l’état de santé de l’expulsée ? Le praticien désormais au fait de cette décision pourra-t-il lui aussi, comme l’a fait la juridiction, choisir en cas de pluralités d’objets ceux qu’ils convient de « sauver » ?
A cette difficulté pour le commissaire de justice de devoir statuer en fonction de l’état de santé de l’expulsé sur le sort d’un bien vient s’en ajouter une autre : l’extension du critère de l’état de santé à des biens n’ayant pas par nature une fonction médicale.
2) L ’extension de ce critère à des objets n’ayant pas par nature une utilité liée à l’état de santé
Si on peut comprendre que le critère de l’état de santé ait permis d’offrir la même protection temporaire au fauteuil roulant qu’au « lot de papiers (et les lutins visés par le procès-verbal, pouvant contenir des papiers ou documents médicaux) », on peut s’étonner qu’il ait permis de sauver d’autres biens, plus communs, à savoir un ordinateur (cassé de surcroit) et une imprimante.
Le critère « médical » attaché à ces objets ne saute en effet pas aux yeux.
La cour d’appel s’est d’ailleurs bien gardée d’apporter une explication sur la nécessité de ses biens pour l’état de santé de l’expulsée. On peut imaginer qu’ils puissent permettre la prise de rendez-vous médicaux, et l’impression de documents médicaux, et que c’est cette interprétation qu’a choisie la cour.
On savait que l’ordinateur et l’imprimante sont souvent insaisissables, car considérés comme des instruments nécessaires à l'exercice d'une activité [8], et bénéficie donc de la protection prévue à l’article L. 112-2 5°, Code des procédures civiles d'exécution. Cette décision nous apprend désormais qu’en matière d’expulsion ces objets peuvent être protégés d’une destruction immédiate en raison de l’état de santé de l’expulsé. Il est difficile de ne pas considérer que la cour à opérer une extension de la protection conférée par les textes sur l’insaisissabilité à ces objets, lorsqu’ils se trouvent dans une expulsion, mais qu’elle a entendu leur attacher un caractère « médical » pour ne pas se voir reprocher cette extension à partir de textes qui ne concernent pas la procédure d’expulsion.
Ajoutons que ce nouveau critère pourrait conduire à la protection de nombreux objets de la vie courante. Ainsi, rien n’empêcherait de considérer que l’état de santé de l’expulsé offre à un réfrigérateur une protection, si ce dernier est nécessaire à la conservation de médicaments et par conséquent être rattaché – avec plus d’évidence qu’un ordinateur ou une imprimante -a l’un des biens nécessaires aux soins de l’expulsé.
La liste des objets pouvant être protégée en raison de l’état de santé n’est donc pas cantonnée aux seuls objets ayant par nature une fonction médicale et les conséquences de la prise en compte de ce nouveau critère sont nombreuses.
B. Les conséquences de la prise en compte de l’état de santé de l’expulsé
Le nouveau critère de « l’état de santé » à pour conséquence d’offrir une protection certes temporaire, mais dont la durée est contestable (1). Face, à ce critère et à ses conséquences, le commissaire de justice doit trouver des solutions pratiques (2).
1) Une protection temporaire, mais un délai contestable
La cour d’appel n’a pas entendu accorder une exclusion définitive du fauteuil roulant du sort des autres meubles, mais elle a accordé à l’expulsée un délai supplémentaire pour récupérer des biens qui ont été jugés comme étant nécessaire à celle-ci « en raison de son état de santé ».
Les juges n’ont ainsi pas entendu rendre le fauteuil roulant définitivement « indestructible ». Cela se comprend aisément, et en ce sens la décision n’est pas critiquable. Tout d’abord, et avec évidence, s’il s’agit d’un bien indispensable à la santé de l’expulsée, il ne serait pas justifiable qu’elle ne le récupère pas dans un temps rapide. Il est difficilement compréhensible qu’un bien ayant un caractère vital ne fasse pas l’objet d’une récupération rapide de la part de son propriétaire.
Ensuite, les juges ne peuvent valablement accorder un délai indéfini, ou attendre le bon vouloir de la locataire, là où la loi n’a prévu qu’un délai de deux mois. Un tel délai sans fin n’est dans l’intérêt d’aucune des parties, puisqu’il fait peser sur le bailleur des frais importants de gardiennage, qu’il répercutera ensuite à l’expulsée. La cour a d’ailleurs dû, dans cet arrêt, se prononcer sur ces frais et à juger qu’ils « s'analysent ici comme des frais d'expulsion, soit des frais d'exécution forcée qui, selon les dispositions de l'article L. 111-8 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L7794IZP, sont en principe à la charge du débiteur. »
Mais, la durée du délai accordé à l’expulsé pose elle aussi question. Rappelons que les opérations d’expulsion ont eu lieu le 28 juillet 2022, et que la cour d’appel statuant en juin 2024 a accordé un délai à l’expulsée pour récupérer ses biens allant jusqu’au 28 juillet 2024. L’expulsé a donc bénéficié d’un délai de deux ans pour récupérer ses biens. La Cour d’appel a, semble-t-il, choisi d’accorder à tous les objets qu’elle a sauvés de la destruction immédiate pour « raison de santé » le délai de conservation imposé au commissaire de justice pour les documents personnels. [9]
L’utilisation du texte relatif à la conservation des documents personnels, pour justifier de la durée du délai pendant lesquels les objets nécessaires à la santé de l’expulsé, entrainent d’autres problématiques. En effet, en appliquant ces dispositions, il reviendrait désormais au commissaire de justice d’assurer lui-même la conservation et durant deux années les biens nécessaires à l’expulsée en raison de son état de santé. Sur ce point, l’arrêt de la cour d’appel est critiquable tant il ne tient pas compte de la possibilité matérielle pour les études de commissaire de justice d’assurer cette conservation. Il est également très contestable d’accorder un tel délai pour des biens qui par leur nature indispensable à la santé de l’expulsé devraient être retirés au plus vite.
L’introduction d’une disposition spécifique pour ce type de biens dans le code des procédures civiles d’exécution serait donc la bienvenue. Elle permettrait de définir les biens relevant de cette catégorie, et la protection qu’il convient de leur accorder (délai de conservation, personne en charge du gardiennage). En l’absence de tels textes, le professionnel doit trouver des solutions.
2) Les solutions pratiques pour le commissaire de justice
Le commissaire de justice est un professionnel du droit et non pas un professionnel de santé. Il ne faut donc pas faire peser sur celui-ci l’appréciation de l’état de santé de l’expulsé. La seule présence d’un bien indispensable aux personnes handicapées ou nécessaire au soin doit l’obliger à soumettre ce bien à l’appréciation du Juge de l’exécution s’il souhaite en obtenir sa destruction.
L’absence de retrait dans le délai de deux mois de ce type de biens, ne doit pas induire qu’il n’est pas nécessaire à la santé du débiteur. L’arrêt de la cour d’appel a, rappelons-le, accordé un délai pour détruire les objets nécessaires à l’état de santé, qui a pris fin deux ans après l’expulsion.
En l’absence de solutions textuelles et jurisprudentielles, le commissaire de justice sera donc avisé de considérer qu’il existe une présomption d’utilité et de nécessité à l’état de santé de l’expulsé ou d’un occupant de son chef, par la simple présence d’un fauteuil roulant ou de matériel nécessaire aux soins.
Le commissaire de justice doit donc se prémunir d’une action tardive et de reproches qui pourraient lui être faits si de tels biens inventoriés à son procès-verbal et non retirés avaient été détruits.
Deux solutions s’offrent à lui. Premièrement, il ne serait pas inintéressant que le commissaire de justice interroge l'expulsé et consigne sa réponse dans son procès-verbal – puisqu’il doit décrire les opérations d’expulsion[10], cette interrogation et la réponse donnée pourraient valablement y figurer – sur l’utilité d’un fauteuil roulant.Il ne serait ainsi pas tenu de « juger » de l’état de santé, puisque ce serait l’expulsé lui-même qui le lui indiquerait. De cette réponse, pourrait dépendre le sort du bien s’il n’est pas retiré. Toutefois, en cas d’absence de la partie expulsée, cette interpellation ne sera pas possible. La solution serait alors après la procédure d’expulsion de lui signifier une sommation d’avoir à indiquer si le bien lui est nécessaire en raison de son état de santé ou celui d’une personne qui se trouvait être, avant l’expulsion, occupante de son chef.
Secondement, en l’absence de réponse de l’expulsé, ou si ce dernier a indiqué que les biens étaient indispensables à son état de santé, mais qu’il n’a pas procéder à leur retrait (comme dans l’affaire soumise à la cour d’appel), le commissaire de justice doit saisir par requête le Juge de l’exécution pour se faire autoriser à détruire les biens (CPCEx, art. R. 442-2 N° Lexbase : L8668LYP).
Ces précautions sont d’autant plus indispensables que, le juge peut, comme dans l’arrêt du 20 juin 2024, adjoindre à ces objets « nécessaire en raison de l’état de santé » d’autres biens qui par nature ne relève pas de cette catégorie.
En conclusion, cet arrêt nous apprend que le commissaire de justice, qui n’a certes pas de compétence médicale reconnue - comme il aurait le réflexe d’appeler les secours en cas de malaise lors de ses opérations - doit pour les mêmes raisons d’humanité se prémunir d’envoyer à la destruction des objets, même sans valeur marchande, ayant une fonction médicale évidente. |
[1] CA Aix-en-Provence, 20 mai 2021, n° 18/06955 N° Lexbase : A42374SQ - CA Paris, 1, 10, 2 février 2023, n° 22/08170 N° Lexbase : A88199BA.
[2] A. Leon, Sort et transport des meubles en matière d’expulsion, Lexbase Contentieux et Recouvrement, mars 2023, n° 1 N° Lexbase : N4715BZN.
[3] CPCEx, art. L. 112-2, 7° N° Lexbase : L5801IRB.
[4] CPCEx, art. L. 112-2, 7° N° Lexbase : L5801IRB.
[5] Cass. civ. 1, 11 décembre 1985, 84-10.339 N° Lexbase : A5925AAP.
[6] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.
[7] Articles 3 et 28 du Code de déontologie des commissaires de justice.
[8] Cass. civ. 2, 28 juin 2012, no 11-15.055, FS-P+B+I N° Lexbase : A9898IPB.
[9] CPCEx, R. 433-6 N° Lexbase : L5604LTQ.
[10] CPCEx, R. 432-1, 1° N° Lexbase : L2518ITG.
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par Patrick Gielen, Huissier de Justice (Belgique), Secrétaire Union Internationale des Huissiers de Justice
Le 26 Septembre 2024
Mots-clés : biens numériques • cryptomonnaies • NFT • saisie • propriété • blockchain, législation • immatériel • transfrontalier • saisie nom de domaine
La saisie des biens digitaux, dans leur sens le plus large, est un enjeu croissant dans le droit belge, reflétant l'évolution rapide des technologies et de la manière dont les actifs sont détenus et échangés. Les biens numériques, tels que les cryptomonnaies, les tokens non fongibles (NFTs) et les noms de domaine entre autres, posent des défis uniques en raison de leur nature immatérielle et décentralisée. Contrairement aux biens physiques, ces actifs n'ont pas de réalité tangible et leur appropriation repose sur l'accès à des clés numériques. Les récents développements juridiques, notamment au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique, et aux États-Unis, montrent une reconnaissance progressive de ces actifs comme des propriétés saisissables, nécessitant des adaptations des pratiques et des législations existantes. Cet article explore les implications de cette évolution pour les procédures de saisie, la législation et la conception traditionnelle de la propriété, en examinant les décisions judiciaires récentes et les méthodes innovantes de saisie et de signification des biens numériques.
Quel est le problème ?
Les biens incorporels sont des biens qui n'ont pas d'existence matérielle mais représentent une valeur appréciable en argent.
Ce sont des biens immatériels qui ne sont pas palpables.
Trois types de biens peuvent entrer dans cette catégorie :
Cependant, on peut également intégrer dans les biens incorporels une série de nouveaux biens qu'on peut qualifier de biens numériques qui sont apparus ces dernières années. Il peut s’agir de produits ou de services ayant une valeur économique, conservés, présentés et gérés de façon électronique. À titre d’exemple, on peut, entre autres, citer les noms de domaines ainsi que les biens issus de la blockchain (cryptomonnaies, tokens, NFT, etc.). On peut les classer dans la catégorie des biens numériques.
La question se pose de savoir comment appréhender ces nouveaux biens numériques.
Bien que les biens du débiteur soient le gage commun du créancier [1], il est difficile d’une part de déterminer si un débiteur possède ce genre de biens, et d’autre part de savoir comment les saisir. Les procédures de saisie actuelles n’offrent pas de solutions adéquates pour ce nouveau type de biens.
Quel est l’objectif ?
L’objectif est de trouver, soit dans la pratique, soit en légiférant, une solution à ce problème. Dans un premier temps, il s’agit de voir comment la pratique actuelle peut utiliser ce dont elle dispose pour appréhender ces biens, et dans un second temps, de déterminer comment nous pouvons légiférer en la matière.
La complexité réside non seulement dans l’anonymat existant, par exemple, dans la blockchain, mais aussi dans la dimension transfrontalière, car les biens incorporels n'ont pas de frontière physique.
Est-ce qu’un actif numérique est saisissable ?
Pour qu’un bien soit saisissable il faut tout d’abord qu’il s’agisse d’une chose susceptible d'appropriation [2]. Un bien, en droit belge, et ceci ressort des articles 3.38 et 3.40 du Code civil, est un concept très vaste.
La High Court de Londres, dans une décision du 18 août 2019 [3], a examiné le statut des cryptomonnaies pour déterminer si elles pouvaient être considérées comme une « propriété ».
La Cour a conclu que les cryptomonnaies peuvent effectivement être considérées comme des propriétés et, par conséquent, peuvent être appréhendées et ainsi faire l'objet d'une saisie [4] (même si, dans ce cas, la saisie est conservatoire). Il s’agit d’une première étape très importante [5].
Récemment, en date du 30 juillet 2024, le Ministry of Justice du Royaume-Uni a publié un nouveau rapport [6] de la Law Commission of England and Wales sur les cryptoactifs, proposant un cadre juridique pour les reconnaître comme des biens de propriété. Ce rapport suggère de créer une "troisième catégorie" de droits de propriété personnelle, distincte des catégories traditionnelles, pour inclure certains actifs numériques comme les crypto-tokens. Il met en lumière l'importance de ce droit, notamment en matière de faillite, succession et contrats, et fait écho aux discussions similaires en France sur la mise en conformité du règlement MiCA [7] [8].
L'acceptation des biens numériques comme propriété implique une redéfinition de cette notion. Traditionnellement, la propriété (est) était liée à la possession physique [9], mais avec l’émergence des biens numériques, la propriété et la possession sont dissociées. Désormais, la propriété réside dans l’accès au bien numérique, plutôt que dans la possession matérielle. Par exemple, être propriétaire d’un bitcoin signifie détenir une clé d'accès à celui-ci, sans le posséder physiquement. Cela remet en question notre conception classique du droit, qui évolue avec ces nouveaux types de biens.
Prenons l'exemple du bitcoin, où le propriétaire d'un bitcoin ne possède pas physiquement cet actif, mais détient la clé d'accès qui lui permet de le contrôler, souvent stockée sur un serveur. Ainsi, la notion de propriété ne concerne pas la possession matérielle du bien, mais plutôt le contrôle de l'accès à celui-ci. Cette distinction reflète la spécificité des biens numériques, où la maîtrise repose sur l'accès sécurisé plutôt que sur la détention physique.
Nous voyons donc que notre conception « classique » du droit est remis en cause et qu’il faut considérer les biens numériques comme des droits réels et non comme des droits personnels.
Comment saisir un NFT ?
Voyons comment, dans le cas des NFT [10], une partie a pu procéder à une saisie conservatoire de cet actif numérique.
Dans cette affaire [11], il s'agit de la reproduction d'une chauve-souris de la collection "Cryptobatz" [12], présentant des caractéristiques uniques et rares, donc un NFT de grande valeur.
Quel était le cas d’espèce ?
Dans cette affaire, un acheteur avait conclu un accord avec un vendeur pour acquérir un NFT de la collection « Cryptobatz ». Après l'achat, il s'est avéré que le NFT était rare et très précieux. Le vendeur a alors décidé de garder ce NFT rare pour lui et de transférer un autre Cryptobat moins rare et donc moins cher à l'acheteur. L'acheteur a porté l'affaire devant le tribunal, demandant la saisie du NFT rare.
Le tribunal a donné son accord pour une saisie conservatoire, obligeant le vendeur à remettre les clés privées et les codes d'accès liés aux portefeuilles des cryptomonnaies afin de protéger les droits de l'acheteur pendant la procédure
Le tribunal a autorisé tous les actes nécessaires pour garantir l'exécution de la saisie, y compris l'accès aux locaux où se trouve le NFT. Il a ordonné que le NFT soit mis en séquestre entre les mains de l'huissier de justice, avec la remise de la clé publique, des mots de passe, et toutes les autres mesures nécessaires pour permettre le transfert sécurisé du NFT à l'huissier. De plus, une pénalité a été imposée au vendeur pour chaque quart d'heure de non-respect de ses obligations, assurant ainsi la rigueur de l'exécution de la décision.
Le tribunal a dès lors fait droit à l'intégralité de la demande de requérant déclarant qu’un NFT à une valeur légale et concerne un droit de propriété.
En application de cette décision, l'huissier de justice a pu procéder à la saisie du NFT le 9 février 2022, soit cinq jours après le prononcé du jugement. Il a ensuite placé le NFT en séquestre en le transférant sur un portefeuille électronique spécialement ouvert à cet effet.
En conclusion de ces deux affaires, on peut clairement affirmer que les actifs numériques, tels que les NFT, sont désormais reconnus comme ayant une valeur légale, et que toutes les réglementations relatives aux procédures d'exécution forcée leur sont donc pleinement applicables.
Peut-on signifier une décision de justice par NFT ?
La décision rendue par la Cour suprême de l'État de New York le 2 juin 2022 [13] dans l'affaire LCX AG v. John Doe Nos. 1-25 a autorisé, pour la première fois, la signification d'une ordonnance d'interdiction temporaire par NFT.
Cette procédure innovante, en matière pénale, visait à notifier les défendeurs anonymes d'une affaire de vol de cryptomonnaies via un "Service NFT" sur la blockchain Ethereum.
Cette méthode a marqué une étape importante dans l'application du droit aux actifs numériques, dans un système de Common Law.
En effet, même si l'on ne connaît pas les individus derrière les clés, une signification par NFT permet d’atteindre la clé et, par définition, son détenteur, même si l’on ne le connaît pas.
Les avocats du plaignant ont généré un NFT contenant un lien hypertexte menant vers un site internet où l’ordonnance et les documents relatifs à la procédure ont été publiés. Ce nouveau procédé de signification est publiquement accessible sur la Blockchain Ethereum.
Il s’agit d’un cas très intéressant dont nous pouvons nous inspirer, nous, professionnels du droit, dans les cas où le destinataire de l’acte est inconnu. Cependant, il ne faut pas généraliser cette méthode pour toutes les significations. En effet, même si cette décision pourrait théoriquement être transposée au droit continental, cela nécessiterait des adaptations. En droit continental (comme en Belgique ou en France), les procédures sont plus formelles et encadrées, notamment pour la signification des actes judiciaires. Cependant, avec l'évolution rapide du droit numérique et la reconnaissance des actifs numériques, il est envisageable que des mécanismes similaires soient, à court ou moyen terme, adoptés, à condition que les législations évoluent pour encadrer ces nouvelles technologies.
Cependant nous pouvons souligner que cette tâche doit, en droit continental, être confiée à l’huissier de justice, qui garantit, en tant que tiers de confiance, les droits tant du créancier que du débiteur, alors que l’avocat, lui, ne défend qu’une seule partie.
L’exemple du nom de domaine
Dans cette affaire, le créancier est autrichien, le débiteur est maltais, et le tiers saisi est belge. L'exécution forcée repose sur plusieurs décisions judiciaires prises en Autriche. Tout d'abord, une décision de première instance a été rendue en Autriche, suivie d'une décision en appel puis d'une décision de la Cour suprême autrichienne. Chacune de ces décisions est accompagnée d'un certificat conformément à l'article 53 du Règlement « Bruxelles I bis » (Règlement (UE) n° 1215/2012, du 12 décembre 2012 N° Lexbase : L9189IUU, ce qui permet leur reconnaissance et leur exécution dans d'autres États membres de l'Union européenne.
La procédure d'exécution mise en œuvre dans ce cas concerne une saisie-arrêt entre les mains d'EURID, l'organisme responsable de l'enregistrement des noms de domaine en Europe, portant sur les noms de domaine appartenant au débiteur maltais. Cette saisie vise à contraindre le débiteur à satisfaire aux obligations imposées par les décisions judiciaires autrichiennes.
Le juge de saisie a répondu à plusieurs conclusions avant de valider la procédure.
Est-ce qu’un nom de domaine est un bien ?
Le juge des saisies énonce qu’un nom de domaine est un objet au sens de l'article 3.41 du Code civil qui n'est pas perceptible par les sens et qui est incorporel au sens de l'article 3.40 du Code civil.
Par ailleurs, le juge indique que pour qu'un objet soit un bien, il doit être susceptible d'appropriation, ce qui signifie qu'il a une valeur patrimoniale et qu'il doit être possible pour une personne d'exercer un pouvoir exclusif sur cet objet.
Sans le droit d'utiliser un nom de domaine particulier, le nom de domaine n'existe pas en tant que bien. Son appropriation, selon le juge des saisies, est donc liée au "droit d'utiliser le nom de domaine" que l'on obtient grâce à l'enregistrement. Un nom de domaine fait partie du patrimoine du détenteur du nom de domaine tout comme une créance fait partie du patrimoine du créancier. Le droit d'utilisation d'un nom de domaine peut facilement être monnayé en le transférant à des tiers.
La régularité de la saisie : Quelle est la nature de la procédure de saisie ?
En principe, tous les actifs d'un débiteur servent de garantie commune à ses créanciers en application de l'ancien article 8 de la loi sur les hypothèques et de l'article 3.36, 1er alinéa du Code civil. Le titulaire d'un nom de domaine eu.-TLD a le droit d'utiliser le nom de domaine. Ce droit d'utilisation peut être monétisé par transfert à des tiers dans les conditions prévues par le Règlement (UE) n° 2019/519 du 19 mars 2019 N° Lexbase : L7176LPH. Cela implique que le nom de domaine fait partie du patrimoine du titulaire du nom de domaine et qu'il a une certaine valeur. Par conséquent, il peut être saisi.
En l'absence de réglementation légale, le juge des saisies estime que le créancier pourrait saisir les noms de domaine litigieux par le biais d'une saisie-arrêt entre les mains de l'EURid en application de l'article 1539 et suivants du Code judiciaire. En effet, l'EURid est tenue d'accorder le droit d'usage des noms de domaine saisis, qui représente une valeur commerciale au débiteur. Il n'est pas exigé, dans le cadre d'une saisie-arrêt, qu'une somme d'argent soit remise. Ce droit d'usage temporaire que l'EURid est tenu d'octroyer est également susceptible d'être remis. Cette obligation peut être saisie entre les mains de son débiteur.
Le fait qu'une certaine doctrine opte pour la procédure de saisie-exécution de biens meubles n'y change rien, puisqu'il n'existe pas de réglementation légale claire sur la saisie de biens meubles incorporels [14].
La légalité de la saisie : Y-a-t-il violation du droit des marques ?
Si un nom de domaine est utilisé dans son sens propre, à savoir comme un moyen technique d'atteindre des sites web et de distinguer les domaines les uns des autres, il s'agit d'un autre signe que celui qui sert à distinguer des produits ou des services. Il ne s'agit donc pas d'une marque. En droit commercial, un nom de domaine ne peut être utile que comme partie d'une marque figurative ou comme l'une des nombreuses manifestations dérivées d'une marque ou d'un nom commercial, mais il ne peut au mieux que faire partie d'une marque composite en soi et ne peut jamais constituer une marque indépendante valable.
La question de savoir si, comment et dans quelle mesure l'utilisation des noms de domaine peut porter atteinte aux droits de marque n'a aucune incidence sur la régularité ou la légalité de la saisie. Il n'est pas non plus certain qu'une violation du droit des marques se produira si l'exécution se poursuit. En effet, le débiteur peut toujours payer les montants auxquels elle a été condamnée.
En conclusion, le juge des saisies a validé entièrement la saisie du nom de domaine par la procédure de saisie-arrêt entre les mains de l'EURid. L’affaire est désormais pendante devant la cour d’appel de Bruxelles.
[1] Voy. l'ancien article 8 de la loi sur les hypothèques et l'article 3.36, 1er alinéa du Code civil.
[2] Voy. Art 3.41 du Code civil.
[3] Voy. High Court of London, AA c. Persons Unknown (2019) EWHC 3556 (Comm), 18 août 2019, non publiée. Cette décision a établi que le Bitcoin peut être considéré comme une "propriété" en vertu du droit anglais, permettant ainsi son utilisation dans le cadre d'une saisie.
[4] Même si dans le cas d’espèce il s’agit d’une saisie conservatoire et non exécutoire.
[5] Voy. dans le cadre des objets virtuels, Cour Suprême des Pays-Bas, 31 janvier 2012, 10/00101 J, établissant que les objets virtuels peuvent être protégés comme des biens en droit néerlandais [en ligne].
[7] Voy. Règlement (UE) n° 2023/1114 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs
[8] Voy Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris qui préconisait lui aussi d’appliquer clairement le droit de propriété aux cryptoactifs. Voy. [en ligne].
[9] Voy. article 3.28 du Code civil : « en matière de meubles, la possession vaut titre ».
[10] Un NFT (ou "jeton non fongible" en français) est un type unique de cryptomonnaie qui représente un objet numérique spécifique, comme une œuvre d'art, une musique ou une vidéo. Contrairement aux autres cryptomonnaies comme le Bitcoin, qui sont fongibles (toutes les unités sont identiques et interchangeables), chaque NFT est distinct et possède une valeur spécifique liée à sa rareté ou à son originalité. Les NFT sont enregistrés sur une blockchain, un registre numérique décentralisé, ce qui garantit leur authenticité et permet de tracer la propriété. En résumé, un NFT est comme un certificat numérique prouvant qu'un individu possède une version unique d'un contenu numérique.
[11] Voy. Tribunal de district de Noord-Nederland (Leeuwarden), 4 février 2022, non publié.
[12] « Cryptobatz» est une collection de NFT (tokens non fongibles) lancée par le chanteur légendaire Ozzy Osbourne en janvier 2022. Ces NFT se distinguent par leur thème en lien avec les chauves-souris, un clin d'œil à l’incident célèbre où Osbourne a mordu la tête d’une chauve-souris lors d’un concert en 1982. Chaque Cryptobat est une œuvre d'art numérique unique en son genre.
[13] Voy. Cour suprême de l'État de New York, 2 juin 2022, LCX AG v. John Doe, Nos. 1-25, non publié. Voy. aussi pour une analyse détaillée de l’affaire [en ligne].
[14] Voy. contra Tribunal de première instance Néerlandophone de Bruxelles, J.S., 9 juillet 2024, rép. 2024/7965, non publiée décidant qu’ « En l'absence de réglementation légale claire, le juge des saisies estime que pour pouvoir saisir des noms de domaine, il convient de suivre la procédure de saisie-arrêt-exécution. D'une part, les biens mobiliers incorporels sont en principe exclus des saisies de biens meubles. D'autre part, les dispositions relatives à la saisie entre les mains de tiers offrent suffisamment de marge pour inclure la saisie des noms de domaine (interprétation large des notions de "biens" et de "créances") ». Voy. aussi E. Dirix dans Beslag in A.P.R., Kluwer 2018, n° 159.
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Réf. : Cass. civ. 2, 23 mai 2024, n° 21-25.084, F-B N° Lexbase : A86165C4
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par Alexandra Martinez-Ohayon
Le 26 Septembre 2024
► Lorsqu'un acte notarié de prêt revêtu de la formule exécutoire, lequel constitue un titre exécutoire, a été modifié par un avenant sous seing privé qui n'a pas opéré novation, la créance est liquide, lorsque l'acte notarié ou l'avenant contient tous les éléments permettant son évaluation.
Faits et procédure. Dans cette affaire, une procédure de saisie immobilière a été engagée par la banque à l’encontre d’une société sur le fondement d'un acte notarié de prêt. Un jugement d'orientation a ordonné la vente forcée du bien saisi.
Pourvoi. La banque fait grief à l'arrêt (CA Grenoble, 28 septembre 2021, n° 21/01650 N° Lexbase : A6102477) de dire que le commandement aux fins de saisie immobilière délivré le 25 juillet 2019 est nul, ainsi que toute la procédure subséquente.
En l’espèce, l’arrêt relève pour dire nul le commandement de payer valant saisie immobilière ainsi que toute la procédure subséquente, que l'acte notarié de prêt a fait l'objet d'un avenant sous seing privé modifiant le montant nominal du prêt, le montant du capital restant dû, le montant des échéances, le coût total du crédit et la durée du prêt et que, ainsi qu'il y est expressément stipulé, cet avenant ne vaut pas novation. Par ailleurs, la cour d’appel retient que la banque ne justifie pas d'un titre exécutoire permettant à lui seul de déterminer le montant de la créance, ce que seul permet l'avenant qui n'est pas un titre exécutoire.
Solution. Énonçant la solution susvisée au visa des articles L. 111-3, 4° N° Lexbase : L3909LKY, et L. 111-6 N° Lexbase : L5794IRZ du Code des procédures civiles d'exécution et les articles 1271 N° Lexbase : L1381ABR, devenu 1329 N° Lexbase : L0991KZQ, et 1273 N° Lexbase : L1383ABT, devenu 1330 N° Lexbase : L0990KZP, du Code civil, la Cour de cassation, censure le raisonnement de la cour d’appel.
Les Hauts magistrats relèvent que le caractère liquide de la créance pouvait s'apprécier, en application de l'article L. 111-6 du Code des procédures civiles d'exécution, au regard des stipulations de l'avenant qui n'avait pas opéré novation de l'acte notarié. En conséquence, la cour d’appel a violé les textes susvisés en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations.
Elle casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La saisie immobilière, Le juge de l'exécution, La créance liquide et exigible en matière de saisie immobilière (CPCEx, art. L. 311-2), in Voies d’exécution, (dir. N. Fricero et G. Payan), Lexbase N° Lexbase : E9415E89. |
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Réf. : INFO919, Procédure de saisie-conservatoire de créances pour les charges de copropriété impayées, Voies d'exécution N° Lexbase : X4665CR9
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N0362B3S
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par Jérémie BOUVERET, Commissaire de justice associé
Le 26 Septembre 2024
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